SŒUR CADETTE
ET « FEMME DE TETE »,
FRANCOISE
DUFOUR, NEE DUFAURE :
LE LIEN
« Je la revois encor, dessous sa coiffe noire »
SOMMAIRE DES SECTIONS
A LA MEMOIRE DE MA GRAND’MERE et de toutes les bonnes
vieilles grand’mères !
« FEMMES EN NOIR DE LA CORREZE... »
TENUES
NOIRES OU SOMBRES… VIEILLES, JEUNES, VEUVES OU RELIGIEUSES…
DE
LA COIFFE FEMININE… ET DE LA CHEVELURE…
LA
LIMOUSINE EN BARBICHET… CLICHE, MYTHE OU REALITE ?
CADETTE
DE LA FAMILLE… FRANCOISE, LA PETITE DERNIERE DE LA FRATRIE…
« FENNO QUE SOU LOU LETI NE FERO JAMAI BOUNO
FI » …
« QUELQUE CHOSE DE FIER LUISAIT EN SON REGARD… »
UNE ELEVE COURONNEE… « L’EDUCATION », UN COMBAT
« FEMINISTE »…
« LES PLUS HEUREUSES DISPOSITIONS TANT A LA
VERTU QU’A L’EDUCATION »
LE « MAL DES ARDENTES »… OU UNE « SCANDALEUSE » CHEZ LES SŒURS…
UNE AUTRE « SCANDALEUSE »… POURTANT ELEVEE
CHEZ… LES SŒURS !
DU REGLEMENT DU PRIX
DE LA PENSION DE FRANCOISE...
UNE LETTRE DE SŒUR
STANISLAS… « SŒUR STANISLAS VOUS
AIME… »
AU SUJET DES « CLASSES
PAUVRES »… DE LA
DISCRIMINATION SOCIALE…
« NOTRE CHER COUVENT »… LA QUESTION DE LA « VOCATION » …
ENCORE UNE HISTOIRE
DE COIFFURE… …ET DE RELIGIEUSE !
UNE JEUNESSE
ALLASSACOISE...EN ATTENTE DE DESTINEE…
UNE
« FILLE A MARIER »… OU A LA RECHERCHE DU CONJOINT… IDEAL !
A
PROPOS DES CORRESPONDANCES DE FRANCOISE AU PRINTEMPS 1860…
L’EPOUSE
DE « MONSIEUR » DUFOUR, du MONS d’ESTIVAUX
UNE
UNION HARMONIEUSE ? OU L’EPOUSE, L’EMPOISONNEUSE ET LA… PUTAIN !
RUDESSE
DE LA CONDITION FEMININE LIMOUSINE AU DIX-NEUVIEME SIECLE…
FAMILLE
NOMBREUSE : « RICHESSE DU
LABOUREUR, MISERE DE LA MERE… »
INSTANT-S
DE JOIE-S ET DE FETE-S…
PREOCCUPATIONS
MENAGERES FEMININES… VETEMENTS ET BLANCHISSAGE…
LA
« DAME A LA FAULX » …
VEUVAGE PREMATURE ET AUTRES MALHEURS…
UNE
REGENTE… EN « DIGNE PARENTE » DU CARDINAL DUBOIS…
CHOIX
DU METAYAGE : ALLIANCE TRAVAIL / CAPITAL OU MODE D’OPPRESSION ?
« CAILLEES, VELEES, CHAPONS » :
CHACUN SES « VEAUX VACHES COUVEES » !
DES
CHARGES ET DES OBLIGATIONS REPARTIES AVEC PRECISION…
UNE
FEMME DE « TETE » A LA TETE D’UN PATRIMOINE FONCIER SAUVEGARDE !
« CONCESSION
A PERPETUITE » : DEUX METRES ET… QUATRE VINGT CINQ CM2
SEPULTURES
MILITAIRES … L’EVOLUTION DES MŒURS FUNERAIRES…
SEPULTURES
CIVILES … L’EVOLUTION DES MŒURS FUNERAIRES…
INVESTISSEMENTS
REPETES POUR DES PERPETUITES « RENOUVELEES »…
ENTRE
FOUGERES ET BRUYERES... SUR LE REBORD
DU PLATEAU ...
LA
VIE CONTINUE… LA MORT AUSSI !
« VIVRE
TOUT HUMBLEMENT »...
SILENCE…
ANNEXE -TEXTES INTEGRAUX DE DIVERSES CORRESPONDANCES EVOQUEES
A LA MEMOIRE
DE MA GRAND’MERE et de toutes les bonnes vieilles grand’mères !
Cette photographie a très
vraisemblablement été prise en 1901,
sur le perron de l’entrée de la maison familiale DUFOUR, au MONS d’ESTIVAUX…
Françoise DUFOUR, née DUFAURE, le 4 Août 1833, est alors âgée de soixante huit
ans et se tient assise très droite, occupant ses mains d’un ouvrage qu’elle est
en train de confectionner…
Son caraco noir est
boutonné jusqu’au col sur toute la longueur de son buste par une douzaine de
boutons cousus très rapprochés. Il est assorti à une très longue et très ample
jupe, tout aussi noire, d’où ne dépassent que les pointes de deux souliers
cirés qui paraissent dotés de solides semelles… Le chef de la « matriarche » est recouvert d’une
large et très enveloppante coiffe noire, arrangée avec des « plis artistiques », et dont le
ruban descend, libre, jusqu’au niveau de sa taille...
Ainsi c’est elle !!! Françoise DUFAURE, épouse DUFOUR, notre
aïeule, immortalisée de trois-quarts face en une exposition « plein soleil » qui accentue le
contraste avec la pénombre qui règne alentour, à l’intérieur de la bâtisse…
Françoise « prend le soleil » tout en bénéficiant en même temps de la
fraîcheur de l’intérieur de la maison… Est-ce l’été ? Ou alors une belle
journée de printemps ? Nous sommes probablement en Septembre 1901, puisque
l’on peut rattacher ce cliché à une série datée conservée…
Le visage est surexposé,
atténuant quelque peu la qualité artistique du portrait, lequel aurait pu être
plus parfait encore du fait de la composition très académique de la pose qui
avait été adoptée ! … Cependant les yeux de Françoise DUFOUR ressortent
d’autant mieux. Ils semblent encore particulièrement vifs et son regard paraît
concentré et attentif… S’agit-il donc d’un regard aussi « expert »
que celui exercé par « l’Œil du
Maître » ? Est-ce la vigilance de tous les instants d’une « mater familias » ?
« Je la revois encor, dessous sa coiffe noire,
Avec son bon sourire, et son regard si clair,
Le moindre de ses mots résonne en ma mémoire,
Comme si seulement elle était morte d’hier.
Je la revois encor, si douce et souriante,
Travaillant sans répit, toujours joyeusement,
Comme le soleil brille et comme l’oiseau chante,
Comme l’étoile luit dans le pur firmament »
[ 1 ]
Il s’agit ici des deux
premières strophes d’un poème intitulé « Ma grand’mère », que l’Allassacois Henri MARTIN,
« érudit, poète, auteur de trois ouvrages, « Sur les ailes du rêve et de la fantaisie » ( 1933 ), « CORREZE, ô mon pays » ( 1934 ),
« L’aurore au crépuscule »
( 1947 ) » [ 2 ], dédia « à la mémoire
de ma grand’mère qui fut la plus sainte et la meilleure de toutes les femmes,
et aussi à la mémoire de toutes les bonnes vieilles grand'mères »…
Henri MARTIN, « Notaire de famille » [ une
génération de notaires, de père en petit-fils !!! … Notaires aux services
desquels notre famille fera parfois appel au fil des périodes ! ], était
de la même génération que mon grand-père, Henri DUFOUR, et j’ai tout lieu de
pouvoir considérer que cette grand mère
qu’il évoque là ne devait guère être différente, tant dans son allure que dans
son « style Allassacois »,
de mon arrière-arrière-grand mère Françoise DUFAURE, épouse DUFOUR, telle
qu’elle nous apparaît ici photographiée « dessous sa coiffe noire » et « avec son regard si clair »…
« FEMMES EN NOIR DE
LA CORREZE... »
Lorsque, en Juillet 1976,
André MALRAUX décède, la rédaction de la « Dépêche du Midi » demande à Denis TILLINAC, son
« localier » à TULLE, « un papier sur les deux années qu’il a
passées dans la région pendant l’Occupation. Il s’était alors replié à Saint
CHAMAND (…) »…
« J’ai évoqué ce
passage des « Antimémoires »
sur les « femmes en noir »
de la CORREZE qui assistent aux mises en terre devant la tombe de leur propre
famille… » se souvient TILLINAC [ 3 ]…
André MALRAUX avait écrit
: « je pensais aussi à une aube de CORREZE sur un cimetière qu’entouraient
des forêts, blanches de givre. Les allemands avaient fusillé des maquisards,
que les habitants devaient enterrer le matin. Une compagnie occupait le
cimetière, mitraillette au poing. Dans cette région, les femmes ne suivent pas
le corbillard, elles l’attendent sur la tombe de leur propre famille. Quand le
jour se leva, sur chacune des tombes à
flanc de coteau comme les pierres déjointées des amphithéâtres antiques, se
tenait une femme en noir debout et qui ne priait pas » [ 4 ] Des femmes Corréziennes en noir sur petit matin
de givre : malgré les tragiques circonstances d’un épisode tragique de
la Seconde Guerre Mondiale, cette « vision sublime » demeure, en tout
cas, une fort belle image littéraire…
Denis TILLINAC reviendra
une fois encore sur cette « vision » si marquante, dans son Essai
« Les Masques de l’Ephémère »
où il évoque son village Corrézien : « les familles écoutent l’ultime
prière devant leur propre tombe, coutume relevée par MALRAUX dans son discours
pour le transfert des cendres de Jean MOULIN au Panthéon ( - « … la nuit qui se retirait comme la mer laissa
paraître les femmes en noir de CORREZE, immobiles du haut en bas de la
montagne, et attendant en silence, chacune sur la tombe des siens,
l’ensevelissement des morts français » - )… [ 5 ] … Les femmes
Corréziennes en noir de la CORREZE, déjà présentes dans les « Antimémoires », le furent donc
aussi dans le fameux « Discours du Panthéon » prononcé par MALRAUX
lors de la réception des cendres de Jean MOULIN…
Denis TILLINAC, dans un
autre de ses ouvrages, affirme aussi repenser souvent à sa propre
« enfance recluse à PARIS, obnubilée par un songe de bonheur agreste dans le giron d’une grand mère vêtue de noir,
à l’ombre d'une maison de famille » [ 6 ] … L’enfant se rendait alors
régulièrement en vacances en terre Corrézienne …
Alors ? Toujours -
ou presque toujours ! - habillées de noir les grand-mères Corréziennes ???
… Apparemment oui, tant cette « couleur »
leur semble attachée !!! Des témoignages mettant ce phénomène en exergue
on pourrait ainsi en citer à profusion…
Des femmes en noir
traversent, par exemple, elles aussi, l’enfance de Marcelle DELPASTRE… Près de
chez elle, « il y avait une vieille, la mère; pas si vieille sans doute,
mais à cette époque toutes les femmes
d’un certain âge étaient vêtues de noir et de gris, avec une espèce de
caraco, peut être de corsage ajusté, et une jupe longue, froncée tout autour ou
seulement par derrière, qui souvent ne laissait voir que les sabots, rarement
la cheville, jamais le genou » se souvient Marcelle [ 7 ]…
Dans mes souvenirs
d’enfance des années 1960, finalement pas si lointaines, les
« grands-mères » de PERPEZAC le Noir étaient encore toutes tout de
noir vêtues et elles étaient même fréquemment « coiffées »… au moins
d’un mouchoir de tête…
Georges-Emmanuel
CLANCIER, mettant en scène un « petit
paysan de 1882 » en LIMOUSIN note à propos du costume féminin :
« la mère et la grand-mère de Pierrot, ainsi que Marcelline la domestique,
la femme du Jeantou, sont vêtues de la même façon : chemise de chanvre à
manches courtes et amples, deux jupons, los
pantolous, une jupe longue et noire,
une chemisette, lo brassiero, un
corsage de laine, lu caraco, sur
lequel elles ont jeté un châle coloré [ ! ], lu coule, qu’elles croisent sur leur poitrine… « Les jours de
fête (...) elles passent des souliers (...) et coiffent le barbichet, seyante
coiffe à ailes » [ 8 ]…
Il n’y a donc pas
seulement que les grand-mères à être vêtues tout de noir en LIMOUSIN… Les mères
de famille le sont aussi, ainsi que les domestiques…
Michel PEYRAMAURE de
décrire alors les mères de famille d’un petit village du bas-pays Corrézien
inscrivant peu avant la première guerre mondiale leurs enfants à l’Ecole
Communale : « les mères arrivaient (…) la chevelure dissimulée sous le
bonnet, la poitrine bien serrée dans le caraco
noir boutonné strict avec de petites basques flottantes » [ 9 ]…
Sur les photos de famille
des DUFOUR, en ces années précises de césure entre le dix-neuvième et le
vingtième siècle, la « bru »
de Françoise, l’épouse d’Elie DUFOUR, mon arrière-grand mère, alors jeune mère
de famille, est également toujours habillée de sombre et le plus souvent de
noir…
Une seule fois, sur les
quelques photographies conservées, sa robe, bien que sombre, est agrémentée de
rayures plus claires… mais celles-ci sont particulièrement fines et elles ne
« tranchent » pas sur le ton sombre de la « couleur »
vestimentaire générale ! Eugen WEBER affirme que « dans le LIMOUSIN, en AUVERGNE, dans le VELAY et en BRETAGNE, les
habits locaux subsistèrent jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle et les jeunes
tentèrent alors d’y échapper. L’habit traditionnel était mal adapté à la vie
moderne : coiffes trop hautes, jupes lourdes, longues et volumineuses,
matériaux grossiers, moins intéressants que ce qu’on pouvait désormais acheter,
et qui faisaient trop d’usage » [ 10 ]…
Ainsi commence-t-il
peut-être alors à disparaître, au début des années 1900, dans le LIMOUSIN, cet
« habit local féminin composé d’une chemise de chanvre, d’un corsage ( le
caraco ), d’un châle de laine, d’une jupe
noire avec un ou deux jupons, [ et qui est complété ] sur la tête [ par ]
une coiffe simple ou un mouchoir de tête » [ 11 ]…
Dans son pays BIGOUDEN,
pendant la Guerre de Quatorze, Pierre Jakez HELIAS voit encore « des
familles entières, en velours noir ou
drap noir [ qui ] descendent à l’église (…). Le Dimanche à la messe il n’y
a de coiffes blanches que celles de quelques toutes jeunes filles, les autres
sont brunies en signe de deuil »… Les Bretonnes sont donc elles aussi
vêtues en noir à la même époque… [ 12 ]
Mais dès 1913, COISSAC
affirme qu’en LIMOUSIN « le « caraco », ce corsage de mérinos noir qui se rabat sous la jupe a
disparu » (…) « disparu [ aussi ] le tablier de mérinos ( lou davantal ) » (…) « les
capes ou manteaux noirs à capuchon, sans manches, fermées en avant par de
longues agrafes que les femmes de la campagne portaient dans le grand deuil (…)
sont aujourd’hui remplacées par des « mantes », vêtement plus élégant
et en drap » … « Nous avons entendu dire », note en outre
COISSAC, « qu’une veuve, par exemple, pendant la première année de son
veuvage, qui se rendrait à la messe sans sa cape serait mal vue »… [ 13 ]
TENUES
NOIRES OU SOMBRES… VIEILLES, JEUNES, VEUVES OU RELIGIEUSES…
Marcelle DELPASTRE,
lorsqu’elle était enfant, n’avait « pas envie d’être religieuse ».
« C’était quoi d’être religieuse ? Il y avait bien deux bonnes sœurs à
CHAMBERET, avec leur coiffe blanche… Je ne sais pas si je les avais déjà vues…
Quand je les remarquai leur robe noire
n’était pas bien différente de celle des vieilles, si ce n’est la coiffe…
D’être veuve je n’y tenais certes pas. Une veuve, je le savais, c’est une femme
dont le mari est mort » [ 7 ].
Rien d’étonnant
finalement que de retrouver Françoise DUFAURE, toute de noir vêtue…
Comment aurait-il pu en
aller différemment ? En 1901, la « Veuve
DUFOUR du MONS », est sexagénaire et elle est donc « à
ranger » au rang des « vieilles », surtout dans un monde où
l’espérance de vie n’est pas ce qu’elle peut être aujourd’hui… Voilà aussi,
d’ailleurs, que plus de trente années se sont écoulées depuis que Françoise
DUFOUR a perdu son mari et qu’elle est devenue… veuve !!!
De plus dans sa lointaine
jeunesse elle avait été scolarisée chez les Ursulines de BRIVE, des religieuses
auxquelles la couleur… noire est
également attachée !
Sur une autre
photographie ancienne [ qui s’est mal conservée ] de la famille DUFOUR apparaît
[ - vraisemblablement - ] Marie DUFAURE, la sœur aînée de Françoise… Elle aussi
est également vêtue et… coiffée de noir !
C’est à ce moment là une
septuagénaire, et donc une… « très vieille »… mais elle n’est pas
veuve, puisqu’elle est demeurée célibataire sa vie durant !!! … Et elle n’a pas
été scolarisée chez les Ursulines ( elle ne sait pas même signer son nom )…
Pourtant, c’est la seule différence avec sa sœur cadette : sa tenue et sa
coiffe, qui sont noires elles-aussi, semblent seulement être d’une moindre
qualité…
Mais leur bru et nièce…
qui n’est pas veuve et qui est - seulement - une jeune trentenaire est en tenue
sombre également !!!
Oui ! Jeunes ou moins
jeunes, les Corréziennes étaient bien des « femmes en noir » !!! Les Limousines devrais-je écrire !
Martin NADAUD remarquait aussi en évoquant les Creusoises que « le goût de
la toilette était peu répandu dans nos campagne, une robe de drap noir uni et commun, un mouchoir au lieu d’un châle
sur les épaules, une coiffe avec ou sans
dentelles, des sabots ayant de belles brides : voilà ce qui constituait la
toilette de nos jolies paysannes » [ 14 ].
La couleur noire… Le
noir… Un ami de Charles PEGUY faisait observer, au début du vingtième siècle,
que les meilleures robes des femmes du peuple étaient toujours les robes de
deuil !!! … Selon WEBER, il aurait du aussi ajouter : « ou de
mariage » ! ( car les hommes étaient presque toujours enterrés dans leurs
habits de mariage ! ) [ 10 ]…
Mais aujourd’hui cette
couleur « noire » n’est plus associée qu’aux tenues traditionnelles
de l’Europe Méditerranéenne… Une zone géographique à laquelle la Province du
LIMOUSIN, sur les contreforts du Massif Central, ne peut être raisonnablement
rattachée...
DE LA
COIFFE FEMININE… ET DE LA CHEVELURE…
La coiffe… Le mouchoir de
tête… On pourrait gloser longtemps sur ces « pièces vestimentaires » du chef féminin… Des accessoires de
coquetterie certes, mais aussi des éléments de prévention contre le froid pour
arpenter des contrées aux climats rudes ou pour vivre dans des bâtisses peu, mal,
ou pas chauffées du tout !!!
A l’époque, par
nécessité, si l’on dort bien souvent la tête couverte, l’on n’hésite pas non
plus à sortir avec la tête couverte !!!
Cette coiffe, ce mouchoir
de tête, ce bonnet, outre leur caractère pratique protégeant des rigueurs
climatiques, peuvent aussi permettre de masquer une chevelure négligée… ou
altérée récemment par les affres de la misère !!!
C’est le cas pour les
plus pauvres des paysannes Corréziennes, celles des MONEDIERES par exemple ! …
Du mois de Mai à la fin
Septembre, la plupart du temps à l’occasion de foires, celles-ci en sont
réduites à vendre leurs cheveux pour tenter d’améliorer un peu l’ordinaire !
Ce sont souvent des
commerçants, venus de TREIGNAC, qui se livrent à ce négoce « Piaos ! Jeunas ! Lou piaos ! Lou pialoux !
Pialous ! » [ « Hé, les femmes ! Cheveux, cheveux, les petits
cheveux, petits cheveux » ! ]… Pour un peu de mauvais tissu bariolé, les
longs et beaux cheveux noirs, châtains ou parfois blonds, tombent dans le sac
du marchand… [ 8 ]
La victime s'agenouille,
enlève sa coiffe, dénoue ses tresses, essaye de retenir dans ses mains les
mèches de la chevelure au dessus du front, mèches peignées en
« bandeaux » lesquelles mèches, en général, ne sont pas comprises
dans le prix négocié de la vente… Et puis les ciseaux se mettent à accomplir
leur office !
La masse capillaire
recueillie dans la région du LIMOUSIN est si abondante que chaque année à
LIMOGES, pour la Saint JEAN, se tient au « Café de FRANCE », durant trois jours, une bourse « mondiale » du commerce des cheveux…
et cela durera jusque en… 1914 !!! Avec des cours de 300 à 400 Francs le Kilo
pour les lots les plus rares ( chevelures blanches ou rousses ) et d’environ
150 Francs le Kilo pour les lots ordinaires… Tels seront les prix des matières
premières servant pour la confection ultérieure de postiches pour coquettes
aisées !!! [ 8 ]
Un ouvrage de 1912, qui
est consacré au Bas-LIMOUSIN, confirme s’il était nécessaire, que « la
petite ville [ de TREIGNAC ] mérite une mention pour un commerce curieux dont
elle est le lieu principal. C’est là que les femmes des MONEDIERES viennent
vendre leurs chevelures ou plutôt les échanger contre des étoffes ou d’autres
articles. Ce trafic se fait dans les hôtels où les vendeuses viennent elles-mêmes
trouver les acheteurs. Il a lieu surtout à la foire de Juin. On y a vu les
cheveux atteindre jusqu’à 100 Francs le Kilogramme »… [ 15 ]
En 1860, Marie GERBEAU,
personnage Creusois du roman de Jean-Guy SOUMY « Les Moissons Délaissées », reçoit « douze Francs »
en tout et pour tout pour le sacrifice de sa chevelure brune…
« Marie pensa à sa
mère qui allait la tancer mais qui finirait par prendre les sous (...). Léonie
leva les yeux sur Marie. Son regard courut sur le visage de sa fille, fila sur
sa coiffe qui ne couvrait plus que quelques mèches noires »... [ 16 ]
La coiffe, ( surtout si
elle est de couleur noire ), permettra dès lors de « porter le
deuil » de… la chevelure perdue, tout en masquant aux yeux de tous la
honte d’avoir eu recours à de tels expédients auxquels conduisait parfois une
suite sans fin de pauvreté !
COISSAC, originaire de
CHAMBOULIVE, au pied des MONEDIERES, écrira en 1913 à propos des « foires
aux cheveux » : « trafic plutôt regrettable, et nous n’avons
jamais vu sans une profonde humiliation,
nos jeunes filles, nos jeunes femmes, traquer contre un colifichet, un mouchoir
aux couleurs chatoyantes, un peu d’étoffe, une méchante bague, leur luxuriante
coiffure ! Les mères elles-mêmes vendent celles de leurs enfants (…). Puisse
cette coutume disparaître totalement et ne plus être la spécialité du LIMOUSIN
et de la BRETAGNE » [ 13 ] …
Alain CORBIN relèvera
pour sa part, dans des études beaucoup plus récentes, que « dans certains
contrats il est stipulé que la servante pourra se rendre à la foire vendre sa
chevelure » !!! [ 17 ]
En PERIGORD également,
les femmes « portent un mouchoir de tête, qui doit, par décence, cacher
leurs cheveux et qui permet aux plus pauvres de se faire raser le crâne par les
marchands de piaoux pour quelques
sous » rapporte FAYOLLE [ 18 ]… Le mouchoir, dans cette région aux confins
de la Basse CORREZE, se noue au dessus de la tête de différentes façons suivant
le statut matrimonial de celle qui en est coiffée…
Lorsque la Mère de
« Jacquou le Croquant » eût
appris la mort de son mari aux galères, « elle défit son mouchoir de tête,
et, se recoiffant, elle cacha en dessous la pointe du mouchoir qui était
ramenée en avant »…
Cette coutume du mouchoir
imposait aux femmes d’afficher, discrètement, leur état comme le rappellera
Eugène Le ROY, fin observateur des coutumes locales et non dépourvu de malice…
« Autrefois il y avait des manières différentes de se coiffer « en
mouchoir » : les filles laissaient pendre un long bout par derrière, sur
le cou, comme pour pêcher un mari ; les femmes glorieuses d’avoir un homme
ramenaient fièrement ce bout en avant sur l’oreille, tandis que les pauvres
veuves le cachaient sous leur coiffure, désolées de leur viduité »… [ 18 ]
Si en PERIGORD et dans le
QUERCY, les mouchoirs de tête et les coiffes des femmes étaient souvent
colorés, Eugène Le ROY, qui considérait avec attention les pèlerinages
régionaux, indique que « les femmes du Bas-LIMOUSIN, tirant vers les
frontières de l’AUVERGNE [ étaient ] (…) coiffées de bonnets en dentelle de
laine, noirs, comme des béguins, avec
par dessus des chapeaux de paille, noirs aussi,
à fonds hauts, avec des rebords par devant, semblables à de grandes
visières » [ 18 ]…
Comme on peut le
constater sur les quelques rares photographies qui ont réussi à parvenir
jusqu’à nous, les « filles DUFAURE »,
Marie et Françoise, sont « coiffées », mais ce n’est pas le cas de
leur nièce et bru, mon arrière grand-mère, plus jeune…
Est-ce déjà l’amorce de
changements qui se dessinent mais qui seront encore pourtant longs à venir,
avant que de pouvoir s’imposer enfin dans les campagnes Corréziennes ?
Les habitudes du port de
coiffe ou de mouchoir de tête avaient du être contractées par les sœurs DUFAURE
dès leur jeunesse…
Cela laissait-il
indifférents leurs frères ? Est-ce pour lui permettre de se faire des mouchoirs
de tête qu’en Mai 1864 Maître Elie DUFAURE expédie par le Chemin de Fer, dans
« une petite caisse »,
contenant outre « du vieux linge »,
« deux foulards pour Marie »?
… A moins que ces foulards ne soient destinés plutôt à servir de « châles
colorés » ( Lu coule ) que Marie
pourra porter croisés sur sa poitrine ? … Je ne sais…
LA
LIMOUSINE EN BARBICHET… CLICHE, MYTHE OU REALITE ?
Dans la collection de
cartes postales des débuts du Vingtième Siècle, glanée dans le grenier du MONS,
la « Limousine au barbichet »
( enfant, jeune fille ou jeune femme ) semble être un thème fréquent de
représentation régionaliste… Est-ce le reflet d’une réalité tangible ou déjà
une évocation quelque peu passéiste et nostalgique ?
COISSAC, en 1913, note en
effet : « ces coiffes de nos aïeules, saluons les tant que nous le
pouvons encore, car elles ont le charme
ému des souvenirs qui s’en vont, que bientôt on ne reverra plus, et aussi
la séduction particulière des choses du passé, d’un passé lointain, bien
lointain. Il disparaît, il s’enfuit, ce légendaire barbichet de LIMOGES, si
léger, si seyant à la beauté de nos aimables compatriotes, si gracieux à tous
les points de vue et qui ajoutait je ne sais quoi à la poésie de nos paysage.
Si le barbichet fut, à la ville, une coiffure de luxe, la « montagnère » de l’Arrondissement de
BRIVE le porta aussi et bien des familles, nous confiait récemment un ami, en
conservent qui, pour la richesse et la grâce, valent les plus pompeuses
créations de la Rue de la Paix » ! [ 13 ]…
COISSAC indique encore
que « pour trouver des barbichets, aujourd’hui, il faut aller dans les
environs de LIMOGES ou s’attarder dans les vieux quartiers, à la belle saison,
vers le soir, quand devant le seuil noirci par le temps, les vieilles
assemblent leurs fatigues et leurs langues »…
Il déplore que « les jeunes filles montrent leur préférence
pour la mode, qui uniformise moins, et efface tout caractère distinctif de pays
et d’usages. Elles se croient plus belles, ce qui est une erreur, mais
cette erreur, malheureusement, fait loi. Nous l’avons constaté l’an dernier [
1912 ! ], nous le constaterons sans doute encore, la plus humble des
bergères suit la dernière mode : elle a un chapeau de la modiste… avec des
fleurs et des plumes » ! [ 13 ]…
En 1912, BOURGOIN, FOROT
et PIFFAULT, constatent qu’en Bas-LIMOUSIN, « les vieilles femmes portent
toujours la longue mante noire à large capuchon. La plupart se coiffent encore
du bonnet, venu probablement d’AQUITAINE, qui protège les deux côtés du visage.
Dans le bas-pays, on a généralement adopté les costumes légers du Midi, et les
femmes ont remplacé le bonnet par un simple fichu de tête ou, à l’imitation des
dames de la ville, par des chapeaux aux couleurs voyantes » [ 15 ]
Le barbichet se portait
déjà à la Renaissance comme en témoignent d’anciens « émaux de
LIMOGES » conservés. Il avait à la campagne des proportions modeste, les
« barbes » assez courtes et
non empesées retombaient au niveau du visage…
« Le terme « barbichet » était apparu à la fin
du XVIIIème Siècle. C’était le nom usuel pour désigner la coiffe Limousine
appelée « lo couefo ».
Cette coiffe « ailée » fut très à la mode entre 1860 et 1890, puis
elle ne fut portée qu’à l’occasion des fêtes. Son usage disparut avant
1940… », énonce le site WEB du Musée LABENCHE, le musée de la Ville de
BRIVE la Gaillarde [ 19 ] …
COISSAC cite une
description de la coiffe régionale qu’il a puisée dans des écrits datant de
1808 : « les femmes ont une coiffe à ailes reployées sur le front et
leurs cheveux retroussés par derrière forment un chignon très peu saillant…
coiffe basse dont le fond est de basin de TROYES et les passes de mousseline
claire bordées de dentelles »… « Nous croyons retrouver ici »,
pense COISSAC, « la coiffe portée par les paysannes au commencement du
XIXème siècle et dont la forme se rencontre dans la coiffure de deux
communautés religieuses de LIMOGES, les Sœurs de Saint-Alexis et les Sœurs de
la Croix. Mais le barbichet court se portait en même temps »… [ 13 ]
Un
site WEB « personnel » consacré au costume Limousin signale
aujourd’hui que le « barbichet » constituait « l’une des plus
belles coiffes de FRANCE, elle était faite en mousseline de coton bordée d’une
dentelle. Elle possédait un fond brodé sur lequel était attaché un nœud en
satin broché. C’était une coiffe de la région de LIMOGES, la dentelle provenant d’AIXE-Sur-VIENNE, une petite ville
située à quelques kilomètres de là… » [ 20 ]
Un autre
site WEB, créé par un groupe folklorique amateur basé en Région Parisienne et
composé de personnes originaires du Massif Central « La CROUZADE »,
affirme qu’en CORREZE l’on rencontrait : « beaucoup de coiffes
blanches en mousseline de coton. La « pailhole »
était faite en paille fine et claire. Variante de la pailhole classique, le
« turenneau », porté en
Basse-CORREZE était un chapeau de paille à calotte courte et bords plats et
larges posé sur une coiffe blanche. L’intérieur était en tissu noir. Le « Barbichet » était une coiffe en mousseline de coton et dentelle
d’AIXE. Le bonnet était à fond brodé au « poinct de TULLE » avec de
longues barbes et un nœud de satin blanc ou ivoire » [ 21 ]
Bref !
La Corrézienne d’antan n’aurait eu que l’embarras du choix pour se trouver un
« couvre-chef » adapté et parfaire ainsi sa tenue dont, on peut en
avoir confirmation à nouveau, « souvent la jupe est noire ou de couleur sombre ( jupe de bure pour les
moins fortunées, de soie pour les plus fortunées ), le corsage ou caraco de
mérinos noir est lacé sur la
poitrine, un grand châle de cachemire croisant sous le tablier de soie noire »… [ 20 ]
Claude
LATTA pense pourtant pour sa part que le « barbichet » est plus
caractéristique de la Haute-VIENNE que de la CORREZE.
Selon lui
« le « barbichet »,
c’est une grande coiffe de mousseline avec fond brodé. Le nœud rapporté est de
soie brochée ; vingt petits plis le maintienne rigide. Les barbes ont un
mètre de long et trente-cinq centimètres de large » mais « sur leur
coiffe, les paysannes mettaient plutôt la pailhole, chapeau de paille épousant
la forme de la coiffe et décoré de rubans noirs »…
[ 11 ]
Le
« barbichet » permettra en tout cas à nombre de poète régionaliste
d’exercer leurs rimes et leur inspiration…
« La
Limousine, aux blanches ailes,
Du barbichet frais et coquet,
Aux fines passes de dentelles
Qui l’encadrent comme un bouquet »
« O Limousine au barbichet,
Si vous restez toujours fidèle,
Le souvenir de ce cliché
Redira que vous étiez belle ! »
CADETTE DE
LA FAMILLE… FRANCOISE, LA PETITE DERNIERE DE LA FRATRIE…
Des sept enfants qui
naquirent de l’union en 1817 de Pierre
DUFAURE et de Jeanne DU BOYS : Louis ( « mort jeune » - 1819 ? ), Suzanne
( 10 Octobre 1821 ), Elie ( 12 Avril
1824 ), Marie ( 26 Janvier 1826 ), Jean-Baptiste ( 12 Février 1828 ), Bertrand ( 27 Mai 1830 ), c’est Françoise ( 4 Août 1833 ) qui fait
figure de « petite dernière »…
Lorsque l’aînée, Suzanne, meurt « à l’âge de dix huit ans, par suite
d’imprudence » selon les termes employés par Elie dans sa Notice ( on n’en saura toutefois pas plus sur cette
« imprudence » ), le 24 Avril 1839, c’est le futur avocat qui
devient, de fait, l’aîné de la famille… Il est alors âgé de quinze ans et sa
petite sœur, Françoise, elle, n’en a
que six… C’est cependant bien plus qu’un écart d’âge de près de dix ans qui les
séparent, c’est une sorte d’abîme, surtout à ces âges-là !!! Qu’y a-t-il en
effet de commun entre un adolescent et un tout jeune enfant ? Cependant
une grande affection semblera unir l’aîné et sa cadette, affection qui ne se
démentira point… jusqu’à la mort de l’Avocat en 1865, mais même encore au delà,
à preuve la « pieuse conservation »
au MONS des « archives personnelles » d’Elie qu’il m’est aujourd’hui
donné de pouvoir dépouiller !!!
