Deux témoignages
de Baptiste DUFAURE à propos de scrutins électoraux :
ET
La Victoire « annoncée »
d’un candidat officiel
ou
Scène
«Clochemerlesque »
de la Vie Allassacoise,
à l’occasion des élections de Juin 1861 !
Photo
Boris DEBON
http://perso.wanadoo.fr/brive/index.htm
Le petit
événement inédit et savoureux rapporté ici,
aurait sans doute pu trouver place dans l’ouvrage de l’Historien Alain CORBIN,
intitulé « Les Cloches de la Terre » [ sous titré « Paysages sonores
et culture sensible dans les campagnes au XIXème
Siècle » - Tout un programme ! ], si cet auteur avait eu
alors connaissance de la correspondance entretenue entre les frères DUFAURE…
Baptiste DUFAURE demeuré au
« Faubourg de la Grande Fontaine » d’ALLASSAC
rapportait régulièrement à son frère, Elie DUFAURE, avocat installé à PARIS,
quelques faits anecdotiques de la « Vie Allassacoise » !
Une lettre de Baptiste, en date du
23 Juin 1861, mérite ainsi un peu d’attention et permet de vérifier la
pertinence des thèses d’Alain CORBIN en ce que « La
sonnerie [ des
cloches ] constitue un langage, fonde un système de
communication et accompagne des modes oubliés de relations entre les individus,
entre les vivants et les morts. Du même coup
maîtriser l’usage de la sonnerie constitue un enjeu majeur dans le
déroulement des luttes de pouvoir qui agitent les microcosmes campagnards » !
…
L’annonce des résultats des
élections Cantonales des 15 et 16 Juin 1861 a donna lieu à un
« affrontement sérieux» par « sonnerie de cloches »
interposée, entre le Maire d’ALLASSAC, Mathieu
ALEGRE, et le Curé de la Paroisse !
A la lecture de la correspondance
de Baptiste DUFAURE, on apprend que Mathieu ALEGRE [ Maire d’ALLASSAC, en fonction depuis Septembre 1837 - et qui le
demeurera jusqu’en Octobre 1870 -] avait demandé au Marguillier [ la personne
chargée du service de la Paroisse ] de faire sonner les cloches pour
« saluer » l’élection de « Monsieur DELAGE » comme
« Conseiller Général » représentant du Canton, et de « Monsieur
LE CLERE » comme « Conseiller d’Arrondissement » de BRIVE …
Ces résultats électoraux, de par
la personnalité des élus ou de leurs convictions, n’étaient pas semble-t-il, du
goût du Curé de la Paroisse d’ALLASSAC qui s’opposa à
ce que l’on fit sonner les cloches…
Le Maire en vint donc à devoir
« commander » à nouveau qu’il fut procéder à
la « sonnerie » !
Et, selon Baptiste DUFAURE, les
cloches retentirent durant « la moitier
de la journné » !
Sans doute Mathieu ALEGRE se
réjouissait-il, si l’on interprète les écrits de Baptiste DUFAURE, du fait que
les élus fussent plus favorables aux intérêts des électeurs d’ALLASSAC qu’a ceux de DONZENAC,
compte tenu de la rivalité qui existait entre les deux bourgades !
Mais prenons donc connaissance de la fin de la
correspondance de Baptiste :
Correspondance de Baptiste en date du
23 Juin 1861 – Verso du feuillet
Laquelle doit faire l’objet d’un
décryptage, même si le sens des propos transparaît assez clairement :
nous allons assez bien
ton frère dévoué
Dufaur B
Monsieur delage et nommé concel
ier du Departement
et Monsieur
le
cler de brive de
l'arrondissement
margré les donzenac Monsieur les
curé
Monsieur alègre a commandé
au
marguilier de sonne les cloches
et Monsieur le curé la deffandu
Monsieur alègre la recomander
encore alors on a sonné la moitier
de la journné
Selon Alain CORBIN, l’usage de la
sonnerie de cloche triomphale en matière électorale est rare… Il relève
cependant dans son ouvrage un exemple à… TULLE ( CORREZE
) en 1831.
Puis Alain CORBIN indique que
« sonner la victoire au soir de l’élection constitue une pratique courante
sous le Second Empire »… Pour
autant il ne livre pas d’exemple d’une quelconque querelle à ce sujet entre les
pouvoirs temporels et spirituels…
A ALLASSAC, qui n’est pourtant
pas situé dans la plaine du PO, « l’incident » de Juin 1861 apparaît
digne d’un affrontement entre un « Don CAMILLO » et un
« PEPONNE » !
