L’AVOCAT
En préparation…
« Bonum vinum laetificat
cor hominum »
VIGNES
ET VIN A ALLASSAC,
ou les
frères DUFAURE
acteurs d’une
Civilisation…
Il s’agit d’un document provisoire qui est
ici simplement ébauché et qui devra être plus amplement remanié ultérieurement
Ce
document non abouti est mis en ligne à la demande de plusieurs internautes
ayant appris que le Pays d’Art et d’Histoire « VEZERE ARDOISE »
oeuvrait sur ce vaste sujet
« Bonum vinum laetificat
cor hominum »
VIGNES
ET VIN A ALLASSAC,
Ou les
frères DUFAURE
acteurs d’une
Civilisation…
« LES COTEAUX DE LA VEZERE RESSUCITES ?» !!!
« Cent
vingt ans après le passage du Phylloxéra, les Coteaux de la Vézère
renouent avec leur passé viticole (…) ; sur les hauteurs d’Allassac quelques Limousines placides encaissent sans
broncher un crachin persistant. A trois bouses et demi de là ; au bout
d’un chemin tapissé d’ardoises, des pieds de merlot naissants profitent d’une
vue imprenable sur la Vallée de la Vézère. Loin d’une
lubie passagère ou d’un gentil hobby du dimanche, l’affaire est sérieuse. Il
s’agit ni plus ni moins de la renaissance de la culture viticole dans une
région autrefois réputée. Et dont la myriade de cabanes de vignes à l’architecture si typique, qui peuplent ces
coteaux ensoleillés, témoignent de la richesse du passé » …
Dans l’édition de
Brive du quotidien « La Montagne » en date du 29 Novembre
2005, sous le titre « Les coteaux de la Vézère
ressucités » [ 1 ],
le journaliste Dominique Diogon introduisait ainsi
son article par une description fort bucolique d’un petit coin typique de la
campagne Allassacoise…
Quinze
propriétaires, regroupés en une « Société Civile d’Exploitation
Agricole », ont en effet l’ambition affirmée de recréer sur les coteaux d’Allassac un véritable vignoble, là où il en existait un
autrefois…
Certes, à l’époque,
il y avait sur le terroir Allassacois pas moins
d’environ 2.000 Hectares plantés de vignes, alors que l’objectif aujourd’hui,
bien plus modeste en ce tout début du vingt et unième siècle, ne vise
« seulement » qu’à planter une trentaine d’hectares…
Huit le sont déjà …
alors que la plantation de quatre hectares supplémentaires est déjà envisagée
pour l’automne 2006…
Après Branceilles, et son « mille et une pierres »,
la Corrèze devrait donc compter bientôt un deuxième vignoble d’importance, lui
permettant de renouer avec des traditions ancestrales de terroir viticole …
Les prochaines
années seront toutefois déterminantes pour vérifier si ce n’était qu’une
tentative un peu hasardeuse ou si une véritable résurrection du vignoble Allassacois s’est accomplie… Mais une telle résurrection on
peut en faire le pari !
LA
CORREZE, UNE CONTREE VITICOLE ?... UNE RENAISSANCE ENTAMEE…
« La vigne
semble inspirer la Corrèze, le romancier Christian Signol,
avec les « Vignes de Sainte Colombe »,
a déjà vendu plus de 100 000 exemplaires de son dernier roman (...) et même si
ses vignes ne sont pas d’ici, elles parlent d’un même amour, d’une même
passion, d’une terre que l’on protège… »
Ainsi débutait, il
y a maintenant une dizaine d’année, au printemps 1996, dans le quotidien
« La Montagne », un article
qui était consacré, précisément, à la renaissance d’un autre vignoble
Corrézien, celui de Branceilles.
Le produit de ce
vignoble, « Le Mille et une Pierres » , est un vin de Pays qui a acquis aujourd’hui des
lettres de noblesse incontestées…
L’un de mes anciens
condisciples des classes secondaires Brivistes, Pierre Perrinet,
s’est incarné comme le « chantre » incontesté de ce vignoble, et il
est devenu le « porte-parole » des vignerons de Branceilles,
en même temps que le principale responsable de la coopérative locale d’où
sortait, en 1996, plus de 90% de la production vinicole du Département qui
pouvait s’enorgueillir de l’appellation très officielle de « Vin de Pays de la Corrèze » [ 2 ].
L’objectif initial
de la relance du vignoble « Branceillais »
visait, au départ, à faire renaître une tradition et à retrouver des gestes qui
firent du Bas-Limousin un lieu de prédilection pour
la culture de la vigne…
L’étude érudite
signée par Roger Pouget, ( qui fut lui-même le
condisciple de mon père dans les classes secondaires ), étude consacrée aux
« vignes de la basse corrèze » et
publiée en 1998, est sous-titrée, sans place aucune pour l’équivoque, « Histoire
d’un vignoble jadis florissant » ! [ 3 ]
S’agissant des
résultats commerciaux enregistrés par les promoteurs du « Mille et Une
Pierres », ils ont aujourd’hui largement dépassé le caractère
simplement folklorique ou anecdotique qui pouvait présider initialement au lancement
de l’entreprise… et ils démontrent qu’il y a bien encore place pour un ( petit ) vignoble « économiquement florissant »
dans le Pays de Brive et son bassin !
A l’occasion des
vendanges de l’automne 2005 il semblait possible d’estimer qu’environ 200 000
bouteilles seraient produites sous ce millésime par la cave viticole de Branceilles [ 4 ] et qu’elles
pourraient être commercialisées sans difficultés …
En des temps
particulièrement difficiles pour la viticulture Française, « le Mille
et une Pierres » a su conquérir progressivement le marché local, s’y
implanter, et demeurer un produit d’une qualité suffisamment élevée et
régulière pour lui permettre de fidéliser ses consommateurs…
D’autres efforts
pour perpétuer les traditions vitivinicoles de la Corrèze, quoique plus isolés
car d’initiative plus individuelle que collective, étaient déjà menés, ici où
là, en dehors de la zone de Branceilles, en
particulier non loin d’Allassac, par un producteur
cherchant à conserver quelque souffle de vie au vignoble de Voutezac
... et j’avais pu apprécier, en son temps, le vin de son cru, dénommé « Domaine de la Mégenie »
lors de petites agapes familiales dans le Bas pays, à Saint-Viance,
au cours de l’été 1997 …
Las, lors d’un violent orage, le 23 Juillet
2000 ( jour de la fête des pêches à Voutezac ), la foudre s'est abattue sur la domaine de la Mégénie … [ 5 ]
La maison d'habitation et le chai ont
complètement brûlé et bien des efforts et des espérances ont été réduits à
néant en quelques instants…
LE
VIGNOBLE ALLASSACOIS, AU CŒUR DU PANORAMA CORREZIEN VITICOLE !
Pendant des siècles
le vin a été d’une part un aliment et d’autre part une richesse culturale ( voire une richesse culturelle ! ) d’où son importance
dans la vie des hommes ...
Par suite chaque
producteur s’est persuadé qu’il faisait le meilleur vin, chaque Paroisse s’est
convaincue que son vin était meilleur que celui des autres ... Et alors un
particularisme ( chauvinisme ? ) viti-vinicole
est apparu localement…
Ces particularismes
sont anciens : la vigne est considérée en France comme « un des monuments
Romains des mieux conservés qui soient sur notre sol » [
6 ].
C’est pourquoi la
vigne et le vin, mais surtout plus encore « leurs vignes et leur vin »,
vont accaparer bien du temps, bien des efforts et bien de l’énergie dans la vie
des frères Dufaure…
Les questions
vitivinicoles occuperont bien des conversations, bien des échanges épistolaires
entre eux, comme cela avait pu être également le cas pour leurs propres aïeux…
Depuis le Moyen Age
au moins, sinon depuis une époque antérieure, Allassac
était reconnu comme un haut lieu de production viticole de la Corrèze !
N’importe quel
observateur contemporain, même peu avisé, remarquera cependant sans doute
qu’aujourd’hui les vignes ne sont plus « visiblement » présentes sur
les coteaux Allassacois !
Pourtant comme
l’indiquait dans sa « Notice », en 1854, Elie Dufaure
lui même, Allassac était encore alors une « petite
ville renommée par ses bons vins et ses bons fruits », et il se référait,
en note, pour valider cette affirmation, au « Calendrier civil et Religieux du Limousin, Année 1781 ».
Dans une
monographie contemporaine consacrée à Allassac,
l’auteur prend pour référence le « Calendrier
Limousin de 1762 », dans lequel il peut lire : « Allassac, le meilleur vin du Bas-Limousin,
capiteux et chaud sur l’estomac, transporté vers Bourganeuf, Gueret, Treignac, Eymoutiers, à dos de mulet en bottes de
cuir dont deux font la charge, une charge correspondant à 90 bouteilles de la
mesure de Limoges, vin potable jusqu'à la troisième ou quatrième année »
… [ 3 ]
De fait, durant les
temps anciens, la vigne assurait à Allassac une ( relative ) prospérité grâce à son vin qui était grandement
réputé même bien au delà des frontières de son seul terroir...
Un siècle plus
tard, une étude, portant cette fois sur le « Département de la Corrèze »
et datée de 1866, retrouvée dans le grenier de la maison familiale du Mons à
Estivaux, nous indique que « La vigne ne prospère que dans
l’arrondissement de Brive. Elle donne un vin délicieux qui à Allassac, Donzenac et Beaulieu, peut être classé parmi les
bons vins d'ordinaire de France. On signalera en passant les vins blancs de
Collonges, de Varetz et d’Yssandon
dont la qualité est supérieure » [
]
En 1875, le « guide »
de Joanne consacré à « la Corrèze » estimait à 16.700 Hectares
la superficie Corrézienne consacrée alors à « la culture de la
vigne », et il signale en outre « dans les basses vallées de la
Dordogne, de la Corrèze et de la Vézère d’importants
vignobles ne produisant toutefois que des vins communs. Il faut en excepter les
crus : de Vertougi [ sic ], grand cru côté par
les moines de Cluny, auxquels il appartenait, de Voutezac
( Côtes du Saillant ), ceux de Donzenac, Allassac,
Beaulieu, Queysac [ les vignes ], qui donnent des
vins ordinaires estimés, et aussi ceux de Collonges, Saillac,
Yssandon, Varetz renommés
pour leurs vins blancs. Il se fabrique particulièrement dans les environs de
Beaulieu, un « vin de paille » qui est apprécié des
connaisseurs » [ ].
Guère de temps plus
tard, en 1882, la publication d’une étude sur la Corrèze signée par V.A. Malte-Brun [ ] permet de déduire que la vigne avait
encore pu se développer dans le Département juste après la guerre de 1870 ( et avant la grande crise du phylloxéra ), puisqu’elle
occupait alors en Corrèze 22.200 Hectares… mais la quantité, comme bien souvent
en matière vinicole, semblait l’emporter sur la qualité…
On peut relever
cette « constatation » de l’auteur : « Les vins dont la récolte
est en surabondance avec les besoins de la consommation sont en général de
qualité médiocre, les meilleurs sont les vins rouges d’Allassac,
Sailhac [ sic ], Donzenac, Seilhac et Argentat. Le
vin blanc d’Argentat est estimé, on en fait un bon vin de liqueur. Les vins
rouges sont classés parmi les bons vins d’ordinaire de France ». [ ]
« En
1874 », précise encore l’étude de V.A. Malte-Brun, « Les 17.500 Ha de vignes que l’on
cultivait dans le Département ont rapporté 350.000 Hl valant environ 7.000.000
de francs. En 1875, la production a été de 348.444 Hl, en 1877 elle était
descendue à 214.389 Hl ». [ ]
Peu nous importe en
fait la précision mathématique et la réalité des chiffres, nous retiendrons
qu’incontestablement, comme ces extraits compilés le démontrent, le vignoble Allassacois était bien l'un des tout premiers fleurons de
la Corrèze vinicole…
La mention de ce
vignoble s’avérait à l’évidence incontournable dans tous les ouvrages de
vulgarisation géographique prenant pour thème le Département de la Corrèze et
analysant ses productions...
Dès lors, ce
vignoble, tout comme son produit, ne pouvaient pas ne pas avoir concerné les Allassacois Dufaure, au fil des
générations, tout comme les Dufour du Mons d’Estivaux à un titre ou à un autre,
tant il s’agissait d’éléments dominants présents aussi bien dans l’économie que
dans la civilisation rurale des environs du « Riant Portail du Midi » [ Brive la Gaillarde ] dont la Cité d’Allassac s’est toujours prétendue « la Clef »
!
LA
VIGNE A ALLASSAC ET LES DUFAURE … DEJA AU MOYEN AGE !
Au Moyen-Age, la cité d’Allassac
tirait sa richesse des cultures du blé... et de la vigne...
La vigne devint,
selon Jean Louis Lascaux, « à partir du XVIème
Siècle la culture principale. Le vin qui est produit est déjà réputé au delà du
seul Bas-Limousin et il est exporté vers le Haut-Limousin et l’Auvergne »... [ ].
Remontant souvent
au Haut Moyen-Age, la toponymie des lieux-dits est, à
Allassac, particulièrement marquée par la présence
traditionnelle de la vigne sur le territoire...
On citera à ce
propos à titre d’exemples : « Les Chaves » [ Village où chaque maison possède sa
cave voûtée pour conserver le vin ! ] ou « Vinzelas » [ Contraction vraisemblable de « Lo vinh es la », un hameau situé sur
le coteau en remontant d’Allassac vers Estivaux et le
Plateau de Perpezac [
].
Lorsque Elie Dufaure entreprend des recherches sur ses ascendances
paternelles, il peut nous apporter une preuve de l’implantation de la vigne à Allassac au XVIème Siècle, ainsi
qu’en témoigne une reconnaissance féodale datée de 1535, qu’il cite dans sa
« Notice »
La reconnaissance a
pour titre : « PRO JOHANNE
ALIAS JOHANNIST FABRI VILLAE DE ALLASSACO ».
Le titre de cette
reconnaissance, traduit par Elie signifie : « Pour Jehan ou Jehannist Faure de la Ville d'Allassac »…
Elie Dufaure ne manque pas de noter alors ce point : « Le nom de Faure, del
Faure, de Faure, du Faure qu’a porté notre famille à Allassac
où elle existe depuis des siècles dérive du mot latin Fabri
ou Fabry ».
Dans cette même
reconnaissance on rencontre un certain « domine heliae fabry,
presbyteri, ejus fratris [ « Monseigneur » ou
« Messire » Elie Faure ( ! ), prêtre, ( son ) frère - de Jehan - ],
et parmi les biens fonciers évoqués une : « vineam sitam in pertinentiis
loci de soudrio »,
[ soit « une vigne située aux appartenances du lieu de la Sudrie - un hameau de la commune d’Allassac
- ], « confrontat cum vinea Johannis alias Johanno de Trolhio » [ confrontant avec la vigne de Jean de
Treuil - signalons ici qu’en Occitan « Lo truelh » signifie « le pressoir » [ ] ], « et
cum vinea marguarita dicta marguy Chastaneta » [ et
avec la vigne de Marguerite dite Marguy Chastanet ]…
Elie met à jour
aussi une autre reconnaissance, intitulée : « PRO BERNADO FABRI DE ALLASSACO » en laquelle se trouve mentionnée
cette fois une « vineam
et terram simul emptas sitas in pertinentiis praedictae villae et in territorio vocato al bos communal »
[ une vigne et une terre achetées en même temps situées dans les appartenances
de la présente ville d’Allassac et dans le territoire
appelé du bois communal ]…
Cette dernière
reconnaissance est datée du Seizième Siècle...
« Le 11 Novembre 1655 », peut établir
environ deux siècles plus tard Elie Dufaure, « Jean du Faur,
clerc de la ville d'Allassac, donna à moitié fruits
et à titre de métayer, à un nommé Simon, un sien fief, situé aux appartenances
de la présente ville et territoire appelé del bos cuminal consistant en bois,
terre, vignes » …
Elie relève alors
en rédigeant sa « Notice »
que son « père est aujourd’hui
propriétaire d’une grande partie des immeubles désignés dans ce bail »
...
Les vignes,
patrimoine familial, sont transmises dans la Famille Dufaure
comme un bien précieux !
« Il a la Grange Haute, la Grange Basse, dites
du « bois communal » avec les terres et vignes d’alentour et au
nombre des dépendances se trouve un héritage appelé la vigne vieille »,
poursuit-il ...
C’est au XVIIIème Siècle que la ville d’Allassac va faire « craquer » ses murs pour
s’étendre plus à l’Est avec le « Faubourg de la Grande Fontaine ».
C’est là que vont se concentrer la majeure partie des vignerons, avec leurs
habitations qui, bien que souvent modestes, possèdent toutes une cave voûtée
pour la conservation du vin [ ].
L’inventaire de
1757 [ un palpe
] établi en vue de la collecte de l’impôt, conservé aux « Archives
Départementales de la Corrèze », mentionne entre autres indications :
« (...) 61 -
Maison haute de Dufaure, vigneron, cellier, jardin à Maison
Sauvage, Porte Lauzanne, rue publique, contenant 4
perches (...)
139 - Masure de Dufaure, vigneron, étable, cellier pressoir, jardin,
contenant 11 perches (...)
182 - Maison haute
de Dufaure, vigneron, étable, jardin, rue publique
contenant 3 perches (...)
185 - Maison haute
de Dufaure, vigneron, étable, jardinet, rue publique,
contenant 5 perches (...) » [ ].
J’ai dénombré pas
moins d’une cinquantaine de « vignerons » Allassacois
qui sont recensés dans ce document de 1757 !
« Il fut un
temps aussi ou les du Faure avaient à Allassac et
dans les communes voisines », écrit Elie Dufaure,
« une grande position de fortune ». Il évoque le « Manoir des
Tours », situé dans le « barry de la Grande
Fontaine », « confrontant avec la Rue Publique par le devant »
et un peu plus loin il cite « les deux maisons de mon père situées
(...) dans la plus jolie position d’Allassac »
… Peut-être s’agit-il des maisons référencées « 61 », « 182 »
ou « 185 » dans le « Palpe de 1757 » ?
Elie avait
vraisemblablement pour aïeul l’un de ces « Dufaure, vigneron » recensés dans le palpe…
Elie dans le cadre
de ses recherches généalogiques a pu établir, ainsi qu’il suit, son ascendance
du côté des Allassacois Dufaure
: Jacques Dufaure, marié en 1702, son arrière-arrière-arrière grand père ; Elie Dufaure ( ! ), marié en 1738, son arrière-arrière
grand père ; Jacques Dufaure, marié en 1767, son
arrière grand père ; Elie Dufaure ( ! ) marié en
1788, son grand père ; son père prénommé Pierre ( et non Jacques... fin de
série ! ), marié en 1817... Et enfin « notre » « Elie » qui
retrouve ce beau « prénom de prophète » à sa naissance en 1824...
DU
COTE DE CHEZ LES LAROZE… PREOCCUPATIONS VITICOLES AU 18ème SIECLE.
Aux mêmes époques
la vigne et le vin ne concernent pas seulement l’unique finage d’Allassac … Mais la contrée du Bas-Limousin
dans un espace plus élargi !
Ainsi en témoignent
directement les correspondances conservées de la famille « de Laroze » ( une branche de l’ascendance maternelle d’Elie ) écrites au
XVIIIème Siècle…
En ne cherchant pas
à être exhaustif, je ne retiendrai ici que quelques exemples pour
l’illustrer...
C’est le 11 Février
1748, depuis Limoges qu’un dénommé « de
Laroze » écrit à son frère « bourgeois à St Cyr
la Roche » : « j’ay ressut mon très cher frère le reste du vin de Mr Pradel (...) ».
Dans ce courrier il
est aussi question du « quard du vin de Giraudo », d’une promesse de « deux gerles de vin »…
Le 9 Octobre 1756,
c’est un nommé « de Lavigerie »
qui écrit au même « Sieur de Laroze » : « Les vendanges d’objac sont fixees a mercredy prochain je
vous seray bien obligé si vous vouillié
me permettre de fayre commencer demain a la roche parceque vous voyiéz qu’il ferait
mon embarras d’avoir objat et la roche sur le corps a
la foy j’ause bien me
flatter que vous ne me reffuserees pas cette grace et celle de me voyre avec
l’attachement le plus sincère monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur »…
Les dates des
vendanges, étaient – et demeurent d’ailleurs – strictement encadrée… En matière
viti/vinicole les interdits à la production ont un
objectif principalement qualitatif puisqu’il s’agit d’améliorer la qualité du
vin ou, au moins, de l’empêcher de baisser…
L’institution du
« ban des vendanges » relève de cette exigence...
A l’origine ce fut
un privilège seigneurial qui permettait au Seigneur de vendanger le premier (
et donc aussi de vendre son vin nouveau le premier, donc « mieux »,
puisque d’une manière générale, en ces temps là, le vin nouveau est vendu plus
cher que le vin ancien qui se conserve mal ! ) [ ].
Il s’agissait aussi
d’une véritable « mesure de police » destinée à éviter des vendanges
trop précoces, cette obligation d’attendre la maturité du raisin est un pas de
plus vers la qualité, en effet il convient de proscrire des vendanges précoces
qui « donnent au vin un goût âpre et malfaisant », selon les écrits
du régisseur du vignoble de « Château-Latour »,
un nommé Poitevin, en 1803 [ ].
Avec la Révolution
le ban des vendanges survivra... mais ce sera alors le Maire qui le déterminera
et non plus le Seigneur...
Déjà un arrêté du
Parlement de Bordeaux, en date du 4 Avril 1713, avait donné cette compétence au
Lieutenant de Police à condition toutefois qu’il se réunisse au préalable avec
les notables pour fixer la date convenable ! [ ].
Je ne sais si
l’accord que sollicite « de
Lavigerie » auprès de « de Laroze » tient plus à une qualité de « Seigneur-bailleur » qu’aurait ce dernier ou à la
détention d’un pouvoir de magistrature locale lui permettant de déterminer les
dates des vendanges sur le secteur de Saint Cyr la
Roche ...
Le 4 Octobre 1762,
un sieur « Chaumont »
s’adresse au même destinataire « de Laroze » pour lui déclarer : « J’ay recu Monsieur
les trois charges de vin que vous m’avés envoyées
desquelles je vous fairés compte tout comme des frais
de voitures d’icelles (...) »…
Le 11 Octobre de la
même année c’est un des fils « de Laroze » qui écrit à son père depuis Chabrignac : « Je
vous envoye cet expres pour
vous prier s’il vous est possible d’envoyer ce soir ou demain matin le
menuisier qui doit faire vos bariques d’eau de vie
[ ! ](...)( … Rassurez vous après « l’eau de vie » on ne tarde pas à
parler de vin ! ). Je vous prie par le
présent porteur si vous voulez me laisser une barrique de quatre charges de
votre vin, je l’envoyrai chercher tant que les
chemins ne sont pas si mauvais ».
Il me serait
possible de multiplier les exemples qui démontrent l'interêt
porté par « ces gens », ces « de Laroze », quant aux questions
pratiques touchant à l’entretien de leurs vignes ou au transport de leurs vins…
LE
GRAND PERE D’ELIE... VIGNERON A ALLASSAC SOUS LE
PREMIER EMPIRE…
La « Nouvelle Géographie Universelle »,
ouvrage édité en 1810, présente ainsi la région de Brive : « Des vallons plantés
de vignes et de châtaigniers offrent à proximité de cette ville des points de
vue charmants (...). Les vins sont pour la plupart de bonne qualité. Les plus
médiocres sont convertis en eau de vie que l’on envoie à Bordeaux » [ ].
A la fin de l’Ancien
Régime, Turgot a donné une forte impulsion quant au désenclavement du Limousin
en rendant plus aisés les transports et en contribuant ainsi à rendre la
culture de la vigne plus rémunératrice puisque les débouchés potentiels étaient
nettement améliorés.
Aux alentours des
années 1810-1820, l’estimation de la superficie cadastrale du Bas-Pays de Brive couverte de vignes est voisine de 30 % du
territoire cultivé.
« Le Bas-Pays de Brive offre alors grâce à son vignoble un
paysage inédit en Limousin », écrit le Géographe Michel Perigord [ ]… A
cette époque la vigne, par le produit de la vente du vin est l’une des très
rares production qui procure aux agriculteurs un revenu réel en espèces, pour
peu que l’année ait été bonne évidemment !
Doit on y voir une
relation de cause à effet ? C'est à ce moment là qu'Elie Dufaure
« senior », « lou vier Gimel », le grand père de « notre »
Elie, ouvre un petit « Livre Journal
d'Elie Duffaure [ sic ] Propriétaire d'Allassac
An 1809 » comme l’indique la page de garde, sous la couverture
cartonnée recouverte de cuir... qui est aujourd’hui bien usagée mais qui a
franchi presque deux siècles jusqu’à nous... Et de quoi est-il question dès la
première page des écritures ? Eh bien de ventes de vin !
« Compte arrêté entre Gimel [ Ainsi se nomme-t-il ! ] et Jean [ Serrat ? ] de tous les vins qui ma pris jusqua aujourdhuy cinq fevrier 1809 (...) »…
Plus loin on peut
apprendre qu’Elie Dufaure reçoit le 3 Août 1809 de
son débiteur la somme de vingt et un Francs...
Entre ces deux
dates du 5 Février et du 3 Août 1809, les troupes de Napoléon 1er
ont remporté les batailles d’Eckmühl ( 22 Avril 1809 ) et de Wagram ( 6 Juillet
1809 )... La Paix ( provisoire ) de Vienne est conclue
le 14 Octobre 1809...
L’Empire a cependant montré ses premiers signes de faiblesse,
entraîné dans des conquêtes territoriales nouvelles qu’il doit assumer pour
faire respecter le « Blocus continental » qu’il tente d'imposer,
depuis Novembre 1806 !
Ce Blocus touche
d’ailleurs très durement les vignes du Bordelais, une région tournée vers
l’exportation qui se retrouve économiquement au plus bas en 1807. Sa situation
est encore aggravée par une abondante récolte constatée pour l’année 1808…
Des 135.000
Hectares plantés dans ce vignoble en 1788, il ne reste pourtant plus que 99.231
Hectares… et l’arrachage continue à se généraliser dans toute la contrée à
partir de 1811 [ ].
Les comptes
vinicoles du grand-père d’Elie sont particulièrement détaillés pour les années
« 1810 » et « 1811 ».
On relève ainsi,
entre autres détails, qu’un nommé « François
Lachartroulas » [ le
palpe de 1757 recensait : « 75 -
Maison haute de Lachartroule, vigneron ». La
Chartroulle est aussi un lieu-dit de la commune d’Allassac, situé sur le coteau, dont l’étymologie pourrait
provenir de « castrum » et
aurait pour signification « petite maison forte » [ ] ] « doit 23 bouteilles de vin qu'il pays ».
Si je n’arrive pas
toujours à déterminer si les sommes inscrites correspondent à des créances ou
bien parfois à des débits, je suppose que « le patriarche » doit s’y
retrouver, de même qu’en matière de dates, puisque se mêlent dates calendaires
et références approximatives en fonction du calendrier des fêtes religieuses...
le 15 Août 1810
« 9 setiers de vin », le 8
Septembre 1810 « 8 septiers de vin », le 15 Septembre « 8 sept de vin », le 15 Octobre
« 8 sept de vin », « autre huit sept de vin les fêtes de
la Noël passée », « dans le
carnaval passé quatre sept de vin reçu », « dans le carême passé neuf sept de vin », « avant les fêtes de Paques passées 1811
quatre sept » , « le quinze
avril dernier huit septiers de vin »…
Le prix de vente
moyen du septier est voisin de 3 F (
2 F 98 ), avec un prix minimal constaté de 1 F 50 et un prix maximal de
6 F dans les comptes d’Elie Dufaure aîné mais il
s’agit aux extrêmes de valeurs marginales, le prix habituel se situant entre 2
F 25 et 3 F 75.