L’aîné s’était-il occupé
fréquemment de sa cadette dans sa prime enfance ? Ses études supérieures et sa
réussite sociale lui donnaient-elles aux yeux de sa jeune sœur un « grand
prestige » ? Une sorte de complicité intellectuelle les
unissait-elle ? Je ne sais…
Revenons à la fratrie
DUFAURE, composée de sept enfants, dont cinq parviendront à l’âge adulte… Une
famille nombreuse certes mais qui n’a pourtant rien d’exceptionnel…
Alain CORBIN note que le
taux de natalité constaté pour la CORREZE, taux qu’il étudie de manière
approfondie pour la période comprise entre 1846 et 1880, est très supérieur à
la moyenne Française tout en restant nettement inférieur à celui qui avait été
enregistré entre 1835 et 1845… [ 17 ]
En ce qui concerne la
mortalité infantile, le taux de décès d’enfants de moins de un an en CORREZE
est lui supérieur à la moyenne [ Louis DUFAURE meurt « jeune » ]…
Jean-Michel VALADE, pour
sa part, dépouillant plus de six cent actes d’état civil -naissances de 1847 à
1850 et mariages de 1863 à 1870 - qui concernent la Commune de VOUTEZAC qui est
voisine de celle d’ALLASSAC, inventorie un « stock de prénoms » qu’il qualifie « d’étroit » : 37
pour les garçons et 32 pour les filles ! [ 22 ]
Avec 2,88 % de fréquence
pour les naissances, et 2,67 % pour les mariages, le prénom de « Françoise » se situe au huitième
rang de fréquence parmi les prénoms féminins… les « Françoise » viennent loin derrière les « Marie » ( 35,57 % des naissances...
Marie, comme Marie DUFAURE, la sœur
de Françoise ), les « Jeanne »
( 17,30 % des naissances, 20,32 % des mariages… Jeanne comme leur mère, née Jeanne du BOYS ), les « Anne » ( 8,65 % des naissances, 10,16 % des mariages...
« Anne » comme leur
arrière-grand mère ( qui était née Anne
LAMBERT, épouse de LAROZE ), ou les « Catherine »
( 6,73 % des naissances, 8,02 % des mariages… Catherine comme leur grand-mère, Catherine du BOYS, née de LAROZE
)…
Marie, Jeanne,
Anne, Catherine, auxquels l’on joindra Antoinette, représentent les prénoms de… 77 % de la gent féminine
de VOUTEZAC, soit les trois-quarts de l’échantillon étudié par VALADE... [ 22 ]
L’énumération des prénoms
féminins les plus portés en LIMOUSIN que livre de son côté COISSAC confirme
cette réalité avec les « Marie,
Louise, Jeanne, Suzanne, Anna,
Marguerite, Claire ( clara ),
Antoinette, Catherine ( cati, catissou ), Elisabeth ( bétou ), Madeleine, Pètre ( Pétrou ) »… Mais COISSAC ne cite
pas le prénom Françoise ! [ 13
].
En sorte de parallèle à
ce que l’on constate pour les filles, cinq prénoms masculins : « Jean, Pierre, François, Antoine et Guillaume »
représentent à eux seuls 65 % des effectifs masculins étudiés sur VOUTEZAC par
VALADE, soit les deux tiers. Il existe donc des majorités écrasantes !!!
Il me paraît juste
intéressant de souligner ici que le prénom « Françoise » n’est pas un prénom d’une rareté absolue qui aurait
pu « complexer » ou « distinguer » outre mesure la jeune
Françoise DUFAURE…
Ses parents n’ont pas
choisi des prénoms particulièrement « originaux » pour leurs enfants,
pour leurs filles en particulier…
A VOUTEZAC, juste
derrière le prénom « Françoise »
arrive celui de « Suzanne »
( avec 1,92 % des naissances et 2,67 % des mariages… ) alors que « Marie » occupe, sans conteste, la
première place « toutes catégories » !!!
Du côté masculin on
retrouve à VOUTEZAC, le prénom composé « Jean-Baptiste » en bonne position ( 3 % des naissances, 3,21 %
des mariages ) ainsi que celui de « Bertrand »
( 2,16 % des mariages )…
Point cependant de
« Elie » parmi les 37
premiers prénoms ! Elie DUFAURE en
arriverait-il donc déjà à « se distinguer » par le port d’un prénom
d’usage peu fréquent sur le finage local à l’époque ?
Ce prénom, c’est en tout
cas celui de son grand père et parrain ; ce sera aussi ce prénom que
Françoise donnera à son fils aîné, Elie DUFOUR,
mon arrière grand père ; la petite-fille de Françoise, Marie Louise
DUFOUR, épousera quant à elle un autre Elie,
Elie MOUSSOUR… originaire du même
secteur géographique en Bas-LIMOUSIN…
Relevons que COISSAC ne
cite pas non plus Elie parmi les
prénoms « les plus communs » qui selon lui sont : « Pierre, Jean, Jean-Baptiste, Louis,
Antoine, Antonin, Joseph, François,
Martin, Michel, Gabriel, Etienne ( Tenou ), Jacques, Mathieu, Noël, Auguste ( Gusti, Gustou ), Philippe
( Felipou ), Léon, Germain, Rémy,
Guillaume, Firmin » [ 13 ]…
Pas d’Elie dans cette énumération, pas de Bertrand non plus … mais la plupart des
prénoms des membres des familles DUFAURE, DUFOUR et de leurs autres familles
alliées, dont nous avons à connaître en étudiant le dix-neuvième siècle
figurent en général parmi les plus communs et les plus usuels…
« FENNO QUE SOU
LOU LETI NE FERO JAMAI BOUNO FI » …
« Fenno que sou lou leti ne fero jamai bouno
fi »…
« Une femme qui sait le Latin [ une femme instruite ] ne fera jamais une bonne fin »…
« Le proverbe LIMOUSIN est volontiers misogyne » constate CLANCIER !
[ 8 ]…
La jeune Françoise
DUFAURE aura-t-elle acquis quelques notions de Latin durant sa scolarité ? Je
ne sais… Mais de l’instruction dans des proportions largement supérieures à la
moyenne des jeunes filles de son âge : sûrement !!!
Ce « bagage intellectuel » ne
l’empêchera pourtant pas, semble-t-il, de « faire une bonne fin »…
N’ayant pas connaissance
d’éléments d’information précis sur ce que fut l’enfance de Françoise, la
première trace et piste certaine qui la concerne et que je retrouve se rapporte
à sa période de formation alors qu’elle était déjà une « grande
adolescente » … voire une « jeune adulte » !
« Apprentissage du
Latin » ou pas, Françoise DUFAURE a incontestablement « reçu de
l’éducation », un phénomène encore particulièrement rare à cette époque
pour les jeunes gens… voire confinant à l’exceptionnel s’agissant d’une jeune
fille …
A titre d’exemple, en
1846 [ ! ], aucun élève de sexe féminin ne suit les cours de l’école publique
de VOUTEZAC…
« L’apprentissage de
l’écriture et de la lecture par les femmes apparaît à beaucoup comme un luxe parfaitement inutile »
explique sans aucune ambiguïté Jean-Marie VALADE [ 23 ].
Dans sa « Notice… », notre
« informateur », Elie DUFAURE écrit : « je dois mentionner spécialement que Françoise DUFAURE suivant quittance
donnée devant LASTEYRIE, Notaire, le 8 Avril 1807, était Prieure du Monastère
de Sainte Ursule de BRIVE et signait : Sœur de Saint-André DUFAURE,
Prieure »…
Et Elie DUFAURE de poursuivre :
« au moment où j’écris, [ nous
nous situons eaux alentours des années 1852- 1853… La notice sera publiée vers
1854-1855 ], ma sœur la plus jeune,
Françoise DUFAURE [ elle aurait donc alors entre dix huit et vingt ans ] est en pension dans ce même Couvent, où elle
a obtenu, l’année dernière, de brillants succès, car elle a été couronnée sept
fois ! C’est à propos du même Couvent que fut faite une donation, le 21
Mai 1725, par acte passé devant SERRE, Notaire, par Anne DUFAURE, religieuse,
comparaissant par Géraud du RIEU, demeurant à ALLASSAC, le tout suivant acte
d'insinuation du 25 Mai 1725, folio 19 »
L’Avocat de mêler dans
ses écrits les événements de « son » temps présent avec ceux des
temps passés...
Y aurait-il une tradition
familiale ancienne d’instruction des « filles
DUFAURE » près des Dames Ursulines à BRIVE, voire ensuite de prise de
voile dans cet Ordre ?… Peut-être…
C’est en 1808 que les
« Dames Ursulines de BRIVE »
eurent la possibilité de s’installer dans l’édifice des ci-devant Cordeliers
grâce à la « munificence Impériale »...
et à l’intervention du Sénateur Georges CABANIS, [ un lointain « allié » des DUFAURE, comme nous le
savons, illustre médecin et penseur, enfant de BRIVE, philosophe matérialiste mais lui-même… frère d’une… Ursuline » [ ( comme le fait remarquer, non sans
ironie, CLANCIER ) ! ]…
Monseigneur l’Evêque de
LIMOGES en personne vint inaugurer ce nouvel établissement religieux et
scolaire qui, dès son ouverture, comptait déjà treize pensionnaires, autant
d’externes et douze Ursulines chargées de les instruire… » [ 8 ]. Un
constat : les classes de cette époque n’étaient guère surchargées !!!
L’enseignement, comme la
santé, étaient le plus souvent dispensés par des religieux au titre de la
« Charité Chrétienne »… A
ce titre les « bonnes sœurs » s’en étaient toujours occupées, et
elles s’en chargèrent encore plus à partir des « Lois scolaires » du
milieu du Siècle ; la « Loi GUIZOT »
( 1833 ) d’abord et plus encore ensuite la « Loi FALLOUX » ( 1850 ) frayèrent la voie de l’enseignement aux
Congrégations... [ 23 ].
Si la première
« Ecole Normale » pour filles date de 1838, il n’en existera encore
que… onze en 1863 qui seront pour « la plupart confiées à des
Congréganistes qui forment de véritables religieuses moins l’habit et les
vœux » !!! Il faudra attendre ensuite… 1878 pour qu’il y ait obligation
d’ouvrir une Ecole Normale d’Institutrices dans chaque Département… [ 23 ]
Le Brevet de capacité
d’enseigner dans le primaire, autrefois délivré par l’autorité Diocésaine, devient
alors un diplôme d’Etat, consacrant un certain niveau de connaissances qu’il
sera désormais indispensable de posséder pour être autorisée à exercer les
fonctions d’institutrice « publique »… [ 23 ].
Il est assez ironique de
constater que les institutions scolaires de la laïque Troisième République
formeront, selon les termes de Christophe CHARLE, « un nouveau clergé »… « L’Ecole Normale répond au Séminaire, le Diplôme sanctionne le savoir et
s’apparente à l’Ordination, les Ecoles Communales se généralisent dans les
campagnes en face des Presbytères… » [ 24 ] !
Dans les campagnes
Françaises, et celles du Bas-Pays Corrézien n’échapperont pas à la règle, la
concurrence sera vive entre les enseignements publics et privés, en particulier
primaires… Cependant, longtemps les « statistiques scolaires » ne
concerneront pas les filles, qui, quand elles n’étaient pas éduquées à la
maison - cas le plus fréquent dans les couches populaires - étaient livrées au
hasard de circonstances locales… ce qui signifiait bien souvent l’absence
d’écoles et d’une quelconque scolarisation !!!
Ce ne sera qu’en 1867 que
sera votée une loi exigeant que chaque Commune de plus de cinq cent habitants
ait une Ecole de Filles... mais, à la fin des années 1870, la moitié des
Communes de FRANCE n’en auront pourtant toujours pas ! [ 10 ].
En 1866, « les
écoles de filles sont au nombre de 162 », si l’on tient pour fiables les
chiffres donnés par RATEAU dans son étude sur le Département de la CORREZE [ 26
].
Il y aurait ainsi 26
Ecoles Communales Laïques, 29 Ecoles Communales Congréganistes, 57 Ecoles
Libres Laïques et 50 Ecoles Libres Congréganistes… pour accueillir un total de
« 10.999 » [ !!! ] jeunes filles Corréziennes scolarisées... [ 25 ].
A DONZENAC, une autre commune
voisine d’ALLASSAC, « les Sœurs de NEVERS, réclamées par le Conseil
d’Administration de l’hospice ont été les premières institutrices, puis
Mademoiselle BESSE ouvrit une classe enfantine et ensuite Mademoiselle BORIE
une école de filles en 1868. Cette dernière école fut laïcisée en 1880 et sa
maîtresse maintenue, sur le vœu du Conseil Municipal », nous indique pour
sa part ULRY [ 26 ].
C’est un peu plus tôt, (
mais en 1856 seulement ! ) , que les Sœurs de la Providence de PORTIEUX
fondèrent à ALLASSAC leur principal établissement pour la CORREZE et le LOT,
lequel ne fermera qu’en… 1989 [ 2 ].
« Les Sœurs de la
Providence de PORTIEUX tinrent un temps maison d’école à VOUTEZAC et au
SAILLANT. Une délibération du 18 Mai 1850 du Conseil Municipal de VOUTEZAC
laisse aussi supposer l’existence, à cette date, d’une première école de filles
dont la responsabilité est confiée à Madame THYROUX » expose quant à lui
Jean marie VALADE [ 22 ]
« Tous les documents
statistiques établis en vue de mesurer le degré d’alphabétisation des
populations vers le milieu du siècle soulignent le retard considérable des
habitants de la CORREZE en ce domaine », précise Alain CORBIN, et
« (…) encore est-il plus répandu
chez les femmes puisqu’en 1854-1855 seulement 19,4% seulement des
conjointes se sont révélées capables de signer leur acte de mariage » [ 17
]
« QUELQUE CHOSE DE FIER LUISAIT EN SON REGARD… »
« … Et
ma grand’mère était une très grande dame,
Quelque chose de fier luisait en son regard »…
[1 ]
La formation initiale
qu’avait acquise Françoise DUFAURE dans sa jeunesse, auprès des Ursulines, lui
conférait-elle « quelque chose de
fier luisant en son regard » ?
On pourra le supposer,
sinon l’imaginer… tant posséder une certaine forme de « culture
générale » peut donner parfois de l’assurance… voire aussi de la fierté…
Le « Calendrier de la DORDOGNE », en
1822, commente l’enseignement dispensé au jeunes filles : « les jeunes personnes reçoivent l’éducation
la plus soignée. On leur enseigne la grammaire, l’histoire, la géographie,
un peu de mythologie, la musique, l’écriture, le dessin, enfin tous les arts
utiles et agréables. Les élèves un peu avancées reçoivent en outre des leçons
méthodiques de l’art d’écrire en traitant de petits sujets convenables à leur
âge et à leur sexe, elles apprennent à s’exprimer avec autant de grâce que de
justesse » [ 18 ]…
La jeune Emma ROUAULT,
qui deviendra bientôt la « célèbre » Emma BOVARY, avait elle aussi
« été élevée au couvent, chez les Ursulines [ ! ], [ et elle ] avait
reçu, comme on dit, une belle éducation
[ c’est ici FLAUBERT qui souligne ! ], elle savait en conséquence, la
danse, la géographie, le dessin, faire de la tapisserie et toucher du
piano » [ 27 ]…
L’Arrêté du 7 Mars 1837,
qui sera encore en vigueur sous le Second Empire sans avoir été complété ni
modifié, mentionne pour l’enseignement des jeunes filles des disciplines comme
la littérature, Française et ancienne, l’histoire, la géographie, les langues
vivantes, la cosmographie, l’histoire naturelle, la physique, le calcul, les
arts d’agrément [ dessin, musique et chant ]… Dans certaines institutions
l’économie domestique est aussi enseignée… Et l’accent est souvent mis sur des
« disciplines utiles, modernes et pratiques »… [ 28 ].
Dès avant le Second
Empire, l’éducation secondaire des jeunes filles ressortit à l’initiative
privée… qu’elle soit laïque ou confessionnelle.
Des Congrégations
enseignantes, dès le début du dix-neuvième siècle, prennent en charge
l’éducation des jeunes filles issues de la noblesse et de la bourgeoisie.
Celles-ci sont le plus souvent élevées « sur les genoux de l’église », dans des couvents Parisiens ou
provinciaux, avant d’être lâchées « dans
le monde », de se marier et de fonder de nouvelles familles
chrétiennes…
Les
« pensionnaires » sont insérées dans la vie conventuelle, ce qui
n’exclut nullement l’apprentissage des arts d’agréments et l’initiation aux
« usages du monde »…
En général ce sont des
religieuses qui assurent une très grande partie des enseignements ; il
leur suffit pour cela d’une lettre d’obédience dans le secondaire comme pour
l’instruction primaire [ 28 ].
WEBER confirme que les
« écoles de filles » étaient « généralement dirigées par des
membres des ordres religieux » mais il estime que « les niveaux
éducatifs restèrent assez bas jusqu’aux années 1880 » [ 10 ].
En 1864, les pensionnats
de jeunes filles de la CORREZE seront au nombre de seize ; tous tenus par
des religieuses mais aucune des directrices ne sera alors pourvue du Brevet de
capacité ! [ 17 ]
Le LIMOUSIN ne disposera
d’aucun établissement secondaire public destiné aux jeunes filles avant…
1880 ! [ 17 ]
Qu’il s’agisse
d’institutions publiques ou privées, il reste que dans la plupart des
établissements la vie s’écoule selon des rythmes et des rites conventuels ou
carcéraux… Murs aveugles qui suintent l’ennui, couloirs interminables, salles
de cours nues, lugubres, mal éclairées, dortoirs mal chauffés… Les locaux sont
bien souvent d’anciens couvents, ou toujours des bâtiments religieux, qui ont
échappé à la vente des Biens Nationaux et qui n’ont fait l’objet que d’un
entretien médiocre et épisodique… [ 28 ].
Dans ce « cadre claustral » les jours
succèdent aux jours selon des rythmes inchangés… Un lever matinal, suivi de
longues heures passées dans les salles d’études ou de cours rompues par le
déjeuner le goûter et le dîner, avant que de retrouver un dortoir glacial en
hiver… Pour les filles comme pour les garçons, « Lycées-prisons » ou
« lycées-casernes » : au gré des souvenirs amers d’adolescences
privées de liberté !!! [ 28 ]… « Le vieux collège me menace encore de sa
silhouette lugubre, de son silence monacal » écrira toujours, bien après
l’achèvement de sa scolarité, Jules VALLES [ 29 ].
Seule éclaircie,
conjurant la morne quotidienneté répétitive, la perspective des longues
« vacances d’été »… qui s’étendent généralement de la mi-juillet
jusqu’au mois d’Octobre ! … Parfois aussi les minces espoirs d’une courte
sortie à Noël ou à Pâques !!!
UNE ELEVE COURONNEE… « L’EDUCATION », UN COMBAT
« FEMINISTE »…
Françoise DUFAURE a été
« couronnée sept fois »…
C’est ce qu’affirme Elie DUFAURE avec semble-t-il une légitime fierté…
Cette fierté n’a d’égale,
peut être, que celle de Louis VALLEZ ( le père de Jules VALLES ) qui écrit,
dans une lettre datée du 7 Février 1849, à propos de sa fille Marie Louise
Julie, dite « Louisette » :
« elle fait sa seconde cette année, et elle est la plus forte de son
cours, ses maîtresses la trouvent très intelligente » [ 29 ]… Louisette
est alors interne dans une Institution religieuse, l’Institution du Sacré-Cœur…
Elle est en classe de Seconde mais n’est âgée que de… treize ans et demi ! En
1850, elle se retrouve « tout naturellement » en Première et poursuit
toujours une « brillante » scolarité alors qu’au contraire son frère
Jules entame, pour sa part, un longue série d’échecs au Baccalauréat : RENNES 8
Avril 1850, PARIS 28 Août 1850, [ rappelons qu’Elie a soutenu sa thèse de
Doctorat d’Etat en Droit à PARIS le 24 Août de cette même année... ], puis
RENNES à nouveau, le 5 Novembre 1850… [ 29 ].
En 1851 Louise approche
de ses seize ans et elle termine sa scolarité, toujours à l’Institution du
Sacré-Cœur…
Fin de parcours !!!
Les filles ne passent pas le Baccalauréat et n’ont pas droit aux études
supérieures !!!
« Le Christianisme a
proclamé l’égalité de l’homme et de la femme et cependant presque partout les
lois civiles et religieuses consacrent encore leur inégalité. Malgré les
progrès de la civilisation et l’adoucissement des mœurs, on ne se fait aucun
scrupule de traiter de nos jours la femme comme si elle était naturellement
l’inférieur de l’homme et de rétribuer ses services et son travail en
conséquence de son infériorité »… Ces propos « féministes » ont
été tenus il y a plus d’un siècle à l’Académie de LYON par celle qui fut la
première Bachelière de FRANCE… [ 30 ]
Née dans les VOSGES, à
BAINS-Les-BAINS, en 1824 [ comme Elie DUFAURE ], Julie-Victoire DAUBIE suit les
cours de l’école primaire et obtient son brevet en travaillant seule en 1844…
Elle entreprend alors l’étude du Grec et du Latin et se fixe un objectif
inédit : obtenir le Baccalauréat ! Elle le prépare, « de bric et
de broc », chez son oncle curé à BAZEGNEY puis en assurant un préceptorat
à DOCELLES… Pourtant les portes de l’examen lui restent fermées et elle
rencontre tant l’opposition des professeurs que celle du Ministre de
l’Instruction Publique… Arlès DUFOUR [ ! ], Professeur à la faculté de
LYON vient à son secours et après une campagne menée dans les milieux
enseignants, le Ministre cède enfin… Le 17 Août 1861, Julie-Victoire DAUBIE
obtient son baccalauréat brillamment, devant un jury Lyonnais, à l’âge presque
canonique de… 37 ans ! Sur sa « lancée » elle réussira a obtenir
une Licence de Lettres en Octobre 1871… C’est en préparant son Doctorat qu’elle
meurt, prématurément, à l’âge de cinquante ans… [ 30 ]
Elle laissera des
ouvrages aux titres évocateurs : « l’Emancipation de la Femme », « le Manuel du Parfait Jeune Homme », « la Tolérance Légale du Vice », « du Progrès dans l’Instruction Primaire,
Justice et Liberté », « la
Femme Pauvre au XIXème Siècle »… Ses premières œuvres sont interdites
au colportage car elles apparaissent « dangereuses
socialement » ! [ 30 ]
Avant 1880, une petite
fille sur deux seulement va à l’école .Et même pour celles-ci, les perspectives
d’enseignement secondaire sont extrêmement limitées. Dans la plupart des cas,
les jeunes filles sont « élevées sur
les genoux de l’Eglise » : elles fréquentent des établissements
religieux où elles apprennent surtout à devenir de bonnes chrétiennes et de
bonnes maîtresses de maison… Les disciplines abstraites et spéculatives sont
bannies car, comme l’expliquera Mgr DUPANLOUP, « Nous ne pouvons pas prendre le risque que des jeunes filles
deviennent libres penseurs ».
Victor DURUY, en 1867, fait scandale en proposant en tant que Ministre de
l’Instruction Publique des cours publics destinés au jeunes filles… Sa circulaire
du 30 octobre 1867 donne le ton : « Il faudrait fonder
l’enseignement secondaire des jeunes filles qui, à vrai dire, n’existe pas en
FRANCE. C’est au foyer domestique, dans le sanctuaire de la famille que la
jeune fille reçoit l’éducation du cœur et les premiers enseignements de la
religion. Son instruction religieuse se poursuit et s’achève à l’église ou au
temple sous la direction des ministres de son culte. Mais [...] il faut
à la femme une instruction forte et simple qui offre au sentiment
religieux l’appui d’un sens droit et aux entraînements de l’imagination
l'obstacle d'une raison éclairée »
[ 31 ]
L’ouverture de cours
publics pour les jeunes filles est très discuté car comme le déclare le
Sénateur Républicain SCHERER : « il s’agit de savoir si le prêtre qui tient encore la femme recouvrera
par ce moyen l’empire sur la société ou si la société achèvera de s’affranchir
du prêtre en lui enlevant la femme pour la faire participer à la culture et à
la vie générale »…
C’est seulement en
Octobre 1878 que Camille SEE, député et avocat Républicain, déposera une
proposition de loi visant à la création d’un véritable enseignement secondaire
pour les jeunes filles… « L’Enseignement qui sera donné dans les Lycées de
jeunes filles correspondra à l’enseignement donné dans les Lycées de
garçons », expliquera-t-il à la Chambre… [ 31 ]
C’est un
tollé à droite, et jusque chez certains radicaux, où l’on répond : « Quel
va être le bonheur du travailleur qui rentrera à son domicile et trouvera sa
femme observant les astres ou traduisant PLATON, et ses habits déchirés, son
rôti brûlé et son pot au feu manqué ! »… l’argument [ machiste ] n’est pas
neuf : JUVENAL, au IIème siècle de notre ère, MOLIERE, au XVIle
siècle, se moquaient déjà des « Femmes Savantes »… Mgr DUPANLOUP
ajoutera : « les jeunes filles
sont élevées pour la vie privée, dans la vie privée. Je demande qu’elles ne soient pas
conduites au cours aux examens, aux diplômes, aux distributions qui préparent
les hommes à la vie publique » [ 31 ]
Même si
Julie-Victoire DAUBIE a montré la voie - contraire -, en 1873 en réussissant
l’examen du Baccalauréat on ne comptera pourtant encore seulement que quinze
« bachelières » en tout et pour tout en FRANCE ! [ 28 ].
En
1892, dix femmes passeront l’examen : elles seront 100 en 1909 et 1000 en 1920.
Même en tenant compte du fait que le baccalauréat était alors un examen
sélectif et difficile, la disproportion entre garçons et filles apparaît
flagrante. Comme les matières du baccalauréat n’étaient pas toutes enseignées
dans les lycées de jeunes filles, les candidates devaient fréquenter des cours
payants où des professeurs hommes venaient chercher un complément de rémunération…
Cette inégalité ne disparaîtra qu’en 1924 lorsqu’une loi établira l’égalité des
programmes dans les lycées de jeunes filles et les lycées de garçons… [ 31 ]
Etudes stoppées
brutalement donc en 1851 pour Louise VALLES… Et Daniel ZIMMERMANN de s’interroger
alors sur les années de sa vie qui suivront l’arrêt prématuré de ses études :
« est-elle encore dans l’établissement faisant fonction d’aide enseignante
? Traverse-t-elle une crise mystique ? Désire-t-elle être religieuse ? Ou bien
coule-t-elle des journées vides à la maison ? (...) », et de
poursuivre : « manifeste-t-elle déjà des tendances à
« l’hypocondrie » qui sera le motif de son internement psychiatrique
? Chez une adolescente intelligente, excellente élève, on ne peut s’empêcher de
penser à ce que l’on appelait autrefois « la démence précoce », une
forme de schizophrénie avec irruption de bouffées délirantes qui surgissent on
ne sait, de nos jours encore, ni pourquoi ni comment... » [ 29 ].
Son frère Jules, pour ce
qui le concerne, va finir par « décrocher » le titre tant désiré,
surtout par leur père, de « Bachelier ès
Lettres », le 26 Avril 1852… Peu de temps après sa sœur « Louisette » sera internée, le 1er
Février 1853, dans un asile d’aliénés où elle mourra, toujours internée, le 17
Août 1859, à l’âge de vingt-quatre ans [ 29 ]… Une bien triste destin pour une
brillante élève d’une institution religieuse !
Alors si l’on évoque
aujourd’hui comme un phénomène contemporain le « stress » des adolescents, confrontés à une obligation de réussite
scolaire ou universitaire que ferait peser sur eux la société, à commencer par
leur propre cellule familiale, ce phénomène n’est pas pour autant totalement
nouveau !!!
Le père des enfants
VALLES, Louis, « obsédé par sa
propre réussite » - il sera reçu en 1846, à l’Agrégation de Grammaire à
trente-neuf ans à sa quatrième tentative, « résultat remarquable pour un
fils de petit paysan quasi-illettré, pour un enseignant à temps plus que
complet, sans parler de ses charges familiales et de ses aventures féminines »
- aura toujours été très exigeant quant aux résultats scolaires de ses enfants…
Louis VALLES avait tracé
pour Jules « une voie et une seule » : celle de l’Ecole Normale
Supérieure ! … On sait que les ambitions paternelles seront finalement totalement…
déçues !
Elie DUFAURE, qui est
devenu lors du décès de son père dans le courant de l’année 1854 le nouveau
« chef de famille »,
suivait-il d’un œil particulièrement attentif les progrès scolaires de sa sœur
Françoise ?
… Et ce malgré
l’éloignement et en dépit de la distance séparant PARIS de la CORREZE ? [[ une
distance bien réelle certes, mais atténuée d’une certaine manière par
l’internat de Françoise à BRIVE, qui marquait, de fait, déjà, un certain
« éloignement » géographique d’ALLASSAC, compte tenu de la réalité
des mode de transport et des durées nécessaires aux trajets ! ]]…
« LES PLUS HEUREUSES DISPOSITIONS TANT A LA VERTU QU’A
L’EDUCATION »
Dans la lettre qu’Elie
DUFAURE reçoit « De notre monastère
de Sainte Ursule de BRIVE, le 21 Avril 1855 », la signataire « Sœur Louise supérieure » lui écrit
: « nous sommes enchantées,
monsieur, que vous soyez content des progrès de notre bonne et chère élève,
nous avons toujours trouvé dans cette jeune personne les plus heureuses
dispositions tant à la vertu qu’à l’éducation que vous avez désiré trouver en
elle »…
« Les plus heureuses dispositions tant à la
vertu qu’à l’éducation » : sic !!!
Dans la même
correspondance Sœur Louise remercie Elie de sa lettre « si polie et si reconnaissante pour les soins
(…) donnés de tout notre cœur à votre
bonne sœur »…
« Votre bonne sœur » :
sic !
La jeune Allassacoise
est-elle éduquée aux « usages du
monde » et aux « bonnes
manières dans la conversation », mâtinées « de littérature classique, d’un peu d’anglais, de couture, de piano et
de broderie », tel que Henri TROYAT détaille l’enseignement qui été
dispensé aux sœurs d’Honoré de BALZAC, Laure et Laurence, dans une « Institution pour Demoiselles »,
quelque quarante année auparavant, en 1816 ? Sans doute… [ 32 ]
« D’heureuses dispositions (…) à la vertu » seraient donc
présentées par Françoise… Simple compliment flatteur ou constat d’une
réalité ? N’est-ce pas cependant le moindre que l’on puisse attendre d’une
élève… de religieuses… voire des religieuses elles-mêmes ? … Surtout
en un siècle qui s’avère beaucoup plus puritain que le précédent ne l’avait
été !!! …
Devrait-on accorder
quelque crédit à ces écrits de « nonne »,
émanant de cette « Sœur Louise,
supérieure », si l’on ne prenait référence que chez le Marquis
SADE ?
« Ce fut au Couvent
de PANTHEMONT que Justine et moi fûmes élevées. Vous connaissez la célébrité de
cette Abbaye, et vous savez que c’était de son sein que sortaient depuis bien
des années les femmes les plus jolies et les plus libertines de PARIS (…).
Euphrosine [ qui s’était jetée ] dans le libertinage avait été ma compagne dans
ce Couvent; et comme c’est d’elle et d’une religieuse de ses amies que j’avais
reçu les premiers principes de cette morale qu’on est surpris de me voir, [ je
vais ] vous rendre un compte exact de ces premiers instants de ma vie où (…) le germe de tous les vices naquit au fond de
mon cœur », relate Juliette, dans son « Histoire (…) ou les
Prospérités du Vice » [ 33 ], tout en « s’étendant » fort en
détail sur l’éducation « scabreuse » qui lui fut dispensée alors au
Couvent de PANTHEMONT…
D’après Juliette [
toujours, sous la plume de SADE ! ], la Supérieure était une « femme perdue ; elle avait gangrené presque
toutes les pensionnaires du Couvent (…). C’était m’assurait-on une femme
sans foi, ni loi, ni religion, affichant impudemment ses principes ! » …
Point de tels égarements
certainement, n’en doutons pas, en « notre
monastère de Ste Ursule de BRIVE » puisqu’il ne peut s’agir en
l’occurrence, avec ses « nonnes dépravées », que de fantasmes
licencieux, forgés par une petite élite lettrée et très appréciée de ses pairs,
goûtant avec délectation les écrits de SADE et consorts, tels ceux aussi du Langrois
Denis DIDEROT !
C’est en 1824, année de
la naissance d’Elie DUFAURE que le roman « La Religieuse » de DIDEROT, dans son édition publiée en 1796,
avait été condamné à la destruction comme « roman licencieux »… [ 34 ]
En Mars 1966, il se
trouvera encore un Ministre du Gouvernement Français, Monsieur Yvon BOURGES,
pour interdire - quelques semaines à cause des protestations - un film de
Jacques RIVETTE, tiré de ce roman, portant le même titre, et pourtant « fort décent » ! ! !
[ 34 ]…
FLAUBERT qui prise fort
les écrits de SADE, aux dires des GONCOURT, s’était-il lui aussi délecté de
telles « lectures galantes » ? C’est fort probable…
Quant aux GONCOURT ils
relatent avoir vu la bibliothèque de l’une de leurs relations où se trouvait
« toute la littérature badine ou horrible déchargée par le XVIIIème Siècle
(…) [ les ouvrages ] presque tous reliés en reliures jansénistes - des filles habillées en religieuses -
comme cette reliure d’une Justine de SADE (…) avec des croix sur le dos et ce
titre: « Actes de Sainte Justine »
! [ 7 Avril 1862 ] [ 35 ]…
Le cultivé Elie DUFAURE,
quant à lui, ignorait-il tout de « l’Enfer » des Bibliothèques qu’il
avait pu fréquenter ?
La condamnation de
« La Religieuse » de
DIDEROT visait, en 1824, semble-t-il, à protéger « la Religion » et à
discréditer des textes dont les Républicains proclamaient qu’ils étaient
« le meilleur antidote contre le poison réacteur de la superstition et de
la servitude »… C’est ce qu’estimeront les GONCOURT : « Quel
coup à cette émigrée qui rentre en FRANCE : la religion ! Quel contrepoids au mouvement qui porte ce peuple à l’agenouillement »
[ 35 ]…
La figure de la
nonne, « noceuse et libertine »,
sera un archétype récurrent et presque intemporel de la littérature érotique
classique, qu’il s’agisse de la volonté « politique » délibérée et
préméditée des auteurs ou plus simplement de l’expression d’un fantasme
masculin très largement partagé et ancré dans les libidos !