Même si une des places d’ALLASSAC, devant l’église « Saint JEAN-BAPTISTE »,
porte le nom de « Place ALEGRE », cette joute aurait été
reléguée à jamais dans les limbes de l’Histoire sans la découverte
providentielle de la correspondance de Jean-Baptiste, dit Baptiste,
DUFAURE !
ALLASSAC, l’Eglise et
la Place… ALEGRE
Photo Boris
DEBON
http://perso.wanadoo.fr/brive/index.htm
VICTOIRE
« ANNONCEE » D’UN CANDIDAT OFFICIEL
Un
« témoignage électoral » de Baptiste DUFAURE,
à propos des Législatives de 1863
Deux ans plus tard, en Mai 1863,
Baptiste DUFAURE adresse une correspondance à son aîné, Elie DUFAURE, dans
laquelle il est question une nouvelle fois d’élections…
Ces écrits de Baptiste DUFAURE
appellent eux aussi quelques commentaires…
Mais prenons auparavant connaissance de l’essentiel de la
correspondance de Baptiste :
Allassac ce 31 mai 1863
Mon cher frère,
Je t'est crit pour te demander si tu té
porte
bien et si tu a reçue ton baricot
de
vin que je tai renvoiyer depuit un
mois si est arrivé plin
et agreable
aujourdhui nous avons les élection
pour
Monsieur auguste mathieu
avocat
De paris et Monsieur jouvenel
la paroisse vaute tous pour Monsieur
mathieux
(…)
ton dévoué frére baptiste
la famille
va bien
« La
Paroisse vaute tous pour Monsieur mathieux »,
écrit donc Baptiste, depuis ALLASSAC, à propos des Elections Législatives de
Mai 1863 et plus précisément du scrutin visant à la désignation d’un Député
pour la seconde Circonscription de la CORREZE…
Baptiste voit juste !
Beaucoup de Corréziens voteront pour Auguste MATHIEU ! Il s’agit
quasiment, comme nous allons le voir, d’une « victoire
annoncée » !!!
Le Député sortant de la seconde
circonscription de la CORREZE est le Baron Jacques Léon de JOUVENEL, un
« gros propriétaire » qui avait déjà été précédemment élu comme
Député légitimiste, par le deuxième collège de la CORREZE en 1846, puis ensuite
rapidement « balayé » par la Révolution de 1848 (1).
Rallié à NAPOLEON III, de JOUVENEL
est ensuite élu au « Corps Législatif » en 1852, puis réélu en 1857…
En Janvier 1862, de JOUVENEL
s’oppose cependant, à l’adoption d’un projet de dotation prévue en faveur du
Général COUSIN-MONTAUBAN, le vainqueur de PALIKAO.
Cette attitude de refus le fait
dès lors entrer ouvertement dans la catégorie des « opposants » à
l’Empire… Les élections prochaines de Mai 1863 s’annoncent donc d’emblée
difficiles pour de JOUVENEL qui n’est plus désigné comme étant le « Candidat
Officiel »…
Sous le Second Empire, il importe
particulièrement au « Pouvoir » de « canaliser » l’opinion publique…
Se développe ainsi le système de « candidature officielle » :
parmi les candidats les Préfets désignent aux électeurs ceux qui méritent leur
confiance parce qu’ils ont celle du Gouvernement. A ces « bons »
candidats des avantages substantiels : affiches blanches imprimées aux
frais de l’Etat, facilité de propagande, pressions administratives en leur
faveur ; et pour les « mauvais » candidats des
difficultés : interdictions de réunions, suspensions de journaux,
poursuites contre des sympathisants etc. … (2).
La méthode s’avère efficace :
il y aura huit élus « non officiels » seulement en 1852, puis sept
élus en 1857…
Même si, à partir de 1860, le
régime devient plus libéral le système de « candidature officielle »
perdure pour les Législatives de 1863.
Dans
la circonscription de BRIVE, c’est, selon l’expression d’Alain CORBIN (3)
« un étranger au pays », Auguste MATHIEU, qui est désigné en
qualité de « candidat officiel » et qui affronte de JOUVENEL,
le puissant Député sortant, bien implanté localement et qui vient de passer
« récemment » dans l’opposition.
Dans
sa profession de foi, Auguste MATHIEU considère que « la candidature
officielle ne signifie qu’un chose : la conformité désintéressée de [ ses ] convictions et de la politique suivie par le gouvernement »…
Le
Ministre Eugène ROUHER, natif de RIOM (63) et avocat de profession, se déplace
en personne en CORREZE pour soutenir la candidature d’Auguste MATHIEU, lequel
est Avocat au Barreau de PARIS, comme l’est à la même époque Elie DUFAURE.