Cette période du
Premier Empire reste globalement une période de conjoncture économique
favorable où les activités économiques et la production sont stimulées. La
hausse des prix entretient un climat d'initiative et parfois d'euphorie dont
les petits cultivateurs, lorsqu'ils disposent de quelques excédents négociables
sont bénéficiaires [ ].
Les vins se vendent
particulièrement bien, favorisés par le marché de l’armée et celui constitué
des Départements Annexés [ ].
Cependant les
améliorations de rendement et les progrès de la production ne sont pas d’une
ampleur telle qu’ils puissent corriger les effets des mauvaises années où les
récoltes sont réduites à néant... Le progrès n’a pas
apporté une marge de sécurité suffisante. Le volume réel de la production
commercialisable varie donc de façon considérable, de même que le nombre de
producteurs disposant d’excédents négociables [
]. Les années 1811-1812 sont marquées par la « Crise des
Subsistances » qui ravive les tensions sociales. L’hostilité est forte
aussi contre les « Droits Réunis », une série d'impôts sur la
circulation et la vente des boissons [
].
LE
PERE D’ELIE, PIERRE, VIGNERON DE LA RESTAURATION AU SECOND EMPIRE
Après la chute du
Premier Empire, la période de la Restauration constitue pour le Sud-Ouest une époque de libre extension du vignoble
contrastant avec le marasme antérieur dû au blocus continental.
Les Anglais et les Hollandais
redeviennent acheteurs des vins du Sud-Ouest de la
France... Ils reviennent ainsi à Montbazillac acheter
les récoltes de vin blanc doux... Aussi, il n’est pas le plus simple petit
propriétaire, voire le métayer, qui ne produise désormais sa « piquette »,
et, hors ce qu’il réserve à la consommation de sa maisonnée ne s’attache à en
commercialiser la plus grande part possible [
].
Les meilleurs régions productrices dans le Périgord se situent à
une encablure à peine d'Allassac... les environs de Terrasson, d’Excideuil et ceux de Périgueux où sont
produits les vins de Bourdeilles.
Tout le Bergeracois commence à s’acheminer vers un régime de
monoculture encore bien peu fréquent à l’époque, surtout compte tenu de sa
grande vulnérabilité... D’ailleurs les intempéries catastrophiques de 1828
anéantissent cette année là toute la récolte viticole de cette contrée [ ]
A compter de
l’année 1825, ( Elie est encore tout juste un nouveau-né ), c’est Pierre Dufaure ( son père ) qui poursuit, ou plutôt reprend, la
tenue du « Livre-Journal » que son propre
père avait longtemps suspendue, sans pour autant interrompre la
commercialisation de son vin…
Une page intérieure
porte cette mention « Livre Journal
d’Pierre Dufaure propriétaire d’Allassac
An1825 ».
L’examen de ces
comptes, dans lesquels les ventes de vin tiennent toujours une large place,
nous renseigne avec précision sur les quantités vendues, les prix obtenus, la
nature très diverses des vins commercialisés, et ce surtout à partir des années
1837 - 1838.
A cette époque sont
inscrites par Pierre Dufaure les « charges » de vin-s
« enlevées du sélier »
par la « charette de M. Vaintezoux »,
et ce en « plusieurs voyages »
à périodicités plus ou moins rapprochées... Ainsi, par exemple, « 3 charges 1/2 de blancs », « 9 charges de mansé »,
« 9 charge de petit »,
« le reste de plan mêlé »
...
C’est à partir de
cette période, semble-t-il, que Pierre Dufaure
commence à « exporter » par ses propres moyens sa production. Le
premier témoignage de ces mouvements de « barrils » ou de « petits baricots »
consiste en un récépissé délivré par les Contributions Indirectes à Allassac ( 14 Janvier 1837 ) valant congé pour « laissez passer (...) un hectolitre de vin rouge de la récolte de
1836 » que « M. Dufaure propriétaire a déclaré faire enlever demain à six
heures du matin de son celier situé à Allassac et conduire chez M. Baille [ ? ] propriétaire à Treignac », par une voiture
menée par « lui même ».
Le congé fixe un
délai pour réaliser l’opération : les récipients « devront être rendus à destination dans le
délai de deux jours en suivant la route ordinaire et sans pouvoir s’en écarter »
...
Il ne faudrait pas
aujourd’hui plus de deux heures avec un véhicule utilitaire et en suivant la
route ordinaire pour accomplir le même trajet ! Mais l’état des chemins était
alors précaire… Rappelons aussi que la « route de crêtes par Voutezac, Orgnac, Saint-Ybard et
vers Saint Léonard était appelée « la
vinade » en raison des transports de vin
effectués vers le Haut-Limousin... [ ].
C’est au XVIIIème Siècle que le vin devient une production hautement
fiscalisée. S’agissant d'un produit de « première nécessité », comme
l’était par exemple le sel, les autorités Royales et Municipales s’emparent de
cette ressource en « liquidités » que constituent les divers impôts
prélevés sur le vin...
Le produit est taxé
à la production, à la circulation ( d’où ce
« congé » de 1837 ), au commerce et à la consommation... Alors
apparaissent les « rats de cave » ainsi nommés par dérision et à
raison de la mèche de cire dont ils se servent pour visiter les caves et les
chais, mèche qui ressemble, un peu, à une queue de rat [ ].
Félicien Fargèze, éphémère voisin virtuel d’Elie dans la « Rue Dauphine à Paris », deviendra
gabelou aux alentours des années 1857-1858, et il sera « en poste à la
Barrière de Clichy » : « Me voilà gabelou surnuméraire. Vin en
cercle, en bouteilles, cidres, poirés, hydromels, eaux de senteur, fruits à
l'eau de vie (...) allaient devenir mon ordinaire. Dans une bicoque obscure et
sale, adossée à la grille de l’octroi, on me fit asseoir devant de gros
registres (...) le milieu me parut sinistre » [ ].
Un « 21
Juillet » d’une année dont le quantième n’est pas précisé dans la
correspondance, Pierre Dufaure écrit à un certain « Monsieur Gaspard voiturier à Treignac »
: « Vous savez mon cher Gaspard
quand vous vendant mon vin je vous dit que j'avais besoin du montant de suite
et que ce ne fût guère que condition que vous me payerié
comptant que je vous le livra cependant vous ne vous êtes pas géné. Veuillez je vous prie ne pas manquer de renvoyer de
suite cent franc j’en ai un préssant besoin. Si vous
ne le fesiez pas, vous pourrier
m’indisposer [ ! ] j’ai l’honneur de vous saluer. Pierre Dufaure »
Il ne suffit donc
pas de trouver seulement l’acquéreur pour le vin, encore faut-il trouver un
client solvable et qui soit bon payeur…
La tenue de tels
« livres de compte » ne peut ainsi que caractériser des commerçants
avisés comme semblent l’être en l’occurrence les Dufaure,
père et fils...
Pierre Dufaure en voit peut être d’autant plus la nécessité qu’il
est amené à pratiquer son négoce sous des régimes politiques successifs des
plus divers : Restauration, Monarchie de Juillet, Seconde République, débuts du
Second Empire et en rencontrant des conjonctures économiques souvent très
fluctuantes !
« EXPORTATIONS »
DE VINS… ET CLIENTELE LOCALE ( UN DUFOUR ? )
Pierre Dufaure ne fait pas uniquement affaire avec des gens de
Treignac...
Pour sa
« récolte de 1841 » il tient « compte du vin [ qu’il a ] livré au sieur Jarrige aubergiste à Uzerche » (...) « 4 charges et demi (...) prix convenu 11 F la charge (...) deux charges moins 1/4 de clairet prix 15 F
la charge, cinq charges vin rouge à raison 11 F la charge, une charge et demi
de vin blanc à raison de 11 F la charge »…
C’est aussi Pierre Dufaure, lui-même, qui « conduit » à « M. Vintejoux
pour 279 F de la récolte de 1842 » …
Semblable opération
est renouvelée par ses soins au moins pour les années 1843,1844,1845,1846 ; elles
concernent parfois du vin « mansais » et
parfois pour « vin clairet »
!
Interrogeons-nous à
ce propos sur la qualité réelle de ces vins « divers » !
Pour le Professeur
Denis, en terme de qualité, « On part de très bas au début du XIXème Siècle. La qualité est inexistante, la fraude
omniprésente » [ ].
Un britannique Reding explique en 1833 comment les Bordelais font du faux
« claret »,
c’est à dire du « Bordeaux »
falsifié à l’usage des Anglais…
Le Code Pénal de 1810
a institué une méthode de lutte répressive contre ceux qui trompent l’acheteur
sur la nature des marchandises vendues ( Article 423 )
mais bien peu d’efforts sont réalisés sur le plan législatif pour lutter contre
la fraude sur les produits...
La « Loi du 28
Juillet 1824 », ( c’est l’année de la naissance
d’Elie ), vise les fraudes sur les produits « fabriqués » mais non
sur les produits « naturels ». ( Ce texte
restera en vigueur jusqu’au ... 22 Juillet 1993 [ ! ], et il sera ensuite
intégré dans le « Code de la Consommation » )… Cependant la
Jurisprudence aura déjà souvent eu tendance à considérer le vin plus comme un
produit « fabriqué » que comme un produit « naturel »
[ ] !
Dans le « Manuel Théorique et Pratique du Vigneron
Français » de Roret ( 1826 ) on peut lire :
« Le métier de faire des vins artificiels est un métier de fripon... On
peut mêler des vins ensemble, mais il faut le faire convenablement... Il est
aussi de l’honneur, lorsqu’on on est obligé de le vendre, d’en décliner l’origine.
C’est tromper, c’est abuser de la confiance de l’acheteur en lui donnant un vin
mélangé pour un vin de tel ou tel cru » [ ].
En 1750, le
Parlement de Bordeaux s’était opposé au Marquis de Tourny, alors Intendant
Royal du Limousin et de la Guyenne. La viticulture Bordelaise se plaignait des
agissements d’un « certain commerce » qui faisait entrer dans la
ville des vins « estrangers » à la Région en faisant croire ensuite
que c’étaient d’authentiques vins de Bordeaux. Le Parlement local obtint
d’écarter ces vins destinés à des « coupements » aussi funestes pour
la qualité et la réputation des crus locaux [
].
Les livraisons de
« plants mêlés » faites par
Pierre Dufaure ne doivent pas être si désagréables
que cela aux palais de ses nombreux clients…
Le 24 Mai 1843 il
note « j’ai conduit à Jean Siblac aubergiste à Chamberet 26
gerles de vin qu’il m’a payé ».
Même client en 1844
« 17 charges de vins »,
puis en Mars 1846 ( pour une quantité non connue ),
puis en Octobre de cette même année « 17
gerles » … Toujours au même « M.
Siblas », une vente dans le courant du mois de
Mai 1849 « pour 250 F de vin »,
et peu après au commencement de Juin
« Six charges moins un quart de vin a M. Vintizoux
[ sic ] »
Il ne me parait pas
utile de reproduire en détail l’ensemble des mentions du « Livre-Journal » car je crois
qu’avec les indications de clientèle et de ventes sur Treignac, Chamberet ou Uzerche, il apparaît indubitablement que le
vin d’Allassac était bien « exporté » vers
le Haut-Limousin... en particulier le vin des Dufaure... Même si ce vin ne parcourra pas autant de chemin
que le vin de Vertougit ( Voutezac
) dont la renommée atteignit autrefois la Cour, du moins le dit-on, du bon Roi
Henri IV, fort amateur de vin de qualité ! [
].
En 1850, c’est un
nommé « Peyra »
qui est l’acheteur principal du vin de Pierre Dufaure...
pour les quantités suivantes : « 3
charges ½ » le 25 Mars, « 7
charges » le 10 Mai, « 7
charges [ encore ! ] » courant Mai,
« 4 charges ½ » le 18
Juillet et « 16 bouteilles » !
Mais, pour ce
« vin de 1850 », Pierre Dufaure a de nombreux autres acheteurs comme clients...
Il semble, cette
année là, que sa production fasse plus particulièrement l’objet de ventes au
détail ( « barrils » et bouteilles...
)…
Figurent
nominativement inscrits sur le Livre-Journal :
« Bounaix
(...) Tournet le marechal [
ferrant, sans doute ] (…) Chez martivou (...) Lajugyie cordonnier
(...) Rouberty menuisier (...) Vialle du verdier (...) baptiste
Fontaine (...) Jean Goutte cadet
(...) la veuve Fontaine (...) Bayle aubergiste (...) Tresse (...) Seau (...) Laborie de Peyra
(...) Pouc tanneur (...) » …
Parmi une clientèle
assurément nombreuse comment ne pas s’attarder sur cette mention plus
particulière : « Le 25 7bre jen ai vendu une charge a mr
Dufour dél mon » le montant est de ...
« 12 f »…
Cette indication
retient toute mon attention ! S’agirait-il en la personne de ce client d’un
Dufour du… Mons D’Estivaux ( dél mon ) ? Du père d’Auguste Dufaure
ou d’Auguste lui-même ? De celui qui épousera dans dix ans Françoise Dufaure qui n’est en 1850 qu’âgée de 17 ans ? …Cette
hypothèse n’est pas vérifiée mais elle parait tout à fait plausible
cependant...
S’il y a eu une
clientèle abondante pour le « vin de
1850 », en revanche pour 1851 la mention est beaucoup plus laconique,
et c’est d'ailleurs la dernière relative au vin contenue dans ce Livre Journal…
« Pour le vin de 1851 j'en ai vendu que 2
charges 24 F 50 au fils de peyra des gennets »
Les affaires de
1851 sont moins bonnes et c’est Elie qui enverra quelque argent au Printemps
1854 pour régler des dettes auprès de M. Vintejoux !
Puis c’est
finalement peu de temps après cette inscription de 1851, vers la fin du mois de
Septembre 1854 ou au début du mois d’Octobre ( la
période terminale des vendanges ! ), que Pierre Dufaure
décédera...
DE
L’ÂGE D’OR DE LA
VITICULTURE... A SON BRUTAL DECLIN !
Au décès de leur
père, les frères Dufaure ( Elie,
Baptiste, Bertrand ) devenus adultes vont perpétuer la tradition familiale
quant à l’intérêt porté à la vigne et au vin… Leurs vies de jeunes adultes se
déroulent sous le Second Empire qui a « peut être été l'âge d'or de la
viticulture » [ ]...
Les premières
années sont certes difficiles car l’oïdum ravage un
vignoble qui a déjà particulièrement souffert de la crise générale de
l’Agriculture entre 1846 et 1851… Mais si l’oïdum
fait craindre parfois pour l’existence même du vignoble et qu’il abaisse
fortement les rendements, en revanche les prix entament une hausse vertigineuse
pour culminer à des niveaux des plus satisfaisants… Les débouchés du marché
s’élargissent sans cesse, à la fois par les exportations internationales et par
l’essor de la consommation intérieure. La moyenne nationale de consommation de
vin passe de 51 litres en 1858 à 77 litres en 1872 [ ] , et les
chiffres fournis par Alain Plessis le confirme, à partir d’autres bases, en estimant la consommation par tête et par
jour de 1,34 litres sur la période 1845-1854 à 1,62 litres sur la période
1865-1874 [ ]. Cet auteur ajoute :
« De nombreux témoignages nous confirment le développement de l’ivrognerie
aussi bien dans les campagnes que dans les villes... L’alcoolisme qui peut être
aussi une façon de s’évader de la misère et de trouver des calories bon marché
étend ses ravages » [ ].
Tout n’irait donc
pas si mal pour les vignerons, si bientôt le phylloxéra, ce petit insecte
hémiptère dont les piqûres sur les racines de la vigne provoquent en quelques
années la mort du cep[
] ne venait pas hâter la fin d’un certain monde rural en bouleversant la
vie économique et corrélativement les mentalités...
La maladie est
détectée pour la première fois en 1863 dans le Gard [ ] ...
A la fin du XIXème dans son « Grand Dictionnaire Universel du XIXème Siècle » : « L’histoire du phylloxéra
contient encore un grand nombre de points obscurs ou complètement inconnus.
Pour n’en citer que quelques uns on ignore la durée de vie de l’animal, la
durée de la période à l’état d’œuf, l’intervalle qui sépare les mues », et
il poursuit : « à l’instant où la tâche se montre en un point, il est
souvent trop tard pour lutter, le parasite occupe déjà d’immenses espaces.
C’est l’état latent de la maladie, état trompeur et fumiste parce qu’il laisse
s’endormir dans un repos fatal le viticulteur désormais ruiné »
L’invasion
phylloxérique prend progressivement l’allure et l’ampleur d’une catastrophe
nationale [ ]. La progression de la
maladie est inexorable même si la Corrèze ne figure pas parmi les premières
régions touchées...
J-L
LASCAUX situe la destruction du vignoble Allassacois
vers 1888-1890.
Pour Ulry dans sa monographie de 1913 consacrée à Donzenac :
« En quelques années l’œuvre de destruction fut accomplie et c’eût été un
désastre si comme en d’autres régions la vigne avait constitué la principale
culture pratiquée. C’était néanmoins une pénible épreuve pour une population
accoutumée à consommer une partie de sa récolte et aussi à tirer de l’excédent
des ressources appréciables » [ ].
Claude Michelet
écrit dans une scène de son roman « Des grives aux loups » qu’il situe
au tout début du XXème Siècle : « Avant
l’attaque du mal américain les vignes des puys [ de Saint-Libéral
... « virtuellement » près Allassac -!-]
assuraient pourtant un estimable revenu à la majorité des agriculteurs du
bourg. Aussi chaque fois qu’ils revenaient en ces lieux désormais incultes,
tous ressentaient une sourde tristesse (...) » [ ]
Michelet poursuit :
« Désormais les puys étaient stériles et les enfants du village ne
comprenaient plus que l’on baptisât ces lieux de noms aussi invraisemblables
que Vigne Haute, Belles Vignes, Les Treilles ou Vignes Basses... Pour les moins
de vingt ans ces appellations étaient vides de sens et déjà fleurissaient de
nouveaux noms : Champs de la Carrière, les Pierres Drues, Tournepierres, la Genevrière (...) »…
Une « pénible
épreuve », « une sourde tristesse » : c’est ce qu’aurait
éprouvé sans aucun doute Elie Dufaure s’il avait
constaté de son vivant les ravages du Mal sur ses propres vignobles, quand bien
même ceux-ci seraient - pour une faible part - reconstitués un peu plus tard,
puis mis en valeur par le Docteur Elie Moussour,
époux d’une petite-fille de Françoise Dufaure... qui
perpétuera jusqu’au milieu du XXème Siècle une
tradition familiale « viti-vinicole » !
En 1900, les
auteurs de « l’Ecolier Corrézien »,
ouvrage qui pourfend par ailleurs l’ivrognerie et l’alcoolisme, dans un
chapitre intitulé « l’Agriculture
Nouvelle », écrivent : « Je ne parle pas de la vigne, huit
cantons à peine ont essayé de la replanter sans beaucoup de résultats »
[ ].
Le Professeur Denis
affirme avec raison : « La crise du phylloxéra opère une sorte de purge.
Seuls les meilleurs terroirs sont replantés, seuls ceux des meilleurs vins
surtout... Ceux qui sont produits dans les meilleures ( ou
dans les moins mauvaises ) conditions
économiques ... [ ] … Et peut être aussi
ceux qui sont produits dans les conditions qui épargnent le plus de peine aux
hommes, pourrais-je ajouter !
A ce propos Claude
Michelet me semble être clairvoyant lorsqu’il écrit que les puys
« portaient encore les traces des espaliers qui, vingt ans plus tôt, les
recouvraient jusqu’au sommet (...) » et qu’après le phylloxéra
« lassés de s’échiner en vain, les hommes avaient peu à peu abandonné la
culture de ces pentes. Les murettes non entretenues des multiples terrasses
avaient très vite cédé à la pression des terres, au ravinement des pluies
d’orages, à l’insidieux minage du gel. Disloquées, renversées, elles n’avaient
pas retenu longtemps un sol jadis maintenu par le seul travail des hommes, qui,
chaque année, couffin par couffin, remontaient dans les terrasses ce que le
ruissellement de l’hiver avait entraîné » [ ].
La pénibilité du
travail ne valait plus le plaisir de faire son vin soi-même et l’on pouvait
grâce à la révolution des transports en déguster du meilleur ( ? ) à bon marché ! Qu’importe qu’il soit produit ailleurs
dès lors ! ...
Ainsi une certaine
civilisation avait-elle expiré dans le Bas Pays du Limousin avec l’invasion du
phylloxéra !
Mon ancienne
« co-indivisaire » de bancs de classes secondaires, Sylvie Denoix-Vieillefosse, qui est aujourd’hui établie à la tête
d’une distillerie familiale, fondée en 1839, et fort réputée sur la place de
Brive, s’efforce de relancer la « moutarde violette du Pays de
Brive », une spécialité locale que la raréfaction du raisin suite aux
attaques du phylloxéra avait bien failli anéantir faute de disposer sur place
de l’ingrédient de base nécessaire à sa composition ! Cette moutarde avait fait
jadis le délice gustatif du Pape Clément VI, si l’on veut bien en croire la
tradition [ ]...
Peut être Elie Dufaure a-t-il eu aussi l’occasion d’apprécier ce produit
en son temps !
Une facture de
« l’Entrepôt d’Eaux de Vie Rhum
& A. », datée du 1er Octobre 1865, libellée au nom de « Monsieur Dufaure,
Propriétaire à Allassac » pour un « pain de sucre et 1/2 Litre eau de fleur
d'oranger triple » [ le dernier verre d’Elie, décédé à ce moment là ?
], porte en encadré la mention : « Fabrique
de Moutarde Violette », attestant de la commercialisation de ce
produit à Brive au XIXème Siècle !
Contentons nous
ici, essentiellement, de rappeler que lorsqu’Elie est
en vie, Allassac est un pays de vignerons, dont une
large part de l’économie et de la culture locales
repose encore sur la vigne et le vin !
UN
DUR LABEUR… OU LA SUEUR DE BAPTISTE !
« Je sais combien il faut sur la colline en
flamme
de peine, de sueur et de soleil cuisant,
pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme,
mais je ne serai point ingrat ni malfaisant »
...ainsi chanterait
« l’âme du Vin » dans les
bouteilles, telle que Charles Baudelaire prétend en percevoir le murmure, dans
le poème qu’il a intitulé précisément « l’âme
du vin » ...
A l’origine le
poète a conçu les premières pièces qu’il a consacrées au vin dans une
perspective Socialisante et Fouriériste ( « Le vin est pour le Peuple qui travaille et
qui mérite d’en boire » ).
C’est l’époque à
laquelle Baudelaire fréquente Proudhon... Mais peu à peu, Baudelaire va aussi
associer le vin à la catégorie des Paradis artificiels [ ].
Or Charles ne
manque pas de réaliser qu’avant de pouvoir versifier sur le vin
« échappatoire » ( « Pour noyer la rancœur et bercer l’indolence
/ de tous ces vieux maudits qui meurent en silence / Dieu touché de remords
avait fait le sommeil / l’homme ajouta le vin, fils sacré du soleil »
), il faut d’abord pour le produire, travailler sans relâche la vigne… afin
qu’elle donne un grain gorgé de jus à profusion !
J’ai fait la
connaissance d’un quidam qui ne sait certainement que trop le labeur incessant
que représente la culture de la vigne...
C’est de Baptiste
DUFAURE dont je veux parler !
C’est lui en effet
qui, resté sur l’exploitation familiale à Allassac, a
la charge de soigner les « plants du Pays, acclimatés depuis des Siècles,
tels le Chabrillou, le Chameyrat,
le Bordelais, le Piquat et autres [ le « Mansais » ou
le « Petit » ... ] [ ] », plantés sur les coteaux de la
propriété !
La vigne est une
culture exigeante qui nécessite beaucoup de suivi tout au long de l’année
culturale... Et quand bien même il ne s’agit pas ici de développer un cours
d'agronomie, la correspondance de Baptiste témoigne à bien des reprises des
divers aspects pratiques qu’exigent cette spéculation
végétale !
« Nous avons fumé la vigne tant que nous avons
pue », écrit Baptiste à Elie le... 25 Décembre 1860 !
Ils n’ignorent pas,
ni l’un ni l’autre, qu’il y a grand interêt à tenir
le vignoble riche en matières fertilisantes et surtout en acide phosphorique
régulateur de la maturité du raisin, facteur de la fécondité des vignes et de
la qualité du vin, ainsi que le démontrent aisément les agronomes... Combien de
tombereaux de fumier épandus ? Au moins le fumier produit par le maigre cheptel
des Dufaure...
En Septembre 1859
Elie suggérait à son frère de « monter
du terroir et du fumier s’il y en avait » !
La fumure est une
denrée rare, les engrais « chimiques » ne sont pas encore parvenus
sur place via le chemin de fer... De fait les vignes des Dufaure
ne peuvent matériellement souffrir d’un excès éventuel d’engrais qui
s’avérerait préjudiciable !
La fumure d’une
vigne doit s’accomplir tous les deux ou trois ans... Mais chaque année c’est la
taille en Février ou en Mars, le travail du sol au pied des ceps, à la houe ou
à la bêche, en Avril, l’installation des échalas auxquels les sarments doivent
être attachés en Mai et en Juillet... Puis les vendanges à la fin de l'été et
au début de l’automne ! Et ensuite seulement viendra le travail de vinification
des jus ! [ ].
Il n'y a guère de
périodes de relâche possibles...
« Nous avons monté la glèbe pendant quinze
jours »,
Le ravinement
pluvial sur la terre des coteaux oblige à des recharges fréquentes de terroir…
Un travail harassant certainement qu’évoquait plus haut Claude Michelet..
« Nous avons à faire les rages de vignes »
poursuit Baptiste, dans sa correspondance du 20 Janvier 1861.
Je me suis
interrogé sur ce terme de « rages » cherchant à y lire le mot
« rangée » avant que de trouver une explication selon laquelle les
rangs de vignes sont appelés « règes »
en Périgord [ ], puis de lire sous la
plume du régisseur Poitevin, dans le Bordelais, en 1803 : « La vigne est
plantée par règes qui ont suivant le
vignoble de 55 à 90 Mètres de long. Cependant cette dernière est peu usitée à
cause de la difficulté qu’offre le transport du fumier et des vendanges. Les
rangs peuvent être distants de
0,90 à 1 M » [ ].
C’est très
certainement ce terme « rège »,
qu’il a déformé en « rage »,
dont use Baptiste...
La nature étant ce
qu’elle est, le travail du vigneron bien que planifié peut être contrarié à
tout instant par des aléas climatiques...
« Nous avons travaillié
que la moitié du terrin que nous avons fumé pour
planté la vigne (...) il y a deux
mois qui na fait rien que de pleuvoir » [ 24
Avril 1861 ].
« Je t’écrit pour t’apprendre de mauvaiges nouvelles je t’apprend que nos vignes se sont gelle gelés presque plus que la moitié » [ 8 Mai 1861 ].
« Les raisins étaient sorti en grande
abondance mais les pluits de depuis trois semaines
leur nuisse beaucoup »[ 14 Juin 1863 ].
Bon an mal an il
faut compter avec ces aléas climatiques ! Cela rend-il Baptiste fataliste ?
Beau temps, Mauvais
temps, les saisons et les années se succèdent...
« Nous avons deux cetterait
de vigne a plantait deux a défaire les rages de vigne (...) la vigne a fumé et a rebanqué (...) »,
indique Baptiste à son frère le 7 Décembre 1861...