En Octobre 2001, par
exemple, les « Editions Blanche » dirigées par Franck SPENGLER [
lequel n’est autre que le fils de Régine DEFORGES ] ont publié un court texte
érotique datant de la fin des années 1940, intitulé… « La Nonne », signé d’un pseudonyme
par le « Comte d’IRANCY »
et dont le Chapitre premier [ pour ne citer que celui-ci ] est
sous-titré : « où deux jeunes
personnes innocentes, dont l’une sait pourtant davantage qu’il convient, sont
placées, sur les conseils d’un abbé perfide, dans un établissement où elles
feront connaissance avec le vice » ! [ 36 ]… Le ton est
donné !!! « La Nonne »
est un « texte d’une franche pornographie joyeuse et iconoclaste dans la
tradition des textes érotiques
anticléricaux » va jusqu’à préciser le prière d’insérer éditorial…
LE « MAL DES ARDENTES »… OU UNE « SCANDALEUSE »
CHEZ LES SŒURS…
S’étant rendue
« coupable » de quelque relation saphique dans son adolescence, la
jeune Régine DEFORGES a été renvoyée de l’Institution Saint Martial de LIMOGES
où elle était scolarisée…
« La mère Supérieure
n’a jamais oublié la fois où le regard de Régine l’a mise en difficulté. Cette
femme saisit l’occasion d’être inflexible, de ne pas pardonner. Sans autre
information que des rumeurs de sacristie, elle signifie à Bernadette [ la mère
de Régine ] le renvoi de la scandaleuse
et par ricochet celui de sa sœur, se retranchant avec élégance derrière les
plaintes inévitables des autres parents, pour s’interdire le moindre geste
magnanime (…) », écrit l’un des biographes de Régine DEFORGES, Marc-Emile
BARONHEID, dans « Régine DEFORGES -
l’inconduite » [ 37 ].
Le même Marc-Emile
BARONHEID poursuit : « (…) En 994, la population de LIMOGES
souffrit d’un fléau appelé « mal des
ardents », dû en fait à l’absorption de seigle contaminé par l’ergot.
D’après la tradition ce mal prit fin grâce à une procession de reliques de
Saint Martial, évangélisateur et premier Evêque de LIMOGES… La Mère Supérieure
de l’école battant pavillon du Saint n’avait rien fait d’autre qu’extirper une
seconde fois le dangereux ergot, en éliminant cette diablesse durablement
atteinte du « Mal des Ardents » !
[ 37 ]…
Renvoyée donc, la jeune
Régine DEFORGES, pour certainement avoir montré trop peu, contrairement à
Françoise DUFAURE, de « dispositions
( tout au moins en apparence ! ) à
la vertu » !!!
Régine DEFORGES, devenue
finalement un auteur - à succès- , signera un premier « essai historique » qu’elle
intitulera « La Révolte des Nonnes »
[ ! ]… Mais celui-ci viendra après bien des « scandales » d’édition…
Régine DEFORGES –
assagie ? - commettra, plus tard, un livre pour… enfants, qu’elle titrera…
« Le Couvent de Sœur Isabelle »
et qu’elle aura rédigé alors qu’elle effectuait une « retraite » chez
les… « Visitandines »…
Les religieuses
seraient-elles une constante dans son inspiration ? Ou serait-ce le fruit
d’une réconciliation ?
« Je suis retournée
dans différents couvents (…) mais toujours chez les Visitandines (…), je
baignais dans une atmosphère de paix, de calme ; c’était une vie très ralentie,
rythmée par l'appel de la cloche pour les offices, les repas, les récréations.
Je lisais, je brodais, je dessinais »…
« Les religieuses,
du moins celles auxquelles je me suis heurtée autrefois, étaient de pauvres
filles qui s’étaient réfugiées là pour échapper aux travaux des champs où à une
condition d’épouse qui les effrayait. Sur la quantité que j’ai connue, rares
devaient être celles qui avaient vraiment la foi », estime aujourd’hui
« l’ardente », [ la
toujours… ardente !!! ], Régine D. … [ 38 ].
UNE AUTRE « SCANDALEUSE »… POURTANT ELEVEE CHEZ… LES SŒURS !
Régine DEFORGES apprécie
les « visitandines »… Est-ce un sentiment partagé ?
Dans un livre de
Souvenirs [[ dont la « quatrième de couverture » de mon édition de
poche recommande : « à lire sans a priori, l’imagination aux aguets et le
sourire aux lèvres », et dont le « prière d’insérer »
s’interroge ainsi : « imaginait-elle en sortant de chez les Visitandines
qu’elle serait un jour « Madame
Claude ». Sûrement pas » ]], Claude GRUDET, « proxénète mondaine », évoque
longuement les conditions de son éducation ( de sa bonne éducation !!! )
dispensée naguère par des religieuses ! [ 39 ]…
« A la rentrée de
Septembre on m’a revêtue d’une robe noire
dont les plis serrés sous l’empiècement de la poitrine et le col blanc
constituaient les seuls ornements. On m’a mis au cou une grande croix d’argent
et aux pieds des godillots montés sur d’épaisses semelles (…). Ma mère m’a
conduite au couvent des Visitandines (…). Les murs qui donnaient sur l’avenue
ne comportaient pas d’ouverture sauf la porte cochère (…) percée dans l’un de
ses vantaux d’une minuscule ouverture grillagée. Lorsqu’on sonnait l’œil noir
de la sœur tourière apparaissait derrière le grillage (…). La porte franchie
j’ai découvert (…) un essaim de filles de tous âges, tout de noir vêtues, que dominaient les pointes blanches des
cornettes des religieuses (…). Pendant plus de dix ans, j’allais vivre entre
ces murs (…) un labyrinthe inextricable de voûtes impressionnantes, d’escaliers
interminables (…). Nous avons accompli ensuite, pour la première fois, sous la
houlette d’une femme sèche (…) le trajet immuable que nous répéterions pendant
des années : cours dans la haute salle de classe, salut à la chapelle, étude,
dîner succinct - bouillon de légumes, pain , fruit - deuxième étude et coucher.
Dans notre dortoir quasi sans chauffage comme toutes les pièces du couvent,
régnait une humidité glacée (…). La règle stricte imposée par les sœurs ne me
pesait pas. Je m’accordais parfaitement du silence, des horaires - on se levait
à cinq heures en été, à six heures en hiver -, de la nourriture frugale et mal
préparée… », se souvient avec précision Claude GRUDET [ 39 ].
« Madame Claude », dans un autre
ouvrage de souvenirs et de réflexions qu’elle avait écrit antérieurement
confirme les faits : « je suis entrée dans une institution
religieuse, au Couvent pour tout dire, où toute la vie était réglée par le
carillon de la chapelle, messe à six heures, salut à 17 heures, cours intensif
d’instruction religieuse. On y entrait à six ans, on en sortait à dix
huit »… [ 40 ]
« Nous étions toutes
pensionnaires, soumises à un règlement très strict : une seule permission de
sortie par mois. Interdiction de parler, sauf durant une récréation bien
précise. Nous n’avions pas le droit
d’être deux, il fallait être trois. Il fallait dormir les bras au dessus des
draps et des couvertures. On nous expliquait ce que toute jeune fille de bonne
famille doit savoir. La formation était dure et rude mais des lois précises
nous conditionnaient pour notre vie future » … [ 40 ]
Quelques années
auparavant encore, à des femmes journalistes qui l’interrogeaient sur son
enfance, « Madame Claude »
répondait : « lorsque je n’étais pas en vacances, je ne me souviens que
d’une petite fille en uniforme noir
et de cette surveillante qui me paraissait immense, qui m’attendait toujours au
haut d’un escalier ( du moins est-ce le souvenir que j’en ai ) et qui avait décidé, une fois pour toute de
chasser mes démons et de faire mon bien. Bien entendu, comme tous les enfants
je n'avais aucune conscience d'avoir des démons. Bien entendu aussi ce devait
être les siens [ le fameux « mal
des ardentes » ??? ].
Puis Claude GRUDET de
poursuivre : « quelquefois quand je me montre dure, peut être odieuse
avec les jeunes filles de ma propre institution
[ Institution !!! ], il me semble
retrouver, en moi cette fois, cette Surveillante Générale. Nous avons élevé,
elle et moi, des jeunes filles pour une affectation différente et nous luttions
cependant toutes les deux contre le désordre : elle pour créer des « Saintes » ( et elle a échoué ), moi
pour créer « des jeunes femmes merveilleuses »
( je crois parfois avoir moins échoué ) » [ !!! ] [ 41 ].
Suis-je en train de
m’éloigner par trop de mon propos initial qui ne porte que sur… Françoise
DUFAURE ? Non ! Je ne le crois pas…
Sans doute y-a-t-il eu
moins de différence entre les conditions d’internat et de discipline
rencontrées par Françoise DUFAURE chez les Ursulines de BRIVE et par Claude
GRUDET, chez les Visitandines de CAHORS, voire par Régine DEFORGES à
l’Institution Saint-Martial de LIMOGES, à quelque quatre-vingt ou cent années
de distance, qu’il n’y en aura ensuite pour des générations d’internes –
d’ailleurs de plus en plus réduites - au cours de ces trente dernières années…
au fur et à mesure que les conquêtes de 1968 saperont progressivement mais
irrémédiablement la rigidité archaïque des institutions religieuses, même des
plus obstinément et anachroniquement conservatrices !!!
Je note aussi, ici, pour
l’anecdote, que le grand père maternel de « Madame Claude » un « Italien d'origine » avait
« rencontré à BRIVE la Gaillarde -
le nom de la ville constituait à lui seul tout un programme - une grande femme
autoritaire. Il l’avait épousée ». Nous étions alors au dix neuvième
Siècle ! … Et Madame Claude de se trouver là des racines Corréziennes ! [ 39 ]
Je ne peux pas manquer
non plus de relever comme « des signes », dans la critique
« littéraire » de l’ouvrage de Madame Claude « Madam », que Jean-Edern HALLIER,
très en verve avait ciselée, toutes les nombreuses références qu’il y avait
intégrées tant sur le XIXème siècle que sur des auteurs que je cite moi aussi
fréquemment dans le cadre de mes travaux généraux, voire aussi de ces propos
plus particuliers, à savoir les FLAUBERT, SUE, SADE, DUMAS, BALZAC, STENDHAL ou
SAND... etc. [ 42 ]
Jean-Edern HALLIER voit
en Madame Claude une « descendante des « Mystères de PARIS » d’Eugène SUE », puis de citer
FLAUBERT : « notre siècle est un
siècle de putains, et ce qu’il y a de moins prostitué jusqu’à présent ce sont
les prostituées »…
Et HALLIER de continuer
ainsi : « son pensionnat de jambes en l’air, c’est au fond l’héritage de
la grande tradition du Libertinage du XVIIIème Siècle. Il y a « les Bijoux Indiscrets » de ces
messieurs selon DIDEROT et « la
Philosophie dans le Boudoir » selon le Marquis de SADE. « L’Ecole des Femmes », çà fonde la
nation future. L’avenir de l’humanité repose sur la question de « l’Education Sentimentale ». Chez
Madame Claude tout est propre. Il n’y a pas d’argent sale mais le blanchiment
du vice. Elle joue à la fois le rôle de « Justine ou les Infortunes de la Vertu » et de « Juliette ou la Prospérité du Vice »
du Marquis de SADE… [ 42 ]
« Avec la pureté de
la première [ Justine ], sa droiture, son honnêteté et son innocence profonde
l’auront conduite à passer une vie entre
quatre murs, incarcérée à la fois par l’injustice et sa propre naïveté. Ceux du
Couvent où elle a été élevée, ceux des maisons de passe, et enfin ceux de
FLEURY-MEROGIS… Au moins a-t-elle ceci de commun avec le Divin Marquis
d’avoir été enfermée toute sa vie. Sauf qu’à part sa dernière Bastille, toutes
ses Bastilles à elle étaient délicieuses, capitonnées, moelleuses et parfumées
chez BALENCIAGA [ ! ] » (…) [
42 ]
HALLIER poursuit :
« avec la seconde, [ Juliette ], c’est la mère supérieure du vice, la
détourneuse des jeunes filles pures, la gardienne d’oies blanches du
Bas-PERIGORD et la recouseuse d’hymen, la corruptrice du demi-monde avec lequel
le grand monde s’encanaille… C’est une
sainte mais c’est aussi une diablesse ; c’est la Jeanne d’ARC de la haute
prostitution mais aussi la TENARDIER de la jet-set, c’est le double visage de
la salope et de la victime (…), c’est la rédemption du mal puisque dans le vice
même la nature humaine la plus basse peut être rachetée par le bien (…). Chacun
sait qu’il n’y a que deux types de femmes : la maman [ ou l’arrière arrière grand maman !? ] et la putain ! »…
Ce ne sont là que
quelques extraits des écrits du génial provocateur !!! [ 42 ]
DU REGLEMENT DU PRIX DE LA PENSION DE
FRANCOISE...
Si l’on peut aisément
imaginer, sans crainte d’un démenti, que les conditions d’internat de Françoise
DUFAURE chez les Ursulines de BRIVE furent spartiates, il n’en reste pas moins
qu’elles générèrent aussi un coût pour sa famille !
L’objet du courrier du 21
Avril 1855 adressé à Elie est d’ailleurs relatif au règlement du prix de la
pension de sa sœur Françoise…
Entrait-il dans les
habitudes de la Mère Supérieure de correspondre à ce sujet avec les
« parents » d’élèves ? Il semble bien que oui !!!
S’adressant à Elie, elle
débute ainsi son courrier : « il
serait à souhaiter que toutes les personnes qui nous doivent fussent aussi
exactes et en même temps aussi honnêtes que vous, nous n’aurions pas besoin de
faire tant de réclamations qui nous deviennent quelques fois pénibles »
!!!
Certes mais la famille
DUFAURE a bien du déjà être relancée ! « Ce n’est qu’à cause des charges de notre maison que nous avons demandé
ce qui nous est dû », poursuit « Sœur Louise, Supérieure » !
Est-ce le décès, à
l’automne 1854, de Pierre DUFAURE qui a rendu les Sœurs inquiètes quant au
recouvrement de leur créance ? Craignent-elles que le règlement de la
succession empêche la famille d’honorer ses dettes ? Qu’Elie DUFAURE se fasse
« prier » ? Est-ce la perspective de non-paiement qui les a
poussées à se manifester ? Peut-être ! …
Et ce même si la
Supérieure affirme quant au paiement de la créance réclamée : « mais soyez bien convaincu que nous n’avons
eu à ce sujet aucune crainte » ! [[ affirmation de Jésuite ? Non, foi
d’Ursuline : oui !!! ? ]]… « Toutefois nous ne voulons pas vous imposer
l’obligation de nous envoyer aussitôt notre lettre reçue ce qui reste encore à
payer. Nous laissons à votre délicatesse et à votre exactitude le soin d’en
fixer l’époque, étant bien certaines que cette somme nous sera acquittée
aussitôt que cela vous sera possible » !!!
C’est écrit avec
délicatesse certes, mais le message est clairement exprimé !!!
« Le chiffre de la pension ou des avances
faites s’élevait à 414 F, nous avons reçu la dessus 200 F le 21 Avril »,
précise la Supérieure…
Sa réponse, par retour de
courrier, tient lieu certainement du reçu que Maître DUFAURE n’aura
certainement pas manqué de réclamer, avec une certaine insistance, en envoyant
un premier acompte de 200 F…
La quittance définitive
sera établie le 10 Septembre 1855 et signée par « Sœur Félicité économe »…
Cette quittance est
rédigée sur un petit carré de papier « pré-imprimé » à l’entête du
« Pensionnat de Sainte-Ursule de
BRIVE », laquelle quittance « reconnaît » que
l’établissement a reçu d’Elie DUFAURE la somme de 410 F pour « solde de la pension et avances faites pour
Melle Françoise du FAURE sa sœur »…
La Supérieure évoquait
les « charges de notre maison »…
et je remarque que le modèle de quittance n’a effectivement guère fait l’objet
de renouvellement ce qui peut témoigner d’une certaine gêne financière…
Le format de la date
pré-imprimée débute par « 183 »
et un trait de plume s’avère nécessaire pour transformer ce « 18- 3 » en « 18- 5 » pour donner millésime
certain au document, à savoir… « 1855 » ! … Pas de gaspillages des stocks pré-imprimés
et ceux-ci franchissent donc les décennies … Vraisemblablement des moyens
disponibles trop limités pour les renouveler plus fréquemment !!!
Le relevé de créance,
destiné à Pierre DUFAURE, pour la « Pension
de Melle sa fille année scolaire 1852 - 1853 » a été établi sur papier
libre, en forme manuscrite, le 18 Août 1853, par « Sœur Félicité économe » et a été acquitté le 17 Septembre
1853.
Le montant de cette
créance se décomposait ainsi qu’il suit :
Pour 10 mois à F 25
250 F
Frais d'exercice
5 F
Total 255 F
« Deux cent cinquante cinq Francs »,
une somme déjà conséquente pour la province du LIMOUSIN, et surtout pour la
pension… d’une fille !
CORBIN rappelle que le
prix de pension, « relativement
élevé », empêche les enfants des familles modestes de fréquenter les
établissements secondaires, d’autant qu’il n’existe, en 1864, aucun élève
boursier dans les Collèges de la CORREZE…
Alain CORBIN note
cependant que les prix de pension n’avaient pas augmenté en LIMOUSIN depuis le
début de la Monarchie de Juillet [ 17 ] :
PRIX DE PENSION DANS LES PRINCIPAUX COLLEGES DE LA CORREZE
1817-1835 1835-1864
Collège de TULLE 420 F 420 F
Collège de BRIVE 350 et 380 F 420 F
Collège de
TREIGNAC 320 F 320 F
A titre de comparaison,
il en coûte à PARIS environ 600 Francs par an pour un interne dans un
établissement public et apparemment 800 Francs [ « tarif courant, sans rabais » ] dans l’institution privée où
Louis VALLEZ a placé son fils Jules, en 1848 – 1849… non sans avoir donné des cours
particuliers tout l’été 1848 pour parvenir à amasser la somme nécessaire [ 29
].
Jules VALLES suit les
cours du Lycée BONAPARTE, ( qui est devenu aujourd’hui le Lycée LOUIS le Grand
), qui assure seulement les cours magistraux… Le suivi des études et l’internat
sont dévolus à seize pensions privées rivales les unes des autres… et pour qui
les résultats de leurs pensionnaires ont une grande importance… en asseyant
leur réputation… et par suite leurs tarifs !!!
Par la faute de ses
parents, Jacques VINGTRAS [ alias Jules VALLES ] va être humilié chez LEGNAGA [
alias LEMAIGNAN, qui dirige une pension ], car « sa ridicule de
mère » envoie des bocaux de cornichons au directeur et son père a
marchandé le prix de la pension sur la foi de futurs brillants résultats de son
rejeton et a obtenu un rabais de 300 F sur le prix de pension… [ ce dont
Jacques VINGTRAS est convaincu, mais Jules VALLES beaucoup moins ! ]… Il reste
que LEGNAGA ne cesse de reprocher à Jacques de trop manger et d’être une
mauvaise bête à concours… Etait-ce aussi le cas du « vrai » LEMAIGNAN
vis à vis de Jules ? ...
« Je suis engagé au
rabais et je devrais avoir des Prix, je n’ai rien eu et je mange
beaucoup », soupire Jacques VINGTRAS avant de conclure : « c’est pour
trois cent Francs que j’ai tant souffert ! » [ 44 ].
Françoise DUFAURE
a-t-elle « souffert pour 255 F » ou encore « pour 300 F »,
mais aussi… a-t-elle « trop mangé » ?
Lorsqu’elle était interne
chez les Ursulines, Claude GRUDET affirme s’être « concentrée sur le
contenu de [ son ] assiette, une tomate crue baignant dans un peu d’eau, suivie
de légumes verts indéfinissables baignant aussi dans l’eau et d’une pomme
clocharde à la peau molle » [ 39 ]…
Avec un regard plus contemporain
et non celui de l’élève pensionnaire, Régine DEFORGES affirme : « je vous
signale en passant qu’on mange bien chez les Sœurs, car tous les légumes
proviennent de leur potager » [ 38 ]…
Régine DEFORGES a tout de
même gardé un souvenir d’antan : « pendant les trois jours de la
retraite » écrit-elle, « l’ordinaire de la cantine était des plus
simples. La mortification s’étendait jusque dans nos assiettes » [ 44 ]…
Et si Régine DEFORGES
nous renseigne encore des aspects matériels : « je n’ai pas connu les
couvents sans chauffage », on peut cependant légitimement penser que tel
ne fut pas le cas pour Françoise DUFAURE qui aura sans doute été habituée tant
aux repas frugaux qu’aux dortoirs glacés !!!
UNE LETTRE DE SŒUR STANISLAS… « SŒUR STANISLAS VOUS AIME… »
Datée du 18 Octobre 1858,
« Sœur Stanislas » a
adressé à « Mademoiselle Françoise
DUFAURE à ALLASSAC, CORREZE », une « longue épître » depuis « notre monastère de Sainte Ursule », sans omettre de porter en
entête sous forme manuscrite : « J M
J » [ pour « Jésus Marie Joseph »
] à gauche, une « + » [ une croix ] au centre, et la devise « Vive Jésus dans nos cœurs » sur la
droite…
Dans cette correspondance
Sœur Stanislas évoque largement son état de santé défaillant : « vous avez du apprendre par anaïs dans quel
état j’ai été pendant fort longtemps (…) des crises de trois ou quatre heures pendant lesquelles je demeure
comme une personne à l’agonie (…) j’aime
mieux porter ma crois [ sic ! ] avec
mon sauveur que de jouir de la santé puisqu’il ne le veut pas » ! …
Sœur Stanislas assure
Françoise DUFAURE de son affection : « si
vous avez l’idée que je ne vous aime plus, oubliez le passé, bonne amie, et
demeurez bien persuadée que sœur Stanislas
vous aime et a pour vous la même affection que lorsque vous étiez à Ste Ursule »…
On est loin des
sentiments formés, semble-t-il, par les Sœurs de l’Institution Saint Martial
vis à vis de Léone [ alias
Régine-Marie-Léone DEFORGES ] tels
qu’ils sont consignés dans son roman « autobiographique » [ à la
Jules VALLES ? … ] « le Cahier
Volé », et tels qu’ils lui auraient été rapportés par sa mère à
l’issue de l’entretien que celle-ci avait eu avec la Supérieure de
l’Institution…
« Elle m’a dit (…)
qu’elle avait senti tout de suite chez toi une nature mauvaise et profondément
perverse. Que ton caractère était tellement buté que les religieuses les unes
après les autres venaient se plaindre de toi, disant qu’elles n’arrivaient à
rien avec toi, que non seulement tu étais distraite, paresseuse, menteuse et
insolente mais que tu empêchais tes camarades de travailler (…). Si elles t’ont
gardée si longtemps c’est par estime pour nous et surtout pour ta grand-mère :
« une femme si convenable, si courageuse » ! [ 45 ]…
Les sœurs s’étaient-elles
vraiment trompées sur la nature profonde de Régine ? Divers aspects de la vie
personnelle et de la vie professionnelle de la « scandaleuse » les conforteraient sans doute dans l’idée que
non… si elles étaient amenées à formuler à nouveau un jugement sur
l’intéressée… sans avoir pris la peine d’accommoder leur « échelle de
valeur » aux « mœurs des temps présents »…
En tout cas le côté
provocateur de Régine DEFORGES, que d’aucunes qualifieraient de « penchant
pervers », est demeuré… à l’évidence !
« Régine est le
jouet d’un narcissisme évident », estime son biographe Marc-Emile
BARONHEID [ 36 ], lorsqu’elle « exhibe l’au-delà de ses bas sur l’affiche
des « Contes Pervers » où
« elle se montre en religieuse aguichante »…
Régine de nous apprendre
aussi, en confidence, qu’elle « s’approvisionnera régulièrement en bas de
coton noir - qu’elle portait même en plein été, allant jusqu’à les compléter de
chaussures de béguines ! - à la boutique d’articles religieux de Saint-SULPICE,
jusqu’à ce qu’elle ne soit rachetée par la couturière Agnès B. (…).
Régine D. admet « le
mélange de provocation et de gourmandise » [ 37 ]…
Elle confirmera un plus
tard que son « idéal, c’est le costume religieux, ample, dans une coupe
parfaite (…). J’ai une passion pour l’habit religieux, la blouse de paysanne et
pour tous les vêtements qui s’ouvrent devant » ! [ 38 ]… De quoi se
retrouver vouée éternellement aux gémonies par ses rigides tutrices d’antan !!!
Non ???
Et puisque j’en suis
revenu à Régine DEFORGES et à nouveaux aux vêtements, je ne résiste pas à la
citer, à nouveau, en complément de propos qui précèdent et qui sont relatifs
aux vêtements de couleur noire…
Dans « Blanche et Lucie », un « roman » dans lequel elle évoque ses
grand-mères… prénommées… Blanche et Lucie… Régine rapporte des souvenirs
d’enfance et des dialogues échangés avec ses grand’mères… [ 44 ]
« Pourquoi tes robes
sont toujours noires ? » demande
la jeune Régine à sa grand mère Blanche…
« Elle me souriait
sans répondre ou me disait « c’est comme ça ! ». Lucie aussi était toujours vêtue de noir. Mais, sur elle, ce noir n’était pas aussi noir [ Lucie
est rousse… comme l’est aussi sa petite fille Régine ]. Comme elles je suis souvent habillée de noir. Non comme elles par souci d’économie ( c’était çà la vérité en fait, plus que les mœurs du temps ), mais
pour l’éclat que ces sombres vêtements donnent à ma peau et à mes cheveux, et
pour la distance qu’inconsciemment ils imposent aux autres. Le noir me protège,
m’exalte et m’oblige à une rigueur de comportement. On n’est pas la même vêtue
de blanc, de rose, de vert ou de bleu. On devrait aider les femmes à trouver
leur couleur, celle qu’elles habiteront bien, qui les rendra harmonieuses. Le noir est ma couleur »... [ 44 ]
Revenons-en à Sœur
Stanislas qui semble, au contraire des Sœurs de Saint Martial de LIMOGES vis à
vis de Régine, particulièrement soucieuse de l’affection réciproque qui devrait
présider dans les relations qu’elle entretient avec ses élèves ou ses anciennes
élèves…
« Si vous veniez [ « dans votre cher couvent » ] vous trouverez bien des figures nouvelles.
Toutes nos anciennes ont disparues et elles ont été remplacées par de nouvelles enfants que je ne connais pas.
N’étant plus au pensionnat je ne vais avec elle de sorte que celles à qui j’ai
fait la classe l’année dernière prétendent que je ne les aime plus et vous
bonne amie qui connaissez mon cœur vous savez s’il m’est possible de ne pas
aimer les enfants que j’ai soignées »…
« Vous devez sans doute savoir que je suis
occupée cette année aux classes pauvres. Que ma joie est grande, ma bonne
Françoise, lorsque je me trouve au milieu de ces enfants il me semble voir
notre bon Sauveur tout pauvre, dénué de tout : oh ! Que je suis heureuse !
J’aime ces enfants de tout mon cœur et je voudrais qu’il me fut permis de finir
mes jours parmi elles mais, bonne amie, voilà déjà trois mois de passé [ la
« longue épître » de Sœur
Stanislas, commencée le 18 Octobre 1858, n’est d’ailleurs apparemment achevée
que le 7 Janvier 1859 ... ]. L’anné [
sic ] s’écoule rapidement et qui sait si
le bon Dieu m’accordera encore la grâce de garder mon emploi un an de plus. Que
puis-je me promettre avec la maladie que j’ai. Aujourd’hui je vais bien et
demain je ne pourrais peut être rien faire »...
AU SUJET DES « CLASSES PAUVRES »… DE LA DISCRIMINATION SOCIALE…
Les « classes pauvres » : l’expression
employée par Sœur Stanislas est… parlante ! … Même si celle-ci ne doit guère
pouvoir être soupçonnée de tenir un discours Marxiste ! « S’agissant des
écoles que les prêtres et les laïques tenaient pour être fréquentées par les classes les plus pauvres avant le
dernier quart du XIXème siècle, ils tendaient, par la nature des choses, à y
enseigner d’abord les connaissances les plus élémentaires ou celles tenues pour
les plus élémentaires par eux : « la capacité de bredouiller son
catéchisme ou une partie du service religieux en Latin… L’enseignement des
premiers rudiments de la lecture, de l’écriture et du calcul » était
encore chose fort rare, affirme Eugen WEBER [ 10 ]…
Encore fallait-il que les
enseignant-e-s aient quelques compétences pédagogiques et une formation
suffisante… L’école de SELINS ( dans le Département du CANTAL ) dans les années
1840 était dirigée par Sœur GANDILHON qui ne pouvait enseigner que des prières,
le catéchisme, et les deux premières règles de l’arithmétique ( « elle
avait entendu parler d’une troisième, mais ne l’avait jamais apprise » ) [
10 ]. A BELLAC ( en Haute-VIENNE ), les enfants inscrits sur les listes
d’indigence et qui allaient en classe se trouvaient isolés du reste des élèves [
17 ]…
Dans leur fameux « Manifeste du Parti Communiste » (
édité en 1847 ), MARX et ENGELS écrivent : « Et votre éducation n’est elle
pas, elle aussi, déterminée par la société ? Déterminée par les conditions
sociales dans lesquelles vous élevez vos enfants, par l’immixtion directe ou
non de la société, par l’école, etc. ? »… Pour MARX et ENGELS, « les
communistes n’inventent pas l’action de la société sur l’éducation ; ils
changent seulement son caractère et arrachent
l’éducation à l’influence de la classe dominante » ! [ 46 ]. « ça
n’est pas nouveau. On a tout dit ou presque sur l’aspect bourgeois de
l’enseignement. L’école n’est peut-être
pas la grande libératrice que l’on croyait. Elle perpétue les inégalités
sociales. Elle « favorise les favorisés et défavorise les défavorisés.
Des gens sérieux ont fait les comptes (…) », affirmera encore, bien plus
tard, le Corrézien - enseignant de formation et d’expérience - Claude DUNETON,
en 1973, c’est à dire beaucoup plus près
de nous dans le temps ! [ 47 ]…
Quelques années après la
parution du « Manifeste »,
dans « Le 18 Brumaire de Louis
Napoléon BONAPARTE », Karl MARX verra surtout dans la Loi FALLOUX de
1850 l’action de la bourgeoisie qui s’efforce « au moyen de la Loi sur l’Enseignement, de maintenir l’ancien état d’esprit
des masses »… … Et Karl MARX de s’étonner alors que « les
Orléanistes, les bourgeois libéraux, ces anciens apôtres du Voltairianisme et
de la philosophie éclectique, confient à leurs ennemis héréditaires, les
Jésuites, la direction de l’esprit Français » [ 48 ]…
Nous étions alors en
1852…
Un siècle plus tard
exactement, [ elle situe très précisément les souvenirs qu’elle évoque en
l’année 1952 ], Annie ERNAUX, encore enfant, fille de petits commerçants et
élève d’une institution privée confessionnelle à YVETOT, en NORMANDIE, se
trouvera confrontée à une véritable « ségrégation de classe »… [ 49 ]
« Il y avait deux
cours de récréation. L’une pavée, sans soleil, assombrie par la frondaison d’un
arbre élevé, était livrée aux élèves peu nombreuses de la section dite
« école libre », composée des orphelines d’un établissement situé à
côté de la Mairie et des filles dont les parents n’avaient pas les moyens
d’acquitter la facture d’externat » [ … Les « classes pauvres » dans la « classe pauvre » ? ]… « Une seule maîtresse [ … telle
l’était Sœur Stanislas ? ] leur faisait la classe, du cours élémentaires à la
sixième, où elles entraient rarement, allant directement à
« l’enseignement ménager ». L’autre cour, vaste, ensoleillée,
attribuée aux élèves payantes du pensionnat proprement dit - filles de
commerçants, d’artisans et de cultivateurs - s’étendait devant toute la
longueur du réfectoire et du préau (…). Elle était limitée d’un côté par la
chapelle aux vitres grillagées et de l’autre par un mur où s’accotaient de part
et d’autres des waters sales qui la séparait de « l’école libre »
(…). Les deux cours communiquaient par une ouverture sans porte dans le mur des
waters. La vingtaine d’élèves de l’école libre et les cent cinquante à deux
cents du pensionnat ne se voyaient qu’aux fêtes et à la communion solennelle,
elles ne se parlaient pas »… [ « N’étant
plus au Pensionnat je ne vais avec elles… » ]… « Les filles du
pensionnat reconnaissaient celles de l’école libre à leurs vêtements qui
étaient parfois les leurs, mais usagés, abandonnés par leurs parents à des
nécessiteuses »… [ « Il me
semble voir notre bon sauveur tout pauvre, dénué de tout »... écrivait
Sœur Stanislas ! ]… Petit à petit, l’enfant, puis l’adolescente, Annie ERNAUX,
prendra conscience des détails qui marquent son « appartenance à une classe vis à vis de laquelle l’école privée ne
manifestait qu’ignorance et dédain » [ 49 ], et ceux-ci ne cesseront
de la hanter et de traverser par la suite l’ensemble de son œuvre si
bouleversante…
« NOTRE CHER COUVENT »… LA QUESTION DE LA
« VOCATION » …
Les formules qu’emploie
au fil des lignes Sœur Stanislas pour s’adresser à Françoise dans sa
correspondance sont semblables à une litanie : « Ma bonne Françoise », « bonne
amie », « Ma bonne
Françoise », « bonne amie », « Ma bonne Françoise », « bonne amie », « Ma bonne Françoise »…
Reprenez donc cette
correspondance ! … Vous verrez ! … Je n’invente rien !
Est-ce seulement le
témoignage d’une affection « commune », ou celui d’une affection plus
« particulière » ? … Françoise DUFAURE n’est elle considérée
seulement comme une banale ancienne élève ?
« Votre cher couvent »… « Tant de figures amies » … « Si vous pouvez sans que cela dérange votre
famille je vous engagerais à assister à la retraite plusieurs de nos anciennes
élèves ont obtenues cette permission et sans difficulté vous pourriez obtenir
la même faveur » ...
Françoise DUFAURE
a-t-elle envisagé un moment, ( ou a-t-on envisagé pour elle ? ), la prise
du voile ? … Cette question de la « vocation »
n’a pas dû manquer de se poser, à un moment ou à un autre, avec un degré
d’acuité qui nous demeurera vraisemblablement inconnu à tout jamais…
Cette question, je ne
peux manquer de me la poser à mon tour... Comme Daniel ZIMMERMANN se l’est
posée lui aussi à propos de « Louisette »,
la sœur de Jules VALLES [ 29 ].
