« ET SURTOUT PARLER FRANÇAIS AVEC TOI… » OU DE QUELQUES
CONSIDERATIONS SUR LE NIVEAU D’INSTRUCTION PRIMAIRE ET LES MODES D’EXPRESSION
ECRITE ET ORALE DE LA FRATRIE DUFAURE… AINSI QUE SUR
« L’IDIOME LIMOUSIN » … SOMMAIRE DES SECTIONS « ET
SURTOUT PARLER FRANÇAIS AVEC TOI (…) » : UNE SUPPLIQUE ! « JE PARLE
COMME JE SAVE ET COMME JE POUDE »… UN FOSSE CULTUREL ! AVANT LA LOI GUIZOT : « STAGNATION
MENTALE » DURABLE DES CAMPAGNES INSTRUCTION PRIMAIRE ET LOI GUIZOT… A VOUTEZAC….
DONZENAC…ESTIVAUX ET A ALLASSAC ? ... L’INSTRUCTION DES ENFANTS CADETS
DUFAURE UN EXEMPLE PARMI D’AUTRES... LE PETIT CREUSOIS MARTIN
NADAUD A PROPOS DES PROGRAMMES... DE LA « LATINITE »
à « L’ARITHEMATIQUE »... MAITRES INCOMPETENTS ET PRECARITE MATERIELLE DE CLAUDE ALLEGRE, MINISTRE… AUX ALEGRE, MAIRES D’ALLASSAC INSTRUIRE... ET S’INSTRUIRE... POUR « S’EN
SORTIR »... « LES CROQUANTS »
: DU GRAND-PERE DE DUNETON A BAPTISTE DUFAURE LE FAIT LINGUISTIQUE : PATOIS ET BILINGUISME ... BAPTISTE DUFAURE : UN AVALEUR DE COULEUVRES ? ... OU DE
« SERPENTS » ? EMPREINTES DU PATOIS DANS LE FRANCAIS ECRIT DE BAPTISTE
DUFAURE... UN PEU DE LINGUISTIQUE « SAVANTE » … D’UN PATOIS CONCRET…
A UN FRANCAIS ABSTRAIT... L’IDIOME LIMOUSIN : ELIE ET LE « PATOIS »
COMME LANGUE « SAVANTE »… SE DEFAIRE DES « GASCONISMES »… ET DES « LIMOUSINISMES »… PATOIS ET QUESTION SCOLAIRE... LA LANGUE : UN MOTIF
DE QUERELLE ? « PRECONISATEUR » DU PATOIS EN CHAIRE :
MONSEIGNEUR BERTEAUD « SOIGNER MON
INSTRUCTION THEORIQUE » : UNE FORMATION « ADULTE »… DEPUIS LE PATOIS ENTENDU DANS UN BERCEAU ALLASSACOIS...
…JUSQU’AU « FRANCAIS LITTERAIRE » DU QUARTIER DE
L’ODEON DU « FELIBRIGE »… ET DES FELIBRES… UNE « PHILOSOPHIE POLITIQUE » ? …
DES « PARPAIOUN BLU » DE WILLIAM CHARLES
BONAPARTE-WYSE… … A LA « CHANSOU LEMOUZINA » DE JOSEPH ROUX… UN MOT BREF A PROPOS DE ROBERT JOUDOUX… DE LA PRADE
D’ALLASSAC… « AS TU CHABA
! … « AITAU QUO SIA ! »… « ET SURTOUT
PARLER FRANÇAIS AVEC TOI (…) » : UNE
SUPPLIQUE ! Le 28 Septembre 1856, dans l’une
des correspondances adressées depuis la Capitale à son frère Baptiste demeuré à
Allassac, Elie Dufaure s’exprimait ainsi : « Je souhaite que tu fasses venir Monsieur Dagot au moins trois fois par
semaine le soir, te donner des leçons de grammaire, et surtout parler français
avec toi. Je suis convaincu que tu feras de grands progrès car ta lettre m’a
étonné sous le rapport des pensées et de leur forme. Je payerai tout ce qu’il
faudra, et avec le plus grand plaisir. Je te le demande même en grâce »
… Il s’agit là, certainement, de
l’un des passages parmi les plus intéressants à commenter, qu’il m’ait été
donné de relever dans l’ensemble des correspondances, écrites par Elie Dufaure
à ses frères que j’ai eu la chance de pouvoir dépouiller… C’est en effet bien des années
avant que « l’Ecole de la République » [ celle de la… « Troisième » ! Celle dont l’image
symbolique des « hussards noirs »
restera ancrée ! ] ne devienne « le vecteur du colonialisme
linguistique du français » [ 1 ], que l’aîné de la fratrie Dufaure,
lequel fait incontestablement partie de l’élite cultivée fort restreinte de son
époque, signifie expressément à son cadet tout l’intérêt qu’il peut attacher à
ce que celui-ci puisse être en mesure de s’exprimer, le plus correctement
possible, en utilisant la langue… française… Un programme précis est tracé par
l’aîné pour le cadet : recevoir des « leçons de grammaire » et « parler français », et ce au moins « trois fois par semaine »… C’est en outre une supplique qui
est clairement exprimée par l’aîné : « Je te le demande même en grâce » !!! S’exprimer correctement en langue
française : voici donc l’enjeu fondamental… Voici le but précis qui est assigné
à l’Allassacois Baptiste par son frère aîné Elie… L’aîné considère comme
indispensable que son cadet puisse être en mesure de maîtriser la « langue
courante »… celle qui est devenue non seulement celle des « élites de
la Nation », dont le nombre reste encore très marginal, mais aussi
désormais la langue de quiconque détient, ou aspire à détenir, une parcelle,
aussi minime soit-elle, de « pouvoir » ( fonctionnaires, bourgeois,
propriétaires… etc. ) … Baptiste, l’Allassacois, doit
donc se retrouver en mesure de pouvoir se détacher du dialecte « commun » [ j’allais écrire « vulgaire », au sens premier du mot
] qui est celui des « masses populaires » des campagnes, c’est à dire
le « patois » local, et de pouvoir affirmer ainsi une certaine
« ascension sociale » ! En 1856 Baptiste Dufaure, qui est
« resté » sur l’exploitation familiale à Allassac, est déjà âgé de 28
ans… Un an auparavant, son frère cadet, Bertrand Dufaure, alors militaire
engagé chez les « Chasseurs d’Afrique », âgé lui de 25 ans,
évoquait dans une correspondance adressée à leur aîné, Elie, le 5 Août 1855, sa
volonté de prendre des leçons … mais aussi, et surtout, la question de leur
financement… Cette volonté était liée à son souci d'assurer sa « promotion
sociale », soit en restant dans l’armée en obtenant un grade
supérieur, soit pour pouvoir à terme se diriger vers un autre secteur
professionnel… « Tu me demandes la somme d’argent qu’il faut pour payer les maîtres
qu’ils me donneront des leçons… » ! Le jeune adulte qu’était Bertrand
Dufaure avait donc, lui aussi, nettement conscience que « posséder »
de l’instruction et « maîtriser » la langue Française étaient des
« outils » indispensables à acquérir pour pouvoir aspirer à réaliser
une ascension sociale… et qu’à défaut son avenir consisterait à « végéter »
dans une situation qu’il trouvait déjà par trop insatisfaisante… et surtout
trop peu rémunératrice à son goût !!! « JE PARLE COMME JE SAVE ET COMME JE
POUDE »… UN FOSSE CULTUREL ! « Parlez français » dit le maître à l’élève... « Monsieur je parle comme je save et comme je poude »… « Le villageois oublie un
peu de sa langue maternelle à l’école et n’y apprends qu’une parodie de
français », constatera avec dépit, quelques quarante années plus tard, en
1896, l’Abbé Gorse, dans son ouvrage « Au
Bas Pays de Limosin » [ 2 ]. Les « handicaps culturels et
éducatifs » qui pouvaient frapper dans les années 1840 ou 1850 Baptiste et
Bertrand Dufaure, enfants d’Allassac, étaient donc loin d’être résorbés à la
fin du XIXème Siècle au cœur du Limousin, et ils affectaient sans conteste
la majeure partie de la jeunesse Corrézienne ! Ne soyons donc pas étonnés que
Bertrand puisse évoquer en ces termes les maîtres « qu’ils me donneront des leçons » ( sic ! ), car même si
cela est moins flagrant qu’en ce qui concerne Baptiste, Bertrand en est réduit
lui aussi, dans une certaine mesure, à parler « comme il save et comme il poude » ! Contrairement à leur frère aîné
Elie, qui fait figure d’exception, Baptiste et Bertrand Dufaure ne sont pas
Bacheliers, encore moins Docteurs d’Etat en Droit… et bien incapables de
commettre une Thèse… dont la première partie, fut-elle assez brève, serait,
comme celle d’Elie, toute entière rédigée en langue... Latine ! Même si sur le plan tant du style
que de l’orthographe et de la calligraphie, Bertrand apparaît assurément
« en avance » sur Baptiste, le fossé qui les sépare tout deux de leur
aîné est immense et le retard semble incommensurable à combler... surtout en
quelques leçons… même dispensées « trois
fois par semaines le soir » ! Les lacunes flagrantes que l’on
peut relever quant à la qualité de leur expression écrite [ … encore que
celle-ci leur permet tout de même de s’exprimer de manière intelligible ] nous
conduisent naturellement à nous interroger sur le niveau d’instruction qu’ils
avaient pu recevoir ainsi que les autres membres de leur famille, la qualité et
la nature des enseignements qui leur avaient été dispensés, les conditions
matérielles et financières qu’ils avaient pu rencontrer, la compétence qui
était celle de leurs maîtres… Il nous faudra évidemment évoquer
aussi, ici, le recul lent et progressif, mais bien avéré, de l’emploi du
« patois » au profit de la langue française dans les campagnes
Corréziennes… « (...) Et surtout parler français » demandait « en grâce » Elie à Baptiste !!! AVANT LA LOI GUIZOT : « STAGNATION MENTALE »
DURABLE DES CAMPAGNES Christophe Charle brosse un
panorama de la situation de « l’instruction des masses » dans les
campagnes françaises au tout début de la Restauration, aux alentours de 1815,
en ces termes : « Tous les indicateurs convergent : la pauvreté
empêche le recrutement d’instituteurs par les Communes. Même quand les écoles
existent l’emploi des enfants aux travaux ruraux ou leur placement comme
domestiques, voire comme migrants à la ville, en réduisent considérablement la