En effet il faut
aussi penser à renouveler les plants, dont la durée de vie est limitée, ceux
qui ont un rendement insuffisant, ceux qui ont souffert du gel ou d’autres
intempéries...
« la plantation de la grande vigne n'est pas encore fini ma
maire crit toujours qu'il veut pas de manœuvre parcequ’il na pas d’argent pour les payez » [ 23 Mars
1862 ]... Baptiste se « coltine » le travail sans pouvoir compter sur
une main d’œuvre d’appoint qu’il faudrait rémunérer.
« Je t’averti
que nous avons fini de planté la grande vigne dépuit
une douzène de jours » [ 10
Décembre 1862 ].
« Je réponds à
ta dernière lettre pour te donner connaissance de ce que nous fesant de ce que nous voulant faire depuis ton départ (...)
nous avons fini de faire béché la terre de la vigne
vieille lencémancé avoir défait la portion de la
vigne, avoir fait défait la vigne de la grange haute et ensémancé »
[ 26 Déc.1862 ].
« nous avons commancé a fossoyer la
grande vigne » [ 26 Avril 1864 ]...
Seul, ou aidé,
Baptiste fait avancer les « douzes
travaux » dont il a la charge.
« Le vignoble
exige beaucoup de main d’œuvre : le travail se fait à la houe et à la bêche et
contribue ainsi à maintenir des densités de population inconnues ailleurs en
Limousin » [ ].
UN
DIRIGISME ETROIT... en dépit de la distance... exercé par Elie
Si Baptiste
travaille, en permanence, le terrain, c’est en fait Elie, qui par ses
directives, dirige, bien qu’à distance, les opérations. Il donne ses
« ordres », livre ses recommandations pressantes, exige des
comptes-rendus !
« tu nous demande ce que nous avons fait cet hiver il me
faudrait deux heures pour te l’explique nous nous sommes occupés
continuellement au soin de la propriété », écrit Baptiste le 31 Mars
1864...
Cette réponse
elliptique peut elle satisfaire Elie ? J’en doute ! …
Il souhaiterait
sûrement plus de précisons !
A l’époque la
« Bourgeoisie » est encore très « rurale »… Souvent elle
vit sur ses domaines ou non loin d'eux... Même « quand un emploi, une profession,
un commerce les obligent à vivre en ville, la terre reste proche des bourgeois
car elle est la véritable source de leur fortune, donc de leur influence voire
de leur statut. L’influence se mesure alors par la taille des terres en
propriété. Cette propriété signifie autant des droits électoraux qu'un certain
prestige d'un point de vue économique [
].
Ces éléments
doivent être très présent dans la conception qu'Elie semble se faire de sa
propre position ! Et s'il s’intéresse à tout ce qui touche à la mise en valeur
de sa propriété, cela semble être plus particulièrement le cas s'agissant du
travail des vignes d'Allassac !
« Travail, sainte Loi du monde,
Ton mystère va s'accomplir
Pour rendre la glèbe féconde
De sueur il faut l'amollir »
[ ],
versifie
Lamartine, en 1836, dans son poème « Les laboureurs ».
Elie Dufaure travaille la glèbe par procuration
Il agit par
personne interposée... Cependant pour épargner la peine et la sueur de Baptiste
il suggère en 1859 : « Si tu trouvais à acheter un cheval ou une jument de
bas pour monter la glèbe dans les vignes du Mont-Rond,
celle qui est derrière la maison, à un prix modéré, il faudrait le faire »
...
Il suffit de
considérer le Mont Rond ou Mordon ( aujourd’hui un
coteau dépourvu de vigne ) pour imaginer, compte tenu de la déclivité, la
pénibilité du travail que représentait à dos d'homme la recharge du terroir
après une saison pluvieuse ayant raviné le sol...
« Nous avons
monté la glèbe pendant quinze jours », écrit Baptiste en Janvier 1861.... Le 10 Décembre
il informe Elie que « Nous avons fini la grande allér
qui monte la charette a la sime
de la vigne » ...
Un aménagement qui
va s’avérer certainement très utile que la création ou la remise en état de
cette piste de desserte !
UN
VOISIN DE PARCELLES : LAURIER ...et des problèmes de droit de passage...
Tout naturellement
les droits de passage dans les parcelles de vignes ou la création d’allées
deviennent des prétextes tout trouvés à de multiples querelles rurales qui
occupent... au moins à la veillée quand l'on ne peut plus travailler à
l'extérieur !
Le 7 Mars 1862,
Baptiste fait part à « son avocat de frère » que « Larier ( sic ) na pas tenu compte de ce qu'il avait était
convenu devant monsieu le juge de paix qu’il devait passér dans une rage que je lui indiqueré
il a pris le jour que nous n’y étions pas nous étions à la foire de Brive il y a fait venir monsieur l’avocat Blanchar de gaux et y a passé ses
vaches sur notre travail et sur les seppes
nouvellement planté que jen ai aché
pour 10 F de seppes racinés encore il y en a pas assé et nous on plantant de racine qu’un band on outre que nou metant de sarmand » ..
Baptiste grossit
peut être des événements « fâcheux », est-ce l’indignation qui rend
sa prose soudain plus approximative et saccadé qu’à l’habitude ?
Le 11 Mars 1862,
vraisemblablement après avoir reçu une demande de précisions complémentaires de
la part d’Elie, il lui adresse un tout petit mot à titre de complément
d’information : « Mon cher frère
laurier en passant ses vaches sur le travail que nous avons fait na cassé aucun
seppe il en na torsu que
deux ou trois le nom des personnes qui l'on vu passer ces notre colant toine crougeviale
et jean lacharlote fils ton frère dévoué »....
Elie voulait peut
être obtenir le nom de témoins et évaluer les dégâts avant de décider ou non
d’une assignation, à nouveau, devant le juge de Paix du dénommé Laurier...
Le conflit rebondit
cependant le 10 Décembre 1862...
Nouvelle
correspondance de Baptiste : « Laurier
de tempts en temps nous dégrade notre traibail depuit hier il a repassé
ses vaches sur tout le long il a cassé quatre ou cienp
barbuges il tordu ou ébourzoné
les autres toiné sauvage de gauch
la vu passé sur tout le long de la vigne et monsieur boudrit
a vu ses vaches dans sa terre et ce matin je lui ai fait monter faire voir le déga qu’il a fait en travaillions pour planter nous avons
fait sortir un tas de pierre que nous avons fait transporté a l’autré de son passage il les a auter
pour faire passér ses vaches »...
En fait, qui
provoque qui ?
Baptiste veut avoir
le mot et il suggère : « Nous
ferions pas mal de lui faire faire un gros mur ses jours si »
Elie est il serein
malgré tout à la lecture de ces correspondances ?
S’agit-il pour lui
de crimes de lèse-majesté ou relativise-t-il plus que ne peut le faire Baptiste
la réelle portée de ces conflits locaux et l’importance minime des préjudices
causés ?
UN
FOURNISSEUR D’ECHALAS… AUGUSTE DUFOUR DU MONS !
« Commande aussi le nombre d’échalats qu’il faut pour les deux vignes. On les fera
pendant l’hiver. Je vous enverrai l’argent pour payer le tout », donne
également pour instruction Elie
Au passage il faut
signaler et relever ce bel euphémisme « on
les fera pendant l’hiver », car si Elie payera certes, ce sont
« les Allassacois » qui prépareront sur
place les échalas ! Il conviendrait donc de lire plutôt : « Vous les ferez
pendant l’hiver » ... !
L’échalassage peu fréquent dans le Midi Méditerranéen où la
vigne est laissée sans soutien ( les grappes s’abritent
sous les feuilles contre le soleil qui les grillerait ) est nécessaire partout
ailleurs puisqu’il y a grand interêt à ce que la
vigne se trouve appuyée pour pouvoir prendre un port vertical favorable à
l’action du soleil. Après la récolte, les échalas, arrachés à l’automne, sont
mis à l’abri de la pourriture jusqu’au printemps qui suit...
Si les meilleurs
échalas sont en acacia, ils sont le plus souvent, en CORREZE, fait en bois de
châtaignier ... La matière première est abondante sur le secteur !
« Dans
certaines régions on exploite le châtaignier en taillis, les pousses servent à
fabriquer des cercles de futailles, des lattes et des échalas », énonce le
« Larousse Agricole » [ ].
Les Dufour
possèdent au Mons des châtaigneraies et, pour en tirer parti, il leur est
possible d’en « sortir » des échalas en les exploitant, ou en les
faisant exploiter...
Dans le Bas Pays,
on produit du vin ...
Nectar contre bout
de bois, bout de bois contre nectar ? Trocs en nature et/ou en
espèces ? Depuis combien de temps ces transactions s’organisent-elles ?
Existent-elles déjà
depuis des Siècles entre Dufaure et Dufour, et ce
donc dès avant le mariage de Françoise Dufaure avec
Auguste Dufour ? Ces échanges anciens ont-ils facilité les accordailles entre
les familles ?
Une chose est
certaine dans les années 1860, Auguste Dufour participe à la fourniture et au
transport des échalas pour les vignes des Dufaure...
« Monsieur Dufour je ne sais pas s’il a achetté les essalats tu écrira si
tu les veux rons ou quaré
les rons non pellé ne durre
cune années et les quare
dure plus de 15 ans mais aussi ce vende plus du doubre
je ne sais pas ce qu’il se vende », s’interroge Baptiste le 28 Avril
1861.
« Nous avons achétte
trois mille échallas que mon beaux frère [ Auguste Dufour ]
nous a aider conduire pour 4 de ses sarètes »
écrit encore Baptiste [ 14 Juin 1863 ]...
Auguste Dufour
n’aide pas qu’au transport ( c’est déjà une aide appréciable grâce à ses
« sarètes »
), car il fournit également la marchandise ainsi qu’il peut résulter de
l’examen de comptes manuscrits consignés par Elie Dufaure
au revers d’une chemise cartonnée intitulée : « Dossier de mon beaufrère Dufour » :
« Compte de 1864 ».
La première
rubrique de ces « comptes » est la suivante :
« 1. échalas
3000 carré = 4 = 120 3000 rond =
2, 50 = 75 / 195 ».
Ce compte est
honoré le 30 Octobre 1864, et il porte les signatures authentiques d’Auguste
Dufour et d’Elie Dufaure...
On constate que
Baptiste avait raison les « carrés » sont plus chers que les
« ronds » ! Les rubriques suivantes de comptes concernent d’autres
denrées agricoles provenant toutes de l’exploitation Dufour au Mons
d’Estivaux...
A Bar sur Seine,
les frères Goncourt décrivent, le 26 Septembre 1858, les vignes sur la côte :
« Tout cela monte, hérissé d’échalas, qui brillent comme des piques au
soleil, au bas desquels, sous l’abri de quelques feuilles recroquevillées comme
des serpents, quelques grappes brillent comme des perles noires » [ ], et ils ajoutent cette belle phrase :
« La vendange après la moisson, c’est comme le dessert des opérations de
la nature ! » ...
Baptiste, Elie,
Auguste... Chacun dans son rôle est bien l’acteur d’une
« civilisation »... Celle de la vigne et du vin... dans le Bas-Limousin ... Une tradition ancestrale qu’ils perpétuent...
« Et la famille enracinée
Sur le coteau qu’elle a planté
Refleurit d’année en année
Collective immortalité » [ ]
Jouent-ils aussi ce
rôle parce que comme l’a écrit Claudel : « Le vin est fils du soleil et de
la terre (...) il a le travail comme accoucheur (...) il est le véhicule d’une
triple communion. La communion tout d’abord avec sa terre maternelle où il
enfonce ses racines et de qui il reçoit à la fois âme et corps ».
Ensuite Claudel y
voit « En second lieu la communion avec nous-mêmes, c’est le vin tout
doucement qui réchauffe, qui dilate, qui épanouit les éléments de notre
personnalité, qui ranime nos souvenirs, qui stimule notre imagination
(...) » ; et enfin « le vin est le symbole et le moyen de la
communion sociale (...) » [ ].
Alors... comme ce
vin, qui est à la fois le produit du travail de Baptiste, celui des directives
d’Elie, et des sarments attachés aux échalas qui ont été fournis par Auguste,
va être bientôt tiré... Il faut bien penser à le boire !
« Car j’éprouve une joie immense quand je
tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe,
Où je me plais bien mieux que dans mes froids
caveaux » [
].
LE
« VIN DE PARIS »... ELEMENTS D’APPROCHE…
Très tôt « exilé »
à Paris, Elie a peut-être rapidement réalisé que le « goût de terroir » de « son petit vin » des
« coteaux Allassacois » lui manquerait et
que cela contribuerait à le rendre nostalgique de la Corrèze…
« BONUM VINUM LAETIFICAT COR HOMINIS »…
« Le vin lorsqu’il est bon réjouit le cœur de l’homme », dit-on
depuis des siècles…Et ce même à… Allassac!
Au début des années
mille neuf cent cinquante, le Docteur Elie Moussour,
installé à Allassac et qui produisait encore son vin
sur les « héritages Dufaure », faisait
traduite cet adage à l’un de ses jeunes petits-cousins,
Jean Marie Dufour, collégien apprenti latiniste !
« Bon vin le matin,
Sortant de la tonne,
Vaut bien le Latin,
Qu’on dit en Sorbonne »,
aurait
écrit Dom Pérignon, l’étudiant Dufaure le savait-il ?
A peine arrivé de
sa province, Jacques Vingtras, dès avant que de
trouver à se loger « Rue Dauphine »,
entre « chez le marchand de vin du coin [ et ]
demande un canon de la bouteille. Oh ! ce verre de vin
frais, cette goutte de pourpre, cette tasse de sang ! (...). Encore un verre de
vin ! C’est deux sous de moins ce sera mille francs de courage de
plus ! ». Un autre canon de la bouteille ».
Mais cette
« première gorgée de vin et autres plaisirs minuscules » est-elle
vraiment si agréable ?
On peut en douter
car si la qualité des vins de l’Ile de France est attestée jusqu’au XVIIème Siècle, la demande est telle que les vignerons
cèdent à la facilité, plantent des cépages très productifs mais de mauvaise
qualité...
Par suite les vins
« Parisiens » sont jugés très mauvais, ainsi en 1827, par exemple,
dans l’ouvrage de Caveleau « Œnologie
Française », ils pourront alors disparaître sans regrets ! [ ].
« Quant aux
vins de Paris, ils sont nettement classés au rang des vins détestables »,
confirme sans complaisance aucune Charles Auberive en
1860, « Cependant ils eurent pendant des siècles la même réputation qu’au
temps de Julien et au XIVème Siècle on faisait cas
des vins de Montmorency, de Menil, de Pierrefitte, de Marly, d’argenteuil,
de Sevres, de Meudon etc. Les vignerons parisiens
grâce à leur habitude récente de fumer la vigne pour lui donner un rapport plus
considérable ont enlevé à leur vin les principes délicats dont il retirait son
parfum » analyse ce « curieux » dans PARIS [ ].
Au cabaret de Montrouge,
Vingtras boit du « vin à quat’sou »
(...) « Comme il est bon ! » disait son camarade Matousaint
« en faisant claquer sa langue » ...
« Matoussaint le trouvait peut être mauvais mais dans son
rôle de chef de bande il faisait entrer (...) la foi dans les liquides bon
marché ! », analyse a posteriori ce cher Vallès/Vingtras...
qui confesse également : « Nous avons fait une folie une fois, nous
avons pris du vin fin, un muscat qu’on vendait au verre, un muscat qui me sucre
encore la langue et qu’on nous reprocha longtemps (...). Boire du muscat,
c’était filouter, trahir ! Nous fûmes traîtres pour deux verres (...). Voilà le
seul extra, la seule folie, le seul luxe de ma vie de Paris depuis que j’y suis
! » [ ] ... La vie ordinaire de
bohème de l’étudiant désargenté.
Sous le Second
Empire, le vignoble du Midi prend de l’essor et commence à
« irriguer » la Capitale... Le Midi produit des « vins de
cabaret », de qualité inférieure, mais indispensables dans la mesure où le
vin est encore, et toujours, autant une boisson qu’un aliment de première
nécessité » [ ].
LES
MARCHANDS DE VIN : MAQUEREAUX, FILOUS, FALSIFICATEURS !
Je ne pense pas
qu’Elie ait beaucoup fréquenté les marchands de vin de PARIS lorsqu’il était
étudiant et sûrement moins encore lorsqu’il a embrassé le métier d’Avocat... En
effet « le marchand de vin » est un lieu bien peu recommandable.
Notons ce que nous en dit le Corrézien Claude Duneton
dans la préface qu'il signe aux « Douze
aventures érotiques du bossu Mayeux », un
classique de la littérature érotique de l’époque romantique : « Le bossu Mayeux se marie au hasard des rencontres, souvent chez le
marchand de vin. Rien que de très authentique dans ces bordels à la petite
semaine installés dans des débits de boisson (...). On appelait « cabinets
noirs » les réduits lubriques destinés à l’assouvissement des « bas
instincts » même si les échanges se pratiquaient parfois dans l’ombre
propice d’une arrière boutique... Le marchand de vin
constituait un aspect original de la prostitution au XIXème
Siècle, la catégorie de bordel la plus élémentaire celle où l’on « baisait
sur le pouce » - expression de l’époque – et aussi la plus basse : le
claque du pauvre, où la passe valait deux sous avec de misérables vieilles
putes réformées généralement fournies par le patron du rade » [ ].
Il ne peut y avoir
qu’un poète, pour, tel Baudelaire, percevoir une réalité atténuée de ce décor
sordide et ce, par l’intermédiaire opportun du... vin :
« Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D’un luxe miraculeux
Et fait surgir plus d’un portique fabuleux
Dans l’or de sa vapeur rouge »
Joanne écrit :
« Nous n’avons rien à dire des marchands de vin, sinon que leurs
établissements ne sont guère fréquentés que par les ouvriers, les
commissionnaires et les cochers » [ c’est dire !
]. On comptait [ avant l’extension des limites de
Paris en 1860 ] plus de 4000 cabaretiers et marchands de vin au détail : ce
nombre s’est certainement accru » …
Puis il ajoute
« Les liquoristes chez lesquels il n’est pas de très bon ton d’entrer
vendent au détail des fruits à l’eau de vie, des liqueurs, de l’eau de vie, du
rhum, de l’absinthe » [ ].
Telle serait donc
la situation en 1863 !
En 1868, « la
consommation annuelle de vin par habitant est de 198 litres, chiffre élevé mais
« compréhensible » si l’on considère que la Capitale compte alors 11
346 marchands de vins « au détail » [ entendons : au verre ],
distincts des 1 631 cafés et brasseries qu’on y dénombre par ailleurs [ ].
Ils sont donc très
nombreux dans la Capitale les marchands de vin et les liquoristes...
« Vous savez combien il y a de maisons Rue Mouffetard ? », demande en
1864, un maçon Creusois à ses compagnons...
« Tu vas nous
le dire (...) »
- Cent trente six
exactement ! Je les ai comptées (...)
- Et alors ?
- Eh bien j’ai
repéré soixante quinze marchands de vin ! (...).
- C’est pour çà
qu’ici on se sent chez nous !
Ce dialogue est
extrait de l’un des romans de la trilogie due à Jean-Guy Soumy : « Les
Moissons délaissées »...
Soumy est
« Le » Creusois de « l’Ecole de Brive », or « Pour un
homme de la Creuse, belle mais sombre et froide, le Pays de Brive, c’est la
Provence » [ ] … et il ne manquait
pas de vin clairet, de vin rouge voire de vin rosé en cette contrée « méridionale »
au XIXème Siècle !
Quant aux maçons
Creusois, ils ne pouvaient « oublier » que dans des libations de
« piquette Francilienne » leur exil saisonnier, dans cette Capitale
qu’ils refaçonnaient selon les vœux d’Haussmann, entonnant peut être un chant
de tradition populaire, « Les maçons
de la Creuse », parvenu jusqu’à nous, et que je fredonne encore :
« (...)
L’auteur de la chanson
Ce n’est pas un poète
Mais un simple maçon
Aimant la chopinette
(...)
ils sont tous comme lui
Les maçons de la Creuse »
[ ]
S’accordant quelque
pause, compagnons et goujats [ les apprentis maçons ]
« filèrent ensuite chez un marchand de vin qui trempait la soupe. Les
cuillers étaient en bois, les assiettes jamais lavées mais le long des tables
crasseuses on ne parlait que du Pays », écrit Soumy [ ].
La solidarité entre
compatriotes durant « l’exil » était forte même s’il existait parfois
des rivalités entre les brûlas ( des environs de La Souterraine ou de Dun
) et les bigaros
( de la région de Saint Sulpice ou de Pontarion ).
Pour sa part le
chef de la sûreté Canler relevait en son temps [ sous la Monarchie de Juillet ] que les cambrioleurs
avaient fréquemment pour « tapis
francs » [ En argot de l’époque le
tapis est un cabaret et le tapissier l’aubergiste. De l’ancien Français :
« tapi, refuge ». Un tapis franc était un cabaret sûr, lieu de
rendez-vous ou de recel ], tel estaminet, telle
boutique de liquoriste, tel garni de bas étage » [ ].
Tout juste nommé
Officier de Paix en 1842, Canler « visite les
établissements mal famés de son arrondissement » et arrête « deux
malfaiteurs dans le cabaret d’un marchand de vin, liquoriste, sorte de bouge où
se réunissaient fréquemment tous les mauvais garnements du Boulevard »
[ ].
Le Suédois Magnus Huss donne en 1849 à « l’ivrognerie » le nom
« d’alcoolisme ».
Le médecin sociologue
Villerme estime, pessimiste, qu’il est « presque
impossible » pour l’ouvrier d'échapper à la spirale qui s’achève devant le
zinc d’un débit de boissons, « Tout est pour ainsi dire occasion d’aller
au cabaret ; il y va quand l’industrie prospère parce qu’il a de l'argent, il y
va quand il est momentanément sans ouvrage, parce qu’il n’a rien à faire; il y
va quand il est heureux pour se réjouir ou quand il a des peines domestiques
pour les oublier » [ ].
Ainsi au milieu des
années 1850, Coupeau, le mari de Gervaise dans « l’Assommoir » de
ZOLA, se met à boire…
Son épouse en
devient réduite « à faire les trottoirs » de la Capitale :
« C’était l'heure où d’un bout à l’autre des Boulevards, les marchands de
vin, les bastringues, les bousingots à la file flambaient gaiement dans la
rigolade des premières tournées et du premier chahut. La paie de grande
quinzaine envahissait le trottoir (...). Chez les marchands de vin, des
pochards s’installaient déjà, gueulant et gesticulant (...). Les portes battaient,
lâchant des odeurs de vin (...). Les petits rentiers promenaient leurs épouses,
répétaient en hochant la tête qu’il y aurait bigrement des hommes saouls dans
PARIS (...). Plantée devant l’Assommoir, Gervaise songeait (...) et sur ce
large trottoir sombre et désert (...) des femmes debout attendaient »
[ ].
Au hasard de la
lecture des exemplaires de la « Gazette
des Tribunaux » conservés par Elie, je relève nombre de condamnations
affectant des marchands de vin : « Pour vin falsifié : le sieur Humbert, marchand
de vins, rue du vert bois,80, six jours de prison et 50 F d'amende » [ 24
Mars 1860 ], « Pour mise en vente de vin falsifié : le sieur Boisset, marchand de vins, rue des noyers,50, huit jours de
prison et 50 F d'amende » [ 23 Juin 1860 ].
Oui ! l’occasion est bien souvent trop tentante d’abuser parfois
une clientèle fréquemment modeste et sans guère de possibilités de se défendre
!
Sur le plan
juridique : « La falsification doit être distinguée de la tromperie.
On entend par falsification tout acte matériel - addition, mélange substitution
ou suppression - qui a pour résultat d’altérer, dans une aliénation à titre
onéreux, une marchandise. La forme la plus fréquente est la falsification par
addition ( adjonction d’eau dans le vin ). L’intention
frauduleuse est requise pour qu’il y ait délit de falsification. La tromperie,
où il y a présentation fallacieuse du produit sous un nom usurpé est punissable
« ipso facto » alors qu’il faut une réalisation concrète pour
poursuivre juridiquement quand il s’agit d’une falsification [ ].
« Le sieur Gagneux, marchand de vin, faubourg du temple,67, traduit
devant la police correctionnelle pour mise en vente de vin falsifié, apportant
au Tribunal une explication toute différente de celles fournies par ses
confrères en pareil cas, ne le confondons pas dans une liste de condamnations,
et faisons lui les honneurs d'une place à part qu’il a bien méritée »
expose le chroniqueur de la « Gazette des Tribunaux » [ 23 Juin 1860
] qui rapporte ce dialogue savoureux à la barre :
Gagneux
: « C’est vrai, j’avoue sans difficulté que j’ai mis de l’eau dans mon
vin, j’en mets 45 Litres par fût de 2 Hectolitres 20 Litres ...
Le Président : Eh
bien ! Vous ...
Gagneux
: Mais...
Le Président : Ah !
Il y a un mais ?
Gagneux
: Mais... dans le vin au dessous de 15 sous... ( appuyant
) au dessous de 15 sous...
Le Président : Eh
bien ! Qu’est ce que cela fait ?
Gagneux
: Cela fait que j’ai causé de cela je ne sais combien de fois avec mes
confrères, même avec mes clients et ils m’ont toujours dit : « Du moment
que vous vendez au dessous de quinze sous, vous avez le droit de mettre de
l’eau » !
Le Président :
S’ils vous ont dit cela, ils vous ont dit une erreur...
Gagneux
: Je crois sincèrement que mettre de l’eau dans le vin est une science qui ...
M. Le Substitut
David : … Une science qui conduit en Police Correctionnelle (...) !
Finalement,
« Le Tribunal prononce une condamnation, à la surprise du prévenu, de
quinze jours de prison et de 50 F d’amende » !
A-t-il bu du vin
falsifié ?
Est-il en crise de
« delirium tremens » ?
Le « Sieur
L... âgé de 28 ans » qui « était à dîner en compagnie de l’un de ses
amis et d’une dame dans le salon du premier étage d’un restaurant de Saint
Germain en Laye » « Quand tout à coup il fut pris d’un accès de
folie, il devint furieux et lança de toutes ses forces une bouteille à la tête
de son ami (...) ». Puis « le malheureux insensé qui s’était
complètement déshabillé avait jeté ses effets dans l’escalier et se montrait
dans un état de nudité complet aux fenêtres dont les vitres volaient en éclats
(...) ». Ensuite maîtrisé, « La prostration et l’abattement
succédèrent à la fureur (...). Le dommage causé peut s'élever à 230 F »
relate maintenant la « Concorde de Seine et Oise » dans son numéro
daté du Dimanche 14 Octobre 1860 sous la signature de son « Propriétaire-Gérant Dufaure ».
Le journal publie
également, un tout petit peu plus loin, des bans de mariages locaux. Ainsi,
parmi d’autres, celui qui va concerner « M. Calot, marchand de vin,
demeurant à Chatillon ( Seine
) et Demoiselle Haillard, domestique, rue de la
Paroisse, 20 à Versailles [ les bureaux de « La Concorde » et de
l’imprimerie de Charles Dufaure sont eux, sis, rue de
la Paroisse, 21 ]…
Et parmi les autres
mariages annoncés, je relève également, mais pour l’anecdote, le ban
concernant… « M. Dufour [ ! ], ancien clerc de notaire à Mantes, et demoiselle Ballmes, sans profession, demeurant elle aussi à
Mantes »
AUTOMNE
1860 : ELIE, LE RAISIN, LE VIN… ET LES VENDANGES !