Françoise est elle restée
un temps supplémentaire au delà de sa scolarité « normale » au
Couvent de Sainte-Ursule de BRIVE ? Faisant par exemple « fonction d’aide enseignante » ? ou
« désirant être religieuse »
? « Ou bien coule-t-elle des
journées vides à la maison en compagnie de sa mère ? » [ 29 ] … et
dans le cas précis, en compagnie de sa mère, de sa sœur Marie [ Sœurs Stanislas
achève son « épître » par : « Mes amitiés à Mme votre mère et à votre bonne sœur » - sic -
], de son frère Jean Baptiste… et au gré de ses aléas professionnels et de ses
séjours en CORREZE, en compagnie de Berty…
« Des journées vides » pour
Françoise ? je ne sais, mais j’en doute particulièrement ! A ALLASSAC
il y a certainement toujours quelque chose à faire pour contribuer à faire
vivre la maisonnée !!! Travaux ménagers… ou travaux agro-viticoles…
La « prise de
voile » ? Les « travaux de recherche » en matière de
généalogie familiales accomplis par Elie DUFAURE sembleraient indiquer qu’il y
avait eu quelques précédents dans la « famille »,
prise dans son acception la plus large, quant à des jeunes filles « DUFAURE » ayant « embrassé la
religion »…
Etait-ce un élément,
sinon nécessaire, du moins suffisant, pour que Françoise DUFAURE puisse songer
à s’engager résolument dans cette voie religieuse, à un moment où celle-ci est
d’ailleurs en plein renouveau ?
Un Décret de 1852
assouplit les conditions d’autorisation des Congrégations, et par suite, le
nombre des Congrégations féminines s’accroît fortement en FRANCE avec un rythme
soutenu de plus de six fondations nouvelles par an… ( 66 créations entre 1850
et 1861 ) et de 3 500 « nouvelles sœurs » par an... [ 28 ].
Entre 1850 et 1861 on
dénombrera deux fois plus de nouvelles religieuses que durant la décennie
précédente…
Ce succès s’explique en
grande partie par la mission que remplissent les Congrégations féminines… Elles
ont une fonction essentiellement sociale : assurer la formation féminine et le
soutien des malades… De ce fait les
Congréganistes sont majoritairement enseignantes ( 65 % ) ou hospitalières
( 25 % ) tandis qu’une faible minorité ( 10 % ) à une activité purement
religieuse… La « Bonne Sœur »
fait désormais partie intégrante du paysage Français, supplantant largement la
religieuse cloîtrée… [ 28 ].
Les pensionnats tenus par
les Congréganistes sont principalement urbains ( en 1863, ils accueillent les
trois quarts des cent mille jeunes filles scolarisées dans des
pensionnats ! )…
Dans le même temps, le
recrutement des Congréganistes s’effectue de moins en moins « en
ville » et concerne de plus en plus les campagnes…
Les Congrégations
hospitalières conservent un recrutement bourgeois élevé ( 31 % de ces Sœurs
sont issues de la noblesse ou de la haute bourgeoisie, 33 % de la petite
bourgeoisie, 28 % de la paysannerie )… mais ce n’est pas le cas pour les
congrégations nouvelles qui bien souvent s’implantent en milieu rural et sont
vouées essentiellement à l’enseignement primaire, et où le recrutement « paysan » est très fort ! ( 66 % des
« Filles de la Sagesse »
sont issues, au XIXème Siècle, de la paysannerie )… [ 28 ]. Les Congrégations
foisonnent alors… CLANCIER relève à LIMOGES la présence des « Sœurs de Saint Vincent de Paul »,
des « Sœurs de la Croix »,
des « Sœurs de Saint Alexis »(
à l’hôpital ), des « Sœurs de
Marie-Thérèse » ( au Bon Pasteur ), des « Sœurs de NEVERS » ( à l’asile
d’aliénés )… [ Au Vingtième Siècle, une arrière-petite-fille de Françoise, ma
tante Suzanne DUFOUR, prendra le voile parmi les « Sœurs de NEVERS » et deviendra en religion « Sœur Marie Geneviève »… Elle
travaillera longtemps en secteur hospitalier, en particulier à l’hôpital
d’AURILLAC ]… CLANCIER relève aussi la présence à LIMOGES des « Sœurs du Sauveur », des « Sœurs de l’Espérance » et des
« Sœurs de NAZARETH »…
Et tout ceci ne nuit pas,
de plus, à l’implantation de cinq « Couvents » de religieuses : les
« Carmélites », les « Clairettes », les « Filles de Notre-Dame », les « Sœurs de la Providence »… sans
oublier les « Visitandines »
( devenues si « chères » à Régine DEFORGES ! )…
Tout cela dans une ville
qui compte seulement… cinquante mille habitants à cette époque ! [ 8 ].
ENCORE UNE HISTOIRE DE COIFFURE… …ET DE
RELIGIEUSE !
Françoise DUFAURE ne prendra
en tout cas pas le voile… Celle que « la
fortune ne (…) fera jamais agir
(…) », mais que « cependant si
Dieu le veut (…) [ elle ] ne demande
qu’une chose c’est faire sa volonté » [ correspondance de Françoise en
date du 2 Mai 1860 ], connaîtra un autre destin qu’une vie au Monastère de
Sainte Ursule de BRIVE ou d’ailleurs… « Il m'arrivera ce que le Bon Dieu voudra », écrit encore
Françoise, le 2 Mai 1860, et elle ne fera que ce « qui convient à ma mère et toi [ Elie, le frère aîné d’abord !
] et à mes frères et sœur [ les
cadets… ensuite ! ] »…
Régine DEFORGES évoque
combien elle avait, enfant et adolescente, un « désir farouche d’indépendance et de liberté. Deux choses interdites aux
petites filles, surtout à celles élevées par les Servantes de Dieu chez qui il
n’était question que « d’abandon
entre les mains du Seigneur », d’acceptation
de sa Volonté sans chercher à comprendre (…). Partout où se portaient mes
regards, mes pensées, je me heurtais à l’obéissance. OBEIR était le mot clef de
toute notre éducation » [ 44 ].
L’obéissance… OBEIR… Une
forme d’éducation que Françoise DUFAURE semble, elle, avoir bien intégrée… Peut
être par pur consentement… ou seulement par résignation… mais non par
contrainte semble-t-il… Son tempérament était-il plutôt enclin à la
subordination ?
En ne renonçant pas à la
vie « civile », Françoise pourra conserver la coiffure de son choix,
même si comme d’aucunes elle portera aussi coiffes bonnets ou autres mouchoirs
de tête !
Dans « Blanche et Lucie » [ 44 ], celle
qui propose par ailleurs : « à vous de démêler non pas le vrai du
faux, ce serait trop simple mais le vrai du vraiment vrai, que je ne connais
pas forcément moi-même ! » [ 38 ], Régine DEFORGES, évoque un
souvenir de scolarité à l’Institution Saint-Martial de LIMOGES…
Ce souvenir met en scène
la Supérieure de l’Institution, et ce souvenir est directement « lié à la
coiffure »… En cela il peut venir opportunément s’inscrire, me
semble-t-il, en complément direct de divers propos qui précèdent…
En « retenue »
un Jeudi après-midi de Juin, la jeune Régine se souvient que « les cours
et les classes de l’Institution étaient vides. Les pensionnaires étaient en
promenade. Un silence inaccoutumé régnait sur les lieux. Je traversai la cour
principale (…). Quelqu’un pas très loin se mit à fredonner, je m’arrêtai, un
peu inquiète, tant ce silence insolite m’avait fait croire que j’étais seule.
Je levai la tête vers les hautes fenêtres. Une
longue chevelure noire pendait à une des fenêtres, brossée lentement par sa
propriétaire. J’étais fascinée par l’élégance du geste, par le mouvement
lent et voluptueux du bras. Je ne voyais pas quelle pensionnaire pouvait
posséder des cheveux d’une telle beauté et d’une telle longueur. La tête qui
portait cette chevelure la rejeta en arrière dans un mouvement d’une grâce et
d’une coquetterie certaines. Je restai stupéfaite. Ces cheveux, cette grâce,
cet air qui n’était pas d’un cantique appartenaient à la Supérieure. Elle me
vit. Son étonnement égalait le mien. Nous restâmes un long moment à nous dévisager.
Moi éblouie par sa beauté, sa jeunesse que je n’avais pas remarquées sous la
cornette. Elle, saisie, comme quand on est surpris en commettant une mauvaise
action…
« Que faites-vous
ici Mademoiselle ? » me dit elle d'une voix dure. Je lui expliquai que
j’étais punie et j’ajoutai : « Que vous êtes belle, ma sœur ! »…
Son visage fut déformé
par la rage : « Sortez, Mademoiselle, Sortez ! (…). Je me sauvais en
courant, bouleversée par une telle colère (…) ».
« N’avais-je pas non
seulement surpris la coquetterie de la Supérieure, mais son mensonge, ce qui
était plus grave ? … En effet, peu de temps auparavant, elle nous avait expliqué les règles de son ordre, notamment le
sacrifice par les religieuses de leur chevelure et l’obligation d’avoir, sous
le bonnet, des cheveux ras en guise d’humilité. Je redoutais de faire les
frais d'une telle découverte. Hélas je ne me trompais pas ! [ 44 ] [ allusion
directe faite par Régine D. à son renvoi ultérieur de l’Institution…
officiellement décidé pour sauvegarder la bonne réputation de l’établissement !
].
« Piaos ! Jeunas ! Lou piaos ! Lou pialoux !
Pialous ! » [ « Hé, les femmes ! Cheveux, cheveux, les
petits cheveux, petits cheveux » ! ] [ 8 ] …
Religieuse ou
indigente... Les couper ou pas ? … Du libre choix, de l’obligation… ou de la
nécessité ! … Et toujours un voile… une cornette… un bonnet… une coiffe… un
barbichet… ou alors un mouchoir de tête pour « masquer sa misère » et
conserver en toute circonstance une forme de dignité !!!
UNE JEUNESSE ALLASSACOISE...EN ATTENTE DE
DESTINEE…
Au sortir du « Monastère de Sainte Ursule »,
Françoise DUFAURE est de retour à ALLASSAC…
Son père, Pierre DUFAURE,
est décédé en 1854, et dès lors il ne reste dans la maisonnée du « Barri de la Grande Fontaine », - [[
le barri : c’est le faubourg…
les barris sont nés au moment où « la ville à l’étroit dans les limites de
son enceinte s’établit au dehors » [ 26 ] ]] -, qu’une petite communauté
familiale composée de la mère, Jeanne, la sœur aînée Marie et un frère Jean
Baptiste, « Baptiste » qui
est en quelque sorte « l'homme de la maison » ; puisque Elie est
« monté » à la Capitale, depuis déjà plusieurs années, et ne s’en
retourne dans sa « chère » CORREZE natale que lors des
« vacances judiciaires » ; puisque Bertrand n’est présent que de
manière intermittente, entre un retour de l’armée à fin de son engagement chez
les Chasseurs d’Afrique en ALGERIE, puis un départ pour les « Chemins de
Fer » en NORMANDIE suivi d’une nouvelle « retraite sans gloire »
depuis le MESNIL-MAUGER, et enfin jusqu’à un mariage laborieux à se conclure
sur UZERCHE…
A Baptiste la
responsabilité de l’essentiel des travaux agricoles et des travaux de
« force », aux femmes sans doute celle des travaux ménagers…
Peut-on imaginer que la
cadette, Françoise, ait eu à ce moment là véritablement son « mot à
dire », en dépit de son « instruction », lorsqu’il s’agissait de
« régenter » la vie quotidienne de la maison ? Le matriarcat semblait
alors dominer…
Lorsque Bertrand a voulu,
sur l’invitation d'Elie, acheter un cheval pour les travaux agricoles, dans sa
lettre de compte rendu en date du 4 Septembre 1856, il écrit : « j’ai fait tout mon possible pour avoir 350 à
400 F mais ma mère n’a pas voulu y mettre plus de trois cents Francs »…
Car Jeanne DUFAURE tient les cordons de la bourse, et les tiendra encore
longtemps, c’est à dire en fait jusqu’à son décès… Or c’est bien par la bourse
que passe le pouvoir effectif de… décision !
Autre exemple de ce
matriarcat, le 20 Janvier 1861, c’est Baptiste qui écrit à Elie : « ma maire ne ma pas acheté aucune espesse
de vetements encorre l'année 1860 »…
Si elle n’a pas son
« mot à dire », Françoise n’a pas non plus toujours son « mot à
écrire »… Tout du moins lorsque Bertrand séjourne à ALLASSAC !!!
L’ancien Brigadier dispose alors semble-t-il du monopole de la plume…
Mais c’est bien à sa sœur
Françoise qu’Elie s’adresse lorsque Bertrand est absent... C’est elle en effet,
de toutes les personnes alors présentes dans la maisonnée, qui est certainement
la plus apte à lire un courrier et à décrypter une pensée « couchée »
dans une correspondance…
C’est donc sa sœur
Françoise, par exemple, qu’Elie « prie
très sérieusement de [ lui ] répondre
le jour même [ qu’elle ] recevra
[ sa ] lettre pour [ le ] fixer au sujet de [ son ] vin » [ 14 Septembre 1859 ]… Une
marque de confiance évidente… et d’estime aussi !!!
Les correspondances
régulièrement entretenues par Elie avec Baptiste ne débuteront véritablement
que vers la fin de l’année 1860, lorsque tant Bertrand que Françoise se seront
mariés et « expatriés » sur les Plateaux un peu au Nord d’ALLASSAC !
Avant cela, les deux plus
lettrés, auront conservé le « monopole » de la rédaction des
correspondances…
Les jours se suivent et
bien souvent se ressemblent à ALLASSAC, dans la monotonie et la banalité du
quotidien…
Le 4 Janvier 1858,
Bertrand écrit : « j’aurai un emploi
quelconque je m’en occuperai sérieusement tandis que parfois le désœuvrement me
conduit au café »… Bertrand reste constamment taraudé par l’incertitude
qui plane sur son avenir professionnel et par ses projets de mariage qui ne
parviennent à conclusion…
Baptiste songe également
lui aussi à un éventuel mariage… L’évaluation des dots potentielles que
réservent tel ou tel parti, qu’il convient d’évaluer et de définir, doit
alimenter largement la conversation familiale le soir à la veillée…
Et, pendant tout cette
période là, Françoise de servir certainement de « référence
féminine » à ses frères : « La jeune
personne est dans le genre de Françoise du mieux, elle a été élevée à BRIVES
(…) mais le fortune n’est pas
considérable » [ Lettre de Bertrand à Elie, datée du 29 Avril 1857 ]…
Le genre de Françoise :
« du mieux » !!!
Des projets de mariage la
concernant commencent ils aussi à être examinés par la famille « pour
elle » ? … On n’en trouve en tout cas nulle trace dans les correspondances
de la fin des années 1850…
Elie se contentait-il,
outre ses ordres, directives ou instructions diverses, de lui adresser
seulement des « pastilles »
? … « Ma chère Françoise, tu
recevras par le courrier de demain ton paquet de pastilles auquel je n’avais
plus pensé, je l’avoue »… [ courrier du 14 Septembre 1859 ]… Des
pastilles qu’il continuera d’adresser encore après le mariage de sa sœur :
« nous avons reçu les pastilles de
Françoise » écrira ainsi Baptiste le 20 Janvier 1861… Ces pastilles
soignaient-elles des maux de gorge fréquents ou d’autres petites misères encore
? … Petites ou grandes misères…
Les Allassacois ont en
effet déjà bien leur lot de soucis… Dans la campagne Limousine, la vie est plus
souvent sévère que réjouissante. On mange tout juste à sa faim et on travaille
dur…
Il y a peu de
distractions dans un morne et monotone quotidien répétitif… Mis à part, bien
sur, des veillées, des fêtes, des mariages ou des baptêmes et quelques autres
loisirs, en nombre limité et qui prennent, de ce fait, toute leur importance !
Les « quilles »
semblent être le jeu de prédilection des Allassacois ! … Même si Bertrand et Baptiste
ne les évoquent jamais dans leurs correspondances… mais il est vrai que
celles-ci sont adressées à Elie et que ses frères doivent sûrement s’évertuer à
le persuader de leur sérieux !!!
Comme les joueurs
« plantent » souvent leurs quilles n’importe où, au risque d’empêcher
le passage d’un attelage ou de blesser des passants en lançant la boule, les
autorités municipales d’ALLASSAC se retrouvent contraintes d’intervenir
officiellement pour rappeler les joueurs à plus de discipline !!!
En 1860, la Mairie
d’ALLASSAC réglemente par Arrêté Municipal les jeux de quilles : « il est défendu de jouer aux quilles
sur les places, rues et grandes routes, excepté dans les lieux désignés par
l’autorité locale » !!! [ 8 ] …
« En thèse
générale », écrira COISSAC à propos du paysan LIMOUSIN, « en dehors
des saisons où le travail l’absorbe à peu près complètement, le dimanche est
jour de délassement et de divertissement. On va au bourg rire et s’amuser,
jouer au bouchon, aux quilles ( aus boulous ), faire une partie de
« bourre », jeu de cartes favori de nos paysans, mais surtout danser
la bruyante bourrée, accompagnée par la musette ou le violon lorsque toutefois
on a pour danser une musique d’accompagnement » [ 13 ] …
[ Au milieu des années
1980, nouvel arrivant en HAUTE-MARNE, j’avais constaté que dans les fêtes
locales des moindres villages ruraux, les « concours de quilles »
constituaient souvent l’attraction majeure, ce qui n’était déjà plus le cas
depuis bien longtemps en CORREZE… Mais depuis lors, cet héritage du passé
semble s’être très largement estompé… dans le BASSIGNY « profond »…
comme ailleurs ! ] …
Par le même Arrêté
Municipal de 1860, la Municipalité d’ALLASSAC disposait aussi au sujet des
baignades dans la VEZERE… « A croire que les Limousins furent les précurseurs
du nudisme » s’exclame malicieusement CLANCIER, car « il est enjoint aux individus qui vont se
baigner à GARAVEL [ sic ! GARAVET ] de
se couvrir d’un caleçon ou d’un vêtement remplissant le même but. Il leur est
défendu de se promener nus, soit à pied, soit à cheval, sur le pont de GARAVEL
et sur le chemin qui conduit au bain des femmes » !!! [ 8 ]
Françoise DUFAURE
allait-elle parfois se rafraîchir au « bain
des femmes » ? Goûtait-elle de temps en temps au plaisir de se baigner
dans la VEZERE ?…
« Quelquefois quand
le temps était beau l’après midi nous allions sur les bords de la GARTEMPE,
dans le pré du Père DUCHE », se souvient Régine DEFORGES, « en ce
temps là, le pré était très beau, bordé du côté de la route par de grands platanes
et sur le bord de la rivière de toute sorte d’arbres et d’arbustes aux branches
desquels je me pendais avant de sauter dans l’eau peu profonde. J’aimais
particulièrement un gros rocher au milieu de la rivière, que des générations
d’enfants avaient poli de leurs jambes nues, lui donnant la force douce d’un
sein de géante. Assise, entourant mes jambes pliées, je restais de longs
moments à me laisser engourdir par le bruit et l’odeur de l’eau »[ 44 ]
[ Pour ma part je me
souviens que c’est à « GARAVET » que je fis mes premières brasses et
que j’eus tout à coup la soudaine révélation – « presque magique » -
que de savoir nager… C’était au cours de l’été 1966, un 31 Juillet, j’avais
tout juste sept ans et, d’un naturel pudique [ ! ], je portais… un slip de
bain !!! et depuis déjà fort longtemps le « bain de GARAVET » était
devenu un « bain mixte » !!! ].
En ce qui la concernait,
l’Impératrice EUGENIE s’adonnait, elle, aux bains… de mer !
En 1854 NAPOLEON III
avait acheté, près du « village » de BIARRITZ, une vingtaine d’hectares
de terrain. Il y avait fait bâtir la « Villa
Eugènie »… Les souverains se rendaient à BIARRITZ dans le train
Impérial qui avait été créé spécialement par la Compagnie « PARIS-ORLEANS »… Si la vie à
BIARRITZ était, paraît-il, assez monotone pour la Cour, [ selon MERIMEE ], les
après midi étaient entièrement consacrés aux… bains… et aux promenades en mer !
[ 50 ]
UNE « FILLE A MARIER »… OU
A LA RECHERCHE DU CONJOINT… IDEAL !
Pour ses frères Françoise
était « du mieux » !!!
Pour la Supérieure de
Sainte-Ursule elle avait « les plus
heureuses dispositions (...) à la
vertu »…
Sans aucun doute
savait-elle « OBEIR »… et
peut être même avait-elle aussi quelques propensions à « SE SOUMETTRE » !!!
La femme idéale pour un
paysan Corrézien ???
« Je la revois encor, si divinement bonne,
Imprégnant tous les cœurs de son charme discret.
Son œil disait : « souris », et sa
lèvre : « pardonne » !
Elle savait aimer, voilà tout son secret
Elle savait aimer, et son bonheur suprême,
Chaque jour, chaque instant, fut de beaucoup donner.
Sa vie était un don : l’offrande d’elle même,
Son esprit et son cœur, tout nous appartenait »
Quels prétendants
sauraient ils être plus lyriques qu’Henri MARTIN [ 1 ] ? Françoise DUFAURE
imprégnait-elle bien des cœurs « de
son charme discret » , tant au sein de sa famille et de son proche
entourage… que parmi la population masculine d’alentours, à la recherche d’un
« bon parti » ?
« Pour moi, la femme idéale, c’est la femme
Corrézienne, celle de l’ancien temps, dure à la peine, qui sert les hommes à
table, ne s’assied jamais avec eux et ne parle pas » déclara, un
certain jour de 1978, un… certain Jacques CHIRAC qui était encore bien loin de
devenir Président de la République… [ 51 ] …
Jacques CHIRAC pouvait
justifier de racines Corréziennes situées sur la Commune de Sainte-FEREOLE,
secteur où se situaient également les racines familiales de ma grand mère
paternelle, née Catherine Léa CHAUZU, le 7 Mai 1903 - soit 70 ans après
Françoise - , au village de LAUBEYRIE… Commune de Sainte-FEREOLE.
Jérôme DUHAMEL, dans son
« Bêtisier du XXème Siècle »,
a fait figurer cette déclaration « Chiraquienne »,
pour le moins machiste et archaïque, sous la rubrique intitulée : « CORREZE », ( ni plus… ni moins
!!! ), où elle compte parmi « l’inépuisable
logorrhée de l’imbécillité humaine »… [ 51 ]
Françoise DUFAURE
correspondait-elle à l’image de la « femme
idéale » ? Pouvait-elle devenir « la femme de la vie » d’un
nommé Auguste Léonard ... DUFOUR ? Pouvait-elle envisager de quitter le
Bas-Pays et de monter « sur le plateau » jusqu’au MONS d’ESTIVAUX… [
Mons, montis ... en latin : la montagne, le mont ] ?
WEBER relève que
« d’une certaine façon les filles
des montagnes avaient toujours souhaité vivre dans la plaine ».
« les chèvres montent et les filles
descendent » dit un proverbe Pyrénéen » [ 10 ]… Une Allassacoise
pouvait elle monter sur le « plateau » sans se sentir devenir un peu
« chèvre » ???
« L’interêt de la
famille [ … Ah ! La question de la dot !!! ] et les idéaux collectifs
déterminaient de façon très nette ce qui ferait un bon mari ou une bonne
épouse », affirme encore WEBER, qui cite nombre de proverbes du terroir
qu’il estime représentatifs de cette conception : « Si tu te maries prend un râteau [
employé pour entasser le foin… ] et non
une fourche [ employée pour l’étaler… ] », « La beauté ne se mange pas à la cuiller », « Il n’y a si belle chaussure qu’elle ne
devienne savate », « A
laide chatte beaux minous », « Battre sa femme c’est battre sa bourse »… [ 10 ].
L’intérêt mutuel des
conjoints allait très rarement au delà de l’interêt tout court…
Et si violence latente,
brutalité, exploitation mutuelle et indifférence formaient une bonne part de la
vie domestique - et de la vie du village aussi - dans la famille les repas
étaient souvent brefs et silencieux et offraient peu d’occasions de
communiquer… Ainsi la femme Corrézienne pouvait-elle, « naturellement », rester debout et
se taire !!!
Le conjoint, la
conjointe, les enfants et les proches n’étaient en fait pas une compagnie, ni
des compagnons, mais des aides !!!
Les hommes étaient
condamnés au travaux, les femmes vouées à la reproduction et traitées comme des
bêtes de somme [ 10 ]… Une réalité plutôt « sordide », éloignée de
bien des « embellies » romanesques !!!
Chez les DUFAURE, à la
fin des années 1850, tous les enfants - survivants - sont encore célibataires !
Et la plus jeune, Françoise, à tout de même atteint, déjà, l’âge de vingt-sept
ans !
« Mariez votre fils quand vous voulez, votre
fille quand vous pouvez » dit un proverbe rural !!! … Encore
fallait-il pouvoir accrocher un « bon parti », ne pas faire faire à
sa famille une mésalliance ou supposée telle, et surtout ne pas saigner le
patrimoine familial mais plutôt l’accroître dans toute la mesure du possible
!!!
Des démographes se sont
penchés attentivement sur le paysage matrimonial au XIXème Siècle… De leur
étude il ressort que sur la période qui nous intéresse plus particulièrement -
1860 - l’âge moyen des femmes au premier mariage était de 25,4 ans en milieu
urbain et de 25,3 ans en milieu rural [ 23 ] …
« Les hommes ne se
marient pas avec des femmes d’une génération précédente donnée mais recherchent
leurs épouses dans une certaine tranche d’âge, allant de quinze à trente-deux
ans environ, avec préférence donnée aux plus jeunes. Lorsqu’ils vieillissent,
ils continuent à rechercher des femmes jeunes et ne reportent guère leur choix
sur des femmes plus âgées… Ainsi la partie est donc difficile pour les
femmes » [ 23 ], celles qui sont « les filles célibataires et les
veuves qui ont entre 15 et 49 ans » et qui ont la qualité de « femmes
mariables »… [ 17 ]
Les avis des démographes
sont partagés sur le fait de savoir si l’instruction pouvait donner ou non la
possibilité de rompre avec la culture traditionnelle et donc de permettre à une
femme de se marier plus ou moins jeune… L’anglais LEHNING avait observé une
corrélation négative entre l’instruction féminine et la proportion de femmes
mariées dans le groupe 20-29 ans qu’il expliquait par la mainmise de l’église
catholique sur les établissements scolaires féminins ! [ 23 ]… Cette question
reste semble-t-il entièrement à débattre !!! …
Constatons simplement que
Marie DUFAURE n’a pas « d’instruction », elle est âgée de
trente-quatre ans en 1860… et que pourtant elle va finalement rester
célibataire toute sa vie, alors que Françoise DUFAURE, instruite quant à elle,
ne va pas tarder à se marier… ( mais très sensiblement au delà de l'âge de
vingt-cinq ans ) …
Selon Gérard FAYOLLE, en
PERIGORD, pendant la première moitié du XIXème Siècle, « on se marie
beaucoup… Les hommes entre vingt cinq et trente cinq ans, les femmes entre
quatorze et vingt cinq ans » [ 18 ]…
CORBIN estime qu’entre
1845 et 1880, période qu’il étudie plus particulièrement, en CORREZE « la
nuptialité se maintient à un haut niveau comparée à la moyenne Française »
et il l’explique par « des mariages plus précoces » que sur le reste
du territoire [ 31 ans pour les hommes et 26 ans pour les femmes, en moyenne ]
[ 17 ]…
A PROPOS DES CORRESPONDANCES DE FRANCOISE AU PRINTEMPS 1860…
Il nous reste trois
courriers adressés par Françoise à Elie, en date des 21 Avril, 2 Mai et 10 Mai
1860 et qui demeurent les seules traces tangibles, aujourd’hui, d’une
correspondance régulière et suivie qui se serait établie entre la cadette et
l’aîné…
Ces correspondances
commencent toutes par la formule « Mon
cher Elie » et s’achèvent par « adieu mon cher Elie, je t’aime et t’embrasse [ « de cœur » ou « de grand cœur »] et suis toujours ta dévouée sœur »…
Une formule
« rituelle » en dépit de menues variantes sur la « manière
d'embrasser »… « Ta dévouée
sœur », certes la formule est classique pour l’époque mais à bien
l’examiner on peut y déceler aussi une forme de soumission sinon consentie
sciemment, du moins assumée expressément par Françoise...
En cette période du mois
d’Avril 1860, Bertrand est en passe de conclure son projet de mariage
« sur » UZERCHE… Ses relations avec son aîné, Elie, se sont
particulièrement dégradées à ce propos… L’aîné étant hostile au projet !
Et c’est pour cela, certainement, que Françoise tient la plume et non BERTY…
« Ma mère ma chargé [ sic ! ] de t’écrire pour te prier d’envoyer 300 F à
Berty comme il te les a demandés pour pouvoir faire honneur à ses affaires
(…) ma mère désire donc ainsi que nous
que tu les lui envoie, nous t’en seront très reconnaissantes »….
Françoise se fait donc « officiellement » la porte-parole de sa mère
mais semble en même temps adhérer à ses volontés et elle le laisse clairement
transparaître !!! Les « femmes » auraient-elles choisi leur
camp !
Ainsi seul Elie resterait
opposé au principe du mariage de Bertrand « dans la famille » JUGE !
[ car alors « on épousait une famille, non une femme ou un homme. Comme
l’exprime bien le parler paysan on se mariait « dans une famille » et c’étaient aussi les familles qu’on
mariait » écrit Eugen WEBER [ 10 ] ].
Le 2 Mai 1860, Elie n’a
toujours pas donné suite à la requête pressante de sa famille Allassacoise… Il
tient tête aux femmes, tel un « nouveau » pater familias
DUFAURE !
« Ma mère est très étonné [ sic ] de n’avoir pas reçu une lettre de toi »…
Françoise met, une fois
de plus, sa mère en avant, pour ensuite affirmer au sujet des fonds réclamés
pour Bertrand : « on les
attends avec impatience »… Et sa position personnelle me semble
transparaître clairement à nouveau !
Et même Françoise d’oser
adopter un ton beaucoup plus comminatoire qu’à son habitude : « Veille donc à les lui envoyer sans
retard » !!!
Maître DUFAURE ne doit
être guère habitué à recevoir de telles « injonctions », même si
celle-ci est toujours empreinte d’une courtoisie évidente même, tout en étant
plus « insolente » qu’à l’accoutumée…
Cette injonction est tout
de même modérée par la suite du propos : « la dessus je te remercie beaucoup des pastilles que tu m’as envoyées,
[ … encore les fameuses pastilles ! Opportunément évoquées ici pour « faire passer la pilule » un peu
amère à l’aîné ? ], ainsi que des offres
que tu m’as faites »… Tiens, des offres ?
Des « offres » ? Des offres de quelle
nature ? Des propositions de « constitution de dot » et de
concessions patrimoniales ? C’est très possible tant la question du mariage est
« à l’ordre du jour » dans la famille DUFAURE à ce moment là !!!
« Quand [ sic ! ] à l’affaire dont je t’avais parlé personne ne m’en a rien plus dit.
Cependant Baptiste a été à VIGEOIS pour acheter une vache et Mme VAYNE lui a
dit de me dire d’aller la voire si j’y allais je voudrais ne faire qu’une
visite comme je t’ai déjà dit et revenir »… L’affaire ? Une
affaire ?
Madame VAYNE est-elle une
« marieuse » ? L’une de ces
personnes tierces capable de servir d’intermédiaire particulière entre deux
familles pour des négociations d’approche, avant les « accordailles »
entre la famille DUFAURE et la famille… DUFOUR, par exemple… ???
Si Françoise DUFAURE
envisage d’aller chez Madame VAYNE, il lui faudra pour cela
« s’habiller » et cela a un coût ! C’était le cas pour Berty, mais
c’est vrai aussi pour sa sœur…
Il faut pouvoir « faire honneur à ses affaires » !!!
« J’ai dit à ma mère d’envoyer
Baptiste chercher un pain de sucre [ pour chaptaliser du vin ? ] elle m’a répondu que le peu d’argent qu’elle
avait lui fesait besoin pour payer les journées [ à des aides journaliers
ponctuels ? ] puis il faudrait m’habiller
complettement [ sic ! ] et en ne
sortant pas puis m’en passer » !!!
Jeanne DUFAURE tient
encore ferme les cordons de la maigre bourse Allassacoise !!!
Elle adopte par
philosophie, ( ou plus sûrement par… nécessité ! ), une doctrine
économique de type Malthusien !!! [[ MALTHUS est mort en 1834, l’année
suivant la naissance de Françoise... ]].
Ces réactions traduisent
aussi la triste vérification du principe : « Mariez votre fille quand vous pouvez » ! … Et Jeanne DUFAURE ne
doit pas penser avoir vraiment les moyens financiers de faire face à ces
mariages qui se dessinent !
Françoise de
poursuivre : « si tu veux tu
peux écrire a M. VAYNE tu verras ce qu’il t’en dit si non laisse y faire, il
n’arrivera que ce que le Bon Dieu voudra, je ne tiens pas plus à cela qu’à
lieux et à lieux que là, si j’y tiens c’est que cela te convient, à ma mère et
toi et à mes frères et sœurs, car tu sais que la fortune ne me fera jamais
agir, cependant si Dieu le veut moi aussi je ne demande qu’une chose, c’est de
faire sa volonté » [ 2 Mai 1860 ]…
Il me semble que
l’essentiel du caractère et de la philosophie personnelle de Françoise DUFAURE,
alors qu’elle est jeune femme célibataire, tient en ces quelques lignes… Il
n’est point besoin de gloser indéfiniment pour relever un caractère plutôt
souple et réfléchi – mais un « caractère » tout de même - empreint de
beaucoup de fatalisme et d’une certaine confiance en la providence…
Ce caractère était-il
« inné ou acquis » ?
Sœur Stanislas dans sa
correspondance présentait déjà des traits similaires quant au
« fatalisme » et quant à la « confiance en la providence »…
Le « passage »
de Françoise chez les Ursulines à BRIVE avait-il forgé particulièrement son
mental ou ces traits de caractère étaient-ils inscrits dans sa personnalité dès
l’origine ? « Il n’arrivera que ce
que le Bon Dieu voudra », « Si
Dieu le veut (...) je ne demande
qu’une chose, c’est de faire sa volonté »…
Piété sincère ?
Simplicité naïve ? Henri MARTIN de versifier sur sa grand mère :
« Elle allait, trottinant, le matin à la
messe,
Elle savait prier simplement le Bon Dieu,
Lui confiant « nos » pleurs, « nos » chagrins, « nos » tristesses,
Et lui disant : « Seigneur, faites qu’ILS soient heureux » !
