« LA GALETTE »
ET DE SON AUTEUR…
NOUVEAUTE !
La biographie d’Aymard de Foucauld,
camarade de promotion de Léon Bouisset vient de paraître ! Fiche de présentation
à commander d’urgence chez votre libraire…
ou sur le « net »
Aymard de
Foucauld, Allassacois d’origine et ami personnel d’Elie Dufaure, faisait
partie, à l’école militaire de Saint-Cyr, de la « Promotion d’Isly »
( 1843 – 1845 ), laquelle s’était distinguée lors de son « Triomphe »
en entonnant « la galette », chant à la base contestataire, mais
devenu depuis « l’hymne de l’école ». Il m’a paru
utile de mettre en ligne une brève étude qui apporte des précisions
intéressantes tant sur l’auteur de cette chanson, Léon Bouisset, lui même élève
de la promotion d’Isly, que sur le contexte de sa composition… Cette page est recommandée par : le Site de l'association
des officiers Français issus de Saint-Cyr http://www.saint-cyr.org/index.php Le texte qui suit est reproduit avec l’aimable autorisation
de son auteur, M. Alain LEVY, Conservateur en Chef Honoraire de la Bibliothèque
Municipale de Castres, que je remercie. Cette étude a
fait l’objet d’une publication initiale dans la revue : les « Cahiers
du Rieumontagné » - Juillet 1986 - n°8 LEON BOUISSET PAROLIER OUBLIE D’UN CHANT CELEBRE Chaque année à
Saint-Cyr Coëtquidan lors du « Triomphe » de leur promotion, les
élèves de l’Ecole Spéciale Militaire entonnent leur chant traditionnel
« La Galette ». Si tous les Saint-Cyriens
connaissent la musique et les paroles de cet hymne chargé d’une haute valeur
symbolique, si de nombreux civils sont capables d’en fredonner l’air puisqu’il
est inscrit au répertoire de toutes les musiques militaires, bien peu de
personnes par contre, seraient en mesure de donner les noms du compositeur et
du parolier de « La Galette ». La musique est
pourtant d’un célèbre compositeur d’opéra Vincezo Bellini ; quant a
l’auteur des paroles, un certain Léon Bouisset, il faut bien admettre que son
nom n’évoque plus aucun souvenir sauf chez quelques érudits locaux du Tarn. Né en effet à Lacaune,
inhumé à Castres, où la Bibliothèque municipale conserve ses manuscrits depuis
1975, son existence quasiment ignorée et sa renommée étroitement limitée à un
terroir méritent d'être rappelées. Pierre Léon Bouisset (
Léon étant son prénom usuel ) est né à Lacaune le 23 décembre 1824 au sein
d'une famille nombreuse, dont le père exerce la profession de chapelier. Il accomplit sa
scolarité au Collège communal de Castres où ses trois frères aînés, Louis,
Martial, André, remplirent par la suite des fonctions d’aumônier ou
d’enseignant (1). Dans cet établissement
il manifeste un goût prononcé pour la poésie et compose notamment un poème :
« Moscou »… que l'Académie des Jeux Floraux devait couronner en 1843,
l’année même de son entrée à Saint-Cyr (2) Sa promotion baptisée « d’Isly »,
après la victoire de Bugeaud, est la dernière à porter la galette, épaulette
plate de couleur bleu roi sans frange, attribuée aux élèves-mal classés, tandis
que les meilleurs, « les élites », avaient droit à l’épaulette de
laine rouge à frange. Sur décision du
Maréchal Soult, l’Ecole spéciale militaire reçoit en 1845 un nouvel uniforme,
désormais l’épaulette écarlate sera portée par tous ! Cette
mesure réglementaire constitue une sorte de profanation des coutumes de
l’Ecole. Depuis plus de vingt ans en effet un véritable culte, entretenu par
les élèves « officiers galettes » ( moins de neuf de moyenne ) et les
« fines galettes » ( les derniers du classement ), visait au fil des
promotions à vanter le prestige de ceux qui négligeaient l’étude théorique et
s’en remettaient à l’esprit pratique. Bref pensaient et disaient les galettes,
il n'est point nécessaire de « pâlir sur de noirs bouquins » et
d’obtenir de bonnes notes pour devenir un brillant officier. La
prière que Léon Bouisset adresse à la défunte galette se veut un hommage à-la
valeur et aux qualités des élèves non conformistes que leurs notes passables ou
médiocres ont conduit à porter cette épaulette de second rang. Ce
chant conçu à l'origine pour glorifier les mal notés et contester I’abolition
d’un signe distinctif de l’uniforme, va se transformer paradoxalement, sous
l’influence des rites et de la tradition, en hymne officiel de I’école. ( 3 ) Mais