C’est grâce à la
Révolution ferroviaire qu’Elie qui ne doit pas fréquenter les Marchands de vins
va pouvoir boire, à PARIS même, du vin en provenance « directe » des
coteaux de son village et de la vigne familiale. C’est aussi cette
modernisation des transports qui va finir par anéantir le vignoble Francilien
déjà bien mal en point et qui va drainer vers la Capitale des vins venus des
terroirs de la France entière...
Il faut donc, dès
maintenant, bien mesurer les perspectives que l’entrée d’une locomotive en gare
de Brive, le 17 Septembre 1860, va alors ouvrir pour l’économie rurale de tout
le Bas-Limousin [
].
Deux jours
auparavant tout juste, le 15 Septembre 1860, Elie débourse la somme de « 1
F 50 » pour « déguster » du raisin ainsi qu’en témoignent ses comptes
conservés de « pension »…
Ce raisin du 15
Septembre 1860 a-t-il une saveur toute particulière ? ... Plus encore que
celle de celui qu’il a déjà goûté le 13 Août ( et payé : 0 F 75 ), le 3
Septembre ( 2 F 60... mais avec aussi du biscuit ! ), le 7 Septembre ( 0 F
50 ), le 8 Septembre ( 1 F 75 ), le 10 Septembre ( 2 F ) et encore plus
récemment le 12 Septembre ( 0 F 60 ).
Elie semble être un
amateur de raisin qu’il mange seul ou en compagnie d’où peut-être les
variations sensibles de prix que l’on peut constater en fonction des quantités
consommées...
Ce 15 Septembre, le
raisin à la saveur des « vacances judiciaires », de celles qui vont
lui donner la possibilité de rejoindre « sa » Corrèze… Ah ! Le raisin
des vacances ! Le raisin des vendanges ! Le raisin du vin nouveau !
Le dîner du 15
Septembre 1860 est le dernier de l'année Parisienne 1859-1860 de Maître Dufaure... et il partage es instants avec deux autres
convives dont il réglera d’ailleurs les repas...
Au menu : 3 potages
( 1 F 20 ) 1 sole au gratin ( 3 F 50 ), 1 bœuf et 2 perdreaux ( 2 F + 6 F ),
salade ( 0 F 75 ), pain et fromage ( 1 F ), raisin ( 1 F 50 ), 3 cafés ( 0 F 90
), soit une dépense totale de pas moins de 16 F 85, environ 5 F 60 par convives
pour cette petite fête... Mais pas de vin sur la table ce soir là ou du moins
pas de vin acheté... A midi Elie s’était, sans doute en prévision, contenté
d’un frugal déjeuner pour 1 F 10 seulement ...
A défaut peut-être
de boire du vin, en égrainant son grappillon de raisin ce soir du 15 Septembre
1860, discute-t-on des vendanges ? ... Elie évoque-t-il ses vignes
familiales et « son » vin qu’il pourra très bientôt faire goûter à
ses amis « Parisiens » grâce à la magie du rail ?
« VINS : Sujet
de conversation entre hommes », définissait Flaubert [ ]
Le journal de
Charles Dufaure, « La Concorde de Seine et Oise », dans le numéro du 14 Octobre
1860, semble être bien renseigné sur les vendanges de l’année en citant un
extrait de « L’aigle de Toulouse »
: « (...) L’opération des vendanges se fait dans les conditions les plus
favorables. La quantité sera très satisfaisante et la qualité ne le sera pas
moins. Le raisin est bien développé, exempt de maladie et suffisamment mûr
(...) C’est donc une excellente année pour nos viticulteurs, petits et grands,
de la banlieue de Toulouse (...) » !
Ces précisions
intéressent-elles les lecteurs de la région Parisienne ? Sans doute au
moins l’un d’entre eux : Elie Dufaure !
De tout cela Elie
va pouvoir en juger sur place, de visu, à Allassac...
Il ne sera de retour en effet dans la Capitale que début Novembre1860, son
compte de « pension » reprenant, après plus d'un mois d’interruption
le 3 Novembre. Il aura encore quelques jours à ce moment là pour peaufiner la
préparation de ses dossiers, ou les réviser, puisque c’est traditionnellement
le 12 Novembre qu’est fixée chaque année la rentrée solennelle de la Cour
[ ].
Pas de vin-s sur la table apparemment ce 15 Septembre 1860 ...
Alors remontons quelque peu le cours du temps pour être renseignés sur les
consommations de vins d’Elie en cette période précise de la fin de l'été
1860...
Le 10 Septembre
1860, Elie a réglé une addition pour 4 convives [ 4 potages, 1
« bœuf », poulet, sole, haricots verts, salade, pain fromage, raisin,
1 « siffont »,
3 café et... 2 vins bourgogne... le
tout pour 27 F 05 soit environ 6 F 75 par convives ], le 8 Septembre également
pour 4 convives [ 4 potages, bœuf, haricot, gigot, salade, pain, fromage, 5
pêches, raisin, 4 cafés et 2 vin blanc,
le tout pour 24 F 35 soit 6 F 10 par convives ], le 3 Septembre XX convives
également [ 4 potages, bœuf , poulet, melon, haricots verts, pain fromage, 6 pêches, raisin et biscuit, 3 café,
« 1 vin blanc », « 1 siffont »
... pour 26 F 90, soit 6 F 75 environ par convives ] ...
Il me plaît donc de
signaler ici, dans ces petits détails de la vie quotidienne, la présence de vin-s à la table de Maître Dufaure
... et ce plus particulièrement lorsqu’il dîne « en compagnie » !
« La
consommation de vin n’est que rarement solitaire. Est odieux ce personnage
caricaturé par la critique : « Je n’aime pas être seul lorsque je mange
une dinde, nous sommes toujours deux... La dinde et moi » ... Pauvre dinde
de se trouver en si piètre compagnie », écrit Charles Quittanson,
qui se veut Maître « es savoir boire » [ ] Mais qu’il s’agisse de « vin blanc », à l’origine non
précisée, ou de vin rouge donné pour être du « Bourgogne », les bouteilles sont « comptées »
indistinctement pour une valeur de « 3
F » l’unité à Elie, aux goûts semble-t-il éclectiques en matière de
vins…
BOURGOGNE,
BORDEAUX, SAUTERNES, MADERE ... LA ROSE DES VINS !
« La France
n’a pas d’éléments plus liants que la Bourgogne, plus capables de réconcilier
le Nord et le Midi » a écrit Michelet...
Peut être l’historien
voyait-il juste... En tout cas Elie Dufaure,
l’Occitan, consomme très fréquemment du « vin de Bourgogne » et je
relève au moins une quinzaine de fois cette mention dans ses comptes de pension
conservés de Juillet 1860 à Septembre 1862, sans autres précisions cependant
sur les crus exacts qu’il a pu déguster à Paris... ni sur le caractère
véritable... ou fallacieux de ces appellations : « Bourgogne »
Les Goncourt, aux
origines Lorraines et… Haut-Marnaises, ont
semble-t-il pour leur part plus fréquemment à Paris l’occasion de consommer des
vins de... Bordeaux ! Ainsi dînant chez les d’Ennery, le 11 Mars 1860, ils
notent : « Gisette a bien fait les choses. Le
dîner est fort convenable et chose assez rare le vin ordinaire est bon et une bouteille de Bordeaux est posée sur la table de quatre en quatre
personnes » [ ].
Le 8 Novembre 1863
« chez la Barucci » : « Le dîner est
somptueux, insolent (...) les vins c’est le Château-Yquem, le Les-d’Estournel,
le Château-Margaux
(...) ».
Les Goncourt
rapportent également qu’à un « dîner donné par des jeunes gens, Marie [ … une maîtresse d’Edmond ! ] a
vu une femme prendre toujours le Bordeaux entre ses jambes, disant : « Je
ne bois que du Bordeaux » et en avaler trois ou quatre bouteilles [ ! ]
ainsi gardées, ainsi chauffées » [ 29 Mai 1856 ] [ ]. C’est ce que l’on appelle « boire du
Bordeaux à température chambrée » !
Le 18 Septembre
1859, Elie écrivait à Baptiste : « Je partirai Lundi pour aller replaider à la Cour Impériale de Dijon, l’affaire que j’ai
gagnée l’année dernière devant le Tribunal de cette ville (...) »
Alors date-t-elle
de 1859 ou de l’année précédente cette note d’hôtel qu’Elie a conservée ?
Une note de « l’Hôtel de la Cloche » à Dijon,
« à proximité du débarcadère du Chemin de fer de Paris à Lyon »,
« Chez Goisset », « Chambre Numéro
29 »...
Cet « Hôtel de la Cloche » a toujours été
un hôtel très côté ! Il possédait déjà « trois tours » dans le tout
premier guide rouge Michelin, édition de l’année 1900 [ ], ce qui signifiait : « Hôtel où il
faut compter dépenser par jour plus de 13 Francs- vin compris » ... Encore
« trois tours » dans le Michelin 1989, soit la mention « très
confortable » ! [ ].
En plusieurs
occasions, et ce encore récemment, j’ai rencontré ici ou là des personnes qui
se sont déclarées très satisfaites de leurs séjours a « l’Hôtel de la Cloche » ... qui a
toujours conservé excellente réputation !
Elie aura dépensé
au total 65 F 75 pour son séjour qui semble avoir duré 2 à 3 jours [ avec 2 nuitées décomptées ]... Mais je relève principalement
dans la note qu’il a honorée de « remarquables » consommations de
vins de Bourgogne !
Ainsi « 1/2 bouteille de Pommard » [ « Côtes de Beaune » ! ] pour 2 F 50, « 1 bouteille de Montrachet »
à 5 Francs [ des « Côtes de Beaune » également ! ], « 1
bouteille de Richebourg » à 8 Francs [ là il
s’agit de « Côtes de Nuits » ! ].
Il est difficile de
boire aussi bien durant un séjour aussi bref !
Ceci tend à
confirmer qu'Elie était bien un amateur de Vins de Bourgogne !
Tel un certain
François Villon du temps naguère qui s’écriait :
« (...) Ostez ostez ostez cela,
Car par ma foi point je n’en veux,
Qu’est ceci ? Est ce un Beaulne
?
Videz moi mon broc vistement,
Je demande du vin de Beaulne,
Qu’il soit bon et non autrement
(...) »
Félicien Fargèze, à Paris, la nuit du Mardi-Gras
de l’années 1858, se distingue selon ses dires dans le « Quadrille des Lanciers » dans un
bal proche de « La Barrière »... puis il invite ses cavalières à
« venir goûter chez lui du Vin de
Beaune qui arrivait tout droit du Pays » : « Je fis un bon
feu. Deux bouteilles de Beaune arrosèrent les biscuits que j’avais en réserve. Je titubais.
Très soûle Ludivine braillait la rengaine (...).
Quant à Madame Andin la tête paraissait lui tourner (...) ».
Plus tard, dans la
région de Dijon dont il est originaire, en Octobre 1870 Fargèze
est blessé à la jambe en luttant contre l’envahisseur qui occupe le secteur et
il nous précise : « Plusieurs milliers d’hommes, tous Badois assuraient
l’occupation. Le Prince Guillaume de Bade était à l'hôtel de Rancy, le Prince de Hohenlhoe à la Cloche » [ ].
La petite histoire
ne dit pas si l’aristocrate Allemand y occupait également la « chambre
Numéro 29 » !!!
Alors
« Bourgogne » ou « Bordeaux » ?
Chacun des terroirs
à ses adeptes, ses « aficionados »...
Charles Monselet [ 1825 - 1888 ,
Historien, critique dramatique et - fin - gastronome ] ne cherche pas, lui, à
trancher :
« (...)
A quoi bon faire le parallèle
Avec un loyal ennemi
Disons que le Bordeaux c'est elle
Et que le Bourgogne c'est lui
A lui ses airs fiers et superbes
Coquelicot parmi les herbes
Il se croit l'honneur du bouquet
Elle plus discrète en sa flamme
Sourit d'un air coquet :
Le vin de Bordeaux, c’est la femme
(...) » [ ]
Les vins blancs qui
figurent sur les additions d’Elie Dufaure, on l’a vu,
ne sont que très rarement « qualifiés ».
Les Goncourt ont
eux l’occasion assez fréquente apparemment de boire des « vins blancs du
Rhin » ...
Ainsi chez les
d’Ennery, le 1er Décembre 1861, où « Gisette »
est « allumée par du vin du Rhin (...), grisée de boire et de manger du
jambon et du hareng fumé » [ ], ou
encore chez « la » Barucci, le 8 Novembre
1863...
Elie pour sa part
boit peut être des vins blancs de l’Ouest de la France pour accompagner les ...
huîtres - [ encore
qu’un petit Aligoté de Bourgogne !!! ] – qu’il commande fréquemment [ et toujours les mois en « R » !!! ].
Le 18 Décembre
1860 : « 2 douzaines d’huîtres
avec sitron, pour 2 F 15, 1 vin blanc et café
pour 3 F 60 », ou le 20 Janvier 1862 : 1 Fr.
la douzaine d’huîtres, 3 Fr toujours la bouteille de
vin blanc ! Cette « même consommation » est prise, de nouveau, le 18
Février 1862, exactement au même tarif !
Le 18 Janvier 1862,
au déjeuner de midi, Elie et un autre convive, qu’il a invité, dégustent, tout
deux, une douzaine d’huîtres accompagnée de vin blanc, mais je relève au menu
également du « pathé de foie gras » pour « 1 Fr 75 ».
Le 13 Janvier 1862,
pour « 6 F », Elie a commandé « 2 bouteilles de vin blanc sauterne »
[ un Bordeaux blanc ! ], et, ce jour là, la douzaine
d’huîtres lui est « comptée » : 0 Fr 90… et
non à son prix habituel [ ? ] de 1 Fr... Une
aubaine !!!
A plusieurs
reprises en Janvier-Février 1862, Elie s’offre une
bouteille de « vin madère » à 4 Fr 50 ! ( les 23, 25, 29 Janvier, et les 3 et 6 Février 1862 ) ...
La
« maison » a-t-elle une fin de stock à écouler ? Ou
le Madere constitue-t-il pour Elie une
« fantaisie gustative » sortant de l’ordinaire pour ses papilles
d'avocat ?
Les Goncourt pour
leur part boivent quant à eux plus de Porto que de Madere...
Le Porto du dîner
du 15 Février 1862 serait selon eux la cause de leurs rêves dans la nuit qui a
suivi !!! Ils en boivent aussi, le 11 Juin 1862, au dîner chez « les
Charles Edmond » [ Charles Edmond Chojecki -
1822 1899 - Réfugié Polonais, Collaborateur au journal « le Temps » et auteur dramatique.. ]
et ils narrent qu4à cette occasion : « Gisette
après onze verres de Porto est grise » ! [ ].
« Bourgogne » fut-il « Côte de Beaune » ou « Côte de Nuits », ou « Bordeaux » fût il « Sauterne » ?
« Porto » ou « Madere » ?
Le choix est ouvert !
Il faut être
philosophe et citer à nouveau l’incontournable Monselet
qui déclare devant l’abondance de choix :
« (...)
Et quel bel exemple nous donnent
Ces vins dans leur rare fierté
Qui s’acceptent et se pardonnent
Leur triomphante égalité
... » [ ]
DE
L’ABONDANCE DES CRUS... ET DES « GRANDES
BOUFFES » ORGIAQUES...
« Le vin de
Bourgogne parut avec les hors d’œuvre, on servit les Bordeaux aux entrées, le
Champagne aux rôtis, l’Hermitage à l’entremet, le Tokay et le Madère au
dessert. Peu à peu les têtes s’échauffèrent »…
Mais non ! Il ne
s’agit pas, là, du récit d’un dîner de Maître Elie Dufaure
!
Ce programme
pourrait sans doute se rapprocher de celui que partageaient tous les samedis,
au restaurant Philippe, Rue Montorgueil, les douze
membres du « Club des Grands Estomacs » ...
« Les repas
commençaient à six heures du soir pour ne s’achever que le lendemain à midi. Madere et Vieux Bourgogne de 8 heures à minuit, Bourgogne
et Bordeaux de minuit à six heures du matin. Champagne, Cognac, Kirsch ou rhum
de 6 heures du matin à midi » [ ],
selon ce qu’en rapporte Alfred Delvau [ 1825-1867, Rédacteur en chef au « Rabelais » -
cela ne s’invente pas - et spécialiste de « langue verte » ] [ ].
A partir de
Novembre 1862, les Goncourt dîneront, eux, deux fois par mois « chez
Magny », avec une frange choisie du tout Paris littéraire ( les Flaubert, Gautier, Renan, Taine, Sainte-Beuve ou
encore George Sand ).
Ce restaurant créé
en 1842 par l’ancien chef du restaurant Philippe est sis « Rue Contrescape-Dauphine », c’est à dire à « deux
pas » de « chez Elie », Rue Dauphine ! « Nous dînons
parfaitement et finement, un dîner qui me semblait irréalisable dans un
restaurant de Paris » [ ] commentent
les Goncourt, sans nous renseigner pour autant tant sur le menu et que sur les
vins !
En matière
d'extravagances gastronomiques Jollivet, qui fut
rédacteur au « Figaro »,
nous décrit ainsi son collègue Scholl ( 1833-1922 ) : « Avalant bock sur bock sans se griser
et mangeant comme quatre. Il gagna le pari de refaire un dîner complet en le
commençant par la fine champagne, suivie du café, du dessert, en remontant
jusqu’au potage et je crois même à l’apéritif » [ ]
Et notre ami Monselet, dont le pied bot est connu de tous les
restaurateurs, est l’arbitre de tout ce qui touche à la table... Il aurait
cependant été « victime », en 1869, chez Brebant,
restaurant fort réputé, d'un vrai « complot » ! [ ].
Au menu qui lui
était proposé ce jour là : potage aux nids d’hirondelle - barbues sauce
crevettes - côtelettes d’isard sauce piquante - coq de bruyère aux olives - le
tout arrosé de « Clos Vougeot »
... Et pour une
fois Monselet trouve tout à son goût !
Alors on lui révèle
que les nids d’hirondelles étaient des nouilles à la purée de flageolet, le
barbue : du cabillaud, l’isard : des côtelettes d’agneau marinées dans du
bitter, le coq de bruyère : un dindonneau arrosé d’absinthe, le « Clos Vougeot » : du gros rouge
baptisé au Cognac et à la fleur de violette...
« Si nombreux
sont à l’époque les « pères Lustucru » qui
servent du chat pour du lapin, aussi nombreux sont les journalistes
gastronomiques pour les déguster l’air ravi ! » commente malicieusement
Jean Effel…
Mais revenons à
notre dîner qui était décrit plus haute par ses seuls breuvages...
Il s’agit du
premier dîner à Silling, dans « Les 120 Journées de Sodome » du
« divin Marquis » [ ], qui,
tout embastillé qu’il était, se trouvait en mesure de jouer, « au moins en
imagination, sur un tel registre de variétés vinicoles à profusion » !
A l’égard des vins,
ils avaient varié à chaque service : dans le premier, le Bourgogne, au second
et au troisième deux différentes espèces de vins d’Italie, au quatrième les
vins du Rhin, au cinquième les vins du Rhône, au sixième le Champagne mousseux
et les vins Grecs » imagine-t-il même un peu plus loin... « Les têtes
s'étaient prodigieusement échauffées » [
] !
Les exégètes des
écrits de Sade souligne que « l’aliment principal de la débauche est
l’alcool et que le premier dîner n’est décrit qu’à travers les choix des
vins » mais « si au second repas le Bourgogne est à la même
place », en revanche ils ne manquent pas de noter que « le Champagne
du premier repas est remplacé au second par un Champagne mousseux, selon une
technique nouvelle pour l’époque » [
].
DU
CHAMPAGNE POUR MAITRE DUFAURE !
Apprécié par le
Pape Urbain II, puis sous la Renaissance par le Pape Léon X qui possédait sur
le terroir d’Ay son vendangeoir personnel, le vin Champenois, renommé depuis
les temps anciens était aussi fort prisé par François 1er, Henri
VIII d’Angleterre... ou encore Henri IV, le « Vert Galant », statufié
au Pont-Neuf, qui ne buvait donc pas que du Vertougit ! ... Il s'agissait alors d’un vin « tranquille »,
bien que possédant une tendance naturelle à pétiller, aptitude que Dom Pérignon
( 1638 - 1715 ) développera, comme on le sait, à
l’Abbaye de Hautvillers en même temps qu’il étudiera le mariage des crus pour
obtenir le vin de Champagne sous une forme proche de celle que nous lui
connaissons aujourd'hui [ ]...
Ce ne sera
cependant qu’en 1820 qu’il sera question de Dom Pérignon désigné alors comme
« l’inventeur » du Champagne...
Dès le XVIIIème Siècle la consommation de Champagne s’étend : on
en use à la table Royale et aux soupers du Régent... Le Cardinal Dubois y goûte
très sûrement... « Champagne » : Sous la Régence, on ne faisait pas
autre chose que d’en boire », telle est l’une des définitions que donne
Flaubert pour ce « breuvage » ! [
]
« La
Régence » représentait au XIXème Siècle le
symbole de « la liberté aristocratique des plaisirs » ! « Soyons
Gaulois, nom d’un petit bonhomme ! Et Régence si nous pouvons ! Coulez bons
vins, femmes daignez sourire ! », déclare Hussonnet, l’étudiant en Droit que rencontre Frédéric, à
Paris en Décembre 1841, dans « l’Education sentimentale » [ ].
Le Champagne est
présent aux parties fines que Casanova ménage à ses amies, aussi bien que dans
Le boudoir de la Marquise de... Pompadour !
Malgré un goût prononcé
pour le Chambertin, Napoléon 1er est un client fidèle des négociants
Champenois et il les visite même en Juillet 1807.
Talleyrand-( …Périgord ) en sert à l’occasion des négociations du
Traité de Vienne...
Et dans la seconde
moitié du XIXème Siècle on aurait pu le
« qualifier de vin des Libertins, les hétaÏres y
trempèrent leurs sculpturales nudités » : c’est en tout cas ce
qu’affirmera le très sérieux Guide Michelin [
].
En 1830, le vin
rouge tranquille « d’exportation » a quasiment disparu de la Région
Champagne (***) ...
La bonne qualité
des bouteilles, le contrôle de la prise de mousse, le brevet que dépose en 1844
Adolphe Jacquesson ( une capsule de fer blanc et un
muselet de fil métallique améliorent le bouchage des vins mousseux ) marquent le
début "d'un grand succès commercial qui ne s'est point démenti depuis...
En 1866 sur 295
fabricants, il y a 57 principales maisons "" parmi lesquelles
quelques noms émergent déjà comme Ruinart ou Veuve Cliquot à Reims, Moet & Chandon à Epernay ( Eugène Mercier
crée sa maison en 1858 ), Jacquesson à Chalons En
Champagne.
Tout de suite la
présence de nombreux ressortissants Allemands dans cette activité est frappante
: Heidsieck, Piper, Mumm, Bollinger, Krug, ( pour ne citer que les plus connus ), et cela « donne
à penser que les gens du Nord avaient maîtrisé très tôt les problèmes de
sucrage et de mousse » [ ].
« CHAMPAGNE »
: « Caractérise le dîner de cérémonie » ... C’est encore une
définition de FLAUBERT pour ce produit [
] ;
D’ailleurs à la fin
d'un grand repas, chez BOUVARD).et PECUCHET, « On déboucha le CHAMPAGNE
dont les détonations amenèrent un redoublement de joie » !
« CHAMPAGNE » : « Faire semblant de le détester en disant ce
n’est pas un vin », propose-t-il encore... si tant est qu'une telle
mauvaise foi puisse être feinte ! »
Le CHAMPAGNE, c’est
le vin des grandes occasions…
VINGTRAS/VALLES
découvre à TOURS les bulles, lors du déménagement de sa famille sur NANTES en
1845. Une relation de son père voulant marquer des retrouvailles aussi fortuites
qu’inopinées, s’exclame :
« Mesdames,
Messieurs et Gamins, j’offre du CHAMPAGNE »
- Jacques, tu
boiras dans mon verre dit ma mère (...)
- Non, il boira
dans le sien et c’est lui qui aura l’étrenne de cette bouteille » dit M.
CHANLAIRE, en pressant le bouchon qui part comme une balle : « les enfants
les premiers »
.Il remplit mon
verre qui déborde et dit :
« vide moi çà ! »
Ma mère me lance
des yeux terribles ! (...) » [ ].
La première trace
de consommation de vin de CHAMPAGNE que j’ai
rencontré dans les archives d’Elie DUFAURE remonte au Dimanche16 Décembre 1855.
Ce jour là Elie a
organisé un « dîner d’amis »,
facturé comme tel par Madame LEMOINE, qui comporte au Menu : « Potage -
Œufs et Radis - Barbues ( à moins que comme pour MONSELET il ne s'agisse que de
cabillaud ! ) - Dindon - Chou et Haricots - Salade - Pommes et Nèfles - Marrons
- Café – Rhum », tout cela arrosé de surcroît par sept bouteilles de vin à
1 F 50, trois bouteilles à 2 F 50, et 1 bouteille de champagne à... 5 F, dont
la « Marque » ne nous est malheureusement pas précisée !
BULLES
ET VOLUTES ... PLAISIRS DE TABLE DU NOTABLE ET LUXE DE CLASSE
« Qu’on y
réfléchisse bien, les heures charmantes de notre vie se relient toutes par un
trait d'union plus ou moins sensible à quelque souvenir de table »,
affirme plein de philosophie épicurienne, l’incontournable Charles MONSELET
[ ].
Est-il possible de
boire seul du Champagne ? Moins encore certainement que s’agissant de tout
autre vin ! ...
Je relève à partir
des documents en ma possession aujourd’hui qu’Elie DUFAURE a « payé »
au moins à une douzaine de reprises du CHAMPAGNE, sur la relativement courte
période considérée...
Cette fréquence me
parait devoir être soulignée en ce qu’elle contribue à relativiser la perception
d’une vie spartiate et de travail que l’on pourrait avoir du quotidien Parisien
de Maître DUFAURE, qui sans être un « lion » ni un
« cocodès » semble parfaitement en mesure d’apprécier de temps en
temps les plaisirs de la table et du verre !
Le 7 Janvier 1861, [ peut être pour marquer l’Epiphanie ? ], ils sont sept à la
« table d’Elie ». Le repas est copieux... Qu’on en juge : Potage –
« petit Pathé » - Sole au Gratin - Gigot - Haricots flageolet -
Gâteaux d’amande – Poires, et Biscuit mendiant ! Le tout arrosé d’une bouteille
de MADERE, et d’un siphon d’eau de SELTZ, pour finir par une « bouteille de Champagne » ...
accompagnée de six cigares à 25 Centimes pièce... et non de sept !
[
y a-t-il un non-fumeur dans l’assistance ? Un
convive allergique au cigare ? Une femme qui boit de… l’eau de SELTZ ? Les
GONCOURT notent en Novembre 1858 : « Une jeune femme nouvellement
mariée disait à un de ses cousins : « C’est singulier, Paul, tu fumes le
cigare ; mon mari fume la pipe, il ne sent pas le tabac et tu empestes,
toi » [ ] ].
C’est un marchand,
Gustave BOCK, qui eût l’idée, en 1850, de baguer ses cigares pour les
distinguer des autres... L'idée plaira tout de suite, et bientôt chaque
Souverain, chef d’Etat ou grand de ce Monde voudra des cigares avec une bague à
son nom [ ]... Elie avait déjà commandé
du CHAMPAGNE, peu avant Noël, pour le repas du 22 Décembre 1860...
Ces affaires
sont-elles particulièrement fastes et couronnées de nombreux succès au
Printemps 1861 ? En tout cas sa consommation de Champagne est importante !