[ 1 ]
« Je ne tiens pas plus à cela qu’à des lieux
et des lieux que là » : une indifférence affichée par Françoise ? Ou
une allusion inconsciente par les « lieues » évoquées au
« caractère de distance géographique » de l’union envisagée pour elle
?
Entre 1863 et 1870, c’est
60,8 % des jeunes Voutezacoises qui épousèrent un jeune… Voutezacois [ 22 ] !!!
On se marie « chez soi », pas « à l’étranger »… qui ne se
situe pas plus loin bien souvent que le… clocher suivant !!!
Le 10 Mai 1860 le
contexte général n’a guère évolué au sein de la famille DUFAURE ! ... « Ma mère m’a chargé de t’écrire pour te prier
d’envoyer à Berty les 1.000 F », débute encore Françoise dans un
nouveau courrier, mettant à nouveau sa mère en avant, mais témoignant du
sentiment général : « nous désirerions
tous qu’il fit ce mariage » ! [ Même si ce serait à UZERCHE… bien
loin ! A l’étranger presque ! ]
Dès après Françoise n’en
vient-elle pas à évoquer le sien ? « J’ai
la douce confiance que le Bon Dieu et sa Ste Mère répandront sur nous leur
bénédiction et que tout se terminera le plus tôt possible et de la manière que
je le désire » [ « Elle savait prier simplement le Bon
Dieu » ! ]… Tout de suite elle enchaîne sur Madame VAYNE et sur un
projet de mariage pour Baptiste [ projet qui n’aboutira pas… ]… mais également
sur le sien peut-être : « Mme
VAYNE est venu le 3 de ce mois elle n’a pas pu assez me recommandé d’aller la
voir, elle m’a dit qu’elle ne me voulait pas pour un jour mais pour plusieurs
elle m’a témoigné la plus vive affection du reste elle a toujours été très
bonne pour moi des qu’elle m’a connue elle m’a reparlait de Melle LAVERGNE pour
baptiste dont elle t’avait parlé l’année dernière elle m’a dit que cela te
convenait beaucoup et que si ça convenait à Baptiste qu’elle croyait que cela pourrait
se faire »… [ Pourtant si des « choses » se feront peut-être
par la suite avec Melle LAVERGNE, ce sera… sans Baptiste !!! ]…
[ Je relève dans les
correspondances de Françoise des Limousinismes ou impropriétés : « personne ne m’en a rien plus dit »
ou « si non laisse y faire »,
et quelques fautes d'orthographes ou grammaticales en particulier sur l’accord
du participe passé avec le verbe « avoir » ! Les Ursulines
auraient-elles failli quelque peu à leur mission d’enseignement de la langue
Française « académique » ? ]
L’EPOUSE DE « MONSIEUR » DUFOUR, du
MONS d’ESTIVAUX .
Sont-ce les arguments et
les manœuvres « négociatoires » de Madame ( et de Monsieur ? ) VAYNE
qui ont été déterminantes entre les familles DUFAURE et DUFOUR pour les
« accordailles » ? … Ou d’autres voies, d’autres voix et d’autres
intermédiaires ont-ils été mis en œuvre ? … Je ne dispose pas de la
réponse !
Toujours est-il que
Françoise DUFAURE va devenir Françoise DUFOUR dans le courant de l’année 1860…
C’est peu après que son
premier né, un fils qui se prénommera Elie, naîtra dans le courant de l’année
1861…
Ainsi s’établira le lien qui unira désormais nos
familles… DUFAURE / DUFOUR, et qui nous relie généalogiquement à Maître Elie DUFAURE...
« Si j’y tiens c’est que cela te convient, a
ma mère et toi » écrit Françoise… Ce parti « DUFOUR » convenait-il bien à Maître DUFAURE ? Très
probablement !!!
L’avocat se souvenait
certainement avoir écrit dans sa « Notice… »
quelques années auparavant, à propos du Cardinal DUBOIS : « qu’il fut
déclaré fils de Jean DUBOIS, docteur en médecine, et de Marie de JOYET de
CHAUMONT (…). LEYMONERIE, dans son Histoire de BRIVE, p.197, affirme qu’il
était médecin. Cette affirmation, donné par un homme qui avait entendu les
contemporains du Cardinal, est justifiée par grand nombre d’actes publics,
notamment par le suivant, reçu par Maître LASTEYRIE, Notaire à ALLASSAC, le 28
Décembre 1652 : « comme soit ainsi que haut et puissant Seigneur noble
Jean de Saint-VIANCE, Seigneur Baron dudit lieu, de La BASTIDE et Vicomte
d'OBJAT et autres places, dès le 28 Décembre 1652, aye affiermé à M. Jehan
DUBOYS, Docteur en Médecine, autre Jehan DUBOYS habitant de la ville de BRIVE,
et à M. Guilhaume DUFOUR, Notaire Royal,
du village du MOND, Paroisse d’ESTIVAUX, et à Pierre DUBOYS maître
apothicaire de la ville d'ALLASSAC et M. Pierre AGUIRE, Juge de ROFFIGNAC et
aussi habitant dudit ALLASSAC, seavoir, etc. » Suit l'énumération des
droits seigneuriaux affermés moyennant la somme totale de 9.000 Fr sur diverses
communes, dans lesquelles était comprise celle d'ALLASSAC »…
Si Maître DUFAURE avait
souligné typographiquement la présence de Jehan DUBOYS et de Pierre DUBOYS dans
cet acte, je souligne pour ma part celle de : « M. Guilhaume DUFOUR, Notaire Royal, du village du MOND, Paroisse
d’ESTIVAUX ».
Elie DUFAURE n’avait pas
pu ne pas se remémorer ce point particulier de ses recherches lorsqu’il s’était
agi de consentir au moins moralement à unir la destinée de sa sœur avec un
Monsieur… DUFOUR, du MONS d’ESTIVAUX !
Si un autre DUFOUR, du
MONS, Pierre, était devenu Procureur du Roi dans l’immédiat après 1789, Auguste
Léonard DUFOUR, le futur conjoint de Françoise, qui nous intéresse ici plus
particulièrement, est déjà, ou est sur le point de devenir, Maire de sa Commune
d’ESTIVAUX, c’est à dire qu’il jouit de notoriété et de considération auprès de
ses concitoyens… Il est vrai que les « élites rurales » ne se
renouvellent guère…
A ALLASSAC, Mathieu
ALEGRE est Maire depuis le mois de Septembre 1837 et le demeurera jusqu’en
Octobre 1870 [ 2 ] et à DONZENAC, de 1855 à 1870, c’est Joachim JUGE qui sera
le « premier magistrat » local [ 26 ]…
Issu d’une famille
« dominante » à la respectabilité établie « Monsieur DUFOUR » ne pouvait que convenir en tant qu’époux…
Sans doute était-il déjà relativement âgé - vraisemblablement trentenaire - au
moment du mariage…
Est-ce lui déjà qui
achetait du vin des DUFAURE ? Ou son père ? Ou encore un proche de sa parentèle
lorsque Pierre DUFAURE dans son carnet de comptes consignait : « le 27 7bre [ 1850 ] jen ai vendu une charge a mr DUFOUR dél Mon (...) » ?…
En tout cas Auguste
DUFOUR jouira d’un grand respect de la part de ses beaux-frères DUFAURE ...
Lorsqu’il parle d’Auguste
DUFOUR, dans une correspondance adressée à Elie en date du 28 Avril 1861, Baptiste
parle de « Monsieur DUFOUR »…
« Monsieur DUFOUR je ne sais pas
s’il a achetté les essalats » ...
Elie DUFAURE tient le
« dossier de mon beau frère DUFOUR »
et chacun sait que ce sont « les bons comptes qui font - en principe - les
bons amis » !
Quant à celle qui est
devenu l’épouse de « Monsieur » DUFOUR, Françoise, elle parle à ses
frères de « Auguste », et
elle nomme donc son conjoint par son prénom en un terme moins neutre que
« mon mari » ou « mon époux » dans son courrier du 18
Décembre 1863… Ce détail – l’emploi familier du prénom - me paraît pouvoir
témoigner a priori d’une bonne
entente entre les conjoints DUFOUR...
UNE UNION HARMONIEUSE ? OU L’EPOUSE, L’EMPOISONNEUSE ET LA…
PUTAIN !
« CORREZE que j’aime : désolée et frileuse, fondue
dans ses gris... » [ 3 ]… Il s’agit là d’une notation
« automnale » de Denis TILLINAC, rappelant opportunément qu’en dépit
de sa beauté et de sa verdure la CORREZE peut aussi faire naître le « spleen » dans bien des
tempéraments…
De par son mariage,
l’enfant du Bas-Pays Corrézien, d’ALLASSAC, « la clef du Riant Portail du Midi », Françoise DUFOUR, va être
obligée de s’adapter désormais à un climat et à des paysages sensiblement plus
« rudes » - qui sont ceux d’ESTIVAUX, déjà sur contrefort du plateau
Corrézien - que ceux qu’elle connaissait dans sa contrée natale, qui par bien
des aspects présente déjà un caractère « pré – Aquitain » ! Mais
d’ALLASSAC au MONS d’ESTIVAUX, en dépit d’un fort dénivelé, il n’y pourtant que
quelques kilomètres ! L’éloignement, « à des lieues et des lieues »,
restera donc finalement pour Françoise tout relatif…
Le choc du dépaysement
fut bien plus grand pour la jeune Parisienne Marie CAPELLE une vingtaine
d’années auparavant à peine…
Marie CAPELLE avait
épousé Charles POUCH LAFARGE, maître de forges établi au GLANDIER, et qui était
aussi le Maire de la Commune Corrézienne dont dépendait son
« château » [ 8 ]. Charles POUCH LAFARGE avait décrit à sa future
cette bâtisse, son « château »,
comme « une agréable demeure dont
les ardoises bleues se perdent dans le bleu du ciel et dont les terrasses
blanches descendent sur un jardin aux carrés symétriques, aux bordures de buis,
aux jets d’eau rococo ... » [ 52 ].
Las Marie LAFARGE, jeune
mariée, n’avait découvert en fait, au bout d’un « sentier plein d’ornières », qu’une « grosse maison grise, fortement délabrée » dont les « murs se lézardaient » et « les toits d’ardoises montraient
quelques manques (…). Quant au
jardin, c’était une friche où les herbes folles s’en donnaient à cœur joie.
L’endroit, cerné d'immenses sapins noirs, était sinistre, la maison lugubre,
suintant l’humidité, la négligence presque la misère » [ 52 ]… Laure
ADLER se fait plus précise dans la description d’un tableau désolant… Marie
« arrive au « château » du
GLANDIER sous une pluie battante. Ce qu’elle découvre ? Une longue route
froide, noire et humide à la place de l’allée de peupliers ; un manoir à
moitié en ruine avec un toit délabré à la place du « château » aux
douces ardoises bleues ; un petit escalier aux marches de pierres brutes à
la place du perron sculpté, orné de fleurs… D’autres surprises attendent encore
Marie… L’intérieur de la vieille bâtisse est sale, quasi à l’abandon. Peu de
meubles et en mauvais état, des murs suintant l’humidité, des tentures
défraîchies… Dans toutes les pièces, la tristesse, l’ennui, le mauvais goût »
[ 53 ]…
Pour Françoise, la grande
maison familiale DUFOUR, au MONS, présentait, elle, au moins un avantage
évident par rapport à l’ancienne Chartreuse du GLANDIER : celui d’être
située sur une éminence d’où le regard pouvait se perdre loin vers la ligne
d’horizon et non buter immanquablement au fond d’un vallon humide et froid !
Françoise DUFOUR [ rurale
et ancienne pensionnaire ] avait aussi l’avantage extrême par rapport à Marie
LAFARGE de ne pas être « une
mauviette de PARIS pour oser se plaindre du froid, de la pluie, des feux trop
chiches, des vitres cassées » [ 8 ]…
Françoise, contrairement
à Marie, ne se plaignait pas non plus « de la toilette des dames qu’elle
jugeait démodée et ridicule, de la conversation des hommes qui ne savaient que
parler entre eux de la récolte de leurs terres ou de leurs affaires » [ 8
]…
Autre avantage encore
pour Françoise que celui de comprendre et de savoir parler le patois local… au
contraire de Marie…
Cette CORREZE « désolée et frileuse, fondue dans ses gris »,
que ne pouvait supporter ni aimer Marie CAPELLE LAFARGE, Françoise y était plus
accoutumée !!!
Françoise DUFOUR se
trouvait donc bien mieux « armée » et beaucoup plus à même de supporter
de vivre « une vie » au MONS que Marie LAFARGE ne l’était en se
retrouvant isolée au GLANDIER… « Le
château est une masure, les jardins sont des marécages, la chambre conjugale
est hideuse – un vrai cauchemar -, la belle-mère est revêche et le mari est
laid et vulgaire » [ 53 ]…
Sans doute est-il plus
facile aussi de vivre avec Auguste DUFOUR qu’avec Charles Joseph POUCH LAFARGE
! Ce n’était « pas une brute, mais un propriétaire habitué à voir ses
métayers, ouvriers et domestiques se soumettre sans discuter à tous ses désirs
(…). Il n’hésitait pas à traiter [ Marie ] de « bégueule » devant ses
gens et se moquait de ses « nerfs » (…). Le 15 Août 1839, Marie écrit
à son époux pour lui proposer une séparation à l’amiable : sa liberté contre
tous ses biens. Des cris et des menaces constituèrent l’essentiel de l'accusé
de réception » [ 54 ]…
Le Procureur Général de
la Cour Royale de LIMOGES, DUMONT SAINT-PRIEST, écrira dans l’acte d’accusation
du « Procès de Madame LAFARGE » à propos de la victime : « doué
de qualités attachantes, susceptible de sentiments tendres et généreux, il
était aimé de tous ceux qui l’entouraient. Marié une première fois il avait eu
la douleur de perdre sa femme. Jeune encore il sentit le besoin de chercher de
nouvelles et douces affections. Il désirait aussi trouver dans la dot d’une
deuxième épouse les moyens de donner à son industrie plus de développement et
plus d’activité » [ 55 ]…
On prête souvent bien des
qualités « posthumes » aux victimes !!! Mais Marie LAFARGE avait-elle
fait la même analyse que le Procureur ? « Ma première impression ne fut
pas favorable. Je trouvai M. LAFARGE bien laid. C’était la figure et la taille
la plus industrielle : il me parla longtemps mais ses paroles se perdirent
dans les bruyantes harmonies du concert ; et en m’endormant le soir je fus
bercée par le tourbillon des mélodies germaniques et fort oublieuse de la
grande entrevue »…
Ce sont les seuls
souvenirs de la « première entrevue » de Marie avec son
« futur », au concert de la Rue Vivienne[ 53 ]
En matière de maîtrise de
la « psychologie masculine » Françoise a également l’avantage sur
Marie d’avoir de nombreux frères - trois ! - tous plus âgés qu’elle… et
non d’être une orpheline de père et mère, isolée de son noyau familial d’origine…
Elie, son frère aîné, a
neuf ans de plus que Françoise… Peut être est-il de la même génération
qu’Auguste Léonard DUFOUR et il peut donc servir de « référence » à
Françoise… qui se retrouve sans doute moins désarçonnée que ne l’est Marie
entamant une vie conjugale face à un homme qui a cinq-six ans de plus qu’elle (
écart d’âge qui sépare Charles LAFARGE de Marie CAPELLE ) et qui est aussi un
homme qui a déjà été marié une première fois…
L’on sait que Charles
POUCH LAFARGE désirait « trouver dans la dot d’une deuxième épouse les
moyens de donner à son industrie plus de développement et plus
d’activité »… Une mariage d’affaire et de raison…
« Vivre une relation
forte avec un homme sur le plan émotionnel tout en sachant que cette relation
sert des intérêts économiques n’est pas facile à gérer. Mais l’amour est-il si
gratuit ? Si éthéré ? Ne remplit-il pas souvent un manque ? Ne correspond-il
pas souvent à une opportunité ? Telle jeune fille ne s’accommode-t-elle pas
d’autant plus à un premier amour qu’elle veut quitter une famille qui l’étouffe
? Qui n’est pas tombé amoureux un jour par solitude ? (…) Comme tout être
humain j’avais le poids de mon passé et je devais faire face aux exigences du
présent »… [ 56 ]
Ces quelques réflexions
sont-elles transposables dans le temps ? En effectuant une remontée d’un siècle
et demi en arrière ?
J’en viens donc à méditer
quelques instants sur ces dernières lignes… qui sont extraites du livre d’une…
« fille »… une enfant du
Causse Sarladais… qui a nom Christine DEVIERS-JONCOUR…
Oui ! Celle qui s’est
« autoproclamée » « la
Putain de la République » ! Celle qui en vient presque à se
revendiquer comme telle !!! Christine DEVIERS-JONCOUR, la maîtresse d’un…
Avocat, mais surtout ex-Ministre et ex-Président du Conseil Constitutionnel,
Roland DUMAS aux racines Limousines avérées, qui fut candidat à des Elections
Législatives dans la Circonscription de BRIVE, et qui s’est retrouvé au cœur de
l’un des « scandales » politico-financier les plus retentissants de
la Cinquième République … défrayant la chronique… comme jadis l’Affaire
LAFARGE !
« Fine, brune avec des yeux de feu, un teint
de lait, d’admirables cheveux d’un noir de jais et une tournure des plus
agréables faisant oublier un nez un peu pointu et des lèvres légèrement trop
minces. Fort instruite, de surcroît pourvue d’un esprit brillant, d’une
parfaite éducation et d’une dot non négligeable ( qui s’élevait à cent mille
Francs « or » ), la jeune fille avait cependant vu s’éloigner d’elle
tous ceux qui s’en étaient approchés attirés par son extérieur séduisant. Cela
tenait à une certaine liberté d’allure et de langage, à la tournure
singulièrement acérée de son esprit et aussi au fait qu’elle avait élevé le
mensonge à la hauteur d’une institution. C’était
une mythomane née qui vivait en rêve bien plus que dans la réalité et qui
finissait par croire à ses contes. Chez elle le mensonge devenait un art subtil
; elle mentait avec art, avec délectation. On peut même dire avec une sorte de
dilettantisme » !!! [ 52 ]. Christine DEVIERS JONCOUR ??? Non !!!
un portrait de… Marie LAFARGE!!!
Ce portrait pourrait-il
être transposé d’un siècle à l'autre ? « D’une mythomane,
l’autre » ??? … Sans doute… Et sans trop de difficultés !!!
RUDESSE DE LA CONDITION FEMININE
LIMOUSINE AU DIX-NEUVIEME SIECLE…
« Le Père GORSE a
consacré un chapitre terrible, dans « Au
Bas-pays de LIMOSIN », en 1913, sur l’esclavage des femmes après leur
mariage », écrit WEBER, « elles n’en ont jamais fini avec leurs besounhas ( mot qui signifie à la fois
peine et labeur ), ne s’arrêtent jamais, sans parler des soupçons hostiles que
les hommes manifestent à leur égard. Le point de vue de l’église selon lequel
les femmes étaient des sources de péché et de tentation demeurait solidement
établi. Les femmes mangeaient debout,
servaient les hommes et finissaient leur repas plus tard avec ce qui restait.
La chose pourrait être d’ordre purement pratique mais des témoignages suggèrent
qu’il s’agissait d’un symbole de plus de la toute puissante division des sexes
après le mariage » [ 10 ]
Dans l’ordre des biens
les femmes ne comptaient d’ailleurs guère… Le paysan Limousin demandait à Dieu
et aux Saints de sauver les châtaignes, les navets et le bétail, et en dernier
lieu : les femmes ! … « Pregatz per
nous nostre Seinhour qu’il veuilla gardar nostras castanhas, nostras rabas,
nostra femma »… L’épouse, dès « le lendemain de son mariage
débute une vie qui est bien celle d’une esclave » [ 13 ]…
« La condition
féminine restait dure. L’école pour les filles paraissait moins nécessaire que
pour les garçons, sinon pour qu’elles puissent assimiler quelques éléments de
catéchisme. La petite fille était donc le plus souvent illettrée ou presque. Si
les parents étaient fermiers ou métayers, elle était souvent placée très tôt
comme bergère ou servante. A la maison, elle était soumise à l’autorité du père
de famille [ … ou du frère aîné !!! ], ou si elle était placée, à celle du
maître. Une fois mariée, la femme devait travailler dur ; une complainte
Corrézienne le rappelle :
« Madame la mariée, vous n’irez plus au bal
Vous garderez la maison
Pendant que les autres iront,
Vous garderez le poupon… » [ 11 ]
« Restant sous les
ordres de sa mère ou passant sous l’autorité de sa belle-mère, avant de devenir
elle-même la maîtresse de la maison, il lui fallait élever les enfants,
s’occuper de la cuisine, des soins du ménage, du jardin et de la volaille,
aider aux travaux de la fenaison et de la moisson. Elle ne sortait presque
jamais de la maison, sinon pour accompagner parfois son mari à la foire. Elle
vivait sous l’autorité de son mari, le servait à table sans s’asseoir elle
même. Les grossesses successives et la longueur de la journée de travail la
vieillissaient avant l’âge. A porter les
deuils des membres même éloignés de la famille, elle finissait par s’habiller
toujours en noir [ ! ] et abdiquait très tôt toute coquetterie »
[ 11 ]…
« Ne noircissons
cependant pas le tableau » en vient à conclure Claude LATTA, « la
condition des femmes dépendait de l’équilibre du couple, du caractère de
chacun. Beaucoup furent de maîtresses
femmes régnant sur leur maisonnée » ! [ 11 ]
Dans quelle typologie
particulière s’inscrivait l’union matrimoniale d’Auguste DUFOUR et de Françoise
DUFAURE ? Mariage d’intérêt, Mariage d’Amour, Mariage de Raison non dénué de
quelques sentiments et de tendresse, domination de l’un ou respect mutuel ? …
Nous ne saurons vraisemblablement jamais ce qui était dans le secret des cœurs
et des consciences !!!
Sur les sentiments
qu’eurent l’un pour l’autre « Auguste
et Françoise » nous n’avons que quelques maigres indices mais je vois
comme un signe positif le fait que Françoise nomme par son prénom son conjoint
lorsqu’elle l’évoque dans son courrier, et aussi quand il m’apparaît qu’Auguste
DUFOUR semble entretenir de très bonnes relations réciproques avec ses
beaux-frères et leur rendre moult service… A propos de blé, Françoise écrit à
Elie : « Auguste me charge de te
dire qu’il ne demande pas mieux que de te le céder »… A propos d’un
projet de mariage de Baptiste elle écrit : « Auguste m’a dit que Baptiste revenait chez FANTOU je crois qu’il finira
par si [ sic ! ] laisser prendre »…
A propos d'affaires : « tu trouveras
le billet joint à la lettre montant de la valeur que tu as renvoyé à Auguste »…
Et Auguste de rendre service : « nous
avons achetté trois mille échallas que mon beaux-frère nous a aider conduire
pour 4 de ses sarètes » écrira Baptiste à Elie, le 14 Juin 1863…
N’est-ce pas du côté de
BELLAC, aux lisières du POITOU et du LIMOUSIN, que l’on chantait jadis :
« Quand
on est maridé
On fait triste ménage
Et du soir au matin
On a bu du chagrin » ? [ 8 ]
N’est-ce pas La FONTAINE,
Limousin par sa mère et qui trouvait qu’à LIMOGES « les femmes [ ont ] de
la blancheur », qui versifiait :
« La
dispute est d’un grand secours
Sans elle on dormirait toujours » ?
[ 13 ]
Rien ne démontre que
l’affirmation « quand on est maridé,
on fait triste ménage… » se soit vérifiée, au MONS d’ESTIVAUX, entre
les époux DUFOUR… Tout au contraire ! Je n’ai donc pas le sentiment que
« ces deux là » se soient « empoisonnés »
la vie !!!
Et peut être y avait-il
moins de rats à éradiquer au MONS qu’au GLANDIER!!!
FAMILLE NOMBREUSE : « RICHESSE DU LABOUREUR, MISERE DE LA MERE… »
Françoise DUFOUR
aurait-elle eu une certaine propension à la mélancolie et au « spleen » au MONS, « localité habillée de gris, ourlée de verdure »,
où les ancêtres de son mari avaient « campé
longuement sur ce plateau de schiste et de fougères », et d’où elle
pouvait apercevoir « à l’horizon des
vaches rousses sur un pré et le ciel rose pâle derrière », [ pour
paraphraser TILLINAC [ 3 ] ]… que plusieurs maternités successives auront
constitué certainement pour elle le plus puissant des dérivatifs…
« L’enfant naissait
naturellement dans la maison familiale… D’abord ficelé dans un berceau à bascule
souvent sur une table porte-berceau, l’enfant était allaité par sa mère
longtemps : le sevrage complet intervenait souvent après dix-huit
mois » [ 11 ] … Et pouvait venir ensuite le suivant…
Françoise sera
successivement mère des prénommés : Elie,
Gabriel, Joseph, et Henri DUFOUR,
soit mère de « quatre garçons [ dans le vent ! ] » nés au
cours des années … « soixante »
!!!
N’avoir que des filles
aurait constitué à l’époque, si l’on en croit WEBER , une
« calamité » pour un paysan Limousin [ … et ce même pour Auguste
DUFOUR ? ] : « Une fille, pas de
filles. Deux filles, assez de filles. Trois filles, trop de filles. Quatre
filles et la mère Cinq diables contre le père » [ 10 ]…
Alors que dire de « Cinq diables contre la mère » chez
les DUFOUR ??? !!!
« Les enfants, et
particulièrement les garçons bien entendu, constituaient une source de gains et
d’économies. Ils étaient « la
Richesse du Laboureur » affirme encore Eugen WEBER [ 10 ]…
Sur le même registre,
Marcelle DELPASTRE se souvient qu’en LIMOUSIN on chantait :
« Trois châtaignes dans une bogue
Voici la bonne année !
Quatre filles dans la maison
Et la voilà la ruinée ! »
« On disait aussi
que trois filles et la mère, c’est le diable après le père. Bien sûr. Cela
arrive. Mais on pensait, surtout les gens, à des choses qu’il faut comprendre.
Pour nourrir fils ou fille, cela ne coûte guère ni plus ni moins de pain. Mais
l’âge venu les garçons vont courir et vivre leur vie de garçon sans grande
conséquence. Les filles, au contraire, dès la puberté vont au bal, elles
risquent de vous rapporter leur sac plein : qu’en ferez vous de la mère et de
l’enfant ? Jamais trop de pain, c’est déjà la misère...(…). De quelque côté que
vous regardez la honte est sur vous, la honte et la misère (…). Ainsi la femme porte tous les torts, le
malheur, la malchance et les moquerie », philosophe, non sans un bon sens paysan, « la » Marcelle
[ 7 ]…
Alors chez les DUFOUR, au
MONS : « Quatre garçons dans la
maison, Et la voilà la fortunée » ??? Peut-être !!!
Eugène WEBER écrit encore
: « aussi, tout au moins en CORREZE, les naissances se succédaient aussi
régulièrement que le permettait la fécondité »… [ 10 ]
« Combien de grandes fêtes par an ? »
demandait un curé pendant le catéchisme. « Quatre ! » répondit un enfant. « Lesquelles ? » « - Eh
bien il y a le jour du vote, le carnaval, le jour où l’on tue le cochon, et le
jour où ma mère accouche » [ et WEBER de citer encore une fois sa
source : encore le Père GORSE ! [ 10 ] ]. Cependant la « Richesse du
Laboureur » constituait peut être aussi au quotidien la « Misère de la Mère » … [ … et ce,
même pour Françoise ? ] :
« Au bout d’un an, un enfant,
C’est la joyeuserie.
Au bout de deux ans, deux enfants
C’est la mélancolie.
Au bout d’trois ans, trois enfants
C’est la grande diablerie :
L’un qui demande du pain,
L’autre de la bouillie.
L’autre qui demande à téter
Et les seins sont taris » [ 10 ]
Mais cette fois-ci,
exceptionnellement, WEBER ne prend pas ses références en LIMOUSIN, mais un peu
plus à l’Ouest : en VENDEE [ 10 ] !
« De la mélancolie, de la joyeuserie »… Quatre enfants : c’est tout un petit monde à
gérer au quotidien !!!
On n’en perçoit quelques
échos épars, ici et là, au travers des correspondances de « l’oncle Baptiste » ou de Françoise
elle même...
« Adieu mon cher Elie, Auguste se joint a moi
pour t’embrasser et te souhaiter toute sorte de bonheur. Le petit Elie
t’embrasse aussi, il se porte bien en ce moment », écrit Françoise, en
Décembre 1863…
On sait par
« l’oncle Baptiste » que « le
petit de Françoise a toujours la fièvre » [ 26 Décembre 1862 ] ou que
« ton petit neveux [ Elie DUFOUR
] comance a marcher et a parler »
[ 26 Mars 1863 ]…
Un enfant, puis deux,
puis trois… puis quatre… en bas-âge, rapprochés : il faut assumer !!! Jour-s et
nuit-s, hiver-s comme été-s, et surmonter ses « petites misères »
personnelles… « Francoise a pris un
coup de vend en allons au four et ce matin était bien fatigué », écrit
ainsi Baptiste, le 7 Mars 1862, à son frère Elie…
Encore une petite
faiblesse de la gorge pour Françoise ? Une affection qui serait à soigner
par de ces pastilles fournies par l’aîné ? Un 7 Mars, le climat est un tantinet
moins « printanier » au MONS qu’il ne peut l’être « en
bas »… à ALLASSAC !
INSTANT-S DE JOIE-S ET DE FETE-S…
Baptiste informe son
frère Elie, … et nous par la même occasion…, par lettre en date du 31 Mars
1864, que leurs sœur « Françoise a
fait baptiser son petit Gabriel hier avec une grande réunion de [ - famille
- le papier à lettre est troué juste à l’emplacement du mot qui manque
!!!] » …
Le four du MONS a du
fonctionner plus qu’à l’accoutumée dans les jours qui ont précédé ce
rassemblement de famille, cette grande réunion… Et Françoise d’être encore plus
attentive certainement à ne pas « prendre
un coup de vent » et pour que cette fête réussisse du mieux possible
!!!
On rappellera ici, au
passage, l’importance des fêtes de famille dans une société rurale
particulièrement sevrée de distractions ou de loisirs suffisamment diversifiés
!
La paysannerie
traditionnelle est aussi réputée par la
débauche gastronomique des « noces campagnardes » que par la
frugalité du repas quotidien, et peut être même est-on d’autant plus
attaché à de ruineuses ripailles ( dès longtemps préparées et combinées à
l’avance ) qu’on est plus pauvre dans la vie courante… [ 57 ].
« Tous les grands
événements se terminaient à peu près de la même manière qu’ils aient lieu à
l’occasion d’un mariage, d’un baptême, d’un enterrement ou de tel autre
événement de moindre importance. Pourvu qu’il y ait un repas avec de l’extra,
un repas donnant l’occasion de rester des heures à table on en arrivait
fatalement à émettre des souvenirs où chacun se donnait le beau rôle et en
tournait d’autres en ridicule, à raconter des histoires comiques ou osées :
hâbleries, grivoiseries, médisances, mensonges et sottises », fait
remarquer Emile GUILLAUMIN rapportant les souvenirs du « père
Tiennon » [ 58 ]…
Ce dernier de se souvenir
des libations auxquelles donnèrent lieu le mariage de ses deux frères ( … avec
deux sœurs ! ) dans le BOURBONNAIS au milieu du XIXème Siècle… « Le
dîner se préparait sous la direction d’une cuisinière de BOURBON qu’aidaient
maman, rentrée sitôt la fin de la cérémonie, la mère SIMON, de la SUIPPIERE, et
la servante de la BOURDRIE. Tout était sens dessus dessous. On avait monté les
lits au grenier. Une grande table faite de planches posées sur des tréteaux
coupait en deux diagonalement la pièce. Les volailles sacrifiées la veille, les
viandes apportées par le boucher de BOURBON, cuisaient dans les marmites ou
rôtissaient au four exhalant des parfums tentants. Je me régalai avec des
abattis et de la brioche appétissante fleurant le beurre frais ... » [ 58
] …
Un repas d’apparat : la ruine du laboureur ? Parfois !!!
On trouvera sans
difficultés des tableaux et des références à des repas de noces campagnardes
dans nombre d’ouvrages… Semblable tableau par exemple pour les noces d’Emma
avec Charles BOVARY, en NORMANDIE, presque à la même époque… « C’était
sous le hangar de la charretterie que la table était dressée. Il y avait dessus
quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots
et au milieu un joli cochon de lait rôti, flanqué de quatre andouilles à
l’oseille. Aux angles, se dressait l’eau de vie dans les carafes (…). Jusqu’au
soir, on mangea. Quand on était trop fatigué d’être assis, on allait se
promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon [[ … à chacun ses jeux
de quilles ! ]] dans la grange, puis on revenait à sa table » [ 27 ].
Le Breton Pierre-Jakez
HELIAS raconte lui que ses parents se marièrent en 1913. « Ce fut une noce
de pauvres gens. Il n’y avait guère que cent vingt convives [ ! ]. Il en coûta
à chacun la somme de cinq Francs pour deux jours entiers de ripailles
entrecoupées de gavottes, jibidis et jabadaos » …
Cette tradition des
grands repas de plusieurs jours se perpétuera encore près d'un quart de siècle
jusqu’au milieu du Vingtième Siècle environ, avant que de décliner ensuite
rapidement…
Le Corrézien DUNETON a
bien connu jadis ces grandes réunions et en témoigne : « j’ai mon enfance
ponctuée de ces mangeailles, pas du tout assommantes ou compassées (…). Il y a
eu des mariages formidables quand j’étais petit, des fêtes à tout casser qui cassaient surtout le fil des ans. On
mangeait tout le jour. La nuit il y avait la chasse aux mariés enfuis qu’il
fallait dénicher dans un village ou l’autre pour leur porter la soupe à
l’oignon. Peut être que je ne me suis jamais tant amusé… On se référait pendant
dix, vingt ans, au mariage d’Un Tel, à la noce de Marcel ou de Noémie [ aux noces d’Auguste et de Françoise, au
baptême de Gabriel ??? ]. Les vieux le disaient, ceux qui avaient bonne
mémoire, pour situer un événement ordinaire, l’achat d’un pré, la vente d’une
terre : « C’est l'année que Baptiste
[ sic ! ] s’est marié. Je m’en rappelle,
on faisait les foins (…) », on situait ainsi les choses… » [ 47 ].
Dans sa correspondance en
date du 31 Mars 1864, où il parle du baptême de Gabriel DUFOUR, Baptiste
« situe » que « la belle meire
de Berty et morte d’une attaque coup de sang. Elle n’a resté que six heures
malade ! »…
Il n’y a jamais bien loin
entre le « Capitole » de la joie et la « Roche Tarpéienne »
du malheur… car « gnio pà de feto
sei lendemo » [ 8 ] ...