fréquentation. La pratique d’une langue locale ou d’un patois hâte l’oubli de
tout enseignement du français (…). Le
sentiment est répandu de l’inutilité sociale de l’instruction élémentaire pour
des groupes voués à l’occupation héréditaire des emplois les moins qualifiés… »
[ 3 ]. Il s’agit sans doute presque d'un
lieu commun que de rappeler que la majorité de la population du pays au XVIIIème
Siècle était analphabète ! La proportion des illettrés dans
la population ne diminuera d’ailleurs qu’extrêmement lentement : de 79 % à 63 %
entre 1685 et 1785. Au XVIIIème Siècle plus des deux tiers des
paysans ne savent pas encore écrire leur nom… et il y a également de fortes
disparités régionales : si près des trois quarts des hommes du Nord-Est savent
signer, en Provence moins du cinquième en est toutefois capable ! [ 4 ]. Il reste toutefois que « analphabétisme » ne signifie pas
pour autant « inculture », car une culture populaire existe
bel et bien… laquelle se transmet essentiellement par voie orale : embryon
d’instruction religieuse, contacts indirects avec le livre grâce au
« lecteur » et au « conteur », colportage de la littérature
populaire… [ 4 ] Transmission orale également des
légendes, des fantasmagories et autres superstitions, en Limousin tout
particulièrement, « est-on en 1800, en 1870, en 1895 ? Mais en quel siècle
même ? Venues du plus haut Moyen-Age, de bien plus loin encore, des temps avant
le Christ, les légendes fleurissent noires ou claires, toujours avec la même
intensité de ténèbres ou de lumière » rappelle ainsi lyriquement Clancier
[ 5 ]. Face à l’immense problème qui
était celui de l’alphabétisation des campagnes, les Constituants avait posé le
principe suivant : « Il sera créé et
organisé une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à
l’égard des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes »
[ Constitution de 1791 ]... Condorcet, ( le beau frère de
Cabanis, lointain allié de la famille Dufaure... ) va beaucoup s’investir
beaucoup pour élaborer son fameux « Rapport
sur l’Instruction Publique » qui confirme le principe d’une
instruction gratuite ( « la Nation
ne doit pas monnayer son savoir » ), l’octroi de bourses pour des
enfants pauvres, des compléments d’instruction le Dimanche, dispensés pour le
peuple adulte des campagnes et des villes assurés par les instituteurs et les
professeurs… ainsi qu’une école « neutre » face à la doctrine
politique ou à l’autorité religieuse… [ 6 ] Le rapport de Condorcet est
présenté à l’Assemblée le… 20 Avril 1792 ! Or, c’est aussi le jour de la
« Déclaration de Guerre » ! [ votée à l’unanimité… moins sept
voix ]. Les préoccupations immédiates de
la France Révolutionnaire sont donc autres que celles liées à l’instruction des
masses !!! Le « Plan pour
l’Instruction », qui suit celui de Condorcet, est dû au Conventionnel
Michel Lepeletier lequel est assassiné le 20 Janvier 1793, c’est à dire la
veille du jour de l’exécution de Louis XVI. Lepeletier disparu, son plan est
proposé à la Convention quelques mois après sa mort par Robespierre lui même,
le 13 Juillet 1793… Notons que ce 13 Juillet, c’est aussi le jour de
l’assassinat de Marat ! ... Les évènements Révolutionnaires s’enchaînent donc
rapidement et ils ne laissent aucune place à la stabilité indispensable qui
serait nécessaire pour mettre en place durablement un dispositif satisfaisant… Le 19 Octobre 1793 la Convention
rapporte le Décret, qu'elle avait pris le 13 Août précédent en faveur des
écoles primaires, et qui était directement inspiré du plan Lepeletier… [ 6 ] De fait « la seule
conception réellement révolutionnaire en matière d’éducation est définitivement
abandonnée » [ 7 ] … Danton, visionnaire, avait pourtant déclaré : « Après le pain, l’éducation est le premier
besoin du peuple » !!! « L’Empire a-t-il été
insensible à l’alphabétisation des campagnes ? » s’interroge Jean Tulard
qui constate que « la Loi du 11 Floréal An X a continué de laisser à
l’abandon l’enseignement primaire. Ainsi, dans les villes, les anciens
congrégationalistes retrouvent leur importance passée. Dans les campagnes trop
pauvres pour payer un maîtres, dont le recrutement dépend de la bonne volonté
du Maire, les écoles sont rares… L’instituteur, quand on en trouve est en même
temps fossoyeur ou cabaretier » ! « On note même une
prédominance inattendue des cordonniers » ajoute Tulard…[ 8 ] Un examen « critique »
pourrait permettre de conclure que « l’Ogre » Napoléonien était
essentiellement intéressé par de la « chair à canon »… venue des
campagnes, et qu’il était seulement soucieux de maintenir au pouvoir une classe
bourgeoise dominante et quelques élites dévouées… Jean Tulard pense pouvoir parler
d’une « société bloquée » dans laquelle « l’ascension sociale
est difficile » et ce en dépit de « quelques contre-exemples célèbres » !
[ 9 ] Que penserait aujourd’hui
« l’Ogre Corse » de l’A.P.D. ? Cette journée dite « Appel de Préparation à la Défense a
remplacé aujourd’hui définitivement l’institution du Service National
Obligatoire à temps, autrement dit le « service militaire »… La première journée d’A.P.D. a eu
lieu le 3 Octobre 1998 et je pouvais lire ce jour là, et à cette occasion, dans
le quotidien national « Libération »
cette réflexion : « C’est là une étrange inversion de l’histoire. De ces
illettrés dont elles ont longtemps fait de la chair à canon, les armées
modernes n’ont plus l’usage et la société civile n’est guère plus tendre à leur
égard. Il est ironique qu’il revienne à l’ultime et infime avatar de la
Conscription de leur offrir une chance de renverser leur handicap. Ces A.P.D.
serviront surtout à une tâche aussi pacifique qu’utile : le dépistage de tous ceux que handicape une pratique déficiente de la
lecture, et, si tout va bien, leur prise en charge... » ! [ 10 ] Comment ne pas voir que, durant
des siècles, en l’absence d’un système d’instruction publique organisé et
ouvert à tous, les « masses populaires » ne pouvaient - a priori -
pas manifester une autre attitude que celle de la résignation et de la
soumission face aux structures établies et aux forces sociales dominantes ? La « stagnation mentale »
ou le « handicap intellectuel » entretenus, sciemment ou non,
dans les campagnes étaient incontestablement une forme de sujétion et de
dépendance qui mettaient le ( petit ) paysan à la discrétion du ( puissant )
notable ! Il était facile à tel bailleur,
tel prêteur, ou tel juriste, de faire signer d’une croix le texte qu’il voulait
faire approuver par le paysan qui ne le comprenait bien sur pas ! [ 4 ] Le Procureur de la commune
d’Estivaux, Pierre Dufour, est peut être, lui, en mesure de déchiffrer l’acte
notarié enregistré au début de l’année 1793 chez le notaire Goudal d’Uzerche…
mais il s’agit certainement là d’une exception et nombre de ses concitoyens en
sont pour leur part incapables… Les Allassacois Dufaure, Elie
« senior » [ le grand père de Maître Elie Dufaure ], et Pierre
Dufaure, [ le père de l’avocat ], à la toute fin du dix-huitième Siècle et au
début du dix-neuvième siècle, sont en mesure de tenir un « livre-journal »
de comptes… certes d’une manière relativement sommaire… mais qui cependant ne
peut que leur être fort utile… Ils ne sont sans doute pas nombreux dans ce cas. Comment les rudiments de
l’instruction élémentaire leur avaient-ils été transmis ? Par un
apprentissage précoce dans un milieu familial déjà « un peu » éclairé
? Par un enseignement reçu auprès d’un tiers ? Comment Pierre Dufaure, par
exemple, avait-il lui-même appris à lire et écrire ?. Je n’ai pas de réponse
précise à ces interrogations ! Elie Dufaure fait référence
rapidement, dans sa « Notice »,
au fait que son père « dans sa
première jeunesse (…) était en
pension chez M. Dupin à Juillac »… Certainement un premier début de
réponse ! Sous le Premier Empire, les
indications fournies par Georges-Emmanuel Clancier font état, en dehors de la
Ville de Brive, mais dans cet Arrondissement du sud du Limousin, de la présence
d’une vingtaine d’instituteurs environ dont les « écoles »
accueillent de « quinze à trente élèves ». [ 5 ]. C’est dire combien les effectifs
« scolarisés » sont enocre limités à cette époque ! Plusieurs de ces enseignants
Corréziens étaient aussi des prêtres, tels M. Malerbaud à Ussac, M. Veyssade à
Yssandon ou M. Marque à Curemonte, dont l’établissement recevait des
pensionnaires… « Comme on le voit, en ces
temps où l’instruction publique était chose rare, et en ce Limousin où elle
était encore plus parcimonieusement répandue, Brive et son Arrondissement
faisaient figure fort honorable quant au nombre des écoles et des enseignants.