Le 3 Mai Champagne(
pour 3 convives ), le 9 Mai Champagne( pour 2 convives... 1 bouteille comptée à
7 Fr, et non à 6 F 50 comme à l'habitude... Un
Millésime ? pour une convive ?? Le 24 Mai champagne encore (
3 convives...et comme pour le 9 Mai : des fraises au dessert en
accompagnement !) Champagne de nouveau le 17 Juin ( et
de nouveau seulement 2 convives ) avec toujours des fraises en dessert !
Le 23 Janvier 1862
Elie organise, de nouveau, un « grand repas »... Que fête-t-on ? Je
l'ignore ! L’Amitié seulement, peut être !
Il y a dix
convives... Au menu : Potages – « pathé » -
Turbot - Lièvre - Petits pois - Fruits Fromage glacé - Biscuit Mendiant - Café
- Tout cela arrosé de 4 bouteilles de
BOURGOGNE, une de MADERE, et de 2 bouteilles Champagne sans oublier une
bouteille d’eau de vie pour couronner le tout en guise de pousse-café, et puis
dix cigares ( pour 2 F 75 ).
Mais s’agissant
uniquement des boissons alcoolisées Elie aura dépensé en un seul repas 30 F 50
! Du luxe !
Champagne et
cigares ! Deux symboles de la Bourgeoisie, visés par MARX, dès 1852, en
référence à Louis Napoléon BONAPARTE : « Un fataliste (...) convaincu
qu’il existe certaines puissances suprêmes auxquelles l’homme et surtout le
soldat ne peuvent résister. Parmi ces puissances, il comptait en première ligne les cigares et le Champagne.
L’oncle se rappelait les campagnes d’ALEXANDRE le Grand, le neveu les
expéditions de BACCHUS dans le même pays ! [
]
A l’époque, on
fumait peu dans les campagnes [ ].
« Qui serait assez fou pour transformer des sous en fumée ?
Ce sont les soldats
qui de retour de leurs années de service militaire imposèrent l’usage de la
cigarette.
La marque
« CAPORAL » après la guerre de 1870, vendue dans les cantines de
l’armée, devint synonyme de tabac. Le « CAPORAL » fut ainsi appelé parce qu’il était supposé supérieur
au tabac du simple soldat de base ! Mais il devint rapidement le synonyme du
tabac mauvais et bon marché ! [ ].
Seules les classes
aisées peuvent s’offrir le luxe de fumer des cigares...
Le 12 Mai 1858, les
frères GONCOURT évoquent SCHOLL qui, disent ils ,
« à des devoirs de position (...) il ne croit plus devoir fumer que des
cigares dont il attend une caisse de « Londres » [ ].
Les cigares sont
déjà auréolés de mystères... Le mythe des cigares roulés sur les cuisses des
belles cigarières est inventé par les poètes du XIXème
Siècle et contribue à leur conférer le prestige et la sensualité [ ]. MEILHAC et HALEVY composent bientôt le
livret de « CARMEN », que crée BIZET en 1875 !
Ainsi les repas,
particulièrement les dîners entre amis organisés par Elie, souvent très
arrosés, s’achèvent dans la fumée des cigares !
Volupté des
volutes... des sensations que je partage ! Et l’on ne sait plus trop si ce sont
les vapeurs d’alcool ou l’étourdissement de la fumée qui délient
les langues !
Le 4 Février 1861,
les GONCOURT dînent chez l’actrice Lia FELIX : « Un dîner fastueux
(...). Aux cigares voilà la discussion qui éclate »...
Le 27 Mars 1862,
ils sont chez Gisette : « Au dessert, les
femmes sorties, les hommes le cigare à la bouche, un bruit de piano dans le
salon à côté, la parole va (...) »...
Le 16 Août 1862,
ils sont à dîner chez la Princesse Mathilde : « Après dîner on passe des
cigares sur le plateau du café et tout le monde se met à fumer en plein salon,
autour et presque sous le nez de la Princesse » [ ].
Chez elle encore,
le 18 Mai 1863 : « On parle, après dîner, au café, dans la fumée des
cigares (...) »…
Il n’y a pas quinze
jours que l’Allassacois Aymard
de FOUCAULD est tombé devant PUEBLA ... Mais qui le sait et pourrait s’en
soucier dans les « salons » Parisiens ?
Le 14 Décembre
1864, alors que l’on discute [ enfin ! ? ]
de la Guerre du... MEXIQUE : « Nous fumions en-haut »,
écrivent les GONCOURT, « lorsque la porte s’est ouverte et le Prince
NAPOLEON [ Jérôme – « plon plon » -, frère de Mathilde ] est entré. Il a
allumé un cigare qu’il a fumé maussadement, assez silencieusement, ne sortant
de son mutisme que par des paroles de dédain et d’ennui » [ ].
Une mélancolie due
à la médiocre qualité de ce cigare ?
CIGARES :
« Ceux de la Régie tous infects », affirme FLAUBERT pour qui
« Les seuls bons viennent par contrebande » [ ]
« Le tabac est
l'ivresse des races épuisées qui n’ont plus assez d'estomac pour se griser de
nourriture et de vin » [ 12 Mars 1865 ] [ ].
Les plaisirs du
cigare semblent essentiellement masculins...
Ne fument parmi la
gente féminine que des « femmes de mauvaise vie » !!!
La cigarette
concurrence alors le cigare !
En Avril 1856 les
GONCOURT parlent de « filles d’un bordel » « chemises blanche ou
de couleur, avec une jupe sombre ; jeunes, jolies (...) fumant la cigarette,
puisant au maryland [ Tabac américain de l’Etat de MARYLAND ] d’une
amie ». [ ]
Mais la figure
emblématique de la femme à la cigarette demeurera George SAND ! Dans sa pose
« Il y a une gravité et une dignité de pachyderme (...) des gestes lents,
somnambuliques; de temps en temps le frottement d4une allumette de cire. La
petite flamme et sa cigarette qui s4allume toujours avec le même mouvement
méthodique »
[
30 Mars 1862 ] [ ].
D’aucunes du cigare
sont les adeptes... Les GONCOURT se rendent ainsi à l’improviste chez SCHOLL. Ils trouvent sa maîtresse du moment encore au
lit...
« Il y a une
montagne d’effets sur son lit, sur la table de nuit un cigare qu4elle repose et
une bouteille de vin à laquelle elle boit de temps en temps, dans la chambre
sur les meubles un tas d4effets, jupons, habits, pantalons. C’est un monsieur
et un vieillard - son père à ce qu’elle dit- qui lui a donné le cigare qu’elle
fume » [ 4 Janvier 1861 ].
LA
FÊTE PARISIENNE ... ENIVREZ VOUS ! … FOURREZ-VOUS
EN JUSQUE LA !
Alors dans
l’ivresse du Champagne et la fumée du cigare, les convives d’Elie refont le
monde !
Il nous est
possible de penser qu’ils « remettent » cela, plus tard, aux frais
d’un autre qui rend l’invitation... et ainsi de suite !
« Dîners
charmants que nos dîners du Samedi. La conversation y touche à tout. Chacun s’y
livre », écrivent ainsi les frères GONCOURT, en date du 14 Février 1863…
Puis ils confessent :
« On parle
femme, amour, cul : « - moi dit SAINTE-BEUVE, mon idéal, c’est des yeux,
des cheveux, des dents, des épaules et du cul. La crasse çà m’est égal : j’aime
la crasse » [ ].
Les propos sont
lestes...
C’est la
« fête Parisienne » !
Alfred DELVAU ( 1825-1867), quasiment « parfait jumeau » d’Elie
DUFAURE ( 1824 –1865 ) ] pourrait placer dans ces agapes quelques unes des
définitions de son « Dictionnaire Erotique Moderne », un ouvrage
condamné à la destruction le 2 Juin 1865 [
].
Telles, pour rester
toujours au cœur même de notre sujet :
« VIGNE : une
femme - que l’on peut planter, cultiver pour y grappiller tout à son aise, avec
les mains - et la queue » ! ,
« VITICULTURE
: Culture des vits - Expression mise en valeur par des jardinières à matrices -
ces dames se basant sur ce que l’horticulture signifierait culture des orties
ont créé la viticulture » ! ,
« CIGARETTE :
Membre viril - que les femmes savent bien rouler dans leurs mains et porter à leur
bouche par le gros bout » [ ] ...
Alors pour DAUDET,
DELVAU fait « le régal des gourmets et des bibliophiles » !
[ ]
« Rires éclatants, fracas du Champagne,
On cartonne ici, on danse là-bas
Et le piano qui grince accompagne
Sur des airs connus, d'étranges ébats
Le bruit monte, monte, et devient tempête
La jeunesse en fête
Chante à plein gosier
Est-ce du plaisir ou de la folie ? »
Composent les
librettistes MEILHAC ( 1832 - 1897 ) et HALEVY ( 1834 - 1908 ) pour OFFENBACH (
1819 - 1880 ) et sa « Vie Parisienne » ( 1866 ) ...
Ils sont les
metteurs en scène égrillards du Champagne échauffant l’atmosphère, des propos
lestes, des plaisanteries osées, des rires sonores de femmes aux yeux
pétillants, du froufroutement des robes froissées par des gestes empressés
[ ]...
Mais l’avocat
DUFAURE peut-il seulement se permettre de se laisser aller ainsi à des écarts
de « haute noce » ?...
Votre réputation
cher Maître, songez à votre réputation !
Et pourtant... le
poète n’a-t-il pas écrit : « Il faut toujours être ivre. Tout est là :
c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui
brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans
trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez
vous » [ ].
Charles BAUDELAIRE
avant d’écrire « Les Paradis
Artificiels » n’était il pas l’auteur de l’essai : « Du vin et du haschisch, comparés
comme moyens de multiplication de l’individualité » ? [ ]
Une fois encore
l’alliance enivrante de l’alcool et de la fumée !
Cependant si
l’avocat DUFAURE organise parfois quelque dîner d’amis, sinon somptueux du
moins sortant de la banalité ordinaire ( Champagne et
cigares ), au delà du seul plaisir de l’enivrement c’est peut être, aussi, pour
tenir un rang à sa mesure dans la vie sociale qui est la sienne...
L’avocat
DESLAURIERS, l’ami de Frédéric, le conseille : « Il faudra que tu donnes
un dîner une fois la semaine. C’est indispensable, quand même la moitié de ton
revenu y passerait ! On voudra y venir. Ce sera un centre pour les autres, un
levier pour toi; et, maniant l’opinion par les deux bouts, littérature et
politique, avant six mois, tu verras, nous tiendrons le haut du pavé dans
PARIS » [ ].
HUGO, dans son
poème « Ydilles »,
composé en exil en 1853, placé en tête du Livre II des
« Châtiments », et intitulé « L’ordre est rétabli » raille cet arrivisme Second Empire et
cette fête Parisienne :
« Rions, jouons, soupons, dînons,
Des pétards aux Champs Elysées
A l’oncle il fallait des canons
Il faut au neveu des fusées
(...) » [ ]
Et les grands corps
de l'Etat s’expriment, tour à tour, sous sa plume, ainsi « la
Magistrature » qui déclame :
« Mangeons, buvons, tout le conseille
Heureux l’ami du raisin mûr
Qui toujours riant sous sa treille
Trouve une grappe sur son mur
Et dans sa cave une bouteille
(...) [ ]
Alors que les
proscrits de toutes sortes en sont réduits, eux, à scander chacun des couplets
d’un lugubre refrain :
« Miserere ! Miserere ! » [ ]
DU
VIN CERTES... MAIS D'AUTRES ALCOOLS ENCORE...
Je prends à nouveau
comme référence « l’Education
Sentimentale ».
Je lis que Jacques
ARNOUX, l’époux de Madame ARNOUX le grand Amour de Frédéric, emmène le jeune
homme déjeuner... « Rue de CHARTRES, chez PARLY ; et comme il avait besoin
de se refaire, il se commanda deux plats de viande, un homard, une omelette au
Rhum, une salade, etc.; le tout arrosé d’un Sauternes 1819, avec un Romanée 42,
sans compter le Champagne au dessert, et les liqueurs (...) Frédéric trinqua.
Il avait, par complaisance, un peu trop bu (...) [ ]
Si les écrits de
FLAUBERT ont beau relever de la fiction, nous nous retrouvons indiscutablement
en un « univers connu » ! Non ?
Mais si ! Voyons !
Un SAUTERNES... Un ROMANEE ( c'est à dire un
BOURGOGNE... des Côtes de NUITS pour
être plus précis ), et du CHAMPAGNE au dessert... Classique, me direz-vous !
Mais l’omelette au Rhum ?
Eh bien je suis en
mesure d’établir qu’Elie en était un grand consommateur !
Ainsi on trouve
plusieurs traces : le 6 Septembre 1860 ( coût : 2
Fr ), le 29 Décembre de la même année ( coût : 4 Fr… mais incluant la dépense totale du dîner ) ou le 30
Avril 1861 ( coût : 1 Fr 50 ).
L’adjonction de cet
alcool exotique, issu de la distillation de la canne à sucre, constitue une
réelle « plus-value » pour l’omelette si l’on considère qu’une
omelette "" « nature », mais avec « 4 œufs »,
n’est « comptée » que « 0 Fr 80 »
à Elie le 20 Décembre 1860, voire 0 Fr 40 comme le 16
Mai 1861 - mais le nombre d’œufs n’est pas précisé, n’y en aurait-il que deux
seulement cette fois-ci ?
Et les liqueurs ?
Cette mention
« liqueurs » est porté sur
la note de « l’Hôtel de la Cloche »
et on sait aussi qu’Elie a consommé lors de son séjour Dijonnais : « 5 cafés noirs et liqueurs » pour « 3 F 25 ».
La « fée
verte » ( l’absinthe - que la typologie du temps
range du côté des liqueurs... ) s’est rapidement imposée et l’on aurait tort de
ne l’associer qu’à VERLAINE, BARBEY D’AUREVILLY ou
MUSSET, pour ne citer qu’eux parmi ceux qui vivent largement sous sa
dépendance, mais je n’en trouve nulle trace réelle de consommation dans les
archives d'Elie.
Composée du mélange
d'une dizaine de plantes ( anis, baniaire, fenouil,
hysope, coriandre, mélisse, menthe, tanaisie, angélique, et citronnelle ),cette
liqueur est au début du Second Empire coûteuse et élitiste, servie presque
exclusivement dans les clubs, les mess d'officiers, les lieux de convivialité
du monde littéraire ou artistique. Pourtant elle se démocratisera assez vite,
sans aller toutefois jusqu’aux « sublimes flétris et descendus »,
comme ZOLA va qualifier les ivrognes qui demeurent fidèles au « casse
poitrine » [ alcool industriel à partir de pommes
de terre, de betteraves ou de fécules à 90 ° ] [ ].
ABSINTHE :
« Poison extra violent . Un verre et vous êtes
morts », écrira FLAUBERT ! [ ].
Bon ! Finalement je
vous l’accorde ! Il n’y a pas la moindre trace de consommation de homard dans
les papiers de ce cher Elie et c’est ce qui le distingue bien de Monsieur
ARNOUX déjeunant chez PARLY !!!
Et pourtant... Elie
n’est pas, on le sait, insensible à la consommation de fruits de mer ! Des
huîtres plus particulièrement. Tiens ! Justement !
Pour
« DEJEUNER DE GARCONS », que nous propose FLAUBERT comme définition ?
« Exige du vin blanc, des huîtres et de la gaudriole » , telle est sa réponse ! [ ]
Alors d’accord pour
les huîtres et le vin blanc...
Quant à la
gaudriole faisons appel à nouveau à DELVAU .
« HUITRE » : « Le con - qui sent la marée, s’ouvre et se referme
sur le doigt du pêcheur. Sa morsure, quoique douce, est parfois venimeuse »
! [ ].
Dixit !
Lors du
« dîner d’amis » du 16 Décembre 1855, c’est du rhum qui accompagne
les cafés...
Le 18 Décembre1860,
c’est avec de l’eau de vie qu’Elie prend son café...
En fait, c’est très
fréquemment, au vu de ses comptes de pension, qu’Elie achète « une
bouteille d'eau de vie » ...
Qu’en fait-il ?
Cette bouteille, il
doit l’emporter chez lui dans son « appartement-étude »...
L’eau de vie
« réchauffe » le cœur sinon le corps quand il fait un peu trop
froid... L’eau de vie « chauffe » la voix avant la plaidoirie voire
« chauffe » l’esprit lorsque l’on doit se pencher sur un dossier des
plus complexes...
Une « petite
goutte » offerte à tel client permet aussi de s’attacher sa clientèle
sinon son estime ! Que sais-je encore ?...
Peu importe ! Je
constate que de Juillet 1860 à la mi-septembre de la même année, Elie aura
acheté plus de deux bouteilles par mois, toujours « comptées »à 4
francs : 2 en Juillet ( les 6 et 23 ), 3 en Août ( les 1er, 17 et 25 ), 2 en
Septembre ( les 3 et 12 ). Elie sera absent de PARIS de la mi-septembre à la
fin Octobre 1860 et s’il n’achète pas d’eau de vie en Novembre, il achètera
deux bouteilles dès Décembre ( les 5 et... 31 Décembre
) !
Pour l’année 1861,
les achats d’eau de vie se poursuivent, avec une fréquence peut être un peu
moindre : douze mentions d’achats... Puis mention de dix achats entre Janvier
et Septembre 1862 !
Au total je
dénombre pas moins de trente et une bouteilles d’eau de vie achetées sur vingt
sept mois... Et en ne tenant compte que des seuls relevés en ma possession !
Mais quelle est la nature de cette « eau de vie » ?
Est-ce de la prune
? Comme celle qui sort de « l’assommoir » du père COLOMBE, dont
l’alambic « sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets
éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d’alcool, pareil à
une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la salle, se
répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de
PARIS », tel que nous en livre la description Emile ZOLA [ ].
DE
L'ARIDITE ALGERIENNE... AU DEBIT DE CONSOLATION
Les éléments qui
concernent la consommation d’alcool par les frères cadets d’Elie sont moins
nombreux que ceux qui intéressent leur aîné.
Néanmoins quelques
indications, ici ou là, méritent d'être soulignées dans le cadre de la présente
étude. … Et elles sont d’ailleurs en phase avec les réalités historiques
générales de leur temps, qu’elles confirment par bien des aspects...
Militaire en
ALGERIE, dans sa correspondance du 3 Février 1856, Bertrand semblait être fort
dépité par son affectation du moment : « Ne me parle pas de cette afrique j’en ai plein le dos on y marche trop vite [ cela doit donner soif ! ] on y
boit que de l'eau ». Evidemment ! Dans les contrées de tradition Islamique,
c’est la Colonisation, laquelle n’en est qu’à ses prémices, qui va introduire
progressivement la culture de la vigne sur ce territoire « sub méditerranéen » ... Et de ce fait la production du
vignoble Algérien ne deviendra vraiment concurrentielle de celle du vignoble
Métropolitain qu’après la crise « phylloxérique ».
« Le LANGUEDOC
est devenu une immense usine à vin, l’ALGERIE aussi » [ ]. Au début du vingtième Siècle les
importations de vin Algérien atteignent sept millions d'hectolitres. Sous
l'impulsion des colons, dont certains sont des vignerons Métropolitains chassés
par le phylloxéra, le vignoble Algérien s'est rapidement étendu. Mais faute de
débouchés locaux [ et pour cause ! ] les exportations
vers la FRANCE furent une nécessité [ ].
Accroissant la
surproduction généralisée, elles contribueront au déclenchement des révoltes
Languedociennes de 1907, au cours desquelles le 100ème Régiment d’Infanterie se
mutinera, comme le 17ème, les soldats sympathisant avec la foule !
Le militaire boit !
C’est un fait fréquemment observé ! Et s’il boit c’est avant tout... du vin !
Bertrand avait-il
pu échapper dans ses garnisons en métropole à cette réalité sociologique ? Cela
est peu probable !
En 1851, lors du
coup d’état, les GONCOURT observent : « Un régiment campait le long, en
ripaille (...), bidons de vins sur les bancs du quai (...). Gris de la nuit au
matin. Heureusement les fusils n’avaient pas bu, ils n’étaient pas de la fête
et ne partirent pas ». [ ]
L’optique de Victor
HUGO n’est guère différente :
« Debout ! Les régiments sont là dans les
casernes,
Sac au dos, abrutis de vin et de fureur,
N’attendant qu'un bandit pour faire un
Empereur (...) ».
C’est ainsi qu’il
perçoit les circonstances du Coup d’état et qu’il évoque dans sa pièce « Nox » en
ouverture des « Châtiments »
[ ] ...
Il rejoint en cela
Karl MARX dont on a vu qu’il estimait que Louis Napoléon BONAPARTE s’était
attaché la fidélité des troupes par « du
Champagne et des cigares » !
Le Capitaine
LAFAUSSE, du « 72ème Régiment
de Ligne », chez qui Bertrand a été reçu ( peut être sur
recommandation obtenue via Aymard de FOUCAULD... ? )
a pu faire « gouter de son vin » ( insigne marque
d’estime, assurément ! ) au Chasseur d’Afrique à cheval qu’était alors Bertrand
DUFAURE...
Comment l’officier
s’était-il débrouillé pour disposer de son très précieux breuvage jusqu'à
« Bel abbès »
en Février 1856 ? ... L’histoire ne nous le dit pas !
Mais l’obsession
constante de Bertrand consiste à pouvoir se procurer de l’argent de « poche »
qui lui est nécessaire pour pouvoir de temps en temps payer « une petite
bien venu » à ses « colègues » comme
ça se fait dans tous les régiments ».
Pour cela Bertrand
semble plus particulièrement songer à la « goutte », à de l’eau de
vie donc ! Il pourrait cependant s’agir d’absinthe !
Ainsi, pour
FLAUBERT l’« ABSINTHE » : « A tué plus de soldats que les
bédouins » Dans « BOUVARD et
PECUCHET », on évoque « La fatigue des bivouacs, l’absinthe et
les fièvres », à propos de GORGU, le vagabond qui dit avoir « fait
sept ans la guerre en Afrique ».
Le soldat d’Afrique
semble avoir une réelle propension à consommer de l’absinthe ! Et, pour preuve,
je relève parmi les synonymes donnés au terme « Absinthe » :
« Bureau Arabe », « Groseille de Zouave » ou même
« Alfa » [ « d’puis que l’Furet est r’venu du Bat. d’Af,
c’est pas du pive - du vin - qui s’enfile, c’est de l’alfa ! » ] dans le très savoureux dictionnaire d'argot composé par
Aristide BRUANT au tout début du Vingtième Siècle ! [ ].
Peut-être Bertrand
invoque-t-il le prétexte de ses « colègues »
et de la « tradition du pot » pour obtenir ainsi quelque argent de
poche supplémentaire plus facilement de la part d’Elie, le sachant trés soucieux sur toutes les questions pouvant toucher à
l'honneur et à la réputation de la famille...
Bertrand
cherche-t-il aussi par ce moyen à satisfaire son penchant (
naturel ? ) pour la boisson ?
Une chose est
certaine, parmi les éléments que les médecins de cette époque trouvent à
critiquer dans la « vie militaire », on trouve l’insalubrité des
casernes et les dangers climatiques des expéditions mais aussi l'abus des
boissons alcooliques qui vient en bon rang accompagné de « l’apprentissage
des plaisirs vénériens » [ ].
De retour à la vie
civile, à ALLASSAC, dans sa correspondance du 4 Janvier 1858, Bertrand confesse
: « J’aurai un emploi quelconque je m’en occuperai sérieusement tandis que
parfois le désœuvrement me conduit au café »..."
« Somnolence,
léthargie, oisiveté », rapporte le Commissaire de Police d’une petite
ville de l'ARDECHE en 1863, « les trois quarts de nos habitants [ c’est à dire des hommes ] passent leur vie au café »
[ ].
Est-ce si
surprenant ? le chômage ne réussit pas à Bertrand ! …
Et alors, il se retrouve au débit de consolation...
Lorédan
LARCHEY [ 1831-1902 ] dans son ouvrage « Les
Excentricités du Langage » glose ainsi le mot « consolation »
: « Eau de vie - un des plus beaux mot que nous connaissions. Il dit
avec une éloquence navrante ce que le pauvre cherche dans un petit verre. L'oubli
momentané de ses maux [ ].
Le Palpe de 1757
recensait déjà à ALLASSAC un siècle auparavant, un nombre certain de lieux de
« consolation » : « Maison d'ALBY,
aubergiste (...) maison haute de LASTEYRIE, aubergiste,(...) Maison MOUNEYRAT,
cabaretier,(...) Maison haute de Jacques MOUNEYRAT, aubergiste (...), Maison
MONEYRAT ( sic ),aubergiste (...) Deux boutiques de DALBY, aubergiste
(...) » [ ].
Ainsi l’on
rencontre trois patronymes qui correspondent peut être à plus de personnes
physiques encore, ces noms étant orthographiés de manière différente sans que
l’on sache s’il s’agit d’une erreur matérielle ou non !
DU
CALVA NORMAND… A LA BIERE UZERCHOISE !
L’opportunité
d'entrer à la « Compagnie de l’Ouest »
comme cheminot entraîne Bertrand du LIMOUSIN vers la NORMANDIE, au MESNIL-MAUGER...
Mais cet emploi ne
semble pas régler les problèmes existentiels du jeune homme.
Le « Gargottier » du MESNIL à qui Bertrand doit des mois de
pension en retard, l’aurait-il incité à boire plus de cidre et de Calvados que
ses moyens pouvaient le lui permettre ?
« Même si
l'eau de feu - comme le Calvados en Pays d'AUGE -
était réservée aux fêtes, en tout cas jusqu'à la fin du Siècle » affirme
WEBER [ ].
Le Comice d’YONVILLE, décrit dans « Madame BOVARY », figure
vraisemblablement au nombre des fêtes remarquables de la Région. Ce qui est sûr
c’est que ce jour là Madame LEFRANCOIS, l’aubergiste du village, est fort
attristée car les autorités sont allées chercher « un gargotier à
NEUFCHATEL qui a installé ses baraques de toile. « Voyez les donc,
disait-elle, on n’y comprend rien ! une gargote
semblable ! » [ ].
Le logeur de
Bertrand n’était donc pas le seul « gargottier » du secteur !
Et en NORMANDIE, la
population masculine apprécie les boissons alcoolisées !
Aux noces d'Emma
BOVARY, les invités avaient pu boire à satiété car sur les tables il y avait
moult boissons.
« Aux angles
se dressait l’eau de vie dans les carafes. Le cidre doux en bouteille poussait
sa mousse épaisse autour des bouchons et tous les verres avaient été remplis de
vin jusqu’au bord » décrit le Rouennais FLAUBERT [ ] ».
Les auteurs de
« L’Ecolier
Corrézien » croient pouvoir affirmer, toujours moralistes : « En
NORMANDIE, on cite des villages où tout compté, chaque habitant consomme un
litre d’alcool par jour. Mais déjà dans ces régions où la race était naguère
encore grande et forte, le recrutement ne trouve plus un seul conscrit qui ait
la taille. Ce sont des nains infirmes et ratatinés » [ ].
« Les
Bretons », explique WEBER, « acquirent très tôt la réputation
d’alcooliques abrutis » [ ]. Mais
selon lui cette réputation tenait moins aux quantités ingurgitées qu’à
l’inexpérience quant aux effets d’un liquide qu’ils ne buvaient en fait que
très rarement, mais souvent dans le cadre de rassemblements collectifs d’ordre
social ( foires, fêtes, conscription... etc. ).
L’expérience
Normande de Bertrand ne sera finalement que de très courte durée ! Et le voilà
de retour à ALLASSAC dès le 15 Octobre 1859… Il est alors plus que jamais à la
recherche d’un « bon parti » !