le coup de génie de l'élève officier Bouisset, dont on imagine facilement
combien son sens de la rime devait séduire ses camarades, fut de composer un
poème sur la musique du duo des deux basses de l’opéra de Bellini : « Les
Puritains ». Cet
air retentIssant bien dans le ton de l’opéra de l’époque, à l’allure allègre,
convient parfaitement au morceau de bravoure et d’hommage voulus par l’auteur
des paroles. Mais
comment celui-ci a-t-il pu prendre connaissance de l’air du duo ? Même
si l’occasion ne lui a pas été offerte d’assister à la représentation de
l’œuvre de Bellini, il ne faut pas méconnaître l’attrait populaire exercé par
l’opéra en cette première moitié du XIXème siècle où les grands airs sont
finalement diffusés rapidement auprès du public. Précisément
à propos des « Puritains » (4), créé à Paris en
1835, Rossini alors installé dans la capitale pouvait écrire à un ami italien :
« Je ne vous parlerais pas du duo des deux basses vous avez dû l’entendre
d’où vous étiez ». Et
à peu de temps de là, le critique musical du « Times » se plaignait
d’entendre constamment dans les rues de Londres cet air joué sur des orgues de
barbarie ou chanté par des chanteurs de rue (5). Sorti
de Saint-Cyr avec un numéro de classement digne d’un ancien porteur de galette,
169ème sur 274, notre jeune sous-lieutenant ( il n’a pas encore 21 ans ), bien
loin de se douter de l’éclatante destinée du chant de triomphe de sa promotion,
est affecté le 1er octobre 1845 au 12e Régiment d’Infanterie. Nommé
capitaine en juillet 1854 il ne quitte son unité qu’en décembre 1858 pour
rejoindre le 4ème Régiment d’Infanterie où il servira onze ans. Chef
de Bataillon le 24 décembre 1869, à 45 ans, il sert alors au 11ème
Régiment d’infanterie, puis prend part à la campagne contre l’Allemagne d’abord
avec les mobiles des Alpes Maritimes, ensuite au sein du 55ème
d’infanterie. Commandant
le bureau de recrutement d’Avignon de 1875 à 1880, il quitte l’active et
devient Lieutenant-Colonel de l’Armée Territoriale. Rayé
des cadres le 10 janvier 1890, il meurt à Montpellier le 10 novembre 1900. Il
était officier de la Légion d’Honneur depuis 1885 (6). Bouisset
n’a participé à aucune des grandes opérations extérieures du Second
Empire : Crimée, Italie, Mexique. Seuls comptent comme campagnes, en
dehors de la guerre contre la Prusse et ses alliés, ses séjours en Afrique du
Nord où il passe plus de sept ans de sa carrière. L’Algérie
est pour lui une source d’inspiration. Les paysages, les habitants, les combats
marquent son âme de poète, d’autant plus que né à l’apogée du romantisme il en
subit nettement I’influence. Trois
cahiers manuscrits composent. ce qui nous reste de son oeuvre. Le
premier, daté de « 1848, 1849, 1850 » intitulé « coquillages
africains », se distingue par sa facture et ses thèmes des deux
autres. Le second cahier « vision d’une
nuit » date de L’année 1851. C’est un long poème assez rébarbatif sur la
destinée humaine, et le troisième rédigé postérieurement à 1878 contient vingt
et une poésies de valeur inégale. C’est
dans ce dernier recueil que Bouisset recopie ce qu’il estime être ses meilleurs
vers au nombre desquels il a heureusement et justement fait figurer :
« La galette, chanson de St Cyr, sur l’air de la marche des Puritains, composée
pour la promotion d’Isly 1843 ». Incontestablement
les vers de qualité ont bien été écrits dans sa jeunesse ; après 1851 sa
production se réduit et témoigne de beaucoup moins de naturel, de spontanéité,
de style. Du premier cahier de 200 pages aux vingt neuf poésies on retient un
attachement marqué pour les paysages d’Algérie et un respect manifeste des
traditions et des mœurs de ses habitants. Cette
attirance n’ayant rien d’exceptionnel, beaucoup de militaires à l’instar de
Bouisset ayant profondément aimé les pays d’outre-mer qu’ils avaient conquis,
pacifiés, occupés. La trace du romantisme s’affirme surtout par les évocations
des amours impossibles ou brisées que vient teinter parfois une touche de
sensualité tandis que l’idée de la mort surgit de la narration des combats. (7) Eloigné par les hasards des affectations
de son village natal et de la ville où il fut pensionnaire et où vivent ses
trois frères, Léon Bouisset montre un vif amour pour la contrée de son enfance.