Le « Riant Portail » ne faisait pas que s’ouvrir au soleil du Midi :
il s’entrouvrait aussi aux lumières de l’esprit » affirme Clancier [
5 ]. Selon une typologie sommaire,
adoptée par les auteurs de « l’Histoire
des Paysans Français », laquelle distingue, parmi les cultivateurs de
la fin du XVIIIème Siècle, les « errants », la « petite
paysannerie dépendante » et les « couches supérieures, vers l’indépendance économique » [ 4 ],
les Dufour ou les Dufaure de cette époque reculée pourraient être rangés dans
la dernière catégorie celle de la minorité quasi-indépendante du moins
économiquement, et parfois culturellement quand elle est alphabétisée, qui
échappe - sauf exceptions - aux grandes catastrophes économiques.
« L’ascension sociale est possible pour les plus riches et les plus actifs.
(…). La limite supérieure est floue entre la paysannerie aisée et la
bourgeoisie rurale » [ 4 ] On le sait, Elie Dufaure
« senior », avait pu acquérir des parcelles vendues comme « Biens
Nationaux »… C’était déjà la marque d’une forme de substitution d’une
« nouvelle bourgeoisie rurale » à l’ancienne noblesse car une telle
acquisition : tous les cultivateurs de la contrée d’Allassac n’en avaient
pas les moyens ! De son côté, à la même époque,
Pierre Dufour au Mons d’Estivaux, étendait sa propriété foncière et immobilière
en achetant des biens sis au village de Bounaix ! INSTRUCTION PRIMAIRE ET LOI GUIZOT… A VOUTEZAC….
DONZENAC…ESTIVAUX Maurice Agulhon estime que
« l’aspiration du paysan à parler français parait bien, en tout cas, être
antérieure à la généralisation de l’école primaire et avoir été largement
spontanée : conscience des avantages pratiques du français pour les rapports
avec les villes, les affaires, les Administrations, et peut être aussi volonté
d’égalisation voire de dignité » [ 11 ]. Ces aspirations pouvaient avoir
été déjà celles des Dufaure et des Dufour dès les débuts du « Siècle des
Lumières », voire antérieurement… Il est cependant un fait avéré
que les écoles primaires, en Limousin comme bien souvent ailleurs, étaient trop
peu nombreuses pour pouvoir combler les aspirations de tous à l’apprentissage
du « savoir » ! Avec la « Loi Guizot »,
promulguée le 20 Juin 1833, un tournant déterminant est pris ! Le nombre des
élèves scolarisés au niveau des écoles primaires va doubler sous la Monarchie
de Juillet [ 12 ] ! Dans un Département [ je cite
expressément Weber !!! ] « analphabète
comme la Corrèze » [ 2 ] les changements amorcés peuvent se
quantifier… La proportion des conscrits
sachant quelques rudiments de lecture passe de 14,3 % en 1829 à 31,9 % en 1855
[ puis à 34,88 % en 1860, 41 % en 1865, 50 % en 1868, et puis 62 % en 1875 -
mais ces chiffres ne concernent que ceux, parmi les hommes, qui sont conscrits…
et bien sur pas les jeunes filles !!! ]. [ 2 ] Le 14 Mai 1820, le Conseil
Municipal de Voutezac, après avoir pris acte en séance de « l’éducation
totalement négligée des enfants (…) depuis longtemps », souhaitait déjà
« établir une institution mutuelle » mais n’ayant pas les fonds nécessaires
« pour aménager une salle de classe », il se contentait d’inviter le
Maire « à vouloir bien procurer à la Commune un Instituteur
particulier » [ 1 ]. La même délibération mentionnait
les montants de la rétribution mensuelle, variable selon le niveau d’études,
qu’il conviendrait de payer, par élève, au futur enseignant : « 2 Francs
par mois pour ceux qui commencent à lire, 2 F 50 par mois pour ceux qui liront,
écriront et calculeront, Cinq Francs par mois pour ceux qui apprendront la
latinité et autres sciences » [ 1 ]. Jean Michel Valade met là, en
évidence, une « sélection sociale imposée par la fortune » et il
ajoute : « même si l'Abbé Echamel [ auteur, entre autres opuscules,
d’une « Histoire de la Paroisse de
Voutezac » - 1912 – et d’une Monographie sur celle d’Estivaux – 1921-
] a tendance à considérer ces participations comme de « petites
sommes », n’oublions pas qu’alors dans cette société rurale aux conditions
de vie difficiles, le prix d’un cheval ou encore celui d’une vache pleine est
de 180 F. Ainsi l’effort demandé dépasse-t-il souvent les possibilités de bien
des familles ». [ 1 ] Le 5 Mai 1833, la Municipalité de
Voutezac ramène à 1 F 25 la redevance mensuelle versée par chaque élève et peu
après, en application de la Loi Guizot, la gratuité de l’instruction
élémentaire est offerte à 8 enfants indigents de la Commune [ 1 ]. Ulry dans son ouvrage « Donzenac - Aujourd'hui – Autrefois »,
publié en 1913, nous confirme, si besoin en était, qu’au commencement du
« siècle dernier, chaque commune n’était pas pourvue comme aujourd’hui
d’une Ecole Primaire Publique. Les premiers éléments de l’instruction étaient
donnés, surtout à la campagne, par des personnes de bonne volonté qui
réunissaient autour d’elles un nombre plus ou moins grand d’élèves. Parmi les
personnes dévouées (...) on cite : Melle Juliette Lavialle de Masmorel, MM
Veny, Lafageardie, Salomon et Martial Soulié. Ce n’étaient que des écoles
« libres » c’est à dire d’un caractère purement « privé ».
Elles étaient même entièrement libres car les élèves n’étaient pas plus
astreints à l’assiduité que les maîtres n’étaient tenus à justifier de leurs
capacités. L’enseignement primaire ne fut érigé en service d’Etat que par la
Loi Guizot de 1833. De cette année date la nomination du premier instituteur
communal Monsieur Salomon qui eut pour successeur Monsieur Chavagnol » [
13 ]. A Estivaux, en 1862, alors
qu’Auguste Dufour, mon arrière arrière grand père est Maire, la Municipalité
vote un crédit de 50 Francs pour loger « Sœur Cécile, institutrice »
… En 1867 le Conseil Municipal estime que « les deux écoles [ une de
filles, une de garçons ] suffisent et qu’il n’y a pas lieu de créer des écoles
de hameaux »… [ 14 ] ET A ALLASSAC ? ... L’INSTRUCTION DES ENFANTS CADETS
DUFAURE... Voutezac... Donzenac... Estivaux…
nous disposons de quelques éléments épars concernant le « paysage
scolaire » des communes proches d’Allassac… Le Chanoine Marche relate pour
les évènements marquants du lieu à la date de l’année 1746 « M. l’abbé
Dubois, chanoine de St-Honoré, de Paris, étant sollicité par M. l’abbé Dalby,
d’Allassac, de faire une fondation en faveur de l’école de filles et de garçons
du dit lieu, lui répond qu’il faut avant tout s’adresser à l’Evêque de Limoges,
qui en était seigneur, et qu’il serait heureux ensuite de céder à la demande
qui lui en serait fait par le dit évêque. » [ 15 ]. Mais qu’en était-il
réellement de l’enseignement à Allassac, plus particulièrement dans la première
moitié du dix-neuvième siècle ? Eh bien, je découvre à la page
numérotée « 67 » d’un petit Livre-Journal de comptes, ouvert jadis par son père Elie Dufaure
« senior », en l’an 1809, que Pierre Dufaure [ le père d’Elie ] a
consigné quelques années plus tard fidèlement le décompte qui suit, et que je
reporte tout aussi fidèlement et non sans une certaine émotion… « compte de Monsieur Bousquet du 8 Juin
1836 Six mois de latinité
5 chaque 30 fourni une arithématique [ sic
] 1 F 50 six mois scholaires [ sic
] pour le petit Baptiste 9 trois mois pour Bertri
4 F 50 45 F Reçu 20 Reçu 15 25 Reçu 15 Reste 10 F [Signé] DUFAURE
ALLASSAC le 8 Juin 1836 " Rappelons qu’en Juin 1836, le
jeune Elie Dufaure est âgé de douze ans, et qu’il peut être raisonnablement
envisageable que c’est à lui que Monsieur Bousquet inculque des rudiments de
« latinité » et qu’il a
fourni une « arithématique » ! S’agissant des cadets de la
fratrie, le « petit Baptiste »
a alors huit ans, et Bertrand pour sa part en a six seulement... Pierre Dufaure se préoccupe donc
de l’instruction de ses fils dès leur plus jeune âge... « Quarante cinq
Francs » consacrés à ce seul titre sur un semestre, c’est un effort
relativement conséquent pour ce père de famille, un effort perçu sans doute
comme un investissement nécessaire ! Une dépense de « 1 F
50 » par mois pour les plus jeunes, c’est « 0,25 F » de plus que
ce que consacre les pères de famille voisins pour les élèves scolarisés à
Voutezac à la même époque [ 1 ]. Comme autre base de référence tarifaire,
on notera que sous le Premier Empire, le tarif demandé aux parents d'Agricol [
! ] Perdiguier était de 1 Franc pour les enfants qui apprenaient seulement à
lire, 1 F 50 pour ceux qui menaient de front la lecture et l’écriture ! [ 8 ]. Le décompte manuscrit établi par
Pierre Dufaure dans son carnet de compte nous confirme, sous forme de preuve
écrite tangible, le caractère « payant » de l’enseignement primaire
et son coût relativement élevé ... Une gratuité, encore très
limitée, de l’accès à l’enseignement primaire a été introduite par la Loi
Guizot... C’est, estime Jean Michel Valade, « un progrès manifeste, mais limité et partial »… Il remarque en
effet que les jeunes filles restent la plupart du temps exclues de la
communauté scolaire ( aucune, par exemple, n’est inscrite en 1846 à l’Ecole Publique de Voutezac ) [
1 ] Par ailleurs en regard de la
moyenne de « 79,3 naissances par an » à Voutezac sur la période
1836-1845, et même en tenant compte de la mortalité infantile toujours élevée,
le taux global de la scolarisation réelle reste encore très faible : 20 à 26
scolarisés en 1846, et parfois encore
moins selon les périodes calendaires de l’année ! [ 1 ]. Remarquons que dans les comptes
de « scolarité » de Pierre Dufaure, ses filles ne sont pas mentionnées...