Déjà dans sa
correspondance du 17 Octobre 1859, il sollicite un peu d’argent de la part
d’Elie pour acheter « quelques effets » et aussi pour ne pas
« prendre 4 sous de tabac a crédit ».
Tiens ! L'ancien
militaire s'avère être, lui aussi un consommateur de tabac ! Une habitude qu'il
a contractée sous les drapeaux que celle de fumer ou de ... priser ?
Au printemps 1860,
Bertrand jette son dévolu sur la fille de « M. JUGE d’UZERCHE, maître d’hôtel et brasseur »…
Tout de suite Bertrand
s’imagine « trouvant une occupation dans la brasserie pour aider à faire
la bière », même si la famille JUGE n’a pas une position de fortune
exceptionnelle. Le « Maître d’hôtel aurait même besoin de réaliser
quelque investissement pour « gagner
de l’argent dans la brasserie et dans son hôtel », si l’on en croit
les écrits de Bertrand au mois de Mars 1860...
Bertrand apprenti
brasseur, voilà un nouveau statut ! Mais la bière du « père JUGE »,
appelons la... « l’Uzerchoise » avait-elle bon goût ? Quels
éléments entraient dans sa composition ? De l’orge produite localement dans le
Bas Pays Corrézien ? un hypothétique houblon
d’importation extra-régionale ?
Au XIXème Siècle, la bière est considérée comme une boisson
certes courante mais à connotation plus bourgeoise que populaire [ ] et sa production n’est pas concentrée,
comme aujourd’hui, sur seulement quelques régions bien spécifiques.
Même si la bière
est connue depuis l’Antiquité, les brasseurs ont encore bien des soucis ! Les
bières deviennent en effet vite acides, et même putrides surtout pendant
l'été » [ ].
Louis PASTEUR [ 1822 - 1895 ] va enquêter, dès 1871, dans une petite
brasserie du PUY DE DOME, à CHAMALIERES, ( … finalement pas si loin que
cela d’UZERCHE ! ). Dans cette petite entreprise on s’en tenait aux traditions
et lorsque une fabrication ne donnait pas satisfaction, on changeait de levure.
PASTEUR examinera les bières au microscope et il découvrira les ferments
parasites, organismes minuscules dont l'apparition coïncide avec l’altération.
Le procédé qu’il préconise alors consiste essentiellement dans la
« fermentation à l’abri de tout contact avec l’air » [ ]. PASTEUR confronte ses observations avec
celles antérieurement constatées sur le vin, en ARBOIS, particulièrement en
1864. La « Pasteurisation » ( ce nom sera
donné à sa technique en 1887 ) est en train de naître [ ], et si elle a été utilisée un temps pour le
vin , ce qui n'est plus le cas aujourd’hui, elle l’est encore de nos jours pour
le lait ou... la bière.
Les GONCOURT disent
songer "" en buvant du bock au Grand Balcon à dix sous le verre
"" [ Mai 1862 ]..."
Se lancent ils déjà
dans ce type de réflexion comparative sur les boissons qui moussent : "" Le cidre, une boisson qui fait
rentrer en soi, qui rend sérieux, fermé et solide, qui fait la tête froide et
le raisonnement sec, une boisson qui ne grise que la dialectique des intérêts.
Après la bière, on ferait un traité sur HEGEL. Après le Champagne on monterait
à l'assaut. Après du Bourgogne, on ferait une femme. Après du cidre, on ferait
un bail "" (****) [ 10
Juillet""1864 ]. Ces choses là sont bien dites ! Mieux que ce que
peut nous proposer BRUANT : "" la moussante, çà m' court, çà a pas d'montant et ça vous empêche d'être aimable avec les
gonzesses "" (*****)."
« CHATELAIN »
A UZERCHE ! UN ETABLISSEMENT IDEALEMENT
SITUE !
Bertrand va épouser
Mademoiselle JUGE, en dépit des réticences d'Elie mais avec l'assentiment du
reste de la famille.
Les DUFAURE vont
alors se trouver concernés par ""une assez vaste maison (...) très
bien meublée, située en bas d'Uzerche près du vieux pont avec une brasserie et
un petit jardin derrière"" où travaille ""un homme
industrieux "" et ""une femme très intelligente et très au
courant de son commerce donnant l’œil partout "". Si dans les toutes
premières années Bertrand n'est « que » le gendre des JUGE, le décès
de sa belle mère lui conférera des responsabilités plus grandes dans cette
"" affaire "".
"" La
belle meire de Berty et
morte d'un attaque coup de sang elle n'a resté que six heures malade
"" écrivait Baptiste le 31 Mars 1864.
Ce décès
"" redistribue les cartes "" pour la gestion de l'établissement . Maria DUFAURE reprend les responsabilités
assumées par feue sa mère, son père et son mari accomplissant alors des tâches
diverses ( roulage en particulier ) pour améliorer
leur situation financière qui n'est guère florissante à ce moment là,
semble-t-il...
Et pourtant leur
établissement est sans conteste tout à fait bien situé... Sis aux abords du
pont dit « Pont TURGOT » [ en fait un ouvrage, construit sur la
période 1733-1735, sur les ordres de l'Intendant du LIMOUSIN le Marquis de
TOURNY (******) ] qui est un passage quasi obligé pour rouliers et voyageurs,
la VEZERE étant difficile à franchir, l'hôtel JUGE-DUFAURE
dispose d'une clientèle potentielle certaine... Encore faut il que la qualité
de la bière ou du vin servis, de la cuisine et de l'accueil demeurent à la
hauteur !
Remarquons tout de
même que Bertrand est devenu « quasi-châtelain » à UZERCHE ! Ne
dit-on pas depuis la " nuit des temps "" [ le
dicton à une origine aussi lointaine qu'indéterminée, l'Ecolier Corrézien la
fait remonter au Moyen Age "" (*) ] : "" Qui a maison à
UZERCHE a château en LIMOUSIN "" ! Mais le nombre de tours du château
est fonction des revenus du ""châtelain"" ! Même si
l'établissement est bien situé, la concurrence existe en matière d'hôtellerie-restauration dans cette bourgade
importante...surtout pour son époque ! La population est déjà voisine de 3.000
Habitants [ 3.453 Habitants en 1846, 2.922 Habitants en 1876, des chiffres trés proches de ceux de notre époque contemporaine: 2813
Habitants en 1990, 3269 en 1993 (**), les travaux autoroutiers, et plus tôt
ferroviaires expliquent les sautes du chiffre de la population, faisant
d'UZERCHE à la fin du XIXème Siècle la quatrième
ville du "Département - 4.351 Habitants en 1896 - après avoir été
"" la deuxième ville à l'époque Franque "" (*) ]. Situé
près du Pont où avaient du passer le père voire le grand père de Bertrand avec
des chargements de vins à destination de TREIGNAC ou CHAMBERET ou tout
simplement de tel aubergiste Uzerchois,
l'établissement est aussi placé tout à côté de la petite gare, aujourd'hui
désaffectée, du P.O.C. ; c'est un ""
passage quasi obligé "" pour une clientèle abondante potentielle...
Une place de choix ! Je ne sais dans quel établissement Uzerchois
étaient descendus les époux POUCH-LAFARGE peu après
leur mariage lors de leur voyage-retour vers la
CORREZE. Mais le premier jour de son procès Marie LAFARGE sera interrogée sur
la "" scène d'UZERCHE "" (***) : "" J'étais
enfermée dans mon appartement, M. LAFARGE voulut entrer malgré moi. Pour
obtenir la clef de ma chambre, il se servait d'expressions incroyables. Je
résistai, il entra dans une violente colère. Lasse de cette lutte j'ouvris la
porte et me retirai dans une pièce voisine. M. LAFARGE eut une violente attaque
de nerfs, et je fus moi même fort malade. Le lendemain il m'avoua que les
procédés étranges dont il avait usé à mon égard avaient été l'effet du
Champagne qu'il avait bu avec excès "" [ Savoureux
"" poison "" aussi puissant que l'arsenic ? ]. FLAUBERT
écrivait : « ARSENIC : se trouve partout. Rappeler Madame
LAFARGE » (****). En 1864, Bertrand avoue sa "" position
nécessiteuse "" compte tenu de "" beaucoup de petits déboursés
depuis la mort de [ sa ] belle mère
"".Produit il encore de la bière ? Est elle commercialisable dans
d'acceptables "conditions ? Il déclare en tout cas qu'il a ""
besoin d'aller chercher un chargement de vin en PERIGORD "" et ceci
implique qu'il puisse disposer de liquidités monétaires suffisantes... D'où sa
requête auprès de son aîné... à qui il "propose "" si tu en veux
une barrique je te l'enverrai à prix coûtant, ça veau sur place bonne qualité
de 35 à 40 F """Le fait que Bertrand n'ait pas un approvisionnement
vinicole Allassacois témoigne-t-il d'un certaine
crainte ou gêne quant à ce qui pourrait être dit localement au sujet de sa
solvabilité aléatoire ? Peut être bien !
D’HIER A AUJOURD’HUI...
COULE LA VEZERE SOUS LE « PONT TURGOT »
En dépit de
difficultés économiques apparentes, l'établissement "" JUGE
"" survivra jusqu'à nos jours !"
La fille de
Bertrand, Emilie Dufaure, épousera un sieur Sagne ... Lesquels auront deux
enfants Pierre et Marie...
La lignée
patronymique « SAGNE » sera assurée et c’est cette famille qui tient
aujourd’hui encore... la « Maison » !"
[ Pierre et Marie
SAGNE, encore mineurs, ont hérité d'une somme de 500 F (or !) au décès de leur
grand tante Marie DUFAURE, la soeur d'Elie, ainsi que l'indique l'acte de
succession, daté du 29 Août 1913, qui mentionne aussi que leur mère, Emilie,
était déjà décédée à cette époque ] .
L'actuel
Propriétaire de "" l'hôtel SAGNE "" se sait il l'héritier
"" spirituel "" d'un autre cabaretier, trés
lointain aieul ? Non ! Ce n'est pas à Bertrand que je
pense !
C'est de
"" Louis DUFAURE, aubergiste, habitant du bourg de CRESSENSSAC,
Département du LOT "" dont je veux parler... L'un des frères d'Elie [ le grand père de notre Elie ]" "tel qu'il est
identifié dans une quittance établie entre eux, en date du "" 22
Frimaire An 13 ""... La production ou la commercialisation de vin-s et autres alcools seraient donc bien deux véritables
traditions familiales !
J'ai voulu...
qu'auriez vous fait à ma place ?... me rendre compte par moi même de ce qu'était
devenue cette "" assez vaste maison (...) très bien meublée
"" dont je connaissais déjà l'aspect extérieur pour y être passé
maintes fois devant sans y avoir jusqu'alors jamais prêté plus d'attention que
cela ! Je résolu donc, un brûlant jour"de l'été 1997, de faire un petit
"" pélerinage "" à UZERCHE, non
sur les reliques de Saint LEON et de Saint CORNAT""" attirant
une grande affluence de peuple par les miracles qu'ils opéraient ""
ni "" sur la sépulture d'Archambaud de
COMBORN inhumé sous les dalles "" de l'église Saint Pierre d'UZERCHE
(*****), mais dans la "" gargotte
"" de Berty." Lorsque l'on pénètre
dans la salle de bar on est tout de suite frappé par l'absence de modernité du
lieu...Ne disons pas que l'on se trouve replongé dans le XIXème
Siècle, ce serait exagéré ! Mais nul "" flipper ""
"" juke-box "" ou autre"
"gadget dans la salle où le ""cantou"",
lui, est bien présent et où les murs de son âtre sont encore recouverts de suie
noire. Au plafond les poutres apparentes ne peuvent cacher la patine du temps,
les tables sont recouvertes d'une nappe désuète...Et puis, un homme un peu
trapu, de taille assez moyenne, aux cheveux grisonnants, est venu me
"servir... Oh ! Surprise ! Est ce une hallucination ? Il a un indéniable
"" air de famille "" avec le portrait d'Elie ! le nez peut être... Fantasme ou réalité ? J’avalais ma bière
comme si Bertrand venait de me servir un bock du père JUGE !
LA
( RELATIVE ) SOBRIETE DES CAMPAGNES... BAPTISTE ET L’ALCOOL
Intéressons nous
maintenant à ce que pouvait boire Baptiste qui devait ,en
toute logique, être plus un producteur qu’un consommateur !
En 1846, dans
« Le Peuple », MICHELET fait ainsi l’éloge des paysans : « Ces
hommes si laborieux sont les plus mal nourris. Point de viande (...) le dernier
ouvrier mange du pain blanc mais celui qui fait venir le blé ne le mange que
noir. Ils font le vin et la ville le boit. Que dis-je ! Le monde entier boit la
joie à la coupe de la FRANCE, excepté le vigneron Français » [ ].
Ce constat peut
trouver des explications...
Si quelques
hectares de terre en polyculture permettent à un cultivateur de vivoter en
relative autarcie, les mêmes plantés en partie en vignes lui procurent
l’indépendance économique et parfois aussi une certaine aisance.
Les progrès de la
« viticulture commune » sont le signe, sous le Second Empire de
l’ascension d'une classe sociale, celle des petits exploitants...
En plantant de la
vigne sur des terres qui lui fournissaient jusque là de médiocres récoltes, le
petit exploitant les valorise et se crée donc une nouvelle source de revenus
[ ].
Et comme Baptiste
met en valeur le bien foncier familial et « fraternel », il est très
probable qu’il s’interdise de consommer, pour son seul plaisir personnel, de ce
liquide si précieux procurant des revenus aussi appréciables, depuis des temps,
à une famille ayant manqué si souvent de liquidités.
« De fait tout
indique que dans les années 1860, la plupart des paysans buvaient fort peu de
vin, ou pas du tout », indique WEBER [
]. Dans la NIEVRE, ils en prenaient peut être deux fois par an, au
Carnaval et à la fin des moissons... Dans le Sud-Ouest
dans les années 1850, le vin était un luxe, un produit rare et « hautement
prisé par les paysans comme une boisson de choix ». Alors ces paysans ne buvaient
que de la « piquette », faite avec de l'eau versée sur les peaux de
raisins une fois que ceux-ci avaient été pressés, du cidre, généralement assez
mauvais (...), du cidre de poire, des boissons fermentées à base de cerises ou
de baies... plus rarement de la bière... et enfin tout naturellement de l'eau !
(***).
Dès lors gageons
que Baptiste n'aura pas trop abusé du vin Corrézien, ce vin qui était pourtant
"" franc de "goût, coloré, de degré moyen et très apprécié :
beaucoup de vin rouge et peu de vin blanc "" (****).
Le vignoble
Corrézien était constitué de vieux cépages Français issus d'une seule espèce le
« vitus vinefera »
et de cette base commune se développèrent entre autres « le gros picat », « le picpoul », « le durif », « le grappu »,
« la folle blanche », « le chameyrat »,
« l’auxerrois » ou « le chabrillou »
[ pour compléter et rappeler la liste dressée par ULRY, citée plus haut ] , et
bien d'autres hybrides en fait, puisque chaque vigneron avait pour habitude de
greffer ses propres plants ! [ ]
DE
L’EAU DE VIE ET DU SUCRE... Achetés par Baptiste...
Baptiste ne fait
jamais la moindre allusion dans ses correspondances à la ""
dégustation "" d'alcool ! Il se contente d'évoquer la vigne et le vin
mais avec le point de vue du producteur, celui de "" l'exportateur
"" ou encore du "" commercialisateur
"", mais jamais du point de vue du consommateur !"
En matière de
consommation d'alcool tout au plus mentionne-t-il, le 20 Janvier 1861, dans une
correspondance une dépense de "" 50 [ centimes ] pour payez de l'au
de vie chez millie "", indication reprise
quasiment à l'identique le 8 Mai 1861 ""pour payez de l'au de vie
chez millie 50 c""... Baptiste est placé
dans l'obligation de justifier auprès d'Elie de l'emploi des subsides reçues ! ... Difficile dès lors de masquer le moindre petit
extra !
Lorsque Baptiste
"" court "" parfois après de l'eau de vie, c'est seulement
pour répondre aux directives de son aîné...Ainsi le 11 Mars 1863, il rend
compte que dans le vin "" [j'] y ait mis le sucre et l'eau de vie que
tu ma dit d'y mettre j'ai failie ne pas en trouvé à brive on me la fait payer 10 F 50 la livre et deux francs
la bouteille l'eau de
"vie ""..."Il convient ici de constater et de
commenter cette apparente pénurie de sucre dans BRIVE, évoquée par Baptiste.
Tout semble démontrer que c'est seulement entre 1880 et 1900 que des produits
pratiquement introuvables autrefois ont commencé à faire leur apparition dans
les campagnes et que de nombreux paysans ont pris l’habitude de les acheter
dans les commerces : le sucre, le café... voire les macaronis et les
vermicelles ! (***).
Le sucre, pendant
très longtemps extrêmement rare, même chez les riches fermiers, et uniquement
employé comme remède, devient peu à peu de consommation plus courante. Dans la
LOIRE, le garçon d'honneur apportait traditionnellement un peu de sucre pour
adoucir le vin de la jeune fille qu’il escortait lors d'une noce de village,
coutume dénommée « sucrer sa cavalière »... qui disparut vers le
milieu des années 1880 lorsque le sucrier fut mis couramment sur la table lors
des grandes occasions... Cependant les garçons qui faisaient la cour à une
fille continuèrent de garder dans leurs poches un morceau de sucre qu'ils
offraient galamment à leur bien aimée [
]. Dans le VIVARAIS jusqu’à la Première Guerre Mondiale, un paquet de
café, un kilo de sucre ou une miche de pain blanc étaient des cadeaux rituels
de la part des invités. Tous ces articles étaient devenus de consommation
courante, mais la persistance de ces coutumes montrait bien qu'ils avaient été
peu de temps auparavant des produits de luxe [
] !
En 1839, BALZAC
publiait son court « Traité des
Excitants Modernes », fantaisie Balzacienne à caractère « pseudo
scientifique », par lequel l'auteur entendait nous parler des
« excès » induits par l’alcool, le café, le thé, le tabac et...
accessoirement... et curieusement... Le… SUCRE !!!
« (...) Le
sucre, cette substance n’a envahi l’alimentation populaire que récemment, alors
que l’industrie Française a su la fabriquer en grande quantité et la remettre à
son ancien prix, lequel diminuera certes encore, malgré le fisc qui la guette
pour l’imposer »…
« Quant au
sucre la FRANCE en a été longtemps privée; et je sais que les maladies de
poitrine, qui, par leur fréquence dans la partie de la génération née de 1800 à
1815, ont étonné les statisticiens de la médecine, peuvent être attribuées à
cette privation comme aussi le trop grand usage doit amener des maladies
cutanées »
Il s’agit là
d’affirmations pour le moins fantaisistes, mais BALZAC ne s’embarrasse pas de
scrupules ! Et celles qui portent sur le vin ou l’eau de vie sont à peine plus
réalistes, « L’ivresse est un empoisonnement momentané », comme
celles qui portent sur le tabac « Fumer un cigare, c’est fumer du feu »
« Des hommes d’une immense portée avouent que les cigares les consolent
des plus grandes adversités. Entre une femme adorée et le cigare, un dandy
n’hésiterait pas plus à la quitter que le forçat à rester au bagne s’il devait
y avoir du tabac à discrétion »…
« Aucun de nos
hommes d’Etat (...) ne sait où va la FRANCE par ses excès de tabac, par
l’emploi du sucre, de la pomme de terre substituée au blé, de l’eau de vie,
etc. », écrit encore celui qui sera en fait un véritable « caféinolâtre », même si la caféine est encore une
molécule parfaitement ignorée en 1839 ! [
]
« Apparemment
point de consommations liquidiennes abusives hormis les cinquante mille tasses
de café trop fort, un statisticien les a évaluées à ce chiffre, dont BALZAC use
pour fouetter son cerveau et dont son cœur peut être pâtit beaucoup »,
écrit André JEANNOT [ ] qui se refuse
cependant à examiner si BALZAC ne souffrait pas, comme cela a pu être soutenu,
de ... diabète !
Entre 1852 et 1881,
la consommation annuelle de sucre passe en FRANCE de 3,3 Kg par an par habitant
à 7,2 Kg, soit une augmentation de 118 %. Le sucre accomplit alors sa véritable
percée. Il gagne du terrain surtout au détriment du miel et de la cassonnade ! [ ].
VINAGE
ET CHAPTALISATION... Où la transformation du vin DUFAURE !
En achetant du
sucre Baptiste ne cherche pas prioritairement à « sucrer une cavalière » ... mais plutôt à « sucrer son frère » puisque c’est
selon ses directives qu’il pratique le vinage et la chaptalisation en rajoutant
tant du sucre que de l’eau de vie dans les barriques.
En effet pour
augmenter le « degré » d’un vin, le moyen le plus rapide et le plus
efficace est d’y rajouter de l’alcool : pas de perte de temps, aucun risque de
mauvaise fermentation ! Mais si l’alcool méthylique et l’alcool éthylique sont
presque aussi proches de composition, le premier est éminemment toxique !
L’éthanol est
présent naturellement dans le vin en plus grande quantité - de 50 à 140 grammes
par Litre - que le méthanol qui est faiblement présent ( 0,02
g à 0,2 gramme par Litre ) dans les raisins de Vitis Vinifera. Mais c'est le méthanol qui donne au vin sa saveur
sucrée, l'impression de chaleur et qui en augmente la viscosité [ ].
La suralcoolisation
est une pratique prohibée en FRANCE pour la consommation de bouche et le vinage
est donc devenu extrêmement rare [ ]
Ce terme de vinage
est daté par Le Robert de « 1867 »
!
Le « vinage », c’est « l’opération
par laquelle on augmente le degré alcoolique d’un vin par addition d'un
moût » [ ]. Et avec le terme de
« moût » apparaît la notion
de « chaptalisation » soit
le « sucrage des moûts », et encore celle aussi de « mutage » ou celle de « mistelle »... « mutage à l'alcool », « fermentation
arrêtée par une addition d’alcool » ... Toutes, pratiques de
transformation !
Si le vinage est
rapide, la chaptalisation est beaucoup plus longue et nécessite un certain
doigté pour amener la fermentation à terme.
C’est au début du XVIIIème Siècle que Jean Antoine CHAPTAL avait eu l’idée
d’ajouter du sucre aux moûts insuffisamment sucrés et cette adjonction de sucre
rendit de grands services : les étés pluvieux s’avérèrent dès lors moins
catastrophiques commercialement que par le passé.
C’est vers 1860 que
le chimiste THENARD et son préparateur PETIOT iront plus loin que CHAPTAL en
inventant la « Petiotisation »
pour pallier le manque de vin...
Ce fut le premier
« ersatz » qui donna la première « piquette », en ajoutant
au marc frais ou fermenté du sucre et de l’eau, on obtenait une boisson
alcoolisée ayant goût de raisin... Ce vin de « piquette » fut bien sûr interdit à la vente ! [ ]
La chaptalisation
quant à elle fût très strictement réglementée... à la fois dans l’espace, dans
le temps et quantitativement. Mais « ses excès sont sans doute encore
courants » ! [ ]
Le caractère
« naturel » des choses et des gens est une qualité qu’exige de plus
en plus, au début du XXIème Siècle, l’homme
d’aujourd'hui dans la vie « artificielle » qu’il mène ! … Mais ce
n’était certainement pas la préoccupation première des contemporains de
Baptiste DUFAURE !
Heureusement la
nature est éternelle ! Enonçons avec HORACE ( EP. 1, 10, 24 ) : « Naturam expelles furca, tamen usque recurret »
[ « Chassez la nature avec une
fourche, elle reviendra toujours en courant » ] [ ]
LES
BARICOTS PRENNENT LE TRAIN... OU BAPTISTE EN « EXPEDITEUR »
Sous le Second
Empire l’ensemble des secteurs productifs de l’économie nationale commence à
s’initier aux transports ferroviaires...
Le commerce des
boissons est lui aussi concerné... Un train de bière part chaque jour de STRASBOURG
pour PARIS, doublant la consommation de « moussante » dans la
Capitale [ ] ...
Les brasseries de PARIS, selon JOANNE, « s’en tiennent
rarement à vendre de la bière ; elles sont pour la plupart de véritables
estaminets ». « Les bières anglaises, sans être aussi recherchées que
le bock-bier
[ Bières Allemandes servies par exemple à la brasserie
de la rue Hautefeuille ] lui font cependant une
certaine concurrence (...). Nous citerons particulièrement pour les partisans
de l’ale et du porter le café de la Rotonde et la Brasserie Anglaise aux « Champs-Elysées »...
[ ].
Ainsi on peut déjà
boire, dans la Capitale, plusieurs bières de provenances diverses en 1863 !
Le transport des
vins fait plus que décupler sur la période. 95 Millions de Litres de lait sont
également chargés sur les convois chaque année [ ].
Avec sa
correspondance du 25 Décembre 1860, Baptiste commence à évoquer des transports
de barriques opérés par le roulier Allassacois
VINCENOT et le coût généré pour un parcours entre BRIVE et ALLASSAC.
Son propos apparaît cependant un peu obscur. Il ne tardera pas à se clarifier
lorsque, le 24 Avril 1861, Baptiste accuse réception d’une lettre d’Elie et
qu’il lui confirme : « [ Tu ] nous dit de faire
partir sept baricots du meilleur vin que nous avons
tiré de la petite barique exepté
trois baril de la grande qui partirons
demain 25 du courrans par brive
dans cet septs baricots il
y est rentré 12 charge et demi nous avons promi 20 F
a vincenot pour les conduire a brive. » Ainsi
avant d'arriver à PARIS par le rail, la première étape des baricots
est bien BRIVE par la charette de VINCENOT !
Rappelons une fois
encore que le trafic ferroviaire n'est établi au départ de BRIVE qu'à compter
de la mi-septembre de l'année 1860, c'est donc dire combien les frères DUFAURE
se sont vite adaptés à ce nouveau moyen moderne...
Les vins qui
bénéficient le plus du développement des
voies de communication sont ceux du Midi de la FRANCE. Vers la fin des années
1850, ils sont vendus à LYON pour un cinquième du prix qu'ils avaient coûté
sous le règne de LOUIS PHILIPPE et ils atteignent le marché Parisien. Bientôt,
prédisait un Ingénieur des chemins de fer en 1863, « les tonneaux
péniblement transportés par des files indiennes de petites charrettes tirées
par les petits bœufs des montagnes du TARN seront transportés à moindre frais
par le Chemin de Fer » [ ]. Il
avait raison !
Le début de la
période printanière semble être la période la plus courante pour procéder à ces
expéditions du vin DUFAURE,( vraisemblablement le vin ""
nouveau "" des vendanges de l'automne précédent ) !
Le 23 Mars 1862,
Baptiste écrit : "" je t'écrit pour t'avertir que nous venont de chargé aujourd huit les
dix baricots de vin sur la sarête
de vinsenot que nous allons conduire a brive demain matin de bonne heure. Tu nous disait de numérotér les baricots je l'ai
fait (...) ""...
Le 11 Mars 1863 :
« Je t'écrit pour te dire que (...) nous venont depuit haujourd’huit de méttre les baricots sur la charéte de vincenot que je pence
qu'il se partiront demaint a la guarre
de brive » ...
Le 26 Avril
1863 : « Je t’écrit pour te dire que je te fait conduire ton baricot de vin manchais
demain »
Suit un
post-scriptum : « 27 nous venont de déposé ton baricot a 11 heure je leur ai dit de faire parvenir a ta
destination il les bien plaint il ne perd pas du tout »...
Ou le 31 Mars 1864
: « (...) Hier matin nous conduisîmes tes quatre bariques
de vin a la gare »...