En 1880, il fait paraître chez I’éditeur
Fischbacher « Les légendes des Monts de Lacaune », recueil de
vers de près de 270 pages, composé d’un prologue sur la tradition légendaire de
l’histoire lacaunaise et de huit légendes consacrées chacune aux huit montagnes
qui environnent le chef lieu de canton : Montgros, Montaigu, le Roc des Ecus,
Montalet, Montroucous, Montfrex, Montodre, Montgrand. L’ouvrage n’impressionne en rien par son
caractère, sa cadence, ses rimes, au regard de nos goûts actuels, il possède
seulement le charme suranné qu’on attribue aux exercices littéraires
d’autrefois, laborieux et abondants. Mais accordons à Bouisset un immense
mérite, en compilant les légendes de son pays natal dont il veut sauvegarder le
souvenir, en relevant par ses notes de fin de chapitre des détails sur des
mœurs et des coutumes déjà en voie de disparition, il fait oeuvre de
folkloriste et à ce titre son livre est précieux. A
sa mort l’ancien élève-officier sait que son chant sur la défunte galette, à
l’origine morceau contestataire bien que s’inscrivant dans le respect de la
tradition et de la discipline militaire, est maintenant entonné par tous les
Saint-Cyriens au fil des promotions. Hymne
de l’Ecole il célèbre l’institution, glorifie le passage à l’état d’officier,
atteint au symbole. C’est
l’exemple parfait de l’œuvre qui dépasse son propre auteur, enveloppé très vite
dans les plis de l’oubli. Des
enfants du chapelier de Lacaune il ne reste en effet plus aucun descendant en
ligne directe. Seul Léon Bouisset eut deux enfants et tous deux moururent sans
postérité (8).