Si Françoise Dufaure, qui n’a que
trois ans, est bien entendu trop jeune, sa sœur Marie a alors déjà dix ans
révolus en 1836 ; leur sœur aînée Suzanne ( qui décédera accidentellement
en 1839 ) en avait pour sa part déjà… quinze ! Pour ce qui concerne au moins le
début de l’année 1836, Bertrand n’a été scolarisé qu’un trimestre contrairement
à ses deux frères aînés qui l’ont eux été durant un semestre complet... Je ne peux bien entendu pas en
tirer de conclusions définitives… Je rappellerai, ici, une fois
encore, que la fréquentation des écoles est alors très saisonnière, ce que Ulry
avait déjà noté... [ 13 ] La primauté des « gros
travaux » agricoles l’emporte en effet sur l’apprentissage d’une
« culture écrite » considérée comme accessoire... La « culture » cède le
pas à « l’agriculture » pourrait-on presque écrire !!! De manière fréquente les enfants
ne vont à l’école que lorsque des travaux agricoles ne les retiennent pas à la
maison… « Dans le Limousin »,
rapporte Eugen Weber, « on ne disait pas qu’un enfant avait été à l’école
pendant trois ans mais qu’il y avait
été durant trois hivers... Il y
allait en fait à partir de Décembre ( après le ramassage des châtaignes ) ! …
En Creuse il quittait l’école au début du mois d’Avril, au départ des maçons
migrants, qu’il devait remplacer… » [ 2 ] Ardouin-Dumazet, dans ses « Voyages en France » ( 1889-1910 ),
traverse le plateau des Millevaches à la fin du dix neuvième Siècle et il
constate alors que le bétail, d’Avril à Novembre, est encore gardé par des
enfants de dix à douze ans, « d’un abord assez sauvage », et
ce malgré les Lois scolaires [ les « Lois Ferry » en vigueur alors
sont pourtant bien plus contraignantes que la Loi Guizot ne l’était ],
lesquelles Lois Ferry étaient pourtant en application depuis déjà plus de vingt
ans ! [ 2 ] En dépit d’avancées indéniables,
la gratuité, à elle seule, ne remplissait pas encore toutes les salles de
classe, l’utilité voire la nécessité pour leurs enfants de recevoir une réelle
instruction n’avait pas encore pénétré les esprits de tous les parents [ 2 ]. En 1904, les auteurs de « L’Ecolier Corrézien » jugent
important de consacrer un chapitre de leur ouvrage à « L’utilité et la noblesse de l'instruction –
Causerie » [ 16 ]. « Les leçons que vous recevez à l’école, les belles et bonnes choses que
vous lisez dans vos livres, sont comme des semences précieuses que le laboureur
confie au sol. Elles font naître et développent chez vous des idées, des
pensées, des sentiments et des habitudes qui vous rendent incomparablement
supérieurs aux sauvages » [ 1904 ]. Aux prémices de la Monarchie de
Juillet, Pierre Dufaure ne voulait surtout pas faire de ses fils des « sauvages » incultes !!! UN EXEMPLE PARMI D’AUTRES... LE PETIT CREUSOIS MARTIN
NADAUD... Au début de la Restauration,
Léonard Nadaud, un maçon limousin migrant, ne voulait pas, lui non plus, faire
de son fils Martin, un petit Creusois, un « sauvage » ignare !!! Une des premières subdivisions de
« l’autobiographie » que
rédigera, bien des années après, l’enfant concerné devenu un personnage ayant
atteint une forte notoriété, Martin Nadaud, s’intitulera ainsi : « Ira-t-il à l’école ou n’ira-t-il pas ? »
... [ 17 ] Telle est en effet la
question ! Léonard Nadaud sait que « le
père Faucher » prend de temps en temps des enfants chez lui auxquels il
enseigne l’alphabet et quelques notions d’écriture… Le père Faucher accepte
d’initier le jeune Martin… « (…) Jamais je n’oublierai le
« tollé » que soulevèrent ces paroles de la part de mon grand père et
de ma mère. La conversation s’engagea aussitôt sur l’utilité ou sur la non
utilité de l’envoi à l’école des enfants de la campagne. Ma mère protesta avec
la plus grande vigueur, disant qu’elle avait besoin de moi pour aller au champs
[ son mari, migrant à la belle saison, est occupé sur les chantiers de
construction de la Capitale ] (…). D’autres paysans ne tardèrent pas à prendre
part à la conversation. Tous prétendirent (…) que pour des enfants (…) ce
qu’ils pouvaient apprendre à l’école ne leur servirait pas à grand chose, sinon
à faire quelques lettres et à porter le livre à la messe… » [ 17 ] Finalement juste un peu de
« latinité » en somme !!! Qu’apprend donc le jeune Martin
avec le père Faucher ? Des éléments basiques ! « Je passai l’année à apprendre
l’alphabet et à épeler les syllabes »… L’année suivante un véritable
instituteur s’installe à Pontarion, Monsieur Rioublanc… C’est l’occasion d’une nouvelle
querelle de ménage entre les époux Nadaud… L’année scolaire qui s’était
achevée avait en effet coûté 12 Francs au ménage - une somme ! - et selon
la mère de famille le bétail avait été mal gardé ! … Colère immédiate du père de
famille menaçant de souffleter son épouse... Le petit Martin Nadaud ira donc
de nouveau à l’école et il aura l’opportunité de progresser dans ses
apprentissages avec « Monsieur Rioublanc », lequel arrête son
activité au bout d’un an seulement… puis ensuite avec « Monsieur
Dypres », un « ancien Officier de Napoléon », un
« excellent maître »… mais qui boit… se servant de l’eau de vie à
pleins verres et en versant même aussi, lorsqu’il est à demi ivre, à ses élèves
!!! [ 17 ] Martin Nadaud arrête finalement
ses études primaires alors qu’il n’a encore atteint qu’un tout jeune âge… mais
il écrira plus tard, reconnaissant, à propos de ce Monsieur Dypres : « Si
je n’avais pas eu à faire à cet homme (…) je n’aurais jamais connu mes quatre
règles, ni la distinction entre l’adjectif et le substantif » [ 17 ]... En 1833, « l’Almanach de la
Corrèze », comme en écho aux souvenirs de Martin Nadaud, indique :
« l’état de l’instruction populaire est déplorable dans notre Département.