Oui ! Comme chacun le
sait : « Il n’y a pas de fête sans lendemain » !!!
COISSAC, en 1913,
d’analyser : « on se met en frais pour les noces qui constituent
la grande fête de la vie paysanne, en LIMOUSIN comme en BRETAGNE. Les écus
sortent de la profonde ; on rit, on s’amuse, mais surtout on mange. Le
bal, semble-t-il n’est qu’un exercice bienfaisant de digestion ; tout
rayonne autour du pantagruélique festin. On parlera de cette ripaille, on en
détaillera le menu, vingt ou trente ans après. Il s’agit de faire mieux qu’un
tel, de se distinguer, de se surpasser. Ce seront deux ou trois journées sans
précédent, tout entières au plaisir de l’estomac, au gros rire, aux farces, aux
coutumes traditionnelles. La noce terminée, après la disparition des dernières
victuailles, c’est brusquement la vie nouvelle qui commence » [ 13 ]
Une « vie
nouvelle » pour les nouveaux mariés, la reprise du dur quotidien pour
tous !
PREOCCUPATIONS MENAGERES FEMININES…
VETEMENTS ET BLANCHISSAGE…
Car il n’y a pas que la
« fête »… et la vie est faite également de bien d’autres
préoccupations d’intendance pour les ménagères !!!
Dans un courrier, non
daté, adressé à Marie , « bonne sœur »,
qui ne sait pourtant ni lire ni écrire, mais dont Françoise pressent que
Baptiste assurera la lecture [ « bonjour
a mon cher Baptiste que je n’ai pas encore remercié du joli petit bonnet qu’il
m'a envoyé » ], Françoise expose quelques préoccupations ménagères…
Françoise confie une
petite (com)mission à Marie : « je
te prie d’avoir la bonté de m’acheter chez Gibelle une aune et demi d’étoffe
bleu pour faire une petite robe pour mon plus petit. Tu lui prendras aussi la
pointe que la métayère voulais lui acheter, je crois qu’elle est de 12 sous et
la robe je pense qu’elle te la laissera pour 2 Francs l’aune »…
En post-scriptum
Françoise indique encore : « quand
il n’y aurai que 5 quart pour la robe il y en aura assez »…
On remarquera, tout
d’abord, l’emploi par Françoise de mesures anciennes ( aune, quart ) dont
l’unité de valeur ne nous est plus connue aujourd’hui. L’aune du tisserand est
une « ancienne mesure de longueur - 1,18 Mètre, puis 1,20 Mètre -
supprimée en 1840 », affirme « le ROBERT » ! [ 59 ]. WEBER de
citer lui l’aune de GRENOBLE ( 1,307 Mètre ) et l’aune de VOIRON ( 1,345 Mètre
) [ 10 ]…
[ … à propos d’aune et de chevelure, Marcelle DELPASTRE
confie ne pas avoir de beaux cheveux, « il s’en faisait reproche à ma
grand mère, qui n’avait pas de beaux cheveux, en héritage de la mère Nanissou,
sa grand mère, qui elle même n’y était pour rien… » et elle se souvient
que « une fois la mère Nanissou voulut vendre ses cheveux et les vendit.
Elle en eût une aune de calicot »…
[ 7 ]…. Une chevelure contre une aune
de tissu !!! « Piaos ! Jeunas ! Lou
Piaos ! Pialous » ... ]
« Je te prie de me demander mes chemises à
jeanneton et de lui dire qu’elle m’envoie celles qui sont prètes surtout celle
d’auguste je tiens beaucoup a qu’il l’ai aux fêtes de paques »
poursuit Françoise à destination de sa sœur Marie…
« Les hommes surtout
[ ont ] peu de vêtements de dessus : des hardes de travail pour tous les jours
- on en change le Dimanche en se « rappropriant » - et le costume des
grandes occasions : fête solennelle ou cérémonies familiales (…). Nette
séparation donc entre vêtement de travail et vêtement d’apparat. Le premier est
fonctionnel, le second est attiré par le « modèle bourgeois » :
jaquette et pantalon noir, chemise blanche, col dur, cravate noire,
chapeau » … [ 57 ].
« Dis aussi à BOUTAUX de me faire mes
serviettes le plus tot possible parce que je veux les blanchir sitot que je
l’ai aurai [ sic ! ] », écrit encore Françoise…
En règle général le
paysan d’alors, dès à partir d’un « niveau moyen », possède « du
linge en abondance » (…) « linge de maison [ telles les serviettes… ]
et linge de corps en bons vieux tissus inusables, aux pièces serrées par
douzaines ( c’est l’unité de rigueur ) et qui ont constitué le trousseau des
jeunes mariés ou l’héritage des vieux parents »… [ 57 ].
Cette notion de « douzaine » en matière de « chiffon » est confirmée par, …
une fois encore… , les souvenirs de Marcelle DELPASTRE : « je ne sais pas
- on le savait chez nous - si cette Charlou était la même que celle dont le trousseau de mariée était
compté par douzaines de douzaines. Une douzaine de douzaines de drap, une
douzaine de douzaines de serviettes, une douzaine de douzaines de chemises, de
coiffes, de jupons... Et ainsi pour tout » [ 7 ].
Françoise avait-elle
amené aussi au MONS, en même temps que sa personne, des douzaines de douzaines
? … Des douzaines de douzaines de pièces de tissu diverses ???
« Mariez votre fille quand vous pouvez ! »... « Heureux ! Mais
vous pourrez les secouer vos poches, quand vous aurez payé la dot, le repas, le
curé, le notaire et le trousseau, les
grains de poussière ne vous gêneront guère », souligne encore Marcelle
DELPASTRE [ 7 ]…
Françoise manquerait-elle
donc pourtant de serviettes en dépit de son mariage encore récent ? … « Dis aussi à BOUTAUX de me faire mes
serviettes… »
Posséder du linge
nécessitait lessive-s et blanchiment-s !!! Une « entreprise exigeant une
logique complexe, la lessive n’était pas chose dans laquelle on se lançait
facilement. C’était aussi l'occasion pour les femmes du voisinage de se réunir,
de manger et de boire » [ 10 ]…
Dans l’AUNIS on faisait
la totalité du blanchissage de l’année en une fois : cela pouvait signifier
ainsi que 60 draps et 70 chemises étaient trempés dans de la lie et des
cendres, puis bouillis... Un travail qui pouvait occuper sept à huit femmes… [
10 ].
Vers 1914, dans des
régions relativement avancées, comme la MAYENNE, on lavait le linge familial
deux ou quatre fois par an. Dans le MORBIHAN on se contentait encore d’une
seule fois par an. Les jours de blanchissage étaient en tout cas peu nombreux
et éloignés les uns des autres, ce qui explique la grande quantité de coffres à
linges et de trousseaux, ainsi que la
pérennité de vêtements si rarement lavés… [ 10 ].
« Aux COUTEILLES » [ en CREUSE, dans
un roman de Jean-Guy SOUMY ], les femmes procédaient à la grande lessive deux
fois dans l’année, au printemps et à l’automne. C’était Léonie qui avait décidé
de la date de la bugeade de
printemps, en accord avec la vieille Adeline TISSIER. Depuis plusieurs jours,
elle surveillait le ciel. Elle guettait ce moment où la lumière du soleil est
plus dorée ainsi que la rosée qui blanchit si bien les draps étendus sur les
prés (…). Le premier Mercredi de Mai [1864] une animation toute particulière
régnait dans les maisons des COUTEILLES. Depuis la veille les femmes avaient
sorti des coffres et des armoires tout le linge dont était fort leur trousseau
(…). Léonie avait agencé dans le cuvier l’empilement du linge. Elle avait
commencé par les torchons sales, les draps, les serviettes puis la lingerie de
femmes et tout au sommet les coiffes enveloppées dans du tissu » [ 60 ]…
Quel pré du MONS se
prêtait le mieux pour Françoise à cette opération du blanchissage ? Le Pré BARDON était-il
particulièrement propice et bien « exposé » pour cette opération ?
C’est possible !
A ALLASSAC, GIBELLE
vendait du tissu… BOUTAUX tissait et confectionnait… et Jeanneton s’occupait de
chemises… Qu’en était-il dans une commune voisine ?
« Autres petits
métiers masculins qui participent au fonctionnement en vase clos de la société
Voutezacoise, ceux liés au textile », expose VALADE, « ainsi la
communauté possède-t-elle des tisserands qui bien sûr exercent à domicile, sur
leur métier, à l’exemple de François FROIDEFOND, installé à CEYRAT, au début de
la deuxième partie du Siècle [ il décédera à l’âge de quarante-quatre ans, le
16 Septembre 1864 ]. Et puis pratiquement à l’extrémité de la chaîne, le
tailleur confectionne les habits destinés aux hommes (…), tel Joseph LEYMARIE,
dont la boutique est ouverte au chef-lieu Communal dans les années 1860 »…
[ 22 ]
La mode n’influence guère
les paysans d’alors. Ils se font tailler leurs vêtements par des sartres qui imposent les mêmes patrons
depuis le temps de leur apprentissage et les modèles de leurs grand-parents
leur conviennent tout autant…
Tous les habits sont
portés jusqu’à usure totale car selon le dicton « Petassa faï dura et cousé faï téné » ( « raccommoder fait
durer et coudre fait tenir » ! )… [ 18 ]
Alors, les tissus et les
vêtements qui n’étaient pas fabriqués chez soi, ou hérités ou achetés
d’occasion, ceux qui n’étaient pas portés, puis raccommodés, rapiécés et portés
de nouveau jusqu’à ce qu’ils tombent en morceaux, étaient considérés comme des choses étranges et merveilleuses… [
10 ]…
Généralement, le linge de
corps, les chemises, les draps de lit étaient fabriqués dans des toiles, provenant
du chanvre récolté dans la chenevière
attenante à chaque propriété… Les pantalons, jupes, vestes et gilets étaient en
toile ou en droguet fabriqués à TULLE ou à BRIVE… [ 11 ]
Les « beaux
habits » restaient donc très rares... « Nous allions à la messe à
tour de rôle », se souvient le « père Tiennon », « car il
n’y avait que deux garnitures d’habits propres pour nous quatre. Mes frères
réservaient pour les jours de fête, pour les cérémonies possibles leurs habits
de noces. Cette garniture là utilisée toute la vie aux grandes occasions
servait encore de toilette funèbre » … [ 57 ].
Il y a aussi « Jeanneton » qui travaille...
« Je te prie de me demander mes
chemises à jeanneton et de lui dire qu’elle m’envoie celles qui sont prètes »
…
« S’agissant du travail
des femmes (…) on retrouve des professions gravitant autour des métiers du
textile, du linge et même à la limite de l’habillement. Sans conteste les couturières représentent le groupe le
plus remarquable. Difficile d’évaluer leur effectif avec précision, néanmoins
leur importance peut se mesurer au nombre de celles qui se marient : six à
VOUTEZAC entre 1863 et 1865, soit 32 % des épousées non agricultrices… Se
déplacent-elles à domicile ? Probablement… [ 22 ]
« Ont-elles ces
couturières de modestes ateliers chez elles ? Probablement aussi…
A cette première
catégorie s’ajoutent encore quelques modistes
spécialisées dans la fabrication des coiffes
féminines… On remarquera d’ailleurs leur bon niveau culturel qui les
conduit, en particulier, à signer leur acte de mariage, fait assez exceptionnel
dans une commune où seulement 22 % des femmes prenant époux étaient capables de
faire la même chose à la fin du règne de NAPOLEON III », signale
Jean-Marie VALADE… [ 22 ]
LA « DAME A LA FAULX » … VEUVAGE PREMATURE ET AUTRES MALHEURS…
« La mort si
fréquente dans les familles du LIMOUSIN fait planer une nuée sombre dans la vie
quotidienne des campagnes », et ce quand bien même « les funérailles
sont très souvent une sorte de fête grâce à l’assemblée nombreuse qu’elles
suscitent et au repas copieux, arrosé et bruyant, qui leur succède » [ 8 ]
…
« Gnio pà de lendemo sei feto, gnio pà de feto
sei lendemo »…
Ma grand-mère maternelle,
Catherine Léa DUFOUR, n’aimait pas entendre le cri de la chouette, synonyme
pour elle de malheur ! Chaque fois qu’elle l’avait entendu, au MONS, elle ne
pouvait pas manquer d’en faire part ni d’exprimer une inquiétude diffuse…
« Si la chouette
vient dans le jardin, se pose sur le toit ou sur l’arbre au pignon au milieu de
la cour, sur le rebord de la fenêtre, et qu’elle y chante, c’est signe de mort,
de grave maladie dont s’ensuivra la mort, la mort dans la maison, un proche
parent, vous même peut être, une femme sûrement. Pour un homme c’est le
chat-huant qui vient », relate Marcelle DELPASTRE qui poursuit, « un
soir la chouette vint se percher à côté d’elle sur le pommier et elle chantait
: Cou-vi ! Ma-ri ! Mou-rir ! Elle
chantait et la marraine eût beau taper dans ses mains, elle ne s’en allait pas.
Et mon arrière grand mère qui s’appelait Marie, mourut. On appelait la chouette
la co-vi, convit ( invitation ). On
disait d’elle « devine malheur »
et non « porte malheur »
parce qu’elle était le messager de la mort » [ 7 ]…
COISSAC en 1913 signale
qu’à la campagne, en LIMOUSIN, « la chouette est un oiseau de mauvais
augure, quelque chose comme un allié des ténèbres, un suppôt de SATAN, et conséquemment un être néfaste. Voyez,
dit-on, ces grands yeux tout ronds, ce nez, crochu comme celui d’une sorcière,
qui porte deux larges cercles pareils à des besicles ; écoutez ce cri
sinistre, véritable crécelle (...) » [ 13 ]…
La chouette, un
« Suppôt de SATAN » ? Ancienne élève des Ursulines, Françoise
DUFAURE adhérait-elle, elle aussi, à ce genre de superstitions
« païennes » ?
CLANCIER évoque le LIMOUSIN
comme étant un « vieux pays celte
aux nuits mystérieuses » !!! [ 8 ] …
Françoise avait-elle
entendu la chouette - à moins que ce ne soit le chat huant ! -, au MONS,
plusieurs fois en ces années « soixante » ? Et si oui qu’en déduire
au juste ??? Car des événements heureux ( naissances successives de quatre
garçons ) alterneront avec des décès nombreux dans son très proche entourage
familial ( sa mère, Jeanne en 1862, son frère, Elie en 1865, son conjoint
Auguste en 1868… ).
TAINE a écrit : « ce n’est pas le malheur, c’est le bonheur
qui est contre nature » !!!
En moins de dix ans,
Françoise DUFAURE est passée du statut de fille à marier à celui de… jeune
veuve ( elle a juste trente cinq ans ! ) chargée de famille nombreuse… qui
plus est désormais orpheline, de ses parents ainsi que du « tuteur »
de la branche « DUFAURE », son frère aîné Elie…
A l’évidence : de grands
malheurs se sont abattus !!!
C'est pourtant le moment
pour elle d’avoir « la Foi » et de conserver pleine confiance en la
« Providence »… Si cela lui est encore humainement possible !!!
VALADE a intitulé l’un
des chapitres de son étude sur VOUTEZAC : « Encore
de la misère au sein d’un monde rural toujours rude ». On peut lire : « dès lors, le malheur qui vient
de frapper ici, comme là, explique la
fréquence du veuvage » [ 22 ]
« En effet la durée
du mariage peut être fort brève. Rien que
pour la seule année 1863, la mort met fin à six unions dont le conjoint à moins
de 35 ans. Pour beaucoup ce célibat contraint constitue un handicap : la
survie de trop d’exploitations agricoles ne peut se concevoir sans la force de
travail du conjoint. C’est pourquoi les remariages, eux aussi sont assez
fréquents. La plupart d’entre eux s’effectuent dans un délai n’excédant pas un
veuvage de cinq ans ? Les liens du
mariage semblent donc particulièrement adaptés à la rudesse de la vie »
! … [ 22 ]
Marcelle DELPASTRE
raconte qu’il y avait eu un énorme orage… « C’est à cette occasion que mon
arrière grand mère insulta le curé. La pauvre femme ne put s’empêcher de se
plaindre. Il y avait de quoi : - Voyez, Monsieur le Curé ! Mon beau-père mort,
celui qui m’aidait si bien depuis que je suis veuve. Mes enfants si petits
encore… et le mauvais temps qui ne nous a rien laissé… - Eh bien... eh bien... faisait le Curé.
Peut-être que le Bon Dieu vous le devait. - Eh bien ! Répondit la femme en
colère, s’il me le devait, il me l’a bien donné. Nous voilà quittes, Monsieur
le Curé, nous voilà quittes. Elle n’avait pas parlé de ses autres misères, ni
de son enfant mort, l’aîné, ni de sa belle mère, ni de la vieille, ni du père
CHATENET qui étaient morts en si peu de temps, ni des chicanes de ses
beaux-frères, ni… Pour autant elle n’était pas mécréante. Le Curé, c’était le
Curé. Pas le Bon Dieu ! » [ 7 ]…
UNE REGENTE… EN « DIGNE
PARENTE » DU CARDINAL DUBOIS…
Françoise DUFOUR,
désormais veuve et mère de quatre enfants en bas âge, ne se remariera pas, et
vraisemblablement n’aura-t-elle même jamais envisagé cette occurrence !!!
Je ne sais si elle avait
des connaissances historiques aussi approfondies que celles de son frère Elie,
mais il est plus que probable qu’elle ait lu avec une grande attention la
« Notice sur les familles Du FAUR et
Du BOYS », rédigée par son aîné, dans laquelle il est question d’un
lien de parenté de sa branche familiale maternelle avec celle du Cardinal
DUBOIS, celui-la même qui « sous le
gouvernement du Régent, pendant la minorité de LOUIS XV, a administré le pays
(…) » [ 61 ]…
Françoise a-t-elle reçu un
enseignement sur l’histoire d’un niveau suffisant pour se souvenir, ou savoir,
que Catherine de MEDICIS, veuve de HENRI II fut régente pendant la minorité de
ses fils FRANCOIS IX et CHARLES II, ou qu’Anne d’AUTRICHE, veuve de LOUIS XIII,
fut aussi Régente pendant la minorité de son fils LOUIS XIV …
Des périodes
« charnières » importantes et pourtant très souvent éludées dans
l’enseignement de notre Histoire Nationale… d’autant qu’elles ont permis
d’assurer l’indispensable continuité du pouvoir pour des familles dynastes
parfois fort fragilisées conjoncturellement …
En 1868, le petit Elie
DUFOUR, qui deviendra mon arrière grand père, le fils aîné de Françoise, n’est
âgé que de sept ans…
Le bon sens permet de
mesurer qu’il lui faudra encore une bonne dizaine d’années avant qu’il puisse
disposer de la force physique d’un jeune homme capable d’assumer une grande
partie des tâches indispensables à la conduite du « domaine »... sans
oublier le temps qui lui sera nécessaire à l’acquisition de la maturité intellectuelle
indispensable !
Françoise DUFOUR a la
chance d’être une « femme instruite »,
une situation peu courante… A VOUTEZAC, à cette époque, de 1863 à 1870, seules
21,39 % des femmes pouvaient apposer leur nom au bas des registres de l’Etat
Civil et pas plus de 31,43 % pour la CORREZE toute entière en 1866 [ 22 ]… Les
moyens intellectuels dont elle dispose, et vraisemblablement déjà une force de
caractère qui se révèle face aux événements néfastes contraires qu’elle doit
« encaisser » vont lui permettre de se « débrouiller »
seule et de « régenter » l’avenir de la famille… DUFOUR, dans
laquelle elle n’était pourtant « intégrée » que depuis un laps de
temps très récent, non sans avoir pu lui procurer une « descendance mâle »
conséquente…
Certes on conviendra avec
VALADE que bien souvent « l’utilité du savoir s’efface derrière
l’impérieuse nécessité de disposer de tous les bras disponibles afin de mener à
bien les travaux des champs »… [ 22 ], mais on comprendra aussi que le
« savoir » ne peut que conférer à sa détentrice une certaine
« autorité » ainsi que la capacité de défendre au mieux ses intérêts
majeurs face aux éventuels profiteurs, ou aux accapareurs de toute espèce, qui
pourraient avoir la tentation de profiter de la situation …
Sans doute Françoise n’a-t-elle
guère hésité à conclure un « bail à
métairie ou à moitié fruit (...), en
nature de bâtiments, jardin, pré, terre, bois et autres fonds (...) [ sur ] un corps de biens situés au Mons, commune d’ESTIVEAUX [ sic ! ], dit domaine de POUYADE »…
Ce bail est un acte
juridique important et déterminant lui permettant d’assurer la sauvegarde des
intérêts patrimoniaux essentiels de ses enfants et d’assurer aussi les quelques
moyens élémentaires de subsistance pour sa « petite
famille » !!! En bref, de remplir les devoirs essentiels d’une
« Régente » !!! …
CHOIX DU METAYAGE : ALLIANCE
TRAVAIL/CAPITAL OU MODE D’OPPRESSION ?
« Devant nous Maître BARDON, licencié en
Droit, notaire à la résidence d’ALLASSAC (…) comparait les trente Août et trois Octobre mil huit cent soixante huit,
Madame Suzanne Françoise DUFAURE, veuve de M. Léonard Auguste DUFOUR, sans
profession, demeurant au MONS, Commune d’ESTIVEAUX
[ sic ! ] laquelle déclare donner à titre
de bail a métairie ou à moitié fruit, à Pierre GOUNET, cultivateur au PILOU,
commune d’ESTIVAUX [ nom bien orthographié, cette fois-ci ! ] (…) un corps de biens situés au Mons (…). Le présent bail est fait pour une année à
compter du vingt cinq Novembre - [ Le 25 Novembre, la
« Sainte-Catherine » … Une date classique retenue souvent pour les
baux ruraux dans les provinces Françaises, de nos jours encore !!! ] - et se continuera par tacite reconduction
d'année en année (…) ».
Le métayage se présente
comme « une sorte d’association »… Dans celle-ci le propriétaire
apporte son bien foncier terres et bâtiments, le preneur son expérience et son
travail… De cette communauté d’intérêts découle le partage des fruits et
corrélativement des dépenses. Le partage est l’essence même du contrat …
Mais pour TURGOT, le
métayer n’était qu’un salarié, un manœuvre, un valet touchant une partie des
fruits à titre de gages…
Pour le Comte Adrien de
GASPARIN, en charge de l’Agriculture sous la Restauration, le métayage était
une transition naturelle de l’esclavage et du servage vers l’exploitation libre
… Si ce mode de faire valoir ne développait pas l’esprit d’entreprise, il
assurait une grande sécurité et, par suite, de GASPARIN estimait que le
métayage était un mal nécessaire dans les régions pauvres [ 62 ].
WEBER, quant à lui,
considère que le métayage dans le Sud-Ouest avait des effets sur l’agriculture généralement négatifs ! Il estime que
l’exploitant était peu enclin à procéder à des améliorations du fonds compte
tenu d’un bail souvent verbal ou parfois écrit mais d’une durée très limitée dans
le temps ( une année… ) et le propriétaire était, lui, peu enclin à investir… [
10 ]
D’autres auteurs voient
en revanche dans le métayage le point de départ de toutes les améliorations, un
« instrument de progrès », une « alliance du capital et du travail », les propriétaires
résidant sur leurs terres ( spécialement après 1852 ) commençant à les
améliorer et leurs métayers suivant lentement leur exemple… La tête et les bras
!!! Une étude de BARRAL à la fin du XIXème Siècle sur l’agriculture en HAUTE VIENNE,
fondée sur des constatations « de visu » et sur des études menées
dans les années 1870, montre le rôle
déterminant du capital, de l’entreprise scientifique, des méthodes de
gestion rationnelles ( elles-mêmes inspirées par, et basées sur, le capital )
dans le développement et les progrès de la région… « De nos jours disait
BARRAL, en 1870, pour cultiver avec profit, il faut savoir beaucoup de
choses »... [ 10 ].
Cependant, il reste que,
de manière générale, le « métayage aura longtemps mauvaise presse pour des
raisons historiques qui tiennent en grande partie aux abus du XIXème Siècle et
au comportement inhumain de certains propriétaires de l’ALLIER, d’autant
qu’entre ceux-ci et le métayer interfère un personnage d’une rare âpreté le
fermier général. Ce n’est pas un hasard si le syndicalisme agricole est né dans
cette région du Bourbonnais…» [ 62 ].
Les souvenirs du père
Tiennon témoignent de la précarité de la situation des métayers… Il raconte que
son père s’apercevant être financièrement lésé dans les comptes se risqua un
jour à une observation : « Monsieur je croyais pourtant avoir à toucher
davantage », et de s’entendre répliquer : «(…) tu sais les laboureurs ne
manquent pas » !!! [ 58 ]
Constatant à nouveau un
peu plus tard qu’il a été « grugé », le père d’Etienne BERTIN en le
faisant remarquer est menacé d’un procès et doit quitter rapidement et dans de
mauvaises conditions le domaine sur lequel il travaille… « Mon père fut
redevable à la sortie d’une somme qu’il ne put fournir, le maître alors s’empressa
de faire mettre une saisie sur notre récolte en terre qu’il garda toute. C’est à lui seul que profita notre travail
de la dernière année » ! [ peu avant 1848 ] [ 58 ].
Même constatation
également par « Jacquou le Croquant »,
constatation mise en scène par Eugène Le ROY, une quinzaine d’années
auparavant, sous la Restauration au moment du décès de son père… Constat de la
précarité sociale et de « l’exploitation de l’homme par l’homme » ...
« L’estimation
faite, ma mère comptait qu’il nous devrait revenir dans les dix écus. Mais
lorsqu’elle fut pour régler il se trouva que c’était le contraire, que nous
autres redevions une quarantaine de Francs (…). Il nous fallu donc quitter COMBENEGRE soi-disant dans les dettes des
Messieurs » [ 18 ]…
Par la suite la mère de Jacquou ne sera plus que journalière (
une situation encore plus précaire que celle de métayère ou de
bordière !!! ) et elle s’épuisera à la tâche en ruinant sa santé…
L’option retenue en 1868
par Françoise DUFAURE en faveur du métayage, au delà de tout éventuel calcul
spéculatif - ( peut-être Auguste DUFOUR avait-il déjà eu recours à ce type de
contrat sur quelque partie de son « domaine » ? ) - , était sûrement
la seule position de « bon sens » qu’il convenait pour elle d’adopter
compte tenu de sa situation de veuvage, de ses charges de famille, de son
relatif éloignement géographique d’ALLASSAC rendant difficile le « coup de
main » occasionnel de Baptiste … et plus encore celui de Bertrand en
résidence à UZERCHE !
Encore fallait-il pour la
jeune veuve prendre la décision de la retenir, se décider à
« s’accrocher » « fidèlement » au MONS en ne se
« repliant » pas immédiatement sur ALLASSAC avec ses jeunes enfants…
Une fois le « bail à métairie » passé devant
Maître BARDON, ce contrat va pouvoir rendre de grands services à la
« petite famille » DUFOUR…
« CAILLEES, VELEES,
CHAPONS » :
CHACUN SES « VEAUX VACHES COUVEES » !
Le « contrat » de métayage signé par
Françoise DUFOUR lui assure tant des subsistances minimales qu’une participation
physique du co-contractant pour des travaux qu’elle serait bien en peine de
pouvoir réaliser par elle-même…
Au delà de son caractère
d’inventaire « à la PREVERT »
et de sa rédaction aux formules parfois surannée, cet acte juridique mérite attention
et il présente même un évident interêt sociologique, à mon sens…
Qu’on en juge donc sur
pièce en reprenant plus en détail les principales stipulations qu’il
contient…
Celles-ci sont les
suivantes :
« (…) 1° Le preneur devra jouir et cultiver en bon
père de famille, faire tous travaux en temps et saisons convenables et
respecter les assolements établis »…
On trouve ici la fameuse
notion de « bon père de famille »,
si chère au Code NAPOLEON, et on peut noter avec interêt que c’est « Madame DUFAURE, Veuve DUFOUR » qui
est la contractante, et celle qui sera tout au long du corps de l’acte dénommée
« la bâilleuse »… C’est la
reconnaissance de la capacité juridique « pleine et entière » d’une femme,
certes une mère de famille d’enfants mineurs légitimes et une veuve
« respectable » … Reconnaissance de sa capacité pour contracter tout
de même !
« 2° Tous les fruits et produits, les croits et bénéfice des
bestiaux seront partagés par moitié sauf ce qui va être dit »…
Le partage… Partager par
moitié, c’est l’essence même de ce type de contrat !!! Etymologiquement le
terme « métayage » vient de
médius, medietas, medietarius,
termes donnant dans la vieille langue française : moitai, moitoyage, moiturie ... [ 62 ] « En Italie,
l’institution du « métayage » est qualifiée de mezzeria ou mezzadria, ce
qui fait sans doute allusion au fait que le
métayer consacre la moitié de son temps de travail à la récolte du propriétaire
l’autre moitié étant pour la sienne propre » [ 62 ]
« Les pommes de terre ne se partageront point
: elles seront consommées dans le domaine et serviront notamment à l’engrais
des cochons (…) » …
La culture de la pomme de
terre s’est propagée lentement… En 1789 PARMENTIER a publié son « Traité
sur la Culture et les Usages de la Pomme de Terre » … En 1812, autour de
DIJON il n’y a que 312 Hectares consacrés à cette culture… mais il y en aura
tout de même 3. 600 en 1837… Quant à l’élevage porcin il progresse fortement
sous le Second Empire [ 55 ].
« (…) mais le preneur devra en donner un tombereau
à la bâilleuse »… Et voilà le premier exemple d’une quasi prestation -
alimentaire - en nature par la fourniture d’un tombereau de pommes de terre !!!
« Le blé noir tardif appartiendra au preneur
en totalité »…
Sans doute le rendement
escompté pour cette culture est-il aléatoire car seul le blé non tardif se
partagera !
« Annuellement le preneur donnera à la
bailleuse quatre hectolitres de châtaignes vertes de première qualité et la
moitié de celles dites sauvages de quart »…
On aurait été fort
surpris qu’il ne fut pas question, ici, au MONS, de châtaignes !!! … Et encore
une prestation à finalité alimentaire « en nature »…
« il lui donne encore un kilog de beurre par
vélée, vingt cinq caillées, deux paires de chapons, une paire de poulets, cent
œufs dont soixante à Pâques et quarante à la St Michel, le tout annuellement »…
Produits ou sous-produits
laitiers, « Beurre, Œufs, Fromages », et production de basse-cour,
voilà une autre composante classique de l’alimentation rurale
« autarcique » qui n’est pas oubliée dans le contrat entre les
parties ! … Par ailleurs, la « Saint Michel », fixée le 29 Septembre,
est encore, de nos jours, une date fort usitée en matière de baux ruraux !
« Si le preneur ne donnait point les vingt
cinq caillées ci dessus il n’aura point droit à l’agneau dont il sera parlé
ci-après (…) il sera donné chaque
année au preneur un agneau pour la bergère, le second du troupeau en valeur,
cet agneau devra être vendu à la Saint Georges à VIGEOIS »…
La « Saint
Georges » se situe le 23 Avril. C’est la pleine période des fêtes de
Pâques, période traditionnelle de vente d’agneaux à leurs meilleurs cours eu
égard à la demande… Je n’ai cependant pas connaissance que cette date soit
toujours usitée, de nos jours, en matière de baux ruraux…
« La foire, c’est la
faiblesse du paysan Limousin » écrira CLANCIER [ 8 ]… « Il les
connaît toutes à vingt lieues à la ronde : la foire des bovins, la foire des
moutons et brebis [ … celle du 23 Avril à VIGEOIS ? ], celle des chevaux ou
celle des ânes, ou celle encore des petits cochons, les
« nourrains »… » !
En 1866, RATEAU dans son
étude sur la CORREZE signale que « les champs de foire et les marchés du
Département de la CORREZE se couvrent à chaque saison des productions
naturelles du sol les plus riches et les plus variées » [ 25 ].
RATEAU précise :
« on y trouve à profusion des animaux pour la boucherie, d’une qualité
supérieure, des oies, des canards et des dindes, dans un état d’engraissement
parfait (…) »... et de rappeler le calendrier des foires où l’on trouve
bien répertoriées celles d’ALLASSAC, de
VIGEOIS ou même… du SAILLANT, parmi les plus importantes.
Baptiste semble avoir été
un habitué des foires, à lire ses correspondances… Il est vrai que c’est en ces
moments à la fois l’occasion de négocier ou d’acquérir quelques productions
agricoles mais aussi de rencontrer frère ( Bertrand ), parents plus ou moins
éloignés et connaissances diverses : un lien social à l’évidence !
« 4° Le preneur aura droit de tenir un cochon pour lard
chaque année du 13 Décembre jusqu’à Carnaval »…
Carnaval :
« ceux qui ont à peine rassasié leur faim pendant toute l’année
vont pouvoir enfin faire bombance à s’en rendre malade. Ceux qui ne connaissent
au long des jours que peine et travail vont pouvoir rire, faire les fous, boire
et chanter et danser », signale CLANCIER [ 8 ], après ce sera un long
Carême puis, enfin, l’agneau de Pâques !!! …
« Un cochon pour lard » : le
jour où l’on tue « ce cochon », « le » cochon, c’est
« une grande fête », disait
l’enfant au Curé [ 10 ]… Fête pour l’enfant, certes... mais pour l’adulte aussi
!!! Elle a lieu en hiver, généralement entre la Saint Martin et le Mercredi des
Cendres, car les travaux des champs peuvent alors attendre, et on en profite
par conséquent pour « tuer le cochon » ! [ 18 ].
« Il lui sera donné chaque année cinq kilogs
de fer et une pelle à bûcher » …
Cinq kilogrammes qu’il
pourra faire travailler par « lou
faure », le Maréchal-ferrant ou le forgeron…
« 5° On prélèvera chaque année sur le bénéfice
des bestiaux cent vingt francs pour impôts fonciers (...) »…
« 6° Si le berger trouvait quelque brebis,
agneaux ou moutons, il devrait en être donné immédiatement connaissance à la
bailleuse et si les demandes faites pour découvrir le propriétaire de l’animal
trouvé demeuraient infructueuses, cet animal serait vendu à la foire
qu’indiquerait la bailleuse ou considéré comme appartenant au troupeau
(...) » … L’une des premières causes du mouvement qui sera hostile au
métayage résidera dans l’absentéisme du propriétaire, devenu citadin, joint à
sa prétention inchangée de diriger, voire de contrôler l’exploitation [ 62 ]…
Ici, dans ce cas précis, c’est Françoise DUFAURE-DUFOUR qui a la possibilité de
choisir, et elle seule, la foire au cours de laquelle aurait lieu la vente de
cet animal égaré potentiel !