Et
à Saint-Cyr-Coëtquidan on a plutôt tendance à mettre au compte de la tradition
ce qui revient à Bouisset (9). En définitive si on compare la destinée
éclatante de « La Galette » à l’oubli dans lequel est tombé son auteur,
ce dernier semble s’être effacé devant son oeuvre. Mais après tout l’abnégation
n’est-elle pas une des plus belles vertus militaires ? (1) Louis, aumônier de 1840 à
1846. Sur sa tombe on peut encore lire A M. l'Abbe Louis Bouisset décédé à
Castres le 6 janvier 1846. Le collège de Castres reconnaissant. Martial, aumônier de 1846
à 1873. Décédé en 1886. Passionné d’archéologie il fit relever le menhir dit de
la Pierre plantée non loin de Lacaune. Sur ses travaux présentés par M. Robert
PISTRE, lire Connaissance de Nages, 1979, n°7. André, professeur de 1847
à 1872. Décédé en 1892. (2) ESTADIEU. - Annales du
pays castrais 1893. Page 370- (3) D’attribut vestimentaire
"La Galette" est devenue un symbole. Ce passage de l’objet au symbole
a étudié par le Commandant A. THIEBLEMONT. - Création et mutation d'un symbole
: « La Galette saint-cyrienne » ( in Revue Historique
des Armées, 1980, ne 1. pp. 79-99 ). (4) Dans ce duo Sir Georges,
oncle d’Elvire dont Ricardo est amoureux, parvient à persuader ce dernier de
sauver son rival que les soldats de Cromwell poursuivent. (5) La Tribune des critiques
de disques. Emission d’Armand PANIGEL du 17 septembre 1978 sur les antennes de
France Musique. (6) Service Historique de
l'Armée de Terre. Cote 24.270/3 (7) ... Une triste pâleur
voilait ses traits charmants, Elle était douce et
bonne, elle était simple et belle, Dix sept printemps à
peine avaient brillé pour elle Et moi, j'avais vingt
ans… (Claire) Oh ! si j'étais né
pacha maure ! Je t'aurais pris en mon
sérail, Pour tes grands yeux
noirs que j'adore Et pour tes blanches
dents d'émail Pour cueillir, 8 ma bien
aimée Sur ta bouche si parfumée Les fleurs qu'y fait
naître l'amour ... (Aziza) Non je ne puis quitter
l’ardent rivage, Sans te donner dans mes
vers une page, 0 Cabarrus, ô jeune
infortuné En combattant près de
moi, moissonné Ah ! je voudrais que
ce lugubre hommage Put de ta mère en pleurs
sécher un jour les yeux Ombre de Cabarrus, reçois
donc mes adieux
( Aux manes de Cabarrus, tué en combattant contre les Béni Sliman, cercle,
de Bougie, le 21 mai 1849 ) (8) Louis, magistrat, décédé
à Montpellier le 24 mai 1904 à l'âge de 42 ans. Ferdinand, retraité,
décédé à Carcassonne le 21 janvier 1936 à l’âge de 70 ans. Tous les enfants et
petite enfants du chapelier de Lacaune sont inhumés à différents endroits du
cimetière Saint Roch de Castres. La tombe de Léon Bouisset (carré 30 n°441) où reposent
également sa sœur, son épouse décédée à 24 ans en 1865, et son fils Louis vient
de faire l’objet d’un premier-nettoyage. Nous remercions Mr André, concierge du
cimetière, d’avoir bien voulu effectuer ce travail que nous espérons voir un
jour complété. (9) A. THIEBLEMONT, op. cit., p. 98. LA GALETTE Noble galette que ton nom Amis il nous faut réunir Vous êtes sur le
site : Cette page est recommandée par : le Site de l'association
des officiers Français issus de Saint-Cyr http://www.saint-cyr.org/index.php
Alain
LEVY
NOTES
Soit immortel en notre histoire,
Qu'il soit annobli par la gloire
D'une vaillante promotion.
Et si dans l'avenir ton nom vient à paraître,
On y joindra peut-être notre grand souvenir,
On dira qu'à Saint-Cyr où tu parus si belle
La promotion nouvelle vient pour t'ensevelir.
Toi qui toujours dans nos malheurs,
Fus une compagne assidue,
Toi qu'hélas nous avons perdue,
Reçois le tribut de nos pleurs.
Nous ferons un cercueil ou sera déposée
Ta dépouille sacrée, nous porterons ton deuil.
Et si quelqu'un de nous tient à s'offrir en gage,
L'officier en hommage fléchira le genoux
Autour de la galette sainte,
Et qu'à jamais dans cette enceinte
Traîne son noble souvenir.
Que son nom tout puissant s'il vient un jour d'alarme
A huit cents frères d'armes serve de ralliement.
Qu'au jour de la conquête à défaut d'étendard,
Nous ayons la galette pour fixer nos regards.
Soit que le souffle du malheur
Sur notre tête se déchaîne,
Soit que sur la terre africaine
Nous allions périr pour l'honneur,
Ou soit qu'un ciel plus pur reluise sur nos têtes
Et que loin des tempêtes nos jours soient tous d'azur,
Oui tu seras encore Ô galette sacrée
La mère vénérée de l'épaulette d'or.