ROUHER
visite les localités les plus importantes, préside des banquets et multiplie
les promesses de constructions ferroviaires et routières, d’aménagement urbain…
Le
18 Mai il est à BRIVE, le 19 à TULLE, le 20 à BEAULIEU ; les jours
suivants on le retrouve à SEILHAC, à UZERCHE, à LUBERSAC et à POMPADOUR. (3)
Quant
à de JOUVENEL, celui-ci tente de rallier tous les opposants de droite ; en
plus de ses voix « personnelles » et des appuis qu’il peut conserver
encore ici ou là dans l’Administration locale, il compte surtout sur les
suffrages des « Royalistes », et il est en outre
« passionnément » soutenu par les membres du clergé…
Le
différend entre le Maire et le Curé d’ALLASSAC
reste-t-il toujours d’actualité ? Le Préfet de la CORREZE rapportera après
les élections que « les menées du clergé ont dépassé en ardeur et en
violence les limites du possibles. Ainsi non contents de lacérer et d’enlever
les affiches du candidat du gouvernement, des membres du clergé en ont apposé
ou fait apposer au nom de M. de JOUVENEL qu’ils qualifient « l’ami des
pauvres, l’ami du peuple » ; ils ont parcouru les villages excitant
les hommes à voter contre le gouvernement, agitant les femmes, les enfants en
leur répétant que M. de JOUVENEL soutenait le Pape, tandis que M. MATHIEU
voulait détruire la religion » (3)
!
PISANI-FERRI,
le Sous-Préfet de BRIVE, qui est un « pro »
de JOUVENEL, est destitué peu avant le début de la campagne électorale… Les
partisans du Baron de JOUVENEL s’en vont répétant que c’est lui qui a obtenu la
suppression de l’impôt sur le sel et que si Monsieur MATHIEU est élu le prix du
sel va augmenter…(3)
Au final,
Auguste MATHIEU l’emporte sur de JOUVENEL …
A ALLASSAC
l’annonçait déjà Baptiste DUFAURE, « la
paroisse vaute tous pour Monsieur MATHIEUX »
…
[ Remarquons au passage que Baptiste
utilise le terme de « paroisse » et non celui de
« commune » ]
Le Député de la CORREZE, élu en 1863, Auguste MATHIEU (1814-1878)
En épilogue on peut signaler que
les « promesses » faites par ROUHER pour favoriser l’élection
d’Auguste MATHIEU en 1863 ne seront pour la plupart pas tenues, mais que
cependant, Auguste MATHIEU sera réélu en 1869, en disposant, encore une fois,
du « label » de « candidat officiel ».
Après sa défaite de 1863, Léon de
JOUVENEL se consacrera jusqu’à la fin du Second Empire à des activités
industrielles, avant de retrouver son siège en 1871, mais en ne jouant
désormais plus qu’un rôle politique effacé… (2)
Battu aux
élections de 1876, le Baron de JOUVENEL s’éteindra en 1886, au château de
CASTEL-NOVEL, dont il était le propriétaire depuis 1844…
Notes :
(1) Dictionnaire du
Second Empire Ouvrage Collectif sous la
Direction de Jean TULARD FAYARD 1995
(2) Institutions
Politiques – Le système politique Français
Maurice DUVERGER PRESSES
UNIVERSITAIRES DE FRANCE 1976
(3) Archaisme
et Modernité en Limousin au XIXème Siècle Alain CORBIN PRESSE UNIVERSITAIRES DU LIMOUSIN 1999
POUR CONCLURE, UN SAVOUREUX DESSIN HUMORISTIQUE D’HONORE DAUMIER :
- M'sieur l'maire
quoi donc que c’est qu’un bibiscite ?
-
C'est un mot latin qui veut dire Oui.
Peut-on oser « transposer » ce dessin en imaginant
le Docteur ALEGRE, Maire d’ALLASSAC,
« instruisant » des Citoyens-Paroissiens-électeurs
Allassacois, tels Baptiste DUFAURE, et appelant à
voter pour Auguste MATHIEU, au contraire du Curé soutenant certainement de son
côté le Baron de JOUVENEL ?
Et
enfin un simple rappel civique…
EN 2005, A ALLASSAC OU AILLEURS : JE VOTE !
Le projet de loi autorisant la
ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe sera soumis à référendum le 29 mai 2005 (décret
n° 2005-218 du 9 mars 2005).
Les électeurs auront à répondre
par "oui" ou par "non" à la question suivante :
« Approuvez-vous le projet
de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour
l’Europe ? »