« 8° Le preneur sera tenu d'ensemencer chaque
année au moins 50 litres d'avoine »… « L’avoine est
l’alimentation des chevaux par excellence (…), la paille d’avoine est bien
supportée par l’estomac des ruminants » [ 69 ]. Il ne faut pas négliger
l’importance du « carburant »
végétal pour le cheval [ ou pour le bœuf ] puisque le cheval n’est pas encore
« cheval-vapeur » !!!
DES CHARGES ET DES OBLIGATIONS REPARTIES AVEC
PRECISION…
Le contrat de métayage
dispose aussi pour de nombreuses charges et dépenses :
« 9° Les batiments et les pêcheries seront
entretenu [ sic ] d’une manière
convenable (…), pour la confection et
l’entretien des charrettes, harnais, outils aratoires, le preneur nourrira les
ouvriers, la bailleuse les paiera et fera toutes fournitures toutefois les
ferrements seront payés par moitié »…
« La pêcherie, pescheria, c’est une mare, une vaste
réserve d’eau où l’on peut laver, ou élever du poisson, mais qui sert le plus
souvent à l’irrigation » : telle est la définition lexicale donnée dans
l’ouvrage de Marcelle DELPASTRE et qui correspond bien à la réalité couramment
définie par le terme de « pêcherie »
dans le langage courant du secteur, tel que je pouvais l’entendre au cours de
mon enfance…
« Mon père »
écrit encore Marcelle DELPASTRE « cura une pêcherie, fit une nouvelle
bonde et consolida la chaussée. Il installa deux pierres à laver, l’une en
micaschiste bleu et l’autre, toute polie déjà par l’usage, en granite
rose » [ 7 ]… Baptiste emploie, lui, le terme de « Gourgue » pour ce qui doit
correspondre, peu ou prou, à la même réalité… Un « trou d’eau », plus
ou moins aménagé voire doté d’une petite chaussée, dans une pâture !
« Le forgeron et le vétérinaire seront payés
par moitié » … Pour dédommager de l’entretien de leur matériel ( socs,
instruments aratoires divers ) les paysans Limousins, fermiers ou métayers,
payaient souvent le forgeron en nature, et surtout en pommes de terre et en
châtaignes, c’était l’affevadis ! [ 8
].
« Le châtreur sera payé par la bailleuse mais
celle-ci recevra du preneur annuellement pour cet objet soixante quinze
centimes »… C’est lou sannaire
qui châtre veaux et cochons… Souvent il sait aussi guérir les bêtes et les
vêler… On le prend aussi pour un guérisseur ou un... sorcier, parfois ! [ 8 ]
« 10° Annuellement le preneur devra planter
greffer ou bêcher cinquante chataigners » Il n’est pas question seulement
dans ce contrat du produit - les châtaignes - mais aussi de leurs supports ! La
pérennité des châtaigneraies nourricières, dans l’intérêt commun, doit être
assurée !
« 11° Le preneur ne pourra point prêter les
bestiaux ni faire des charrois sans l’autorisation de la bailleuse »…
Le métayer n’a pas la pleine jouissance du cheptel… « Le métayage n’est en
fait qu’une forme de contrat de louage », c’est l’analyse classique tant
de la majorité de la doctrine de notre ancien Droit ( DOMAT, Gui COQUILL… ) que
pour celle de l’école civiliste classique ( RAU, AUBRY, DUVERGIER,
BAUDRY-LACANTINERIE ) du XIXème Siècle… [ 62 ]
« 11° Le preneur ne pourra point refuser les
bestiaux à la bailleuse lorsqu’elle en aura besoin et sera tenu de lui aider à
conduire le bois et la vendange lorsqu’il y aura lieu. Il devra également lui
aider à faucher et à rentrer le foin mais la bailleuse lui fournira un homme
pour battre les blés (…) »
Numéroté également 11°, comme le paragraphe précédent - par erreur ? - cet alinéa présente
grand interêt pour « la bailleuse »,
compte tenu de son veuvage et de l’absence de « bras » en sa
« possession » !!!
Ce n’est pas au MONS
qu’il pouvait y avoir vendange abondante… Cependant Françoise contrôlait
vraisemblablement, à l’époque encore, quelques surfaces de vignes sur ALLASSAC,
héritées dans le cadre des successions paternelle, maternelle et fraternelle
confondues et toutes assez récentes ! … Et même si tel n’était pas le cas, on
peut penser que pour le notaire d’ALLASSAC une stipulation relative à la
« vendange » ne pouvait qu’aller de soi dans un contrat
rural !!!
A une époque où le
machinisme agricole n’est qu’à peine balbutiant et où les grands travaux
agricoles atteignent des seuils de pénibilité importants, la
« fourniture » « d’un
homme pour battre les blés » n’est pas une clause inutile ! La
moisson nécessite en effet une main d’œuvre abondante et se fait à la faux ou à
la faucille, les gerbes sont liés avec le liadour.
La récolte principale est celle du seigle que l’on bat au fléau sur l’aire
à battre ou sur le plancher de la grange… La batteuse à vapeur ne s’imposera
que progressivement, on en comptera une centaine en CORREZE vers 1900… [ 11 ]
« 12° Si la bailleuse voulait faire des
améliorations dans la propriété (…)
le preneur (…) devrait lui donner
huit journées »…
La comptabilisation
précise du « temps de travail » n’est pas le propre de nos seules
préoccupations contemporaines… Mais la philosophie de l’époque s’avéraient –
par nécessité - fort éloignée de celle de « l’Aménagement et la Réduction
du Temps de Travail » !!!
« 13° Si le preneur défrichait des bois ou des
bruyères il aurait droit à toute la récolte en grains qui serait faite sur le
terrain défriché mais la paille resterait dans la propriété » …
Tout doit profiter, en
tout circonstance, au fonds ! Même la paille…
« Fait et passé à ALLASSAC en l’étude et lu
aux parties en présence de MM. Baptiste VIDALIE, menuisier, et Etienne ROUHAUD,
taillandier, demeurant à ALLASSAC, témoins instrumentaires, qui signent, avec
Mme DUFOUR et nous notaire, GOUNET requis nous a déclaré ne savoir »,
« Ont signé à la minute MM VIDALIE,
ROUHAUD, DUFAURE Baptiste, DUFOUR et BARDON, ce dernier notaire »
Après un aussi large tour
d’horizon des droits et devoirs respectifs de chacune des parties, il peut être
enfin passé à la signature du contrat, « Dont acte »…
Deux témoins
« instrumentaires » sont présents : un menuisier et un… taillandier,
un autre personnage de la société artisanale Allassacoise, qui se nomme
ROUHAUD…
Baptiste DUFAURE est présent
aussi, auprès de sa sœur, chez le Notaire BARDON… C’est sûrement une grande
fierté pour lui que de se sentir « utile » et
« important », en un mot « reconnu » ! … Sans doute
joue-t-il un rôle informel de « conseiller agricole » auprès de sa
sœur et se sent-il investi de responsabilités familiales élargies depuis le
décès de leur aîné, Elie…
Pierre GOUNET, le
co-contractant, est présenté comme étant « Cultivateur au PILOU ». Ce n’est donc pas un
« inconnu », métayer migrant de « hasard » ou de
« passage »... Sans doute a-t-il de « bonnes références » ?
Peut être aussi était-il lié ou très estimé de « feu » Léonard
Auguste DUFOUR… et ce indépendamment de son « analphabétisme », une
« tare » à laquelle Françoise DUFOUR pourrait suppléer aisément en
cas de nécessité !
UNE FEMME DE « TETE » A LA TETE
D’UN PATRIMOINE FONCIER SAUVEGARDE !
Instruite – redisons
le ! -, Françoise DUFOUR mesure certainement tout l’intérêt pratique de
pouvoir se faire délivrer par le Maire d’ESTIVAUX, DUMOND, le 28 Juillet 1870,
un « Extrait de la Matrice
Cadastrale de la Commune d’ESTIVAUX - Folio 4 bis et suivant - DUFOUR Auguste
Jean Léonard ( mutation de 1860 pour 1861 ) »…
Il s’agit d’un document
« de base » qui détaille dénomination, situation, superficie, et
revenu cadastral, des quelques 200 parcelles recensées ( 203 exactement !
) qui constituent la « Propriété DUFOUR », sise Commune d’ESTIVAUX,
pour un total général de 86 Ha 00 a 50 ca, soit une superficie moyenne de 42
ares 36 par parcelles !!! Ce morcellement cadastral est très
caractéristique, tant du caractère de « bocage » du plateau
Corrézien, que des modes culturaux du temps pour lesquels les paramètres liés à
la mécanisation ne sont pas - encore - à prendre en considération…
De ce document, délivré
en 1870, il ressort, selon l’exploitation que j’en ai faite, que la nature des
parcelles en propriété se répartit de la manière suivante :
NATURE SUPERFICIE %tage dont « Surface Agricole Utile »
Terres 27 Ha 35 a 10 ca 31,80 % 27 Ha 35 a
10 ca 38,12 %
Prés, Pâtures 22 Ha 69 a 70 ca
26,39 % 22 Ha 69 a 70 ca 31, 63 %
Châtaigneraies 21 Ha 71 a 00 ca 25,24 % 21 Ha 70 a
00 ca 30,25 %
Taillis, futaies 04 Ha 43 a 90 ca 5,16 %
Bruyères 09 Ha 35 a 80
ca 10,88 %
Autres (*) 00 Ha 45 a 00
ca 0,52 %
TOTAL 86 Ha 00 a 50 ca
100,00 % 71 Ha 75 a 80 ca 100,00 %
(*) Bâtiments
divers, écuries, réservoirs, jardin…
La Superficie qui serait
aujourd’hui globalement dénommée comme « Superficie Agricole Utile »
( S.A.U. ) représente 83,43 % de l’ensemble de la propriété…
On pourrait - (
grossièrement ) - résumer que la S.A.U. est divisée en trois tiers : 1/3 de
terres labourables, 1/3 de surfaces en herbe et 1/3 de châtaigneraies… même si
les « Terres Labourables » ont une importance quelque peu supérieure
au tiers du total général « cultivé » ( 38,12 % ) ...
L’agriculture est alors
essentiellement une agriculture de subsistance - ( production de céréales et de
pommes de terre et importance des châtaignes qui doivent être considérées comme
une véritable production agricole… ) - et non une agriculture spécialisée dans
l’élevage, en particulier bovin, ou les cultures « spéculatives » (
par exemple les vergers ), comme nous la connaissons de nos jours, où il n’y a
plus guère ni bruyères ni châtaigneraies dans ce secteur…
Déjà, en 1868, l’on
parlait de « défricher bois et bruyères » : « 13° Si le preneur défrichait des bois
ou des bruyères… » !
Ce patrimoine foncier,
« l’héritage des DUFOUR », Françoise saura le conserver puis le
transmettre à son fils aîné, Elie, qui l’adaptera bientôt aux réalités et aux
conditions « modernes » de son temps…
Ce fait, symbolique et
essentiel de conservation et de transmission, à lui seul démontre les capacités
de Françoise et son caractère de « femme de tête » ;
« femme de tête » une caractéristique qui était restée dans la mémoire
de son petit-fils, Pierre Henri DUFOUR, mon grand père…
On est très loin de
l’image d’une paysanne arriérée, rustique, soumise à outrance, ne sachant pas
prendre d’initiatives…
Elle saura préserver, au
moins, les acquis qui avaient été ceux de feu son mari Auguste Jean Léonard
DUFOUR, dans cette « petite Patrie »
que constitue le « domaine » du MONS d’ESTIVAUX !!!
Mais la
« grande » Patrie, où en est-elle en ces mêmes périodes ???
L’extrait cadastral qui a
été délivré à Françoise est tamponné « MAIRIE
D’ESTIVAUX - CORREZE » et il porte, au centre du cercle du tampon
officiel apposé, la figuration d’un aigle couronné ( … un aigle Impérial … et
Napoléonien )…
Le document est daté du 28
Juillet 1870 par le Maire d’ESTIVAUX, DUMOND.
Comment ce dernier, en
tant qu’autorité locale officielle, analyse-t-il la récente déclaration de
guerre de la FRANCE à la PRUSSE le 19 Juillet 1870, il y a alors moins de dix
jours ?
Le Maire d’ESTIVAUX
est-il dans un état voisin de celui d’Edmond GONCOURT qui notait :
« j’éprouve à l’état continu, au creux de l'estomac, ce sentiment nerveux
de vide que donnent les grandes émotions et que fait plus douloureux encore
l’anxiété de cette grande guerre qui va s’ouvrir » [ 18 Juillet 1870 ] [
64 ]…
Edmond GONCOURT se trouve
alors presque « comme veuf », il vient en effet de perdre récemment
son frère tant aimé, son double littéraire quasi-gémellaire, Jules, né en 1830
et décédé à l’âge de quarante ans…
Le 28 Juillet 1870, jour
de la certification de la matrice cadastrale, NAPOLEON III et son fils, le
Prince Impérial, auquel on a taillé un uniforme à la mesure de ses quatorze
ans, quittent PARIS en train, par la petite gare de Saint-CLOUD, pour se rendre
« aux armées ». L’Empereur a prévu que ce conflit serait « long et difficile » [ 65 ]…
Ne croit-il donc pas à ce
qu’il a pu entendre de la part de ROUHER qui lui assurait : « Sire, grâce
à vos soins, la FRANCE est prête », ou encore de la part du Maréchal
LEBOEUF en charge du Ministère de la Guerre : « Quand la guerre devrait
durer un an il ne manque pas un bouton de guêtre » ? [ 67 ]…
On connaît tous la -
triste - suite… Une accumulation de défaites… WISSEMBOURG, le 4 Août,
FROESCHWILLER, le 6 Août… Et d’autres encore bientôt…
L’ALSACE est évacuée par
MAC-MAHON, BAZAINE se laisse enfermer dans METZ, le reste de l’armée Française
est encerclé dans la cuvette de SEDAN, où, le 1er Septembre il ne lui reste
plus qu’à déposer les armes…
NAPOLEON III est fait
prisonnier... La République est proclamée le 4 Septembre 1870… Le Gouvernement
capitule le 28 Janvier 1871…
Le Traité de FRANCFORT,
le 10 Mai 1871, s’avère désastreux : il exige de la FRANCE la cession de
l’ALSACE et de la LORRAINE et le paiement d’une indemnité de cinq Milliards de
Francs…
Si Françoise DUFOUR a su
garder les possessions du MONS, tel n’est pas le cas du régime Impérial,
s’agissant du… Pays !
La perte de l'ALSACE et
de la LORRAINE constitue une amputation conséquente du territoire national… Une
humiliation qui va entretenir durant les cinquante années à venir un ineffable
sentiment de revanche, et autour duquel va alors se greffer la plus importante
part de la politique étrangère de la Troisième République naissante…
C’est en quelque sorte ce
« problème territorial » qui conduira le petit-fils de Françoise,
Pierre Henri DUFOUR, mon grand père, à accomplir trois longues années de
Service Militaire… puis à vivre quatre années d’un terrible conflit qui
marquera de fait « l’achèvement du XIXème Siècle »…
L’hécatombe du premier
conflit mondial conduira des millions de combattants de toutes nationalités à
la mort… une mort avec ou… sans sépulture !!!
« CONCESSION A PERPETUITE » : DEUX
METRES ET… QUATRE VINGT CINQ CM2
« Je me souviens du
retour au village sous une pluie insinuante », écrit Denis TILLINAC, dans
son ouvrage « Dernier Verre au
DANTON », « j’ai marché jusqu’au cimetière avec mon chien noir.
Il ne pleuvait plus, le vent du Nord chassait les nuages, on distinguait les
croix au dessus des tombes (…). Les heures sonnaient au clocher, mais je ne les
comptais pas, elles étaient réversibles : chaque bosquet, chaque murette,
chaque croix de pierre ressuscitait un des morts qui dorment au cimetière en
habit de sapin, que je revoyais en galoches sur la place inanimée »… [ 68
]
Les cimetières sont
« lieux de mémoire » !
Celui d’ESTIVAUX l’est donc aussi…
Le 16 Novembre 1870, le
Maire d’ESTIVAUX « prend un arrêté », pour répondre à la demande « présentée par Madame DUFOUR du MONS,
née DUFAURE Françoise, veuve de feu M. DUFOUR, ancien Maire, à ESTIVAUX et
tendant à obtenir la concession perpétuelle de deux mètres quatre vingt cinq
centimètres carrés superficiels de terrain dans le cimetière de cette Commune
pour y fonder, à perpétuité, la sépulture particulière de ses descendants »…
Cet arrêté dispose en son
article premier : « il est fait
concession à perpétuité à partir de ce jour, au profit de l’impétrante
susnommée de deux mètres superficiels 85 centimètres de terrain dans le
cimetière de la Commune d’ESTIVAUX pour y fonder la sépulture perpétuelle et
particulière de la famille DUFOUR du MONS, ci-dessus dénommée »…
L’article deuxième
précise : « la dite concession est
prise moyennant la somme de cent vingt huit Francs vingt cinq centimes
(…) ».
Cet Arrêté Municipal est
d’abord approuvé le 20 Novembre 1870 par le Sous-Préfet par Intérim, Guy Le CLERE, puis il est enregistré à VIGEOIS le 28
Novembre 1870, et enfin un extrait conforme est délivré à « Madame DUFOUR concessionnaire » le
15 Décembre 1870.
C’est cet extrait que
j’ai sous les yeux et qui porte le tampon « CORREZE - ESTIVAUX - MAIRIE »
avec en son centre maintenant la figuration d’une couronne de lauriers…
République oblige ! Désormais plus d’aigle Napoléonien ni de couronne
impériale !!!
Au cours des mois de
Novembre et de Décembre 1870, la guerre est devenue une réalité, et elle
concerne même les contrées au Sud de la LOIRE…
Sous l’impulsion de
GAMBETTA, qui était parvenu le 7 Octobre 1870 à quitter la Capitale en ballon,
la « levée d’hommes » a été proclamée par la Délégation de
TOURS… Le Décret du 7 Novembre « décidait » de la formation d’un
premier ban de 570 000 hommes parmi les célibataires de vingt et un à quarante
ans…
De nouveaux combattants
sont jetés dans la tourmente…
En Décembre 1870, quelque
part dans la CREUSE de SOUMY, « le fils COURSELLE, de CHAUSSADIER, un beau
garçon qui aimait danser la bourrée était revenu de BEAUNE la Rolande [ LOIRET
], une jambe arrachée par un obus Prussien » [ 60 ] … Et encore un mutilé
s’en sortait-il bien n’ayant pas perdu la vie ! Car cette guerre de 1870 est
déjà une guerre très meurtrière…
Trois tués, au titre de
la guerre de 1870, figurent sur le « Nécrologe des anciens élèves de
l’Ecole BOSSUET de BRIVE » [ 68 ]…
Sept tués sont recensés
pour la Commune de DONZENAC au titre de la « Guerre Franco-Allemande (
1870-1871 ) », dont deux ROUSSELY - Bernard et Zacharie - ( deux frères ou
deux cousins ? ), du même hameau de « MAZIERES » [ 26 ] ...
Le père Tiennon se
souvient bien de la Déclaration de la Guerre de 1870 : « la moisson
s’était faite de bonne heure, nous étions en train de mettre en meule ou
« plonjon » nos dernières
gerbes quand vers dix heures du matin le 10 Juillet M. LAVALLEE vint nous
annoncer que le Gouvernement de BADINGUET avait déclaré la Guerre à la PRUSSE.
Et il me prit à part pour me dire que notre aîné serait appelé sans doute sous
peu »…
Il se souvient aussi qu’à
la fin de la guerre : « on nous rendit nos enfants. Tous revinrent,
moins ceux des dernières classes qu’on gardait pour leur temps de service - et
Charles fut du nombre - moins aussi hélas ! ceux
qui étaient morts là-bas, et les disparus dont on ne savait rien. Aucune
nouvelle n’était parvenue depuis Novembre d’un homme de Saint PLAISIR que nous
connaissions un peu. Et le printemps ne le ramena pas. Trois ou quatre ans plus
tard, sa jeune veuve convolait à nouveau. Mais voilà qu’on lui dit après que
des soldats de 70 arrivaient toujours (…). Alors cette jeune femme vécut dans
la terreur de voir revenir son premier époux. Il ne parut jamais » [ 58 ]
…
SEPULTURES MILITAIRES … L’EVOLUTION
DES MŒURS FUNERAIRES…
Cet homme de Saint
PLAISIR « était-il tombé dans l’Est », dans un lieu
« bucolique » et charmant, tel le « Dormeur du Val » évoqué par Arthur RIMBAUD ?
« Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort. Il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut… »
« (...) Les parfums ne font pas frissonner sa
narine.
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit » [ 70 ]
Le Département de la
Haute-MARNE [ qui sera par contre « miraculeusement » épargné durant
le conflit de 1914-1918 ] a vu se dérouler sur son territoire des combats
notoires fin 1870 et début 1871…
« L’An 1871, le 28
Janvier à une heure du soir [ 13 Heures ] nous nous sommes transportés sur le
lieu indiqué (…), nous avons trouvé (…) le corps d’un homme couché sur son dos,
les pieds contre la rivière, la tête contre le talus, le corps légèrement incliné
(…). On a trouvé sur lui une blague à tabac et un porte monnaie vide. Il
portait un costume militaire »… constatera le Maire de CUSEY, Julien
Hippolyte BALLAND, qui a rencontré « son »
« Dormeur du Val », un
« cavalier-guide »
apparemment exécuté après avoir été fait prisonnier et portant selon le médecin
ayant examiné sa dépouille : « deux coups de feu à la poitrine » !!!
[ 71 ].
« Les restes des
Français tués à PRAUTHOY [ Haute-MARNE - Combats du 28 Janvier 1871 ] furent
(…) déposés sous le Monument où ils reposent aujourd’hui dans le cimetière
Communal (…). Les morts Prussiens, eux, ont subi une série de vicissitudes
avant de trouver le repos final… Enterrés, après le combat au lieu dit « Le Songe Vert » [ on se retrouve
ici en pleine inspiration Rimbaldienne ! Cela ne s’invente pas ! ] (…), le
30 Janvier 1877 leurs restes furent transportés dans le cimetière de
MONTSAUGEON où ils reposent encore »… [ 71 ].
Ces indications, données
en 1901, par TROCHON sont forts intéressantes… car très caractéristiques… en
particulier le fait que les dépouilles des soldats Français avaient été
déposées sous un monument…
Avant la Guerre de 1870,
il existait une dissociation très importante entre la sépulture du soldat et la
commémoration militaire… Par souci d’hygiène, en effet, les soldats morts au
combat étaient inhumés rapidement ou brûlés, sur place…
L’inhumation en fosse
commune se poursuit durant la Guerre de 1870, mais alors que le souvenir de
l’homme de troupe n’était, jusqu’alors pas entretenu ( seules les statues des
chefs militaires érigées dans les grandes villes marquaient un souci de
mémoire… sélective ), apparait, dès 1871 la première manifestation d’une
volonté de « mémoire globale »… [ 72 ]
Par le Traité de
FRANCFORT du 10 Mai 1871, en son article 6, les Gouvernements Allemands et
Français s’engagent désormais à entretenir réciproquement les tombes de guerre
qui existent sur leur territoire respectif…
Dans de nombreuses
communes des monuments ossuaires sont alors érigés, financés le plus souvent
par des Associations qui se fondent, dès 1887, en particulier au sein du
« Souvenir Français »…
Face à cette évolution
nouvelle des mentalités, l’Etat est encore hésitant…
Le 4 Avril 1873, une Loi
ambiguë définit la « Propriété Nationale » des tombes et
ossuaires de la Guerre de 1870, en en remettant l’entretien aux Communes, mais
sans leur donner les moyens nécessaires à cette mission nouvelle… [ 72 ]
Durant les premiers mois
de la Guerre de « Quatorze », la « tombe individuelle »
est déjà la norme pour l’ensevelissement des soldats Allemands, une norme qui
s’applique aussi aux soldats Français qu’ils inhument [ - par exemple, au
Cimetière de GUISE, lieu d’une bataille fort méconnue fin Août 14, qui vit la
Victoire de LANREZAC… hélas éclipsée immédiatement par la retraite, puis les
combats de la MARNE en Septembre 1914 - ] …
En revanche la « fosse
commune » reste la norme de l’armée Française, qui l’applique
également aux soldats Allemands qu’elle inhume [ - par exemple, sur les champs
de bataille de l’OURCQ et du MULTIEN durant ce même mois de Septembre 1914 - ],
et seuls les officiers ont « droit », lorsque les circonstances le
permettent à une sépulture individuelle [ … Mais tel n’est pas le cas, par
exemple, pour le Lieutenant de Réserve Charles PEGUY inhumé à VILLEROY en fosse
commune ]…
Les pratiques militaires
Françaises démontrent alors un important retard sur les mœurs sociales civiles…
Depuis 1870, en effet, le
caveau familial s’est en effet généralisé dans l’ensemble de la société
Française… La fosse commune est progressivement devenue de plus en plus
réservée seulement aux très pauvres ou aux vagabonds… [ 10 ]
Alors face à l’évolution
des conceptions funéraires, une Loi du 29 Décembre 1915 avalise enfin la
« sépulture militaire individuelle et perpétuelle »… Cette Loi, qui
rassure l’arrière [ ? ! ], marque la prise en compte de
« l’individualisme » du Citoyen sous les armes… La sépulture
perpétuelle devient une « récompense », et l’Etat se substitue même à
la famille pour l’achat de la Concession [ 72 ]…
SEPULTURES CIVILES … L’EVOLUTION DES
MŒURS FUNERAIRES…
En matière de mœurs
funéraires civiles, le XIXème Siècle a marqué un véritable tournant par rapport
aux « us et coutumes » antérieures…
Des considérations
sanitaires et hygiéniques font alors passer les cimetières du centre des
Paroisses ( généralement autour des lieux de culte ) vers des zones non
peuplées situées plus en périphérie… [ 10 ].
Auparavant les cadavres
revêtus d’une simple chemise, ou enveloppés dans un suaire, se décomposaient
rapidement et cela permettait une rotation rapide des concessions qui répondait
aux besoins des Paroisses…
Puis une plus grande
prospérité dans les campagnes et le désir de rivaliser avec le standing
bourgeois firent apparaître des cercueils ouvragés : les villageois ne se
contentaient plus de quelques planches grossièrement assemblées…
Les
« consommateurs » insistaient dorénavant pour avoir des cercueils
cirés, de préférence capitonnés et ornés de dorure…
[ Charles BOVARY ]
« s’enferma dans son cabinet, prit une plume, et, après avoir sangloté
quelque temps, il écrivit : « je veux qu'on l’enterre dans sa robe de
noces, avec des souliers blancs, une couronne. On lui étalera ses cheveux sur
les épaules ; trois cercueils : un de chêne, un d’acajou, un de plomb.
Qu’on ne me dise rien, j’aurai la force. On lui mettra par dessus tout une
grande pièce de velours vert. Je le veux. Faites-le ». Ces messieurs
s’étonnèrent beaucoup des idées romanesques de BOVARY, et aussitôt le
pharmacien alla lui dire : « ce velours me paraît une superfétation.
Les dépenses, d’ailleurs… - Est-ce que cela vous regarde ? s’écria Charles.
Laissez-moi ! Vous ne l’aimiez pas ! Allez vous en ! »… [ 27 ].
« Des
investissements de cet ordre exigeaient un lieu fixe où reposer. Et on commença
à acheter ou à louer les tombes pour de longues périodes », explique
WEBER… En même temps les tombes devinrent de plus en plus luxueuses permettant
de différencier les morts et de marquer leur rang social… [ 10 ].
Avant que les cimetières
ne soient déplacés loin du village, les fidèles s'arrêtaient et disaient une
prière sur la tombe d’un parent. Le Dimanche le cimetière pouvait être le
principal lieu de rassemblement. Avant et après la messe des groupes se
formaient pour discuter et passer un peu de temps ensemble… mais aussi avec les
morts, devant la tombe desquels on s'agenouillait…
« Le déplacement des
morts traduit désormais le rejet accéléré d’un passé qui paraissait aussi de
plus en plus lointain. Ceci exprimait aussi le doute quant à la survivance de
l’âme et à l’autre monde », estime WEBER, « les testaments qui
autrefois faisaient en partie référence à l’avenir du mort - en recommandant
messes et prières - se préoccupaient désormais plus de la propriété terrestre
et de son mode de transmission », note-t-il encore avec pertinence [ 10 ]
...
Mais les morts restèrent
importants, et la Toussaint, « jour de leur fête » [ … même si ce
n’est en principe que le lendemain… ] ramenait dans les églises même ceux qui
n’y mettaient pas les pieds en d’autres occasions. L’Evêque de LIMOGES savait
bien ce que cela signifiait quand il apostrophait ainsi ses ouailles en 1862 :
« le culte des saints et des morts est toujours votre trait dominant »
[ 10 ]…
« Le culte des morts
- la fidélité à la lignée et à la terre - est grand, et les « vieux »
font la chaîne entre ces ancêtres disparus et la famille active, jouissant d’un
prestige indiscuté », remarque CLANCIER, à propos du LIMOUSIN du XIXème
Siècle [ 8 ]…
Sans doute ce culte
s’estompe-t-il quelque peu de nos jours, cependant dans les zones rurales les
visites aux cimetières à l’approche de la Toussaint demeurent encore des
réalités bien tangibles !!! … Mais pour combien de générations encore ?
Nostalgique et grave,
Denis TILLINAC écrit à ce propos en 1999, dans « les Masques de l’Ephémère » : « (…) ces
inconnus immatriculés dans un département étranger qu’on croise à la Toussaint,
devant une tombe, un pot de chrysanthème sous le bras. Ils ne sont plus d’ici
mais ils ont des « attaches ». On croit les reconnaître, on finit par
les identifier vaguement, on leur serre la main. Des souvenirs affleurent, trop
imprécis, trop lointains pour justifier l’échange d’un numéro de téléphone.
« Si tu passes à BEAUVAIS… ». On ne passe jamais à BEAUVAIS. Si le
hasard nous y amenait, on n’irait pas les voir et cependant il nous semble que
ces retrouvailles si brèves ne sont pas anodines… » [ 4 ]
INVESTISSEMENTS REPETES POUR DES PERPETUITES
« RENOUVELEES »…
Compte tenu de
l’évolution générale des mœurs et des mentalités, Il n’est pas surprenant dès
lors que, dès l’automne 1870, Françoise DUFOUR puisse en venir à se préoccuper
de l’acquisition d’une concession funéraire « familiale »…
L’arrêté du Maire
d’ESTIVAUX, en date du 16 Novembre 1870, vise l’avis récent de son Conseil
Municipal « en date du 3 Avril 1870
fixant le tarif des concessions de terrain pour sépulture »…
L’arrêté dispose en son
article deuxième que « la dite
concession est faite moyennant la somme de cent vingt huit Francs vingt cinq
Centimes, dont celle de quatre vingt cinq Francs cinquante centimes sera versée
immédiatement dans la main du Receveur de cette Commune et celle de quarante
deux Francs soixante quinze Centimes sera également versée dans la Caisse du
Bureau de Bienfaisance »…
Le reçu du versement des
deux fractions est daté du 20 Janvier 1871, 85 F 50 représentent « 2/3
attribués à la Commune », et 42 F 75 « 1/3 attribué au Bureau de Bienfaisance », sommes reçues par le
percepteur de la part de « Mme
DUFOUR Veuve née DUFAURE », comme cela a été consigné avec soin…
Avec le timbre sur la
minute, le droit d’enregistrement et le timbre de la quittance, Françoise
DUFOUR déboursera au total 135 F 11 …
Ce même Vendredi, 20
Janvier 1871, Edmond GONCOURT note dans son journal qu’il a vu sautiller
« deux amputés d’une jambe qui promènent sur leurs béquilles leurs croix
toutes fraîches et qu’on regarde longtemps par derrière avec émotion »,
puis il se rend « au cimetière. Il y a aujourd’hui sept mois qu’il est
mort [ son frère Jules ]. Est-ce singulier que dans la situation où je
suis, dans le chagrin qui me dévore, il existe encore chez moi un lâche désir
de vivre et que l’obus qui siffle à côté de moi et qui peut me délivrer, je
cherche à l’éviter en rentrant chez moi » [ PARIS est l’objet d’un siège
en règle de la part des Prussiens, siège très éprouvant pour la population en
particulier en matière alimentaire, qui sera immédiatement après suivi par les
événements de la Commune qui constitueront encore une nouvelle épreuve pour la
population Parisienne ... ]… [ 64 ]
Le lendemain, 21 Janvier
1871, Edmond GONCOURT a devant lui : « en omnibus, deux femmes en grand
deuil : la mère et la fille. A toute minute, les gants noirs de la mère ont
des crispations nerveuses et se portent machinalement à ses yeux rouges, qui ne
peuvent plus pleurer, tandis qu’une larme, lente à couler, se sèche de temps en
temps sur la cernée de l’œil, levé au ciel, de la fille »… Et un peu plus
tard Edmond entend : « une phrase curieuse et symptomatique. Une fille
clapotant derrière moi, dans la Rue Saint Nicolas, me jette : « Monsieur,
voulez vous monter chez moi pour un morceau de pain »… [ 64 ] …
Où peut mener la misère
!!! Revenons-en donc à nouveau à la maxime de TAINE : « ce n’est pas le malheur, c’est le bonheur
qui est contre-nature » !!!
La mort et la pauvreté
qui lui est associée, par le biais du versement au « bureau de
Bienfaisance » d’une partie du prix de la concession funéraire
d’ESTIVAUX, forment un tandem éloquent qui peut illustrer la sentence lucide mais
pessimiste de TAINE !!! D’autres malheurs ne manqueront pas de survenir dans la
famille DUFOUR… Car la mort fait partie de la vie !!!