Dans les communes rurales on ne voit que bien peu de personnes qui sachent lire
et qui parlent l’idiome [ sic ! ] français. La plupart des écoles qui
existent ne sont fréquentées qu’en hiver, et par dix ou douze élèves. Les bons
instituteurs sont d’une rareté affligeante » [ 5 ] ... En 1830, à quinze ans, muni d’un
[ tout ] « petit bagage intellectuel », Martin Nadaud prend, à pied, la route de Paris... comme la
plupart des hommes valides de sa contrée. Un autre apprentissage – bien plus
pratique : celui du bâtiment et de la maçonnerie - va alors commencer
pour lui ! Au loin les études pense-t-il alors… A PROPOS DES PROGRAMMES... DE LA « LATINITE »
à « L’ARITHEMATIQUE »... Quels enseignements prodigue
l’école primaire en France dans la première moitié du dix-neuvième Siècle ? Agricol Perdiguier, ouvrier
compagnon, qui siégera dans les rangs de la Montagne en 1848, aux côtés de…
Martin Nadaud, signale dans ses « Mémoires
d’un Compagnon », qu’il lisait à l’école : « d’abord l’alphabet,
puis le syllabaire, ensuite « les Heures Romaines », le tout
en latin (…). On pensait que ce n’était que dans le latin que nous pouvions
apprendre le français (…). Venaient après le « Devoir d’un Chrétien »,
« la Semaine Sainte », « l’Imitation de Jésus-Christ » - [ c’était conforme à une circulaire officielle datant du 2
Novembre 1812 ! ] - beaux livres assurément, écrits en français et en bon
français ; nous étions de petits enfants et tout cela était au dessus de notre
jeune intelligence. Ainsi, après le
Latin, on nous donnait autant dire de l’Hébreu »… Le bilan de tout cela est résumé
ainsi par Agricol Perdiguier : « j’étais à peine allé deux ou trois ans à
l’école ; je savais lire, écrire,
calculer, mais d’une manière fort incomplète ; il fallut travailler »
… [ 8 ]. Le Recteur de l’Académie de
Limoges autorise le nommé Pierre Nicaud a fonder une école primaire à Treignac
en Décembre 1812, en disposant à son attention : « vous ne pouvez dépasser dans vos leçons, la lecture, l’écriture, les
premières notions de calcul et de catéchisme » [ 5 ]… Dans les rares écoles primaires
qui existaient, - [ il y avait en 1829, en Dordogne, 400 instituteurs pour
quelques 500.000 Habitants [ 18 ] ] - , on appliquait fidèlement l’Ordonnance
Royale de 1816 ( laquelle laissait toute latitude au Maire et au Curé
d’inspecter l’école ; où le clergé pouvait approuver les nominations et
pouvait imposer des clauses sur l’enseignement de la religion ou le choix des
livres... ). Seuls étaient délivrés « les enseignements les plus élémentaires »... enfin ceux que
les enseignants jugeaient comme tels : « la capacité de bredouiller son
catéchisme ou une partie du service religieux en Latin .. L'enseignement
des premiers rudiments de lecture, d’écriture et de calcul était encore chose
fort rare ! » [ 2 ]. Dans les années 1840, à Olette (
Pyrénées-Orientales ), le maître ne connaissait pas le Français mais il savait
par cœur la « Grammaire Latine » de Lhomond... Ses élèves déchiffraient « l’Imitation
de Jésus-Christ » et « Télémaque » mais personne ne
pouvait lire un livre écrit en français parce que le Maître non plus ne pouvait
le lire !!! [ 2 ]. En Bretagne aussi, le Latin
n’était pas plus incompréhensible que le Français, et l’élève brillant
apprenait le Latin puis quittait l’école « crépitant en Latin comme un
phonographe sans en comprendre un mot » [ 2 ]. Pierre Dufaure rémunère, on l’a
vu, un certain « Monsieur Bousquet » [ qui ne semble pas être
un ecclésiastique mais plutôt un laïc… ] en vue d’enseigner les
« fondamentaux » au « petit Baptiste » et au petit
« Bertri »… mais aussi pour mettre toute sa « science » au
bénéfice d’Elie, le fils aîné, en lui enseignant la « latinité » [ ce qui sera d’ailleurs près de trois fois plus
rémunérateur pour l’enseignant ! – « cinq Francs par mois ! »
] et en outre en lui fournissant une « arithématique »
! Les bonnes dispositions que
présentait Elie Dufaure vont, nous le savons, le conduire au « Petit
Séminaire de Brive », où il sera présent au moins au cours de
« l’année scolaire 1841-1842 », et puis plus tard à la « Faculté
de Droit de Paris » où il deviendra « Docteur en Droit » en
1850, tout comme un certain… Jules Verne ! ( Quelques zones d’ombre
subsistent cependant par rapport à la linéarité, ou non, du parcours scolaire
primaire… puis secondaire d’Elie Dufaure ). « Felix qui potuit rerum cognoscere causas » Virgile. « Heureux qui peut
connaître le principe des choses » ! Dès 1836, le jeune Elie Dufaure
s’initiait donc – mais jusqu’à quel degré ? – à la « langue Latine »
( ou plutôt à « la latinité » )… Gustave Flaubert définira ainsi
le terme « LATIN »dans son « Dictionnaire des Idées
Reçues » : « langue
naturelle de l’homme », « gâte
l’écriture », « est seulement
utile pour lire les inscriptions des fontaines publiques » ... [ 19 ] Qu’en pensait donc le petit
Allassacois ? Et que pensait-il aussi de
« l’Arithmétique », ou de
ces « MATHEMATIQUES » qui, toujours selon une définition de
Flaubert: « dessèchent le cœur »
? [ 19 ] ... Nous pouvons - au moins - nous
interroger !!! MAITRES INCOMPETENTS ET PRECARITE MATERIELLE Jusqu’en 1816 on n’exigeait d’un
enseignant aucun titre ni aucune preuve de sa compétence : sur quinze
instituteurs à Rennes en… 1815, il y avait en fait sept anciens... forçats [ 2
] ! Le portrait que Balzac a fait
d’un instituteur de village nommé « Fourchon » ( lequel finit
ses jours comme braconnier, à moitié cordonnier à moitié mendiant, ivre
vingt-quatre heures sur vingt-quatre… ) constitue un « stéréotype »
familier sous la Monarchie de Juillet... « Le père Fourchon , d’abord maître d’école à
Blangy , perdit sa place à cause de son inconduite et de ses idées sur
l’instruction publique. Il aidait beaucoup plus les enfants à faire des petits
bateaux et des cocottes avec leurs abécédaires qu’il ne leur apprenait à lire ;
il les grondait si curieusement, quand ils avaient chippé des fruits, que ses
semonces pouvaient passer pour des leçons sur la manière d’escalader les murs.
On cite encore à Soulanges sa réponse à un petit garçon venu trop tard et qui
s’excusait ainsi : « Dame
! m’sieur, j’ai mené boire notre chevau ! » « -
On dit cheval, animau ! » D’instituteur, il fut nommé piéton. Dans ce poste,
qui sert de retraite à tant de vieux soldats, le père Fourchon fut réprimandé
tous les jours. Tantôt il oubliait les lettres dans les cabarets, tantôt il les
gardait sur lui. Quand il était gris, il remettait le paquet d’une commune dans
une autre, et quand il était à jeun, il lisait les lettres. Il fut donc
promptement destitué » [ 20 ] L’universitaire Pierre Macherey analyse le langage de
ce « déclassé »… « Fourchon, qui se révèle comme un paysan faux,
est aussi un faux paysan : c’est un déclassé, et ceci explique d’une autre
façon son langage déplacé. C’est un ancien fermier, un propriétaire qui est
tombé dans la misère par la débauche, l’ivrognerie et la paresse : s’il
est devenu paysan pauvre, c’est par sa faute, mais son passé établit pour lui
un lien avec l’autre monde, celui des riches, qu’il a passagèrement frôlé. A
partir de ces éléments, le rapport ambigu de Fourchon à la langue bourgeoise
prend un nouveau sens : sa condition antérieure a laissé en lui
quelques marques, qui persistent sous forme de bribes, de réminiscences
brisées. Quand il cherche à vendre sa loutre au bourgeois à un prix exorbitant,
vingt francs, il déclare « Eh ! mon cher Monsieur, je sais si peu
le français que je vous les demanderai, si vous voulez en bourguignon, pourvu
que je les aie, ça m’est égal, je parlerai latin, latinus, latina,
latinum ! ». Son élocution désordonnée, où se succèdent sans
principe des références contradictoires, résume
son histoire personnelle, sa trajectoire brisée qui fait que toutes les cultures
auxquelles il participe lui sont étrangères : « Moi le paresseux, le
fainéant, l’ivrogne, le propre à rien de père Fourchon, qui a eu de
l’éducation, qu’a été farmier, qu’a tombé dans le malheur et ne s’en
est pas relevé... » [ 21 ] La plupart des instituteurs
ruraux exerçaient un autre métier... Du paysan au tisseur, du fossoyeur au
cordonnier... L'enseignement n’était considéré en somme que comme un commerce…
un commerce comme un autre... Weber parle à juste titre des
« mercenaires » qui « enseignent ce qu’ils
ignorent »… « Des Hautes-Alpes à
l’Ardèche dans les années 1850 : ils portent une plume fichée dans leur chapeau
s’ils apprennent à lire, deux s’ils enseignent aussi l’arithmétique, trois si
leur bagage intellectuel englobe également le Latin » ! [ 2 ]. « On parle parfois d’écoles
de village qui enseignent aux élèves un solide fond de savoir et de villageois
qui savent lire et qui effectivement lisent, mais c’était là des
exceptions » ajoute Weber... Elie Dufaure, comme ses cadets, à
Allassac, a eu peut-être la chance de « tomber » sur ce genre
d’exceptions ! Et c’est ainsi que les aptitudes intellectuelles de l’aîné ont
pu être détectées et encouragées... Dans beaucoup de cas l’enseignant
et l’enseigné ignoraient pratiquement tout de la matière étudiée… « La capacité de tracer des lettres ou de les prononcer
dépassait celle de pouvoir la comprendre... Dans de telles occurrences, le
latin n’était pas plus incompréhensible, pas plus difficile que le français...