Cependant d'autres
envois se situent un peu plus tardivement dans le calendrier... Ainsi en
témoigne la lettre du 17 Juillet 1863 : « Je m’empresse de t’informé que
le roulier Vincenot a livré a la gare de brive a ton adresse le 15 dernier 3 barique
vin rouge que tu ma demandé par ta dernière lettre la gare de brive les expedier immédiatement aussitot reçue veuille je te prie m’accusser
récépitions si il son arrivé »
Baptiste
douterait-il de la fiabilité des transports ferroviaires ?
Le 29 Juillet 1863,
il re-demandera ( inquiet ? ) « Tu me dira si tu
a reçue ma lettre du 17 courrant qui te parler de ton vien
les trois barique si elles sont arrivé a bon port .
C’est avec la
volonté de bien faire que Baptiste prépare les expéditions avec rigueur et
méthode en suivant des directives précises qu'a pu énoncer Elie...
« tu nous disait de numerotér les baricots » [ 23 Mars 1862 ]
« les addresse de destination sont
sur chaque baricot mais il faut bien obcervér que les numéro 1un sur chaque adresse designe le vin mansais et les numero 2 deux désigne le petit peys,
il y en na 4 de petit peys et 5 de mancais "" [ 11 Mars 1863...
ces
vins là avaient fait l'objet de vinage et de chaptalisation, après achat de
sucre et d'eau de vie ! ] Baptiste s'exécute fidèlement avec zèle... et parfois
avec bien des peines ou des soucis... portant sur différents aspects de sa
mission, ainsi que le prouvent ces quelques exemples :
Sur la méthode à employer :
« Tout le
monde dit que pour ranvoyez ton vin vieux a paris il
faux le tansvager » [ 7
Décembre 1861 ]
Sur le chargement
et le transport des « baricots » :
« Tes baricots sont si minche
qu’il nous on donné bien de la peine » [ 23 Mars
1862 ]
Sur le remplissage
des « baricots » : « Nous avons retransvasé le restant de ton vin nous l’avons mit tout
dans la barique de vin manché
(...) mais elle n’est pas encore plaine (...) vincenot
a dit que sa serait necessaire de la finir de ramplir » [ 26 Mars 1863 ].
BAPTISTE,
« MAITRE ...DE CHAIS » : l’intendance quotidienne assumée...
Finalement en dépit
de bien des problèmes rencontrés pour essayer de suivre à la lettre les
directives de son aîné, ou tenter d’y suppléer au mieux en leur absence, en
prenant conseil auprès de « tout le monde » et encore autre « vincenot a dit » ou « bleu et vincenot
nous ont dit que sa gatté le vin de remplir les baricot quelque jour a la vance »
[ 19 Mai 1861 ],
l'essentiel pour
Baptiste est que le vin parvienne bien à son destinataire... Et ce qu'il
s'agisse du vin produit sur les coteaux familiaux ou même, le cas échéant , du
vin acheté par ailleurs à des tiers pour compléter tel "" baricot "", souvent parce que la vendange n'a pas
été assez abondante par rapport à la capacité de stockage de la cave.
« Je désirerai
savoir si tu veux que [ j’ ]achète le vien vin néssésaire pour finir de
remplir les deux tonos il en faux au moins cienp charges » [ 17 Novembre 1862 ]. "" Tu m' écrira de suite si tu""veux que j'an accète [ du vin pour finir de remplir la barique ] "" [ 26 Mars 1863 ]."
C’est un fait avéré
: Baptiste fait véritablement fonction de « maître de chais » par
procuration ... Il est en charge, sur place, de toute l'intendance
quotidienne... Il doit veiller sur l'état des récipients vinaires : cuves,
« tonos », barriques et « baricots »...
« Bleu nous
disait que tu ferait bien de faire maitre trois
cercle en fer après la grande cuve qui n'est pas encore remonte » [ 29 Juin 1864 ]
Il doit estimer les
stocks, au besoin les compléter :
« Je pence
qu'il y en a quinze ou seizes charge » [ 21 Juin 1861 ]
« dernièrement j’acheta trois charge de vin manchais 90 F pour finir de remplir la barique »
[ 26 Avril 1863 ]
« il ton reste pas tout a fait 7 charge » [ 29 Juillet
1863 ]
« nou n'avons plus de vin a te ranvoyer le peut qui nous reste nous l'avons mis dans une
pipe ou un baricot que nous te conserveront pour les
vacances » [ 31 Mars 1864 ]...
"Il doit
décider de la meilleure utilisation possible des réserves :
"" je suis la indésidé [ indécis - ?
- ] d'en achetter pour donner au manoeuvre ou de
faire boire du notre "" [ 26 Avril 1863 ].
Le vin DUFAURE
serait-il trop « bien et bon » pour aboutir dans le gosier de quelque
ouvrier ? Ne serait-ce pas un crime de lèse-majesté ou du gaspillage "que
de le dispenser sans discernement ? Encore que Baptiste doit veiller sur la
qualité de ses stocks et se défaire "du vin qui est devenu "" piqué
""... Le jeter serait une hérésie ! "" Est ce que Baptiste
évoque l'altération d'une partie""du vin lorsqu'il écrit :
"" nous avons rempli une pipe de vin vieux pour vider les baricots il y en a que deux qui ne soit pas était toussé
"" ? ou faut il interpréter de manière
différente cette phrase : "" deux baricots
n'avaient pas encore été entamés "" ?"
I"l doit
procéder à toute sorte d'opérations.
« Nous avons retranvasé le restant de ton vin nous l’avons mit tout dans
la barique » [ 23 Mars
1863 ].
« Nous avons tranvagé le vin au lieu de le maître dans les baricots comme tu avais dit nous l’avons mis dans la barique ou nous avons tiré l'autre elle est pleine » [ 21 Juin 1861 ]
« tu ne ma pas redit de finir de remplir tes barique » [ 2 Décembre 1862 ].
Si l’on prend pour
référence les écrits du régisseur de « Chateau-Latour »
sous le Premier Empire (*), les tâches du "maître de chais sont
nombreuses. Le raisin pressé sort dans les cuves... "" les cuves ( qu'il faut faut faire
gonfler" quelques jours auparavant ) doivent être remplies en plusieurs
étapes (...), puis arrive le décuvage qui se fait au moment de degré de
maturité de la vendange. Dès que l'on s'est assuré par la dégustation que le
vin est assez fait on s'occupe de la mise en barriques (...) les barriques sont
alignées en rang dans le chai où l'on s'arrange pour qu'elles reçoivent la même
quantité et qualité de vin (...) "" (*)
En somme bien du
travail et tout un art, mais sans oublier de pratiquer les soins constants
réclamés par les vignes pour réussir au mieux la vendange suivante !
« DÛT-ON EREINTER LES BŒUFS »
! ... Exigence d'Elie et bêtes de somme !"
Si c'est bien à
partir de la ferrovisation du Bas-LIMOUSIN
en 1860 que les mouvements du vin DUFAURE se sont multipliés à destination de
la Capitale, une correspondance du 14 Septembre 1859, adressée par Elie à sa
sœur Françoise, témoigne du fait qu'Elie avait cherché, et vraisemblablement
avait déjà pu se faire expédier du vin dès avant l'arrivée du rail à BRIVE.
Ainsi il est possible que depuis BRIVE, les marchandises étaient expédiées par
roulage vers PERIGUEUX, voire une station plus proche déjà entrée en
exploitation, avant d'être chargées sur le premier convoi venant à se présenter
!
Elie demande à Françoise
de transmettre le message suivant à Baptiste : « Dis lui que je suis bien
étonné de n’avoir pas reçu de lettre d’avis de départ 'envoi de mon vin. Il y a
pourtant pour moi la plus grande urgence à ce qu'il me soit expédié le plus
promptement possible. Si monsieur vincenot ne peut
pas le porter à Brives tout de suite qu’on l’y porte
avec les bœufs, dût on les éreinter » !
En CORREZE on est
encore à peu près partout à l'ère du char ou de la charrette. Beaucoup de
chemins ruraux, comme dans tout pays humide et au sol imperméable sont si
boueux et défoncés qu'il y faut la lente puissance des bœufs (**). Ce n'est que
progressivement que les chemins vont s'améliorer ! Ici ou là vers 1900
seulement ! A EYGURANDE en CORREZE en 1890, une grande partie des chemins
projetés en 1836 n'étaient pas réalisés (***) et ceux qui avaient été ouverts
étaient dans « un état déplorable » !
En Octobre 1762 un
fils de LAROZE était, on l'a vu, pressé d'envoyer chercher son vin ""
tant que les chemins ne sont pas si mauvais ""... A la saison
suivante ils deviendraient tellement pires !
Quand la voirie
s'améliorera on pourra alors y faire circuler des voitures plus fines attelées
de chevaux, de mulets ou d'ânes, sensiblement plus rapides que les bœufs...
Cela aura des conséquences « sociales » : qui ne voit qu'un paysan
est plus proche d'un « bourgeois » lorsqu’il fait trotter une paire
de mules gaiement enclochettées et non lorsqu’il
pousse des bœufs ? (*).
Le citadin Uzerchois, roulier d’occasion, Bertrand est particulièrement
fier d’annoncer qu’il va faire « gagner 8 F aujourd’hui à sa
jument. (...) J’arrive de VIGEOIS où je conduisis une carriole et je
repars pour aller à MASSERET faire renfort à un roulier » [ 20 Juin 1864 ].
Mais l'égalité
sociale par la voiture à cheval sera très éphémère ! A peine le paysan y
accédera-t-il que le bourgeois se distinguera à nouveau par l'automobile... le
cheval-vapeur (*) !
Alors c'est dit ! Ou plutôt c'est écrit par Elie...
Si VINCENOT ne peut
se rendre disponible, il ne faudra pas hésiter à éreinter les ( pauvres ) bœufs du maigre cheptel DUFAURE... Bœufs qui ne
doivent déjà pas être si gras que cela ! Notons à ce propos que c'est sous le
Second Empire que les concours agricoles évoluent pour donner naissance au
Concours Général Agricole en 1870, lequel survit toujours ! or
durant les années 1850 - 1860 , les polémiques sont sévères entre partisans du
développement des races à viande précoces, qui veulent les favoriser "et
les partisans des races traditionnelles ""de travail""...
L’administration
agricole doit faire des compromis ! "" Il serait "excessivement
avantageux d'améliorer les races par elles-mêmes au point de vue de la
boucherie, sans leur faire "perdre leurs autres qualités et leurs autres
caractères "". Devant le Ministre de l’Intérieur, de l'Agriculture et
du Commerce, le Duc de PERSIGNY, Auguste YVART défend le Concours de POISSY :
« On y encourage beaucoup les propriétaires qui entrent dans une nouvelle
voie, en ce sens qu'ils ajoutent aux bestiaux de travail des bestiaux qu'ils
font naître pour les livrer à la consommation, sans les employer aux travaux
aratoires » [ ].
Les années du
Second Empire demeurent celles du succès des races précoces pour
l'engraissement, la demande en viandes ne cessant de croître dans le Pays.
Cependant c'est avant tout du fumier et du travail que l'on demande au cheptel
de fournir : lait et viande ne sont encore que des accessoires. Les superficies
en prairie naturelle stagnent encore entre 1840 et 1882 car on ne peut guère
augmenter leur superficie puisque ce serait réduire d'autant l'étendue des
terres labourables indispensables (***).
En attendant Elie
n'a cure de ménager ses bœufs « de somme »...
George SAND aurait
elle décrit ainsi "l'attelage conduit par Baptiste : « Les fiers
animaux frémissaient (...) et faisaient grincer les jougs et les courroies liés
à leur front, en imprimant au timon de violentes secousses (...) tout cela
était beau de force ou de grâce : le paysage, l’homme (...) les taureaux sous
le joug » ? [ ].
Le bouvier Baptiste
pouvait-il susciter un tel lyrisme ?
Je ne sais si
VINCENOT avait pu se rendre disponible en 1859, mais même s'il sera fait
fréquemment appel à ses services ultérieurement contre rétribution, Baptiste se
chargera parfois seul du transport comme il nous l'indique le "31 Mars
1864 : "" nous avons conduit ton vin les deux dernièrs
voyages avec nos vaches et cest plus tot fait que donploiayer vicenot et payer de meme je me
suis appirit a faire les lettres despédition
"" !"
Gain de temps et
économie... peut être ? Pourtant le transport est loin d'être une pratique
aisée... Pour preuve les faits relatés par Baptiste le 22 Décembre 1863 :
"" depuis ce matin nous avons chargé les baricots
sur la charette"de vincenot
dou en passant le ruiceaux
la roue a fait comme lannée derniere
la roux c'set enfoncé de dans la secouce a fait
caché [ cassé ] deux douves de une barique que nous
avons était obligé de soutiré remplace par "une autre encore il on a reste
un qu'il était bien fatigué demain il partiron pour brive "".Que de jurons de
charretiers"proférés dans ces instants là, n'en doutons pas !
« J’Y AI MON INTERÊT » ... Des motivations bien obscures..."
Dès l’automne 1859
Elie se montre impatient d’obtenir son vin. « Je le veux parce que j’y ai
mon interêt » !
Il poursuit :
« Je te prie très sérieusement de me répondre le jour même que tu recevras
ma lettre pour me fixer au sujet de mon vin. Qu’on quitte tout pour porter le
vin à BRIVES, coûte que coûte, que ce soit bien entendu »...
Quelle preuve
d’autoritarisme !
Mais quels intérêts
réels sont en jeu ? Monnayer seulement quelques baricots
? Cela me parait insuffisant comme explication... Encore que...
A l’époque l’avocat
doit compter avec des règles professionnelles très strictes qui proscrivent
tout commerce et qui ont pour avantage de créer une sorte d'aristocratie de la
défense, "" l'avocat a une mission non une profession
""."L'incompatibilité avec le commerce est étendue à
l'interdiction absolue de préparer des contrats commerciaux et de manier des
fonds... Toutes choses qui échappent - en principe -
aux avocats dans un monde qui pourtant s'ouvre à l'économie de marché. Ainsi il
y a des incompatibilités qui mettent même une barrière absolue entre l'avocat
et les professions juridiques spécialisées dans les affaires commerciales. On
traite même ces conseillers juridiques de... « proxénètes »
! [ ].
Elie pourrait-il se
muer en un « vulgaire » négociant ? Prendre pied dans un milieu
douteux et encourir par la même d'éventuels risques
« disciplinaires » pour un bénéfice fort limité ? Qui pourrait le
croire ? Le plaisir seulement de disposer de son vin à PARIS ? Peut être ! Un
pari à tenir lancé auprès de je ne sais quelle relation ?
Je relève
maintenant quelques éléments qui m'interrogent et dont je ne saisis par
l'exacte signification : Un bordereau d'envoi, daté du 9 Juin 1865, par le
Chemin de Fer de PARIS à ORLEANS ( petite vitesse ) "témoigne de
"" 2 fûts vin 500 Kilos remis
par M. DUFAURE d'ALLASSAC pour être expédiés à M.
DURAND et DUFAURE à PARIS Qui était ce Monsieur DURAND ? Un ami d'Elie ? Un
"" client "" démarché par Elie ?"
Le 18 Septembre
1859, Elie écrit : ""Je ne vous ai pas indiqué les numéros de la rue
Jeanne pour le vin parce que cela ne fait rien pour cette rue qui appartient
toute entière à un de mes amis que j'ai prévenu "". S'agit il déjà du
dénommé DURAND ? D'un tiers ? Le plan joint au Guide Parisien de JOANNE (*)
permet de situer cette rue Jeanne à VAUGIRARD où elle commençait par la Rue de
la Procession pour s'achever Rue des Fourneaux. Si la Rue de la Procession
existe toujours, la Rue Jeanne, elle, a aujourd'hui disparue... A son
emplacement ou à peu près c'est maintenant la Rue Georges PITARD.
La Rue Jeanne était située tout près de la Gare des Marchandises de la Compagnie de l'Ouest - lignes de
BRETAGNE et de VERSAILLES ( Rive Gauche )- dont l'embarcadère était sis
Boulevard MONTPARNASSE, déjà ! (*)... Un ami suffisamment fortuné pour posséder
toute une rue, même s'il ne s'agissait pas d'une des plus prestigieuses, et
être amateur de vin Allassacois ? Le 11 Mars 1863,
Baptiste évoque "" les adresse de destination sur chaque baricot (...) ""les numéros 1""sur
chaque adresse désigne le vin Mansais "",
puis le 22 Décembre 1863 Baptiste évoque une autre expédition de lots
numérotés. Parmi les contenants, un que nous avons remarqué qu'il était un peu
plus grand nous te l’adressont a toi ""...
Cette formulation laisse supposer qu'il y a donc bien au moins deux
destinataires de vin Allassacois dans la Capitale !
Il ne m'est possible que de le constater, point de l'expliquer !
SUIVRE
LES COURS... Une préoccupation partagée...
Les frères DUFAURE
sont très attentifs aux cours de vente du vin, une vigilance nécessaire pour
parvenir à négocier au mieux la vente de leur production et à ne pas se faire
« avoir » pour leurs achats de compléments de remplissages de
barriques ! « Tu me demande combien il te reste de vin a vendre »,
écrit Baptiste le 28 Avril 1861, « je t'écrit (...) pour te donné le prit
des vins sonts de trente trois a trente huit et encorre il ni y a pas de court » ? précise-t-il le 7 Décembre 1861." """ Vincenot a dit qu'on lui avait payez le fut a limoge 10 F piesse "" [ 11 Mars 1863
] "" on ademedant que nos "achetions
de 22 f la charge pour notre consommations pour acheter de bons vins il faux
encore 30 F "" [ 31 Mars""1863 ] "" dernierement j'acheta trois charge de vin manchais 90 F "" [ 26 Avril 1863 ] ." En
1860, un sieur BOUNAIX correspond avec Elie. Au terme d'une première
correspondance il lui demande"""Comment fait le vin à Paris ?
J'ai vendu hier dix charges à 55 [?] vin vieux le nouveau est à 36 [?] jusqu'à
40"".""Puis le 12 Septembre 1860, en Post-Scriptum : "" Je croyais vous avoir demandé
quelques renseignements au sujet de la vente des vins, vous n'en dites
rien ».
Les Allassacois de ce milieu de XIXème
Siècle, comme ceux des générations précédentes restent trés
attentifs aux conditions de commercialisation de leurs vins... Les frères
DUFAURE ne font pas exception ! En cela ils furent bien parmi tant d'autres Allassacois les acteurs d'une civilisation aujourd'hui
disparue !
LE
SENS DE LA MESURE... La Gerle Allassacoise...
Dès le Moyen-Age, chaque Paroisse dispose d'une barrique dont la
forme et la contenance varient. Cette spécificité des récipients vinaires
s'accompagne généralement d'un particularisme local trés
poussé en matière de mesurage des récipients. Chaque Région, voire chaque
localité a ses propres unités de mesure ce qui ne va pas en simplifiant le
commerce ! Voici, à titre d'exemple, comment se mesuraient les vins en SAVOIE :
ils se mesuraient en charretée, barral, sommée quartelet, setier, coupe, meytiere,
quartan, quartelet, pot, quarterron, picholette, picotte, gevelot ...et encore ces
mesures varient d'un secteur à l'autre que l'on se trouve à CHAMBERY, YENNE, ou
AIX [ ] .
« Pourrait-on
donner aux fûts de vin une seule et même contenance ? », demandait-on à
l’Intendant du POITOU en 1684...
« - Idée absurde », répond-il, en citant aussitôt une
multitude étourdissante de « tonneaux » aux appellations et
contenances variant de localité en localité et utilisées concurremment, sans
compter les tonneaux du BERRY, du LIMOUSIN, du BORDELAIS et d’ailleurs,
présents sur les marchés Poitevins [ ].
Alors parvenir à l’unité ce serait résoudre la quadrature du cercle ! [ ].
Au XVIème Siècle, plusieurs Edits Royaux tentent d’unifier les
mesures et notamment celles du vin, en prenant pour étalon les mesures de
PARIS, et d’imposer à tous ceux qui vendaient du vin au détail de ne le vendre
que marqué [ Edit de 1557 Henri II, Edit de 1565
Charles IX ]. A BORDEAUX en 1789, la barrique de vin doit contenir 110 pots,
marc et lie, et 100 pots, vin clair... le pot faisant environ deux mingles d'AMSTERDAM ! (**) Cette diversité des mesures
survivra jusqu’à nos jours, malgré les différentes tentatives d'unification,
dont l'adoption du système métrique sous la Révolution... Mais celui-ci ne
pénètre absolument pas le milieu de la vigne. Et comme les vignobles se sont
tous développés de manière autonome et indépendante avec leurs particularismes
poussés à l'extrême sur le plan réglementaire, la mise en place d'une
législation unitaire est aujourd'hui encore trés
délicate !
Les traditions sont
lourdes ! Et cela est vrai jusqu'au plus petit conditionnement : la bouteille !
« Le doux Pays
de FRANCE crée des bouteilles comme il fait du vin, avec une fantaisie pleine
d’à-propos » [ ]
Belle diversité !
« C’est la
bouteille Alsacienne dite « flûte à vin du RHIN » [ la Loi Française
ne permet d’utiliser ce flacon que pour y loger les ALSACE, le « Château-GRILLET » - LOIRE côté RHÔNE -, les
« Côtes de PROVENCE » rouges et rosés, le « CREPY » en
SAVOIE, le « JURANCON » dans les PYRENEES-ATLANTIQUES, le « rosé
du BEARN » et celui de « TAVEL » - GARD - ], c’est le « Clavelin » du JURA ne pouvant servir qu’en faveur des
« vins jaunes » de cru, c’est la bouteille armoriée du blason Papal
de « CHATEAUNEUF DU PAPE » ... C’est combien d'autres exemples
encore... !
La réglementation
relative au type et à la capacité des bouteilles a débuté par la loi du 17 Juin
1866 sur les usages commerciaux qui rend obligatoire l'usage des seules
bouteilles référencées en son annexe ( onze types de
modèles différents ).
Ce texte de portée
générale visait à réprimer les tromperies nombreuses à l'époque sur la quantité
des produits qui se commercialisaient [
].
Il nous parait bien
lointain, aujourd’hui, le temps où toute mesure était à portée d’homme, fondée
sur la largeur de son pas, la taille de son pied, l’empan de ses mains sur la
matière mesurée et l’outil utilisé : on vendait le sel au setier, à la mine, au
boisseau...
Quant au vin...ce
pouvait être à la pinte, à la camuse, à la roquille, au petit pot, à la
demoiselle...ou à tant d’autres étalons !
C’était aussi le
temps où l’arpent de terre valait douze hommées, les
longueurs se disaient en toises et en pieds... Quatre pieds valaient une aune
de LAVAL, cinq faisaient la canne de TOULOUSE... A MARSEILLE la canne des
drapiers était plus longue de 1/14ème que celle des soyeux ...
[ ].
Alors allons-nous
nous y retrouver, nous, hommes du XXIème siècle ?
Ils s’y
retrouvaient bien eux ! Ici et là, comme ailleurs... ou encore à ALLASSAC...
Le Palpe Allassacois de 1757 fait référence à la
« perche » comme mesure de superficie, et Jean Louis LASCAUX de
préciser : « Perche ancienne unité de mesure de surface variant avec le
lieu, à ALLASSAC une perche = 10 M2, la sétérée
est également utilisée dans le même document... Elle équivaut, selon LASCAUX, à
2.100 M2 dans le secteur d’ALLASSAC, après
qu’il l’ait définie comme une « ancienne unité de mesure ».
Alors les LAROZE,
les DUFAURE et autres BOUNAIX et consorts peuvent bien mesurer leurs vins en
« charges » ou en « septiers »,
mais ils ne le feront jamais en « Litres »... ce qui aurait pourtant
été si simple pour nous !!!
Dès lors ne soyons
pas surpris de l’emploi par Elie du terme particulier et peu usité de
« gerle », une unité de volume employée localement pour la mesure du
vin.
En Septembre 1859
par exemple, à la fin d’une missive destinée à Baptiste, l’avocat écrit :
« J’oubliais de te demander ce que vous avez fait du 21ème barilet de la 1/2 gerle du vin bardon.
Un mot je te prie par le retour du courrier. Si tu l’avais gardé, il faudrait
le mettre en bouteille » ...
Déjà dans la
reconnaissance féodale du Seizième Siècle, « Pro Johanne alias Johannist Fabri Villae de Allassaco », Elie a pu relever les passages
suivants : « Et ne debere ad rentam praedictae vineae et prati septem gerlias
et tres pintas vini boni et
mesurabilis ad mesuram de Allassaco » ou encore « aliam mediam gerliam vini »...
Le
« fermage » des terres et vignes précitées étant exprimé en
« quantité de denrée », en l’occurrence en volume de vin !
En renvoi pour
l’information de ses contemporains et aujourd’hui pour la nôtre, en fait pour
tout lecteur des temps passés, présents ou futurs, le juriste juge nécessaire
de préciser : « gerle et pinte sont des mesures de vin encore
usitées à ALLASSAC »… comme s’il avait déjà pris conscience qu’il
s’agissait là d’un particularisme autant que d’un archaïsme que les temps
balayeraient bien un jour ! … Comme ils balayeraient un jour le vignoble Allassacois ou bien encore le vignoble « de
LAROZE »...
Au XVIIIème Siècle, les comptes viti-vinicole
des LAROZE étaient systématiquement exprimés en gerles lesquelles par la suite
étaient converties en « charges ».
Ainsi, par exemple,
« récolte de 1753 » (...) « total que le sieur de LAROZE a pris
: 523 gerles lesquelles 523 gerles font 65 charges 3 gerles », ou,
« le 6 9bre [ 1754 ] 4 charetes
ont amené 107 gerles qui font... ... 13 charges 3 gerles » ...
Mais combien de
Litres au juste ? On pourra encore longtemps s'interroger ! L'essentiel est de
bien prendre la mesure et de ne pas la perdre !
DES
DUFAURE AUX DUFOUR... Transition et Relève...
Emporté fin 1865
Elie DUFAURE, il disparaît celui qui appréciait tant le vin de Bourgogne et qui
fumait des cigares de qualité, « les cigares bien secs de 20 et 25 c., et à plus forte raison ceux de qualité supérieure sont
excellents à fumer. Les cigares au dessous de ces prix sont trés
médiocres [ ], emporté aussi Auguste
DUFOUR, il disparaît le fournisseur d’échalas des Plateaux d'ESTIVAUX, emporté encore le Second Empire et avec lui une
"certaine idée de la fête Parisienne, emportés par le phylloxéra les
vignobles de FRANCE...
« Tempus edax rerum » « Le
temps ronge tout », constatait OVIDE ! … Cela est aussi vieux que le
temps qui a passé !
Alors je songe au
désarroi de Baptiste, privé de son « maître » à penser, à celui de
Françoise restée seule avec ses quatre garçons en bas âge, à celui de tous ces
vignerons, de la CORREZE ou d'ailleurs, pour qui le mot de phylloxéra n'était
au début qu'un mot abstrait mais dont les vignes étaient tellement étendues
qu'ils n'arriveraient bien sur pas à gagner le fléau de vitesse... Et les vignes
mourraient les unes après les autres... En Juillet 1878, on avait même observé
l'arrivée du désastre dans l'AUDE, alors que la présence du mal dans les autres
régions avait jusque là plutôt été une source d'enrichissement pour ce
Département déjà spécialisé [ ].
Les temps étaient
rudes ! Elie, Gabriel, Joseph, Henri, les quatre neveux DUFOUR de maître
DUFAURE natifs des années 1860, grandissant sous la Troisième République
naissante, devaient chercher « leur » voie...