Le 16 Janvier 1916, Henri
CHATRAS, Adjoint au Maire de la Commune d’ESTIVAUX, délivre un « Acte de Concession perpétuelle de terrain
dans le cimetière » à la demande de « Mme Veuve DUFOUR Juliette Pétronille »…
Depuis le 24 Juin 1915,
il y a en effet une autre veuve DUFOUR au MONS, la belle fille de Françoise,
l’épouse d’Elie DUFOUR, qui avait été Maire de la Commune d’ESTIVAUX, comme
l’avait été son père avant lui…
Contrairement à « l’extrait conforme » qui avait été
délivré le 15 Décembre 1870, celui de 1916 est établi sur un formulaire
pré-imprimé, sur lequel quelques mentions seulement sont rajoutées de façon
manuscrite…
La « Veuve DUFOUR ( Juliette Pétronille ) »
à la qualité de « Propriétaire,
domiciliée au MONS »… Il lui est « concédé à perpétuité, avec garantie de tous troubles (…), une superficie de cinq mètres carrés quinze
décimètres carrés de terrains [ sic ! ] dans
le cimetière communal, soit deux mètres de long sur deux mètres de large [
! ] pour y fonder la sépulture des
membres de sa famille »…
Le tarif applicable est
établi « vu la délibération du
Conseil Municipal en date du 3 Avril 1870 portant fixation d’un « tarif
pour les concessions de terrains dans le cimetière Communal », c’est à
dire sur les mêmes bases financières que celles qui avaient été appliquées à sa
belle-mère quelques quarante-six ans plus tôt !!!
Il en coûte à Juliette
Pétronille « Deux cent trente et un
Francs 75 » [ Le mètre-carré étant concédé à 45 Francs ] que « Mme DUFOUR est tenue de verser immédiatement
dans la Caisse du Receveur Municipal, le tiers de cette somme sera,
conformément aux instructions sur la matière employé au soulagement des pauvres »…
Avec les taxes et timbres
divers, il en coûtera au total 258 F 40 à Juliette mais la concession
DUFOUR passera de 2 m2 85 à… 5 m2 15, sur les mêmes lieux
d’établissement initial très vraisemblablement…
Se voyant appliquer à des
années d’intervalle, le même « tarif » que sa belle-mère, Juliette se
retrouve aussi dans un contexte assez similaire, ce qui me frappe… Certes ses
enfants ne sont plus en bas-âge et au lieu de quatre elle n’en a eu que deux,
mais l’absence de « bras » [ ou d’épaule sur laquelle
s’appuyer ! ] est patente… Son mari est décédé, son fils est au front, son
gendre prisonnier de guerre quelque part de l’autre côté du RHIN… On n’est plus
en 1870, mais en ce 16 Janvier 1916 on est en pleine « Grande Guerre »,
laquelle n’en est - qui le croirait ? – qu’à son premier tiers calendaire… et
dans un mois à peine, le 21 Février 1916, ce sera le déclenchement de la
gigantesque et dantesque « Bataille de VERDUN » !
« Ils ne passeront
pas ! »… A quel prix !!! la mort… La mort encore et toujours ! …
Du 21 Février 1916 à
Décembre 1916, date à laquelle les Allemands seront ramenés sensiblement sur
leurs positions de départ, ils n’auront pas réussi, malgré le sacrifice de...
240 000 Hommes [ ! ] à « saigner à blanc » l’Armée Française, selon
l’expression révélatrice employée par VON FALKENHAYN… Et en face les 260 000
morts Français témoigneront de l’engagement de toute l’armée Française, grâce à
la noria des régiments organisée par le Général PETAIN qui prit le commandement
de ce secteur du front au moment le plus critique… [ 73 ]
L’ancien combattant
Allassacois Henri MARTIN, devenu Notaire de son état, fera « parler »
le Monument aux Morts d’ALLASSAC, qui
symbolise pour lui « le Souvenir »,
dans une petite « pièce » en vers intitulée « les Trois Ombres » :
« Vivants ! Tristes vivants ! Et triste
humanité,
Combien faut-il de morts pour que « Fraternité ! »
Ne soit pas qu’un vain mot sur de vains édifices,
Combien de pauvres pleurs et de durs sacrifices »…
[ 1 ]
Avec l’évolution des mœurs
funéraires, chaque « concession » nouvellement « concédée »
dans un terrain communal pourra devenir en quelque sorte « le monument aux
morts familial » de chaque lignée attributaire…
En son article 3, l’acte
de concession du 16 Janvier 1916 dispose que le concessionnaire « pourra élever sur le terrain tel monument
funèbre que bon lui semblera, pourvu toutefois qu’il n’empiète en aucune
manière sur les terrains environnants, et sauf l’action de la police en ce qui
concerne les signes et inscriptions qui pourraient être contraires à la morale
et à l'ordre public. Dans aucun cas et quelle que soit la forme du monument, le
corps ne pourra être placé au dessus du sol »…
Nonobstant quelques
limites, la société « civile »
se trouve en droit de se permettre un peu plus de fantaisies que la société
« militaire » en matière de sépultures et de « variantes
d’arts funéraires »…
C’est par touches
successives, et avec l’enchaînement des conflits de 1870 et de 1914, que
s’imposera par contre une image « uniforme » des nécropoles
militaires Françaises… Une image qui se fixera autour de trois points forts :
l’emblème individuel ( une croix qui est destinée à toutes les tombes sur
lesquelles les familles n’ont pas impérativement demandé un autre emblème ), la
décoration paysagère homogénéisée ( clôture en haie, portail en pierre, rosiers
sur les tombes ), l’intégration dans le site ( panneau indicateur, notice
descriptive )… [ 72 ]
Tout Cela donne une image
au résultat ambigu. La symbolique qui la sous-tend marque une première
contradiction entre la volonté d’un message de paix pour les générations
futures et la militarisation apparente donnée par des alignements uniformes de
croix regroupés en carrés ( comme des troupes à la parade ! ) avec le mat
des couleurs…
Deuxième contradiction :
l’individualisation des tombes et une nationalisation marquée par
l’interdiction des témoignages familiaux sur les tombes. L’idée d’égalité dans
la mort, vertu Républicaine, a banalisé le deuil… Les drames individuels
doivent s’effacer derrière l’épopée collective… [ 72 ]
Les Maires d’ESTIVAUX
entre 1914 et 1918 se seront faits les porteurs de très nombreuses, sombres et
funestes dépêches… Les familles redoutaient de voir passer, et surtout
s’arrêter devant la porte de la maison ou la cour de la ferme le Maire
endimanché porteur du télégramme macabre...
La première victime
Voutezacoise Henri SOULIER tombe le 28 Août 1914 dans les ARDENNES… Puis c’est
au tour de huit autres jeunes de la commune dès le mois suivant dans le cadre
des combats dits de la « Bataille de la MARNE » [ 22 ]…
Dans le village de
fiction qu’est Saint LIBERAL, créé par Claude MICHELET, le premier mort est le
« fils CHANLAT le 24 Août ». « Presque tous les habitants de la
Commune étaient là pour le service funèbre, célébré par le vieux curé
d’YSSANDON à la mémoire d’André CHANLAT. Sa mort avait été accueillie par tous
avec consternation. Aussi malgré l’absence du corps et du cercueil, absence qui
conférait à la cérémonie une sorte d’irréalité, le Maire et le Conseil
Municipal avaient décidé d’honorer le sacrifice du jeune père de famille (…). [
Puis le Maire ] en l’espace de quinze jours dut faire trois autres visites et
laisser à chaque fois un foyer dans les larmes. La commune comptait neuf morts
quand l’année s’acheva »… [ 74 ].
Je me souviens, pour ma
part, des longues cérémonies de la Toussaint ou du Jour des Morts dans les
Paroisses de PERPEZAC, ESTIVAUX ou de SAINTE-FEREOLE, et de la lecture
« interminable » du Nécrologe des morts de chaque Paroisse en
particulier de la liste nominative de ceux qui étaient « Morts pour la
FRANCE » en « 14 »…
A VOUTEZAC, le 1er
Novembre 1915 [ Jour de la Toussaint… ], lors de la séance du Conseil
Municipal, une proposition du conseiller CHEYROUX tendant à ce que des
concessions soient gracieusement offertes pour les sépultures des soldats de la
Commune, morts pour la FRANCE, sera rejetée… « Les intérêts financiers et
l’opprobre l’ont donc emporté ce jour là sur la conscience humaine et la
rigueur morale », estime aujourd’hui Jean-Marie VALADE… [ 22 ]
La Commune de VOUTEZAC
perdra au front durant la Grande Guerre 4,54 % de sa population totale d’alors
( soit 87 victimes ! ), celle d’ALLASSAC un pourcentage un peu moindre
3,79 % ( mais 177 victimes ! [ 2 ] ), JUILLAC 4,37 %, OBJAT 4,88 % … Etc. Le
village du SAILLANT ( coté VOUTEZAC ) comptera à lui seul onze morts pour la
FRANCE entre 1914 et 1918…
Pierre Henri DUFOUR, mon
grand père, reviendra des champs de bataille de la Grande Guerre, sur lesquels
il aura été présent de la première bataille de la MARNE en Septembre 1914, du
côté de NANTEUIL LE HAUDOIN, jusqu’à le « seconde bataille de la
MARNE » en Juillet 1918, sur les plateaux du TARDENOIS... Il ne sera
ensuite démobilisé que courant 1919… Marié après la [ sa ] « première »
guerre, il perdra sa première épouse, Marcelle CHAPOUX, quelques années plus
tard…
Mon grand père fera
enregistrer à VIGEOIS, le 17 Avril 1926, un « Acte de Concession
Perpétuelle » délivré par le Maire d'ESTIVAUX, Alexis CHATRAS, lequel
visera à nouveau l’avis du Conseil Municipal rendu le… 3 Avril 1870, en matière
de tarification applicable ! Henri DUFOUR obtient « la concession perpétuelle de quatre mètres
superficiels de terrain (…) pour y
fonder la sépulture particulière des membres de sa famille »… Il
acquittera à ce titre la somme de « Cent
quatre vingt Francs dont les deux tiers au profit de la commune et le dernier
tiers au profit des pauvres », selon des modalités qui nous sont
désormais bien connues !!!
ENTRE FOUGERES ET BRUYERES... SUR LE REBORD DU PLATEAU ...
C’est le cycle éternel
des vivants et des morts…1870, 1916, 1926… et plus près de nous encore, la
« sépulture particulière des membres
de [ la ] famille » DUFOUR
aura été établie, maintenue, entretenue puis rénovée par des générations successives,
dans le petit cimetière d’ESTIVAUX, sur le rebord du plateau, à l’amorce de la
plongée par la route en lacets vers les gorges encaissées de la VEZERE…
ESTIVAUX, comme le
village cher à TILLINAC, demeure une sorte de « paradis dans son genre, mais
dont l’accès exige le concours d’une carte MICHELIN. Deux cent mortels d’âge
canonique [ ou à peine un peu plus ! ] s’y récapitulent autour d’un clocher qui
a vu passer des siècles en sonnant les heures avec une obstination monotone. Il
sonne aussi l’angélus et le glas quand un villageois trépasse. Il a cessé de
sonner la messe, faute de curé pour la dire et de Paroissiens pour l’entendre
(…). Le village est juché sur un plateau qui surplombe une gorge. Des buses
planent autour, des bois le cernent de partout » [ 68 ] ...
Et quand venant d’ORGNAC,
ayant passé la VEZERE au pont de COMBORN, on remonte par une petite route
sinueuse vers ESTIVAUX sur le rebord du plateau, la première trace
« d’urbanisation » qui se présente alors aux yeux du voyageur est le cimetière
qui s’inscrit dans la verdure… « entre
fougères et bruyères » :
« Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères
Des divans profonds comme des tombeaux
Et d’étranges fleurs sur des étagères
Eclose pour nous sous des cieux plus beaux (...)
Et plus tard un ange entr’ ouvrant les portes
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes »…
[ 75 ]
Le cimetière s’est
agrandi au fil du temps, là comme ailleurs… « Il a fallu agrandir le
cimetière où la tombe nouvelle pousse comme du chiendent » explique
TILLINAC [ 4 ]. « La mort a encore l’avenir devant soi. Signe des
temps : le périmètre ancien est une forêt de croix ; sur le nouveau
on voit des stèles de marbre, abstraites et en plan incliné. Double déficit de
symbolique Chrétienne et de verticalité »… « Quatre générations
dorment dans cet enclos ceint de quatre murs et adossés à un bois de bouleaux.
Avant, les cimetières entouraient les églises, les enfants et les chats
jouaient sur les morts qui pendant des siècles furent jetés dans les fosses
communes. La IIIème République a déquillé la croix plantée au milieu
de chaque cimetière avant d’expédier les morts aux confins des bourgs à la fin
du siècle dernier et d’instituer leur culte en le soustrayant aux
curés » ! [ 4 ].
« Ici, dans ce
village du vieil Occident, les morts ne sont pas occultés. Pas encore. Pas
complètement. Certains trépassent dans la chambre où ils sont nés. Ca
relativise le périple extra-utérin ; une parenthèse se referme, le gisant
a cessé de vagir après avoir pris quelques centimètres et remué un peu de
vent… » ! [ 4 ]
LA VIE CONTINUE… LA MORT
AUSSI !
Restée seule au MONS,
Françoise DUFOUR voit grandir ses enfants… Elle veille sur leur éducation,
mesurant toute l’importance de cette question… Puis il deviennent bien vite des
hommes… L’aîné, Elie DUFOUR, prend la tête du « domaine » dès qu’il
le lui est possible… Gabriel s’installe à quelques centaines de mètres, en
contre-bas du MONS, à BOUNAIX… Joseph devient exploitant agricole dans une
commune voisine… Et Henri fait négoce de vins au BURG…
Elie DUFOUR prend pour
épouse Juliette Pétronille JUGE… Une jeune fille de l’autre bout du Canton, de
TROCHE, de l’autre côté de la VEZERE… [ Y avait-il un lien de parenté entre ces
JUGE de TROCHE et la belle famille de Bertrand DUFAURE, les JUGE d’UZERCHE ? Ou
s’agissait-il d’une homonymie très possible car le patronyme JUGE est courant
dans le secteur ? ]…
Souvent les familles
accueillaient à contre-cœur dans leur cercle protégé et protecteur quelqu’un
qu’elles ne connaissaient pas parfaitement et les jeunes préféraient épouser un
proche ou un voisin dont les faits et gestes étaient connus et familiers…
« Se marier en
dehors était affreux [ sic ! ] », selon WEBER… Pénétrer dans un foyer
étranger constituait en soi une déchirante expérience… La bru ou le gendre
n’étaient acceptés qu’en partie… Et surtout du bout des lèvres…
« El o écri su lou cu di chi
Qe jémâ janr n’o évu bï
El o écri su lou trou di cu
que jémâ bel mer m’éma bru »
Les brus et gendres étaient
des étrangers : « Janr è bru son jan d’ôtru », « ma
fille est morte, adieu mon gendre »… Dans le cimetière de MINOT [ COTE
D'OR ] les couples dont les familles possédaient des tombes séparées
finissaient par rejoindre leurs ascendants respectifs : mari et femme étaient
ainsi séparés dans la mort… [ 10 ]
Sur les photos dont je
dispose Juliette Pétronille m’apparaît comme une jeune femme douce… Elle
restera - paradoxalement - pour mon père « sa grand mère
d’ALLASSAC », car après la guerre de Quatorze, elle s’établira à ALLASSAC
non loin de sa fille « Marie Jeanne Rosalie » épouse MOUSSOUR,
laquelle s’était retrouvée en propriété des restes du fonds DUFAURE à ALLASSAC
- mon grand père, son frère, « Pierre Henri Auguste » conservant le
fonds DUFOUR au MONS - suite à un partage en date du 9 Décembre 1919, passé
devant Maître Philippe Ludovic BARDON, Notaire à ALLASSAC…
Avait-elle pu jadis
s’accommoder sans trop de difficultés d’une cohabitation avec cette
« régente » qu’étaient Françoise DUFAURE, … demeurée dans l’esprit de
son petit-fils une « maîtresse femme »… , qui avait
« régné » si longtemps sans partage sur son « petit monde »
masculin au MONS ?
Au MONS, Françoise
DUFAURE aura veillé aussi à l’entretien du souvenir de son frère, « l’oncle Elie », dont le portrait
surveillera durant des lustres les visiteurs, et dont une partie du mobilier
meublera la maison [ une commode, toujours présente de style Louis Philippe et
un secrétaire - de même style - qui disparaîtra dans le cambriolage du MONS,
fin Décembre 1991 ! ]…
Plus tard la sœur de
Françoise, Marie DUFAURE, viendra finir ses jours au MONS… perdant
progressivement la vue… et se faisant « chiper » son chocolat par son
petit-fils… Elle décédera au MONS le 29 Avril 1913 à l'âge de quatre vingt sept
ans…
Son neveu « Elie DUFOUR, propriétaire au MONS, Maire de
la Commune d’ESTIVAUX » renseignera alors une « Formule de Déclaration de Mutation »…
Par le biais de cette « Déclaration », on pourra mesurer les
« chagrins » et les « grands malheurs » que Françoise
DUFOUR aura connus au cours de son existence jusqu’à la fin de sa vie…
Françoise en 1913 a déjà perdu ses fils Henri et Gabriel… Elle a perdu aussi
ses frères Elie, Baptiste ( « décédé
depuis dix ans » [ 1903 ? ] ), Bertrand et la fille de celui-ci, sa nièce,
Emilie épouse SAGNE…
Cependant des
petits-enfants seront nés, « Marie Louise » et « Henri »
chez Elie, « Henri » chez Joseph, « Elie-Georges » chez
Henri… Un arrière petit-fils « Jean », également …
La ronde éternelle des
vivants et des morts… Vie et mort entrelacées !!! … Il y a, contre un pan du
mur clôturant le jardin du MONS, une large et fraîche « banquette »
en granit, constituée par ce qui fut jadis une pierre tombale de la famille
DUFOUR… Elle peut servir aujourd’hui d’assise confortable aux vivants que nous
sommes…
« VIVRE TOUT HUMBLEMENT »... SILENCE…
BAUDELAIRE a composé un
poème « Les Petites Vieilles »,
inséré dans le recueil des « Fleurs
du Mal »… Je me demande si Françoise et Marie s’y seraient
reconnues :
« Ces yeux sont des puits faits d’un million
de larmes
Des creusets qu’un métal refroidi pailleta
Ces yeux mystérieux ont d’invincibles charmes
Pour celui que l’austère Infortune allaita ! "
Ruines ! Ma famille ! Ô cerveaux congénères
Je vous fait chaque soir un solennel adieu
Où serez vous demain, Eves octogénaires »
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ? »
[ 76 ]
Mais j’en reviens, pour
finir, de nouveau à Henri MARTIN et à sa « grand mère » :
« Vivre tout humblement, sans orgueil ni
colère
Sans grands mots, sans vain bruit, passer semant le bien
Laisser un souvenir tout baigné de lumière
Lorsque des vanités il ne restera rien
Plus d’un riche orgueilleux a quitté cette terre
Aussi vite oublié, parfois, qu’il fut puissant
Voilà déjà longtemps qu’est morte ma grand mère
En nous, son souvenir est encor palpitant »
[ 1 ]
Je pense alors à
Françoise DUFOUR…
Elle aurait pu passer une
vie entière à manger debout, à servir les hommes et à finir son repas, plus
tard, avec ce qui restait… Bref être l’incarnation de cette soi-disant
« femme idéale de l’ancien temps » ! Sa vie aura été bien plus
que tout cela !
Françoise DUFOUR aura
assumé un rôle de veuve « Régente »… telle Catherine de MEDICIS,
celle qu’on appelait « la Reine
noire »… « moins noire que ces éternels voiles de deuil » ,
et dont HENRI IV dira d’elle « une pauvre femme ayant par la mort de son
mari quatre petits enfants sur les bras [ ! ] (…). Fallait-il pas qu’elle jouât
d’étranges personnages pour (…) cependant garder comme elle l’a fait ses
enfants qui ont successivement régné par la sagesse d'une femme si
avisée… »... [ 77 ]
Certes le « Domaine
du MONS » n’était pas - ce serait prétention suprême ! , le
« Royaume de FRANCE » !!! … Mais dans la « saga » et
la grande « chaîne familiale » « DUFAURE-DUFOUR »,
l’existence et l’action de Françoise DUFAURE n’auront pas été vaines !!!
C’est le sentiment
profond qui est le mien en achevant ces quelques pages en forme de biographie,
lesquelles ne restent cependant qu’une modeste somme bien lacunaire…
« SILENCE. Mon œuvre. Ce mur d’écriture. Ce
rempart, cette citadelle de papier. Un aquarium rempli d’ombres où les choses
glissent sans se heurter. De loin en loin à la lumière de mes lampes nait un
objet dans le silence. Rien ne peut couvrir la voix de l’ombre et celle de la
grande horloge paysanne là bas, qui bat mon temps »… [ 78 ].
TEXTES INTEGRAUX DE DIVERSES
CORRESPONDANCES EVOQUEES
De Françoise à Elie
ALLASSAC, le 21 Avril
1860
Mon cher Elie
Après avoir reçu d’hier
ta lettre, ma mère m’a chargé de t’écrire pour te prier d’envoyer 300 F à
Berty ; comme il te les a demandé pour pouvoir faire honneur à ses
affaires, il ne peut pas acheter ce qui est indispensable sans argent et
emprunter ces choses là se serait honteux, ma mère désire donc ainsi que nous
que tu les lui envoie, nous t’en seront très reconnaissantes ; tu te le
retiendras sur ce que tu lui dois. Toutes les personnes qui nous ont parlé de
la famille JUGE nous en ont parlé dans les meilleurs termes ; il n’y a pas
de bien c’est vrai ; mais peut être il sera plus heureux dans le commerce
que dans une grande propriété. Nous voyons tous ce mariage avec plaisir parce
que quoique Berty ne dépense pas beaucoup tu vois que l’argent s’en va peu à
peu et une fois établie je crois qu’il en gagnera au lieu d’en dépenser. Allons
nous comptons sur ta bonne volonté pour l’envoie des 300 F
Adieu cher Elie je
t’aime et t’embrasse et suis toujours ta dévouée sœur
Françoise DUFAURE
De Françoise à Elie
ALLASSAC, le 2 Mai 1860
Mon cher Elie
Ma mère est très
étonnée de n’avoir pas reçu une lettre de toi, d’après celle que nous t’avons
envoyée dans laquelle elle te fesait demander 300 F pour Berty en sus des 1000
F que tu dois lui envoyer, on les attends avec impatience, veuilles donc être
assez bon pour les lui envoyer sans retard ; car je crois que la
résolution de Berty est inébranlable là dessus je te remercie beaucoup des
pastilles que tu m’as envoyé ainsi que des offres que tu m’a faites ;
quand à l’affaire dont je t’avais parlé personne ne m’en a plus dit cependant
Baptiste a été à VIGEOIS pour acheter une vache et Mme VAYNE lui a dit de me
dire d’aller la voire, si j’y allais je voudrais ne faire qu’une visite comme
je t’ai déjà dit et revenir, j’ai dit à ma mère d’envoyé Baptiste chercher un
pain de sucre , elle m’a répondu que le peu d’argent quelle avait lui fessait
besoin pour payer les journées puis il me faudrais habiller complettement et en
ne sortant pas puis m’en passer.
Adieu mon cher Elie je
t’aime et t’embrasse de grand cœur et suis toujours ta dévouée sœur
Françoise DUFAURE
Si tu veux tu peux
écrire à M VAYNE tu verras ce qu’il t’en dira sinon laisse y faire, il
m’arrivera que ce que le bon Dieu voudra, je ne tiens pas plus à cela qu’à
lieux et à lieux que là, si j’y tiens c’est que cela convient à ma mère et à
toi et à mes frères et sœur, car tu sais que la fortune ne me fera jamais agir,
sependant si Dieu le veut moi aussi je ne demande qu’une chose c’est de faire
sa volonté. Je ne sais si jamais je pourrai te dédomager des ennuis que je te
donne ; mais si je le pouvais il me semble que je serai bien heureuse.
Adieu encore tout à
toi
De Françoise à Elie
ALLASSAC, le 10 Mai
1860
Mon cher Elie
Ma mère m’a chargé de t’écrire
pour te prier d’envoyer à Berty les 1000 F convenu, voilà deux [
oubli du mot « fois » ] qu’il a manqué à sa parole
pour cet argent que tu avais promis de lui envoyer le 15 du mois dernier il
serai désagréable que qu’il la manquera une troisième fois Berty dit qu’il
trouve le chiffre que tu lui indiquais un peut trop élevé pour te répondre la
dessus qu’ensuite il ne s’en rappelait pas et qu’aux vacances vous règleriez
tout jusqu’à un centime et qu’aux besoin vous prendriez une tierces personne et vous vous raporteriez à ce qu’elle ferai, ma
mère dit que lorsque nous avons fait notre arrangement tu lui a promis 1000 F
et tu lui a dit que ce qu’il avait reçu ne serai pas compté elle espère donc
que tu ne reviendra pas sur ta parole. Nous désirerions tous qu’il fit ce
mariage parce qu’il serait placé et comme je te l’ai déjà dit il serait chez
des gens honnêtes . D’après ce que nous en disent toutes les personnes qui nous
en parlent et qui les connaissent de longue dâte on ne peut pas assez nous dire
les bonnes qualité de Maria.
Berty nous a dit que
si dans 15 jours tu ne lui avais pas envoyé ces 1000 f qu’il irrai à BRIVE pour
faire enregistrer son acte.
Tu comprends combien
il serait désagréable pour moi et pour tous que notre peu d’avoir se dépense chez
les avocat les avoués ou les notaires, ne vaut-t il pas mieux que ça reste dans
la famille, ALLASSAC ne demanderai pas mieux que de voir notre maison en
décadence.
J’espère bien qu’il
n’en sera pas ainsi, j’ai la douce confiance que le bon Dieu et sa Ste mère répandront sur nous leur bénédiction et que
tout se terminera le plus tot possible et de la manière que je le désire.
Mme VAYNE est venu le
3 de ce mois elle n’a pu assez me recommander d’aller la voir, elle m’a dit
qu’elle ne me voulait pas pour un jour ; mais pour plusieurs, elle m’a
témoigné la plus vive affection, du reste elle a toujours était très bonne pour
moi, des qu’elle m’a connue. Elle ma reparlait de Melle LAVERGNE pour Baptiste
d’ont elle t’avait parlait l anné dernière, elle m a dit que cela te convenait
beaucoup et que si ça convenait à Baptiste qu’elle croyait que ça pourrait se
faire
Adieu mon cher Elie je
t’aime et ‘embrasse de cœur et suis toujours ta dévouée sœur
Françoise DUFAURE
De Françoise à Elie
Au MONS le 18 Décembre
1863
Mon cher Elie
Pardonne nous si nous
avons mi du retard à répondre à ta lettre ; mais auguste avait dit à M
RELIER de la garder jusqu’à ce que lui irrai la chercher et il n’y est allé que
le 13 jour auquel M BRUNOT vendait ses biens ; ils se sont vendus si cher
qu’auguste n’a pas eu le moyen d’acheter le domaine ; il a pris seulement
un bois qui lui coute 3000 F.
Quant à la paille dont
tu avais chargé Auguste d’acheter il en a pris 17 quintaux le q 16
Baptiste en a payé
qu’il a reçu il t’achetera l’autre le plus tot possible le prix de celle ci est
de 1 F 90 le quintal.
Pour le blé que tu lui
avais pris le domestique est venu en chercher un sac c’est moi même qui le lui
ai donné d’où nous le prenons pour nous et conne nous le vendons, on ne le
trouve pas assez propre, auguste me charge de te dire qu’il qu’il ne demande
pas mieux que de te le ceder s’il leur convenait que dès qu’il ne leur convient
pas que cela ne lui fait rien à lui.
Auguste m’a dit que
Baptiste revenait chez FANTHOU je crois qu’il finira par si laisser prendre.
Adieu mon cher Elie
auguste se joint a moi pour t’embrasser et te souhaiter toute sorte de bonheur
le petit Elie t’embrasse aussi ; il se porte bien en ce moment
Françoise DUFOUR
Tu trouvera le billet
joint à la lettre montant de la valeur que tu a renvoyé a auguste
De Françoise à Marie
[ non daté ]
Bonne soeur
Je te prie d’avoir la
bonté de m’acheter chez GIBELLE une aune et demi d’étoffe bleu pour faire une
petite robe pour mon plus petite tu lui prendras aussi la pointe que la
métayère voulais lui acheter ; je crois qu’elle est de 12 sous et la robe
je pense qu’elle te la laissera pour 2 francs l’aune
Je te prie aussi de me
demander ma chemise à Jeanneton et de lui dire qu’elle m’envoie celles qui sont
prêtes surtout celles d’auguste je tiens beaucoup a ce qu’il l’ai aux fêtes de
paques. Dis aussi à BOUTAUX de me faire
mes serviettes le plus tot possible parce que je veux les blanchir sitot que je
l’ai aurai .
Bonjour a mon cher Baptiste
que je n’ai pas encore remercié du joli petit bonnet qu’il m’a envoyé.
Adieu chère sœur toute
à toi
F DUFOUR
Quand il n’y aurai que
5 quart pour la robe il y en aura assez
De Sœur Louise à Elie
De notre monastère de
Ste Ursule de BRIVE Le 21 Avril 1855
Monsieur,
Il serait à souhaiter
que toutes les personnes qui nous doivent fussent aussi exactes et en même
temps aussi honnêtes que vous. Nous n’aurions pas besoin de faire tant de
réclamations qui nous deviennent quelque fois pénibles. Votre lettre, Monsieur,
si polie et si reconnaissante pour les soins que nous avons donnés de tout
notre cœur à votre bonne sœur, nous a bien dédommagées du petit retard que vos
chers parents ont mis pour le paiement de la pension de Melle Françoise. Mais
soyez bien convaincu que nous n’avons eu à ce sujet aucune crainte ; ce
n’est qu’à cause des charges de notre maison que nous avons demandé ce qui nous
est dû. Toutefois nous ne voulons pas vous imposer l’obligation de nous envoyer
aussitôt notre lettre reçue ce qui reste encore à payer. Nous laissons à votre
délicatesse et à votre exactitude, le soin d’en fixer l’époque étant bien
certaines que cette somme nous sera acquittée aussitôt que cela vous sera
possible. Le chiffre de la pension ou des avances faites s’élevait à 414 F nous
avons reçu la dessus 200 F le 21 avril.
Nous sommes
enchantées, monsieur, que vous soyez content du progrès de notre bonne et chère
élève
Nous avons toujours
trouvé dans cette jeune personne les plus heureuses dispositions tant à la
vertu qu’à l’éducation que vous avez désiré trouver en elle.
Je vous salue,
Monsieur, avec considération
Sr Louise Supérieure
De Sœur Stanislas à
Françoise
J M J + Vive Jésus dans nos cœurs
De notre monastère de
Ste Ursule Le 18 Xbre 185-5 ?
Ma bonne Françoise
Depuis le mois de
septembre, les jours se sont succédés rapidement et chacun a emporté le regret
de n’avoir pas rempli la promesse que je vous avais faite de vous adresser une
longue épître ; la pensée m’en est venue assez souvent mais vous avez dû
apprendre par Anaïs dans quel état j’ai été pendant fort longtemps depuis je
l’aurais pu mais je ne sais quelle paresse s’empare de moi lorsqu’il faut que
j’écrive. Pardonnez moi, ma bonne Françoise en faveur de la franchise et ne
m’accusez pas d’oubli à votre égard parce que j’en ressentirais trop de peine
surtout ce serait une bien mauvaise pensée si vous aviez l’idée que je ne vous
aime plus oubliez le passé, bonne amie, et demeurez bien persuadée que Sœur
Stanislas vous aime et a pour vous la même affection que lorsque vous étiez à
Ste Ursule je voudrais que vous puissiez me mettre à l’épreuve et vous verriez
que je ne [ ? ].
Vous devez savoir sans
doute que je suis occupée cette année aux classes pauvres. Que ma joie est
grande, ma bonne Françoise lorsque je me trouve au milieux de ces enfants il me
semble voir notre bon Sauveur tout pauvre, dénué de tout : oh ! alors
que je suis heureuse ! J’aime ces enfants de tout mon cœur et je voudrais
qu’il me fut permis de finir mes jours parmi elles mais, bonne amie, voilà déjà
trois mois de passer l’anné s’écoule rapidement et qui sait si le bon Dieu
m’accordera encore la grâce de garder mon emploi un an de plus. Que puis-je me
permettre avec la maladie que j’ai ; aujourd’hui je vais bien et demain je
ne pourrai peut être rien faire. Vous vous rappelez, sans doute encore l’état
dans lequel j’étais lorsque j’avais ces crises et bien cela n’était rien en
comparaison de ce que j’éprouve maintenant j’ai des crises de trois de quatre
heures pendant lesquelles je demeure comme une personne à l’agonie. Voilà dix
ans que je souffre que la ste et adorable volonté de mon Dieu soit faite s’il
veut que je porte tout le reste de ma vie la croix qu’il en soit bénit la seule
chose que je lui demande est la patience et la résignation car enfin a quoi
nous servirait de nous raidir contre sa volonté ; n’est il pas la pas le
maître de nous frapper quand il lui plait et comme il lui convient, il est un
bon père il sait ce que je souffre j’aime mieux porter ma crois avec mon
Sauveur que de jouir de la santé puisqu’il ne le veut pas.
Je suis si égoïste que
je ne vous parle que de moi ce n’est pas cependant que je ne m’occupe de vous.
Quand nous reverrons nous ? Je pensais que ces vacances ne se passerait
pas sans que vous vinssiez dans votre cher couvent où vous retrouverez encore
tant de figures amies elles sont passées ma bonne Françoise et nous ne vous
avons pas vue maintenant plus d’espoir jusqu’à l’année prochaine. SI vous
veniez dans ce moment vous trouveriez bien des figures nouvelles toutes nos
anciennes ont disparues et elles ont été remplacées par de nouvelles enfants
que je ne connais pas. N’étant plus au pensionnat jamais je ne vais avec elles
de sorte que celles à qui j’ai fait la classe l’année dernière prétendant que
je ne les aime plus et vous bonne amie qui connaissez mon cœur vous savez s’il
m’est possible de ne pas aimer les enfants que j’ai soignés.
Si vous pouviez sans
que cela dérange votre famille je vous engagerais à venir assister à la
retraite plusieurs de nos anciennes élèves ont obtenues cette permission et
sans difficulté vous pourriez obtenir la même faveur Voyez ce que vous devez
faire et croyez que je serais bien heureuse si je vous revoyais encore dans
cette sainte maison.
Ma lettre est
commencée depuis longtemps je vous l’envoie tout de même prenez vous en à ma
névralgie qui la interrompue. Quoique l’année soit commencée depuis huit jours
je ne veux pas vous laisser ignorer tous les vœux que je fais pour votre
parfait bonheur. Ma longue épître calmera votre rancune contre mon éternel
silence et je suis sûre que ma bonne Françoise loin de m’en vouloir priera le
Seigneur pour celle qui se dit en Jésus et Marie.
Toute à vous
Sr Stanislas
Mes amitiés à Mme
votre mère et a votre bonne Sœur
7 Janvier 185-6 ?
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