Plus d’un villageois apprenait le latin de cette manière et quittait l’école la
tête bourrée de phrases, de cantiques et de catéchisme... c’est tout ! » [
2 ]. Pour assombrir encore le tableau,
les conditions matérielles dans lesquelles l’enseignement était dispensé
s’avéraient extrêmement précaires ! Il est vrai qu’il était déjà
délicat de trouver les moyens financiers pour… rémunérer un
« maître »… et cela s’avérait donc plus difficile encore pour
aménager une salle de classe, et, a fortiori, une véritable école digne de ce
nom ! Les exemples sont nombreux de
« conditions matérielles laissant à désirer » [ 5 ] ou « d’état
pitoyable des locaux scolaires » [ 2 ]. Je fais ici l’économie de leur
trop longue énumération, laquelle n’entre pas directement dans mon propos ! DE CLAUDE
ALLEGRE, MINISTRE… AUX ALEGRE, MAIRES
D’ALLASSAC Les conditions matérielles
contemporaines qui conduisent, cycliquement, les « lycéens
d’aujourd’hui » à manifester par rapport au manque de moyens budgétaires octroyés
à leurs établissements, en particulier les manifestations des toutes premières
semaines de la rentrée scolaire de l’année 1998-1999, alors que je débutai la
composition de ces lignes, n’ont heureusement rien à voir avec la réalité de
jadis !!! Les lycéens défilaient pour
« obtenir des locaux décents, davantage d’enseignants, de matériel et
de sécurité, des classes et des programmes moins surchargés » (...) «
Qui peut s’opposer à ces exigences élémentaires ? (...). Allegre lui
même soutient les rebelles que, pour un peu, il irait rejoindre en tête de
manif persuadé, le premier, qu’il faut réformer les méthodes, l’enseignement et
les enseignants (...) ». [ 22 ] Le ministre de l’Education
Nationale, en cette fin des années 1990, qui prônait la déconcentration à tout
va, avait pour nom… Claude Allegre ! Je note, pour l’ironie de la
toute petite histoire, que d’Août 1812 à Janvier 1826, le Maire de la Commune
d’Allassac se nommait Jean Baptiste Alegre
et qu’en tant que « premier Magistrat » de sa Commune il avait
assurément un rôle d’importance à jouer quant à l’organisation de l’Instruction
Primaire sur le territoire de sa commune ! De Janvier 1826 à Septembre 1830,
c’est Charles de Foucauld, le père d'Aymard de Foucauld, qui lui succédera...
puis, de nouveau à partir de Septembre 1837, un Alegre sera à la tête de
la Commune : cette fois Mathieu Alegre...
lequel occupera cette fonction jusqu’en Octobre 1870… et n’aura pas moins de
responsabilités en matière d’enseignement primaire, la Loi Guizot étant en effet
alors entrée en vigueur ! C’est le Maire d’Allassac Mathieu
Alegre « qui mettra en place les fontaines publiques à Allassac »
[ 23 ] … Cependant l’histoire ne dit pas
s’il y avait effectivement des inscriptions latines à déchiffrer dessus !!!
...Seule utilité de l’apprentissage de la langue Latine selon Gustave
Flaubert !!! Notons ici, puisque nous évoquions un Ministre de
l’Education Nationale, Claude Allegre, qu’un Corrézien, originaire de
Pompadour, juriste de formation et qu’Elie Dufaure comptait parmi ses
relations, Joseph Brunet, sera nommé « Ministre de l’Instruction
Publique, des Cultes et des Beaux-Arts » dans le troisième
Gouvernement « de Broglie » et qu’il conservera ce portefeuille
Ministériel six mois durant, du 17 Mai au 22 Novembre 1877… Dans la biographie qu’elle
établira à propos de son père [ 24 ], Marie Brunet, sa fille, ne donnera pas
d’informations particulièrement précises sur les conditions de l’instruction
primaire telle qu’elle avait été dispensée à son père… Celui-ci était cependant
issu d’un milieu favorisé. Son père Jacques Brunet était officier du Haras
Royal de Pompadour. En 1839 ce dernier avait pris « en singulière
affection » un jeune enfant, fils d’un boucher de Pompadour à qui il
donnait chaque jour des leçons de latin, de grec, d’histoire, de mathématiques,
de littérature… et qu’il envoya plus tard au séminaire de Servières. Ce jeune
devint l’Abbé Roulhet et enseigna dans les séminaires de Brive, de Servières et
d’Ussel où Joseph Brunet fut quelques années plus tard successivement élève et
où « il contracta, dans le cours de ses études, de solides amitiés »
[ 24 ]… Pour autant si Marie Brunet cite quelques amis de son père, le nom
d’Elie Dufaure n’apparaît pas dans la liste des amitiés scolaires ! INSTRUIRE... ET S’INSTRUIRE... POUR « S’EN
SORTIR »... « Quand Martin Nadaud fut
élu au Parlement, il ne pouvait pas écrire une lettre bien qu’il eût travaillé
pendant plus de dix ans à sa propre éducation » affirme Weber [ 2 ].
« Qu’allions nous voir à Paris pour la première fois », raconte pour
sa part Nadaud, dans une subdivision de son « autobiographie » qu’il
a intitulée « Du mouvement des
Ecoles », [ nous sommes alors en 1833-1834, et Nadaud un âge aux
environs de 18 ou 19 ans ], « Nous allions voir notre grande Capitale (…)
s’empresser d’ouvrir des écoles d’adultes dans les Quartiers. (…) Pour
connaître le désir de s’instruire qu’eurent alors une certaine portion des
ouvriers, il faut avoir été témoin de l’empressement qu’ils mettaient à garnir
les bancs de ces vastes salles » (...). J’avais bien conscience de mon
ignorance relativement aux règles de grammaire et mon maître en corrigeant mes
dictées me le faisait assez savoir » ... [ 17 ] Le jeune maçon Creusois Martin
Nadaud avait alors grand besoin de gagner suffisamment d’argent pour couvrir
des dettes qui avaient été contractées « au pays », à un taux
usuraire, par sa famille… Il lui fallait impérativement
augmenter ses revenus… « Que faire ? Je finis par me dire qu’étant entouré de
bons et laborieux jeunes gens qui ne savaient même pas signer leurs noms, il me
serait facile d’en réunir une douzaine dans ma chambre pour leur apprendre ce
que je savais » (...) ; Ce
moyen d’instruire les autres me parait bon aussi pour m’instruire moi-même.
Dès qu’on sut parmi mes connaissances que j’avais ouvert cette école, les
demandes pour y avoir une place ne manquèrent pas. En peu de temps, j’eus
quinze élèves, tout ce que ma chambre pouvait contenir (...). Au bout de
quelques mois ceux qui ne connaissaient pas leurs lettres parvinrent à écrire
passablement. D’autres apprenaient assez vite leurs quatre règles et je pouvais
leur faire faire de petites dictées [ 17 ] ... Mais, ne nous méprenons cependant
pas, durant le plus clair de la journée c’était avant tout pour chacun -
enseignés ou enseignants - la dure réalité des métiers du bâtiment ! Le 15 Février 1856, c’est auprès
des Frères des Ecoles Chrétiennes à « Bel Abbès » que Bertrand
Dufaure, pour sa part, militaire engagé en Algérie, « prends des répétitions
de français et de mathématiques »… Son souci principal semble être
alors de venir à manquer de suffisamment de disponibilités « pour leur
payer le papier et la bougie » qu’il use ; son objectif affiché
est de pouvoir s’élever socialement, particulièrement pour se faire une
situation « dans le civil » puisque Bertrand pressent ne pas avoir
d’avenir professionnel à l’armée... « Avoir de l’instruction »
apparaît une nécessité primordiale à Bertrand Dufaure, tout comme elle le
semblait également à Martin Nadaud ! Même si Bertrand Dufaure part
d’un « niveau scolaire » moins bas que l’entourage des maçons
analphabètes Creusois à qui enseignait Martin Nadaud, il a lui aussi la
conviction intime qu’il lui faut impérativement « s’instruire » pour
espérer pouvoir « s’en sortir » socialement et professionnellement ! Il est vrai qu’être instruit
c’est bien l’une des principales conditions à remplir pour pouvoir espérer
s’adapter au « progrès », qui est alors « en marche à cadence
forcée » et pouvoir maîtriser de « nouvelles technologies » qui
commencent à s’imposer en cette période des débuts du Second Empire ! Le 1er Janvier 1859, Bertrand
Dufaure, devenu cheminot à la « Compagnie de l’Ouest », écrit depuis
« le Mesnil-Mauger » en Normandie : « J’ai eu beaucoup de peine à apprendre à télégraphier mais aujourd’hui
je manipule et reçois à peu près ». Sans doute l’employé de la « Compagnie
des Chemins de Fer de l’Ouest » qu’il était devenu au sortir de son
engagement militaire et d’une période de « chômage forcé » à
Allassac, avait-il « poussé » plus loin ses « apprentissages
primaires » que ne l’avait fait son autre frère, Baptiste, qui était
demeuré sur l’exploitation familiale à Allassac... Pour preuve de ce niveau
d’instruction déjà élevé, je me trouve - pour reprendre les propos même d’Elie
Dufaure - « étonné sous le rapport des pensées et de leur forme »
à l'examen des correspondances conservées qui émanent de Bertrand Dufaure ! Disposant de bonnes aptitudes de
base, son caractère sans doute moins opiniâtre et moins résolu que celui
d’Elie, a cependant vraisemblablement dû contrarier son « parcours
professionnel » qui s’est révélé au final assez chaotique : Militaire
« de carrière », « chômeur », « Cheminot » puis « Cabaretier »
et « roulier » ! Sans accéder à un niveau scolaire
et culturel suffisamment élevé pour le ranger parmi les « capacités », Bertrand Dufaure
disposait cependant d’une aptitude certaine pour s’exprimer en français,
laquelle contrastait grandement par rapport à l’aptitude moyenne de ses contemporains
à « pratiquer » cette « langue » ! Les campagnes de province
n’étaient en effet encore peuplées que d’une majorité de
« croquants » ne « baragouinant » qu’un français souvent
approximatif ... ! « LES CROQUANTS » : DU GRAND-PERE DE
DUNETON A BAPTISTE DUFAURE.. Se retrouvant confronté, comme je
le suis moi-même aujourd’hui, à des écrits familiaux « d’époque »,
Claude Duneton, auteur Corrézien et enseignant de formation, qui revendique
avec fierté sa culture Occitane [ Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé :
« Parler Croquant » ],
écrit : « Contrairement aux apparences la lettre de mon grand père (…)
n’était ni une composition surréaliste (…) ni un salmigondis
indéchiffrable émanant d’un pauvre type affolé (…). C’était pardonnez moi
une lettre claire, simple, précise, sans pathos inutile, une lettre de famille
très ordinaire… A condition de la lire comme elle a été écrite dans sa tête à
lui c’est à dire en langue d’Oc. En fait connaissant à peu près les modes
français tout en ne sachant pas vraiment la langue, le grand-père s’adonnait à
ce genre de traduction bien connue des anciens écoliers : le mot à mot
systématique. Il pensait en Occitan et alignait consciencieusement les termes
français qui lui paraissaient correspondre (…). [ Il ] croyait écrire une
lettre toute simple dans une langue qu’il pensait être le français, alors qu’il
en écrivait une autre, bizarre, insolite, d’une maladresse
« émouvante » et que l’on ne peut saisir qu’en lui restituant à la