L'un au moins
perpétuerait-il la tradition viti-vinicole familiale,
en dépit des aléas historiques, économiques, sociologiques ou personnels qu'ils
seraient amenés à rencontrer ?
Elie restera propriétaire-agriculteur au MONS, Gabriel non loin de là à
BOUNAIX, et Joseph à une encablure sur des finages proches...
Quant à Henri, il
se « lancera » dans le négoce du vin !
En quoi cela
pouvait-il apparaître comme éventuellement « déshonorant » aux yeux
de sa mère, ou à ceux de ses oncles Baptiste ou Bertrand, qui savaient bien
tout ce que ce type d’activité avait pu procurer depuis des générations comme
revenus à la famille en lui permettant de « survivre » sans recourir
à des expédients plus ou moins avouables ou discutables, et cela durant des
décennies voire des siècles...
Et tant pis si cela
ne s’avérerait pas vraiment « politiquement correct » aux yeux de
certains esprits moralisateurs du temps !
« Parcourez
les villes et les villages. Ce ne sont que cafés et cabarets. On dirait
vraiment que la FRANCE se divise en deux moitiés à peu près égales, dont l’une
est chargée d’abreuver l’autre de poisons divers, jusqu'à ce que mort
s’ensuive » (...) « Si vous voulez rester honnêtes et sages, si vous
voulez être forts et bien portants, si vous voulez avoir une chance d’arriver à
une belle et solide vieillesse, imitez la sobriété de nos aïeux : buvez en
petite quantité du vin du cidre ou de la bière. Surtout ne craignez pas l’eau.
L’eau désaltère, nettoie et purifie » !!! [
]
HENRI
DUFOUR, Négociant-grossiste en vins...d'ESTIVAUX au BURG près VARETZ...
Les mœurs sont en
pleine évolution... D’ailleurs les populations commencent à s’exprimer
régulièrement en « Litres ». Alors que pendant longtemps la majeure
partie des ruraux Français n'avait eu ni le temps ni les moyens de"
s'adonner à la boisson, en particulier à celle de vin, la généralisation de la
consommation du vin est un phénomène qui se développe en FRANCE dès après 1870.
La libéralisation du commerce du vin après 1880 est un cadeau de la Troisième
République à ses partisans les plus fidèles (**) et l’instauration du service
militaire universel en 1889 en est aussi un facteur explicatif, comme celui
plus essentiel encore du développement du chemin de fer apportant le breuvage
partout à des prix peu prohibitifs... Dans les années 1890, sur les plateaux de
l'AVEYRON, les paysans autrefois sans liens avec l'extérieur buvaient
désormais, eux aussi, du vin (**)...
La viticulture
française s'oriente de plus en plus vers une production de masse qui recherche
plus la quantité que la qualité. La crise phylloxérique favorise une
concentration géographique du vignoble dans des régions de plus en plus
spécialisées. La nature du commerce de vin s'est profondément modifiée et déjà
la concurrence des vignobles Californiens, sud-africains, Australiens... et
surtout Algériens se fait sentir ! [ ]
Il résulte des
pièces en ma possession que c’est dans ce contexte général que Henri DUFOUR,
alors qu’il n’est âgé que d’une vingtaine d’années, est employé par la Maison
« LHERITIER et MALAVAL, vins en gros
et spiritueux », où il dispose d’ailleurs de la signature pour établir
et authentifier les factures des clients de « M. LHERITIER et Cie » qu’il a pu démarcher pour le compte de
ses employeurs...
Parmi ces clients les
membres de sa famille constituent un socle de clientèle important et fort
appréciable pour un « courtier » débutant !
Le 16 Mai 1890,
Henri DUFOUR a établi une facture dont la débitrice est sa tante, « Marie
DUFAURE », concernant la livraison de « 2 pièces de vin rouge »
contenant « ensemble 220 Litres » facturés à 45 F l'hectolitre pour
un total à honorer de...100 Francs [...or, si l'on veut bien refaire le calcul
: 220 L x 45 F on arrive à la somme totale de 99 F et non de 100 F... Alors va
pour l'arrondi et le chiffre « rond » !] .
La Maison
« LHERITIER et MALAVAL » dispose d’un chai à ESTIVAUX [ Est-ce le
siège principal ou une simple succursale ? ] d’où trente-cinq Litres de vin
rouge sont enlevés le 1er Juillet 1890 pour être livrés à Monsieur DUFAURE (
Baptiste ? ) à ALLASSAC, « par la
voiture de DUFOUR », et le délai fixé pour ce transport est de trois
heures selon les indications du récépissé des Contributions qui nous reste
aujourd’hui.
Le 20 mai 1891, un
fût plein de 110 Litres de vin rouge est enlevé du chai LHERITIER d’ESTIVAUX à destination "de « Melle DUFAURE [ Marie ], rentière à ALLASSAC ».
Le délai accordé
pour ce transport est de huit heures par « la route ordinaire », et
« par terre » précise le congé !
Ce congé a été
établi - Oui ! je lis bien - à 5 Heures... du matin
pour un départ du chargement à 6 heures !
« Le monde est
à ceux qui se lèvent tôt » !!!.
Le receveur et le
transporteur n'ont pas du beaucoup dormir cette nuit là, comme
vraisemblablement Elie DUFOUR et son épouse, car mon grand père Pierre Henri DUFOUR, est alors un nourrisson
qui n’est pas encore âgé de deux mois au 20 Mai 1891 !
En 1892, Henri
DUFOUR va s’établir « grossiste en vins » à son propre compte
« au BURG près VARETZ » et il va conserver sa parentèle comme
clientèle : son frère Elie, ou Baptiste et Marie ses oncle et tante...
Le BURG a le grand
avantage d'être situé dans le riche Bas-Pays, d'être
placé sur le parcours du chemin de fer, de disposer d’une station qui permet
l'acheminement aisé des fûts.
C’est par cette
gare qu’était parvenu, le 25 Septembre 1890, un « fut plein de cent dix litres » pour un « poids de 120 Kilos », destiné à
Marie DUFAURE, qui arrivait de l’AUDE ( Maison GERBAUD à NARBONNE ) par le
chemin de fer.
Dix jours de
transport avaient été nécessaires, c'était moins que le délai de quinze jours
accordé par la quittance. Le bordereau d'expédition porte que c'est la « Cie des chemins de fer du Midi »
qui avait été « maître d’œuvre » de l’acheminement initial,
puisqu’elle s’en était remise à une « Cie correspondante » pour la
fin du voyage jusqu’au BURG, certainement la « Cie PARIS-ORLEANS » !
La Maison « LHERITIER et MALAVAL » avait donc
vraisemblablement déjà une implantation au BURG Il est fort possible qu'Henri
DUFOUR avait conservé cet emplacement en reprenant
l'établissement dont, peut être, il assurait la succession... En tout cas la
station du BURG s’avérait certainement une meilleure plate-forme pour la
distribution que ne le serait la station d’ESTIVAUX,
qui allait ouvrir prochainement, mais qui était par trop enclavée dans les
gorges de la VEZERE à COMBORN !
VOLUMINEUSES
LIVRAISONS... Pour un abondante consommation ?
L’examen attentif
des comptes scrupuleusement tenus entre Elie DUFOUR et son frère Henri, quant
aux livraisons opérés par le second pour le compte du premier fait apparaître
qu'entre Mai 1892 et Octobre 1904, c'est à dire sur une période de 12 ans et
demi, pas moins de 212 Hectolitres ont été livrés et facturés...
Cela représente
environ 1700 Litres de vin par an ou encore une consommation moyenne de 5
Litres par jour pour un seul individu. En 1897 et en 1904 les livraisons
atteignent même 25 hectolitres soit près de 7 litres par jour. Bien sur je
n'imagine pas Elie DUFOUR boire, seul tout seul, de telles quantités...
Cependant j'imagine
volontiers le plaisir du maître des lieux, de savoir sa belle cave voûtée du
MONS, creusée à flanc de rocher, garnie de barriques nombreuses et bien
remplies, conservées à température idéale, prêtes à la dégustation !
Je constate que,
pour sa part, Gabriel DUFOUR, a reçu livraison à BOUNAIX, par l'intermédiaire
de son frère Henri, de Décembre 1900 à Février 1904, soit pendant trois ans et
trois mois, de 42 Hectolitres de vin - environ 1320 litres par an - ceci
représentant à peu près 4 Litres par jour... Certes Gabriel était, selon la
mémoire familiale, un joyeux drille, capable de se laisser-aller à chanter tout
seul à tue-tête, le soir, dans sa retraite de célibataire à BOUNAIX...La seule
influence du vin pourrait elle constituer une explication plausible quant à ce
comportement ? J’en doute !
Mais BAUDELAIRE
écrivait à peine un peu plus tôt dans « L’âme du vin » :
« Entends tu retentir les refrains des
dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein
palpitant
Les coudes sur la table et retroussant tes
manches
Tu me glorifieras et tu seras content »
[ ].
Que dire de leur
tante, Marie DUFAURE qui, de Juin 1892 à Mars 1894, recevra livraison de dix
Hectolitres soit six hectolitres par an, représentant une consommation
individuelle qui serait proche de… deux litres par jour... Ce pouvait être
plus, ce n’était en tout cas pas moins !
Si les quantités
livrées apparaissent effectivement importantes, il faut se rappeler que dans le
dernier quart du XIXème Siècle « s’enivrer en
compagnie n’était plus seulement réservé aux grands jours de fête », et
« dans les régions pauvres, comme les LANDES ou le LIMOUSIN, on se mit à
boire régulièrement du vin lors des fenaisons et de la moisson. Le stade du
seul « tonneau à la cave » qui ne serait ouvert que pour les jours de
fête est maintenant dépassé [ ].
Le vin qu’achète le
propriétaire exploitant n’est pas réservé à sa seule consommation personnelle
ni à celle de ses seuls proches... Il est destiné aussi au voisinage qui lui
vient en aide, à ses fermiers, à ses commis de culture... à tous les bras qui
prêtent main-forte pour assurer la prospérité du domaine...
Et des bras, il en
faut !!!
L’arrivée des
premières batteuses, la mécanisation balbutiante, n’y change encore pas grand chose !
Le battage à SAINT-LIBERAL... près ALLASSAC... chez les VIALHE rassemble
au moins une quinzaine d’hommes...
« Ils
travaillèrent jusqu’à midi et le tas de grains grossit dans le grenier des VIALHE. Marguerite passa maintes fois parmi les hommes pour
leur verser à profusion de grands verres de vin frais que tous engloutissaient
avidement, car la chaleur était intense et la poussière terrible.(...) C’est en
titubant de fatigue qu’ils allèrent tous au puits et qu’ils s’aspergèrent à
grands seaux d’eau fraîche. Et c’est en chahutant qu’ils s’installèrent autour
de la table » [ ].
Dès cette époque le
vin est introduit dans toutes les fermes, sauf dans l’Ouest et dans le Nord, où
le cidre demeure toujours la boisson principale, et où le Calvados et l’eau de
vie exercent leurs ravages. Finis les temps où seuls les bourgeois pouvaient
déguster leur verre de vin quotidien car, la démocratie paysanne triomphante
était en mesure désormais de s'offrir du vin du Midi, au moins une demi-pièce -
tonneau de 110 Litres - dans les maisons de moyenne aisance pour les seules
semaines de fenaisons ou de moissons, les deux tâches principales de l'été
[ ].
Et si le battage au
fléau disparaît lentement, la machine symbolisée par la batteuse fait son
apparition et constitue une nouvelle forme d'entraide et elle est en même temps
génératrice de nouveaux rites...
Son arrivée
constitue un événement qui entraîne, de ferme en ferme, son cortège de durs
travaux mais aussi de réjouissances, car plus le travail est dur, plus les
repas sont copieux et abondante la boisson, et l’on chante et danse souvent
tard le soir dans les fermes où l'on a peiné durant le jour [ ].
Peut-il en aller
différemment chez les DUFOUR du MONS d’ESTIVAUX que
chez les... VIALHE de Saint LIBERAL ?
Le
« notable » d’ESTIVAUX - Elie DUFOUR qui
par ailleurs est Maire - ne peut se permettre de lésiner sur les quantités de
nourriture ou de boisson qu’il se doit d’offrir à ses aides...
Il fallait
impérativement montrer en effet « que la maison était toujours aussi
solide et riche, et bien tenue. Bref, qu’elle tenait son rang. Il devait
inviter tous ces gens là à venir travailler pour lui, à boire son vin, à manger
à sa table, il était tenu de leur ouvrir sa maison » [ ].
Mais on ne boit pas
que durant les périodes de gros travaux... Surtout que les vins du Midi, sans
être d'une qualité remarquable, supplantaient trés
fréquemment et fort largement, les vins locaux produits avant le phylloxéra...
Le temps des
breuvages « imbuvables » s’estompe.
C’était celui où le
vin était si mauvais que, selon Henri POURRAT, cité par Eugène WEBER, il
fallait trois hommes pour l'avaler... Celui qui le buvait, celui qui le faisait
boire et celui qui le soutenait...
Combien furent ils
de moissonneurs au MONS en Août 1900 pour « s’entraider » à boire
trois fûts de vin rouge d'une contenance totale de 472 Litres, livrés par Henri
DUFOUR, le 1er Août 1900 ?
Les stocks d’Elie
bien entamés, nécessitèrent d’être reconstitués le 23 du même mois avec la
rentrée d'un fût supplémentaire de 238 Litres !
PERIODICITE
ET NATURE DES LIVRAISONS...
Les comptes des
livraisons de vin d’Henri DUFOUR à son frère Elie DUFOUR sont suffisamment
détaillés pour qu'ils permettent de dégager les caractéristiques les plus
significatives de ces transactions.
Entre 1892 et 1904,
c’est neuf fois sur treize années considérées ( 70 %
des cas ) que la période des livraisons les plus importantes se situe au
troisième trimestre de l’année... Il s’agit, « comme par hasard », de
la période des plus gros travaux agricoles de fenaison et de moisson, et les
livraisons considérées sont alors proches de 6 hectolitres, pour aller
jusqu’à... 8 en 1895, voire 9 en 1897 et en 1900.
Plus du tiers des
volumes totaux livrés ( 35,84 % ) le sont au cours des mois de l’été durant
lesquels, il convient de le souligner, les transports sont aussi bien plus
aisés qu’à la mauvaise saison... mais aussi durant lesquels les
« gosiers » sont les plus assoiffés !
C’est à ce moment
là aussi que le produit de la vendange de l’automne précédent atteint un niveau
de maturation intéressant !
Ce n’est que trois
fois seulement sur la période considérée que le trimestre enregistrant les plus
gros volumes de livraison est le second, c’est le cas en 1899, en 1902 et en
1904... Les volumes sont loin d’être négligeables et sont proches de ceux du
troisième trimestre ( 31,19 % des volumes totaux
livrés )...
L’automne et
l’hiver sont de trés loin les saisons les plus
« basses » en matière d’approvisionnement avec respectivement 18,15 %
et 14, 82 % du total livré. Mais constatons que les livraisons d’Henri DUFOUR à
Elie DUFOUR sont néanmoins étalées sur toute l’année, ce qui lui permet de se
rendre fréquemment au MONS et d’y visiter à la fois sa mère et ses frères...
C’est la plupart du
temps des « fûts de vin rouge » qui viennent abonder la cave d’Elie
DUFOUR. Ce n’est que vraiment trés exceptionnellement
qu’Henri DUFOUR livre, au MONS, une autre nature de vin.
Je relève, en 1901,
des livraisons de vin blanc, mais uniquement cette année là, 140 litres en
Janvier et 81 en Octobre...
En Octobre 1898, le
12 trés précisément, Henri livre à son frère un petit
fût de 33 Litres de vin rouge qualifié de... « nouveau »
! Il était donc « déjà » « arrivé » le vin nouveau !
Constituait-il déjà une forme de nouveauté commerciale ?
Force est de
constater qu’Elie DUFOUR ne renouvellera pas cet « essai » par la
suite... Déception ?
En 1901, outre du
vin blanc, Elie DUFOUR se fait aussi livrer 44 Litres de vin qualifié de...
vieux ce qui lui conférait une plus-value justifiant, semble-t-il, un prix de
vente plus élevé : 40 Francs l'Hectolitre !
En revanche on peut
relever quelques livraisons de vin qualifié de « piqué » qui, compte
tenu de cette moins value, voit son prix de vente ramené à la baisse : de
l'ordre de 25 F par Hectolitre...
La contenance des
fûts livrés est variable, généralement
des pièces de 110 ou de 220 Litres, mais très souvent des contenances
intermédiaires : 105, 128, 130, 137, 144 , 161 Litres,
voire... 228 Litres en Août 1900. Plus rarement il peut s'agir d'une petite
bonbonne de contenance plus modeste, ainsi 12 Litres le 20 Octobre 1897.
Parfois Elie DUFOUR achète à son frère, pour garnir sa cave (
ou stocker du cidre ou autre breuvage ? ) quelque récipient vide...
Ainsi en Mars 1903
« un demi muid vide », en
Octobre 1905 « deux demi muids vides »,
Elie achètera même en Avril 1894 à son frère « une cariole à deux roues » pour 100
Francs.
Par ailleurs si
Elie DUFOUR est bien le débiteur des factures établies à son nom, les
livraisons sont parfois opérées directement au profit de tiers ( des fermiers du MONS ? )...
En 1898 , un fût pour « LABORDE »... en 1899 un fût
pour « CESSAC » en Octobre et un pour « TREUIL » en
Décembre, en 1904 un fût pour « BOUTOT » à ALLASSAC en Février et un
pour « BOUNAIX » en Avril, en 1902 un fût pour « PEPI »...
LE
COURS DE L'HECTOLITRE : baromètre météorologique,
économique et social !
L’histoire de la
viticulture ne peut pas s’écrire en faisant abstraction de la réalité des aléas
économiques qui sont souvent la résultante de facteurs météorologiques plus ou
moins défavorables, d’événements politiques ou sociaux divers... qui ont tous
des répercussions directes ou indirectes sur le prix du vin !
J'ai relevé
qu'entre 1892 et 1904 Elie DUFOUR a payé le vin qu'il s'est fait livrer au prix
moyen de 33,73 Francs par Hectolitres, l'année 1902 étant l'année du prix
plancher ( 25,88 F/ Hl ), les années 1898 et 1904
étant les années de prix plafond ( 37,66 F/ Hl et 37,72 F/Hl ) ...
On peut donc
constater une amplitude conséquente des prix de près de 12 F/ Hl en valeur
absolue et donc d'un tiers environ du prix total ! Si le circuit commercial
peut amortir certains écarts, la situation est parfois critique pour les
producteurs eu égard aux prix payés à la production : souvent la chute des prix
est spectaculaire !
Dans le BEAUJOLAIS,
par exemple, entre 1893 et 1913 les cours restent inférieurs à 60 F la pièce de
216 Litres, alors qu'en 1890 ils oscillaient entre 110 et 130 F.
« Un hectare
de vigne ne rapporte pas davantage entre 1901 et 1910 qu’il ne rapportait un
siècle plus tôt avec des rendements pourtant inférieurs de moitié » !
[ ].
Après 1900, une
grave crise de surproduction et de mévente frappe, c’est la chute des cours :
de 30 F l’hectolitre en 1898 à 15 Francs en 1905. La hausse constante des frais
de natures diverses entraîne une véritable érosion du revenu net moyen du
viticulteur estimé à 500 Francs par Hectares alors qu’il atteignait 900 Francs
dans les « bonnes années » de 1855 à 1875 [ ].
A la suite d’une
récolte nationale record, en 1900, de plus de soixante "millions
d'Hectolitres, les cours s'étaient même effondrés parfois jusqu'à ... cinq
Francs l’Hectolitre en 1901.
« Quand on
vend le vin cinq Francs l’Hecto, comment veux tu donner plus de deux Francs par
jour à des ouvriers », s’exclame Léonce BARTHELEMIE, au sujet de
revendications sociales, dans le roman de Christian SIGNOL, « les Vignes
de Sainte COLOMBE » [ ].
« Heureusement
la récolte de 1902 avait été faible, celle de 1903 catastrophique cause de
fortes gelées si bien que les prix étaient remontés jusqu’à vingt cinq
Francs » [ ].
En 1902 Elie DUFOUR
achète son vin 25,88 Francs l’Hecto, en 1903 il le paye 34,97 F l’Hecto, en
moyenne, ce qui illustre une remontée des cours qui n’avait été qu’un bref
répit... car une nouvelle récolte record en 1904, les importations toujours
plus massives de vins d’ALGERIE et la réapparition des « vins de
sucre » [ issus de fraudes à la réglementation viticole ] avaient fait
ressurgir le phénomène de mévente et rechuter les cours à cinq Francs, ( encore
fallait-il trouver à vendre ce qui n'était pas toujours le cas). Quand de plus
s’ajoutait à la crise une grève d'ouvriers agricoles il eût mieux valu se
débarrasser des vignes et se lancer dans le négoce. Mais comment vendre puisque
le prix de la terre en Narbonnais avait baissé de quatre vingt pour cent constatait Arthémon
BARTHELEMIE [ ].
On connaît la suite
! Malgré des intérêts divergents, vignerons, petits et moyens, grands
viticulteurs et salariés forment un
front commun, celui de la « Confédération Générale des Vignerons du
Midi ».
A partir d'Avril
1907 des manifestations regroupant des milliers de participants ont lieu.
Le mouvement
culmine à MONTPELLIER le neuf Juin 1907.
La colère ne cesse
de monter jusque là. Elle se traduit par la démission de plus de trois cent
Conseils Municipaux, des heurts parfois violents - 5 morts à NARBONNE - ,
l’incendie de la Préfecture de PERPIGNAN ou la fraternisation des troupes avec
les manifestants de BEZIERS [ ].
La révolte des
« gueux du Midi », de « ceux qui crèvent de faim, qui ont du vin
à vendre et qui ne trouvent pas à le donner » conduit au vote de
nombreuses Lois qui viennent assainir et moraliser le marché... Et elle
participe d'un certain mythe de la « classe paysanne »...
Mais ceci est une
autre histoire... dont Henri DUFOUR n’a plus cure...
Il meurt jeune, en
effet.. Il doit être âgé d’à peine une quarantaine
d'année... comme l’était son oncle Elie DUFAURE à sa mort...
Le décès se situe
avant Mars 1907 puisqu'à partir de cette date Elie DUFOUR devient débiteur, vis
à vis de sa belle sœur Marthe, de diverses sommes au titre du règlement [ de
succession ] du 16 Mars 1907. Henri DUFOUR laisse en effet une veuve et un
fils, encore mineur, prénommé... Elie !... Un autre Elie DUFOUR ! Elie Georges trés précisément ! Les relations avec cette branche
familiale vont alors s'estomper rapidement... voire se dégrader... pour
disparaître totalement peu après... à tel point que je ne découvrirais
l'existence de ce quatrième frère DUFOUR, Henri, qu'en mettant au jour les
présents documents ici étudiés...
DE
LA CHARRETTE A BOEUFS... Au surf sur le Web !
Au moment où
s’achèvent la carrière et la vie d’Henri DUFOUR, un autre DUFOUR, au lien de cousinage
patent mais qui demanderait à être précisé, Frédéric, se lance en 1910, dans le
commerce du vin...
Il doit encore
atteler ses bœufs à sa charrette pour aller récupérer de grosses barriques,
déchargées en gare de VIGEOIS, qu'il rapatrie sur PERPEZAC le Noir [ ], où il réside, et où il mène conjointement
une activité prospère d'agriculteur. D'ailleurs, après la deuxième guerre
mondiale, cette exploitation sera la première du village dotée d'un tracteur...
En 1955, Léon
DUFOUR continue l'activité de son père, mais le vin arrive désormais dans le
village par l'intermédiaire d'un camion citerne qui ravitaille directement le
chai en cru ordinaire... des CORBIERES, puis est ensuite embouteillé sur place
dans des « litres étoilés », conditionnés et livrés en caisse chez le
client !
Puis c’est au tour
de Jean Pierre DUFOUR de prendre la relève !
Le petit fils de
Frédéric délaissera complètement l’exploitation agricole mais développera vers
l’épicerie un commerce d’herboristerie créé par sa tante Léone [ ].
Aujourd’hui
Frédéric DUFOUR est l’héritier des activités initiées par son bisaïeul,
homonyme... Avec ses parents, il tient une supérette... dont le rayon des vins
vient d'être originalement développé ! En effet celui-ci fait "désormais
l'objet d'un site INTERNET baptisé : « les caves de PERPEZAC Le
Noir » dont l'adresse sur le Web est « htpp://www.lescavespln.com »
... C'est un catalogue informatique, à vocation d’accès planétaire, qui
présente différents produits locaux du terroir de la CORREZE et des vins divers
mis en vente par la maison DUFOUR [ ].
L'ouverture de ce
site INTERNET a coïncidé avec l'installation du rayon des vins dans l'ancien
chai, attenant au magasin, lui même sis dans une ancienne grange, reconvertie,
de l'exploitation agricole aujourd'hui disparue...
De la charrette à
bœufs au « surf sur le Web », finalement peu importe le moyen pourvu
que le consommateur ait... l’ivresse !!!
JUSQU’A
LA LIE…
Je déambule en
flânant dans le « Faubourg de la Grande-Fontaine »
à ALLASSAC, au pied du « Mordon ». Je distingue facilement les celliers des
maisons anciennes, qui sont encore pour la plupart bien conservés... Mais
aucune activité « viti-vinicole » n’y est
plus menée...
Tout est calme,
désert presque ! Le temps a emporté les vignerons Allassacois
et, avec eux, leur civilisation !
Jusqu’au milieu des
années 1950, le Docteur Elie MOUSSOUR, petit-neveu par alliance de Baptiste et
d’Elie DUFAURE, neveu également par alliance du grossiste en vins Henri DUFOUR
y produisait encore un peu de « son vin » pour sa consommation
personnelle et il usait du cellier ancestral DUFAURE... Son produit était issu
des terroirs qui avaient un jour lointain été la propriété de « Johanne alias Johannis
FABRI »... et de bien d’autres auparavant certainement...
Oui, j’en suis
persuadé : « La terre à vigne est une vieille chose éprouvée au même
service millénaire et qui a fini par acquérir des habitudes de sa fonction une
exceptionnelle adaptation, ces subtiles aptitudes qui confèrent parfois à la
substance inanimée une sorte de génie » [
]
Mais, sur le coteau
Allassacois, un souffle a passé... Comme le souffle
du temps !
« Et si
quelquefois sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la
solitude morne de votre chambre vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou
disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à
tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le
vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « il est l’heure
de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du temps, enivrez vous ;
enivrez vous sans cesse ! » [
].
Et Claude DUNETON
d’affirmer : « Je voudrais bien mourir chez nous, le plus tard
possible, mais qu’on n’ait pas entièrement foutu en l’air notre civilisation
rurale ! Que quelqu’un sache encore me regretter d’une parole fraternelle : lou pauré téchou ! Oh je sais bien ! Ce sont des bricoles.
Philosophiquement ça ne tient pas debout. Mais je voudrais bien qu’il y ait
encore du vin à boire, pour mes copains, après le trou... Car nous avons des
rites naturels de rassemblements alimentaires. Depuis les temps les plus
obscurément anciens on a des bouffes rituelles, des mangements d’église, les
communions, les noces, les baptêmes... Ces événements principaux de la vie sont
ponctués de repas grandioses et post religieux. Sans parler des petites
ripailles ordinaires, la fête du cochon, des battages, des vendanges, qui
viennent tout droit ininterrompues de la préhistoire. La vie des gens, l’enfance,
est marquée de ces rites pas uniquement familiaux, qui posent d'énormes pierres
dans la cour du temps »… [ ]
La
bibliographie reste à mettre à jour
RAPPEL : il
s’agit d’un document provisoire