lecture son Occitan d’origine » ! [ 25 ] Claude Duneton expose, mieux que
je n’aurais pu le faire, « Milla
Diou, Tè », l’attitude « épistémologique » qu’il faut
adopter pour aborder les écrits de Baptiste Dufaure et ne pas rester face à eux
« coma una tréja que volt pas baccar »
pour reprendre l’expression à l’origine du titre d’un autre ouvrage de ce même
Duneton qui eut en son temps un certain retentissement : « Je suis comme une truie qui doute »…
[ 26 ] La traduction « mot à
mot » de l’expression Occitane évoque la truie qui refuse de « baquer »... qui refuse d’avaler sa
« bacade »... C’est la traduction « évidente »
qui me vient spontanément à l’esprit parce qu’elle me « parle » …
parce que je connais la signification de ces mots de patois. Il reste que dans le
« prière d’insérer » de cet ouvrage de Claude Duneton, les
« Editions du Seuil » ont pensé aux non-Occitans en jugeant
nécessaire de traduire, elles, - en bon français – { en langue Française…
d’élite } – : « comme une truie
qui refuse son auge » [ ! ], pour que le non-initié à « l’occitan
» n’en soit pas réduit à pousser l’équivalent des « o la ieou ! o la ieou ! la ieou ! ieou ! », plainte locale
typique manifestant, parmi d’autres sentiments, de l’incompréhension ou de
l’étonnement ! « O la ieou ! » poussait peut être, en son for intérieur, Maître
Elie Dufaure à la lecture des écrits de ses cadets… Toute la mesure de la distance,
moins kilométrique que culturelle, qui pouvait séparer le « notable »
Parisien « d’expression Française académique » et « fin
lettré » de « lo Faure »,
croquant Occitan , « del pais
daus pès tarros », se trouve là ! Oui !!! Sans aucun doute !!! En 1864, un Inspecteur du
primaire de la Lozère fut exaspéré de s’apercevoir que dans une école qu’il
visitait, pas un seul enfant ne pouvait répondre à des questions comme :
« Etes vous Anglais ou Russe ? » « Dans quel pays se situe la
Lozère ? »… « Chez la plupart de ces
enfants », observait amèrement l’Inspecteur, « la pensée ne va pas au
delà du rayon de la pauvre commune qu’ils habitent » [ 2 ] ... Selon Weber, l’observation
demeurait juste et encore valable « vers 1900 » quand les
« paysans du Burg ( Corrèze ) à une douzaine de kilomètres de Brive [ et à
proximité d’Allassac ! ] Ignoraient les noms des villages situés à moins
de quatre kilomètres, même ceux qu’ils pouvaient apercevoir sur les versants
proches »... [ 2 ] Pourtant, nous le savons, à cette
même époque, Henri Dufour, neveu d’Elie Dufaure, établi comme négociant en
vins, « importe » déjà du vin du pays de l’Aude qui transite par
Chemin de Fer jusqu’au Burg... puis dont une partie est charriée jusque sur le
plateau Corrézien, au Mons d’Estivaux, chez ses « clients » familiaux
! Une Corrèze, comme une France,
dont on peut dire qu’elle est encore à deux vitesses linguistiques et par suite
à deux vitesses de développement économique !!! Les cloisonnements géographiques
et les cloisonnements linguistiques sont des réalités toujours bien présentes !
Pourtant, dès le 1er Décembre
1792, le Directoire du Département de la Corrèze mettait en doute l’utilité de
traduire en patois les textes officiels… « Le traducteur qui s’est
trouvé du Canton de Juillac n’a point pris l’accent des autres Cantons qui
présentent des différences plus ou moins sensibles, mais qui deviennent
considérables à la distance de sept ou huit lieues… » [ 27 ]. Si la Convention avait décrété
que tous les enfants devaient apprendre « à parler, lire et écrire en
langue française », c’était bien plus facile à écrire… qu’à
réaliser ! Cette politique sera longtemps un
échec dont seul le principe sera le rescapé !!! [ 2 ]. LE FAIT LINGUISTIQUE : PATOIS ET BILINGUISME ... En 1863, en France, selon des
chiffres officiels, on dénombrait 8 381 Communes sur un total de 37 511 qui ne
parlaient pas le Français... Près du quart de la population ! Le Ministère de l’Instruction
Publique constatait que 448 328 élèves sur 4 018 427 ( de sept à treize ans )
ne parlaient pas du tout le Français tandis que 1 0490 269 le parlaient ou le
comprenaient mais ne pouvaient pas l’écrire ! [ 2 ] « L’état de l’Instruction
Primaire pour 1864 » rapportait que le patois était d’un « usage
général » en Dordogne, et que malgré les efforts des écoles, il
semblait « aussi indestructible que l’air respiré dans chaque
localité » ! [ 2 ]. Lorsque Baptiste Dufaure rédige,
au milieu des années 1860, à l’attention de son frère aîné Elie, des
correspondances, il est tout entier « baigné » voire
« immergé » quotidiennement dans un « bilinguisme »
ambiant, tel qui persistera largement jusqu’à la fin du XIXème Siècle voire au
delà… Ce bilinguisme aura encore des
prolongements relativement significatifs jusqu’à la fin de la Seconde Guerre
Mondiale... On peut dès lors comprendre toute
la difficulté que Baptiste Dufaure pouvait éprouver pour parvenir à s’en
détacher de manière franche... Car « le patois » (
beaucoup ) et « le français » ( un peu moins ) vont longtemps
cohabiter avec une « contamination réciproque des deux langages trop
rarement restés purs dans l’affrontement »… Un langage ou un autre sera employé
par les individus, avec plus ou moins de bonheur en fonction de la qualité de
leur-s interlocuteur-s ( âge, lien de parenté, de proximité, niveau social ),
de la circonstance qui préside à leur entretien ou de l’objet qui sera évoqué
dans la discussion [ 11 ]. Les problèmes que rencontrait
pour sa part par Bertrand Dufaure en matière d’expression linguistique semblent
avoir été moindres que ceux de son frère Baptiste. Bertrand
Dufaure connaît ( ou subi ! ) une mobilité géographique variée (
d’Allassac au Nord-est de la France à Gray, puis ensuite la Normandie,
l’Algérie et enfin un retour en Corrèze à Uzerche… ), ainsi qu’une mobilité
professionnelle qui est non moins diversifiée ( Militaire de carrière, Agent
des Chemins de Fer, Brasseur-cabaretier )… La maîtrise de la langue
française s’avérait pour lui comme étant une évidente nécessité et elle se
présentait plutôt comme un atout positif, agissant comme un facteur
d’intégration et d’adaptation, plutôt que comme un handicap ! L’une des raisons de la lenteur
des progrès de l’instruction et de l’alphabétisation au XIXème siècle provenait
essentiellement du fait que la langue française n’était en fait que très peu
parlée au quotidien. Elie, Baptiste, Bertrand, comme
les autres enfants de la campagne Limousine dans les années 1830 apprenaient
durant leur scolarité presque une langue « étrangère » appelée :
« Français », une langue qu’ils n’avaient pour la plupart jamais, ou
presque jamais, entendue prononcée... L’affirmation selon laquelle les
enfants d’alors apprenaient leur « langue maternelle », - s’il
s’agissait du Français -, pouvait paraître faussement établie à ceux dont les
mères n’en comprenaient pas le moindre mot !!! Les bases de l’instruction et de
la langue française ne laissaient souvent pas plus de traces dans les esprits
adultes que le latin n’en laisse - généralement – et… quand il est encore
étudié ! - dans l’esprit de l’enfant au sortir du Collège ! … L’écolier d’alors, sitôt de
retour au logis familial reprenait évidemment le « patois » comme
« langue d’usage » ! « Le français n’est pour lui
qu’une langue savante qu’il oublie bien vite ne la parlant jamais » résume
Weber [ 2 ]. Si c’était, on peut le
comprendre, le cas des élèves, c’était aussi bien souvent - et c’est plus
difficile à intégrer pour nous - le cas des enseignants ! « La plupart des
instituteurs ne connaissent pas le français… » se plaignait un inspecteur
de l’Ardèche en 1803 [ 11 ]. En 1875, encore, le directeur de
l’Ecole Normale d’Instituteurs du Cantal, à Aurillac, écrivait : « pour la
plupart de nos élèves le français est presque une langue étrangère »
[ 2 ] ... Rien d’étonnant en fait, le
« français » n’était que de peu d’usage et tout le monde parlait
« patois » ; et l’école enseignait plus des règles arides de
grammaire que la pratique de la langue… L’école enseignait également le
« système métrique » mais les toises ( ou les « gerles » à Allassac, et autres
mesures locales ailleurs… ) étaient toujours en vigueur, elle comptait l’argent
en « Francs » alors que l’on négociait encore sur le champ de
foire en « écus » ou en « pistoles » ... Classique débat de l’inadaptation
des enseignements avec la réalité conjoncturelle perçue par les
populations !!! … Qui est en avance ? Qui est en retard ? « Nous parlions patois, non seulement
dans les rues, dans nos maisons, mais encore dans les écoles, nous ne savions
que cela, nous n’osions faire entendre que cela et les maîtres n’exigeaient pas
davantage », écrivait Perdiguier, qui fut écolier durant le Premier Empire
[ 8 ]. BAPTISTE DUFAURE : UN AVALEUR DE COULEUVRES ? ... OU DE
« SERPENTS » ? L’histoire est passée, la langue
française a fini par l’emporter... définitivement ! ... Un facteur « positif »
pour l’unité de la « Nation indivisible », l’unité Républicaine et
territoriale… En 1913, Coissac
écrivait : « Quoi qu’on prétende, cependant, mot à mot,
expression par expression, notre patois s’en va trituré sous le pilon
centralisateur. Il faut c’est certain que tout français parle avant tout
français. Mais ceci étant admis, de quel droit empêcherait-on les enfants de
parler entre eux, dans leur logis, dans leur famille, la langue de leurs
aïeux ? Et dans quel mal y a-t-il à ce qu’ils sachent deux langues :
la langue nationale et la langue régionale ? » [ 28 ] Claude Duneton mesure
parfaitement les effets pervers de la « défaite » qu’il juge à jamais
dommageable pour le « parleur d’Occitan »… Celui-ci pourtant
« se trouve par rapport aux langues latines dans la position privilégiée qui est celle d’un Hollandais face à l’Allemand,
l’Anglais et le Danois, avec lesquels il jongle presque d’instinct. La
différence c’est que l’Occitan, lui, loin d’en tirer aucun avantage
intellectuel l’ignore, et qui plus est en a honte. Il est intéressant de noter
qu’un agriculteur Limousin n’oserait plus aujourd’hui s’adresser à un espagnol
dans sa langue. Incommunication ou pas, il préfèrerait lui jouer un pantomime
plutôt que de proférer un mot de « patois » ! [ 26 ] Pour illustrer cette réflexion,
l’anecdote suivante m’apparaît tout à fait caractéristique… Accueillant dans mon bureau une
ancienne secrétaire vacataire de mes services, Laetitia D…, qui venait me faire
part de son succès tout frais au C.A.P.E.S. d’Espagnol, je
« lançais » à Laetitia un « Chieta
té ! » qui m’était venu tout naturellement à l’esprit, « comme
çà » ... ! Sa réaction immédiate fût :
« Vous connaissez l’espagnol ? »… Eh bien non ! Pas du tout ! ...
Je n’ai jamais suivi la moindre initiation à cette langue… Stupéfaction
réciproque ! J’appris alors qu’en espagnol l’expression « assieds
toi » se dit : « Sieta té »
! ... et que mon intonation « patoisante » sonnait Ibérique, avec des
accents de vérité avérée !!! Un autre exemple ? Le grand père de Marcelle
Delpastre a quarante-deux ans lorsqu’éclate la Grande Guerre… Il est amené à
combattre en Italie sur le Piave... Marcelle Delpastre raconte :
« Il n’avait pas grand mal à se
faire comprendre, surtout en Piémont : mais en parlant
« limousin ». Dans les vallées c’était plus facile encore. Alors
qu’il devait franchir les Alpes en compagnie d’un bon copain, ils profitaient
d’être en pays étranger pour raconter quelques bonnes histoires dans leur
langue même, quand ils s’aperçurent qu’une femme ne manquait pas de s’esclaffer
aux meilleurs endroits.- Mais madame s’étonna l’un vous ne comprenez pas mon
patois ? « Fau be, fau be, lo
comprengue ! » [ si bien, si bien, je le comprends ! ]… Eux s’étonnaient, on leur avait
tant dit que leur langue n’existait pas ! » [ 29 ] ... Claude Duneton poursuit :
« La culpabilisation a été rendue si forte que l’occitan refoulé ne peut
plus servir qu’à des échanges limités à un groupe social restreint : celui de
la famille et du voisinage immédiat. En conséquence cette langue de base
s’est tellement chargée affectivement que son usage en arrive à être réglé par
une étrange notion de pudeur. L’utiliser en dehors de la communauté
linguistique restreinte, en ville par exemple, provoque un sentiment de nudité
intérieure qui équivaut quasiment à se déculotter en public. C’est ce que
j'appelle une « déculturation », profonde, radicale et scandaleuse
! » [ 26 ]. Coissac, en 1913,
écrivait : « Ces parlers populaires de nos provinces qu’on a
tant persécutés naguère, ce sont pourtant des parlers de France : ils sont
quelque chose du passé, du génie de la race qui, pendant des siècles n’a pas
connu d’autres langages. S’ils disparaissent une partie de l’âme populaire s’en
irait avec eux. Ils méritent donc , à tous égards, le respect et l’étude »
[ 28 ] Maître Elie Dufaure ne voyait pourtant
dans la « francisation »
qu’il souhaitait du langage [ et de la pensée… ] de son frère Baptiste que des
avantages !!! Mais je rends encore la parole à
claude Duneton… « J’ajouterai que dans le
domaine pratique la perte chez les enfants du bilinguisme naturel à nos
générations [ il est né en 1935 ] a eu le résultat inverse de celui qu’on avait
fait miroiter aux populations rurales à qui l'on disait : « Ne lui
parlez pas patois, çà le gênera pour apprendre à l’école ». En fait on
ne trouve plus de ces élèves de la campagne « brillants en français »
et promis par là à des études confortables si l’occasion se présentait (…). Le
même garçon « doué » voit aujourd’hui se rétrécir sa planche de
salut. (…). Ayant perdu l’avantage linguistique que présentait la langue
régionale, il se retrouve dans la même situation qu’un gosse de n’importe
quelle banlieue ouvrière (...) » [ 26 ]. « C’est un aspect peu connu
mais très réel de la prolétarisation du monde paysan. Si les Occitans se sont
fait rouler ? C’est rien de le dire : ils
ont avalé toutes les couleuvres ! »… [ 26 ] Baptiste Dufaure se trouvait-il
dans la situation d’un avaleur de couleuvres ? Traquant les « Limousinismes » présentés et
définis comme des « locutions et expressions patoises qu’il faut éviter
d’employer », et proposant des « équivalents français »,
les auteurs de « l’Ecolier Corrézien »
entendent « désigner (...) les expressions impropres (…) qui sont d’usage
courant en Corrèze. Ils se bornent bien entendu [ … c’est eux qui le disent ! ]
à citer les principales : la liste complète de ces regrettables idiotismes
serait trop longue ! » [ 16 ]. Les petits Corréziens sont ainsi
invités à dire désormais : « une
couleuvre » et à ne pas dire « un serpent » !!! Devaient ils donc avaler ce reptile ? Ou bien encore dire « un
lézard » et non « une
rapiette », « un lérot »
et non « un ralirou » ! ? [
16 ] Une vraie
« déculturation » en somme, non ? Ecoutons de nouveau le
« régionaliste » Coissac : « C’est faire œuvre
mauvaise que d’enseigner aux enfants, comme on le faisait encore il y a
quelques années, le mépris de leur idiome local : c’est leur apprendre à
mépriser parents et concitoyens, le village où il est parlé, à dédaigner, en un
mot, tout ce qui constitue leurs caractères ethniques ; bref c’est les dénationaliser » !
[ 28 ] EMPREINTES DU PATOIS DANS LE FRANCAIS ECRIT DE BAPTISTE
DUFAURE... « Savoir le français »
devenait quand même progressivement dans les campagnes un motif de fierté pour
ceux qui, auparavant, s’étaient enorgueillis de parler patois... Les mêmes ne se sentaient pas
forcément « dénationalisés » en maîtrisant la langue
« officielle » ! Jusqu’alors, pour les gens vivant
dans des collectivités cohérentes possédant leur vie propre, le patois gardait
le sens qu’il avait toujours eu : celui d’un langage incompréhensible parlé
par... les autres ! Ce n’étaient pas eux
qui parlaient patois, c’étaient les autres, les étrangers ! Et la langue
que parlaient les étrangers faisait partie de leur nature d’étrangers, de leur
ridicule [ 2 ]. Peu à peu, le français prenait la
nature d’un langage de parure et de cérémonie... Les gens des campagnes
percevant bien la nuance entre un langage « distingué » et le
« parler » courant [ 2 ]. Baptiste s’efforçait donc, même
si c’était très laborieusement, d’écrire à son aîné en ... français ! De la même manière qu’il nous est
possible de percevoir facilement, avec un minimum d’attention à l’écoute, les
accents oraux régionaux en fonction de la provenance géographique de nos
interlocuteurs, les écrits du cadet Allassacois Baptiste Dufaure trahissent
avec précision son enracinement local ! Cela est dû surtout au fait
qu’ayant une connaissance probablement assez sommaire du français et de son
orthographe, Baptiste se raccroche bien souvent, et le plus possible sans doute,
à la prononciation « phonétique » des termes qu’il veut employer,
pour les transcrire ensuite sur le papier… Je serais assez tenté d’affirmer
que, d’une certaine manière, Baptiste Dufaure « parle comme il
écrit » ! Dans le patois Corrézien, les
consonnes sont prépondérantes… Cela rend la parole plus audible : elle porte
plus loin dans un environnement naturel difficile... L’évolution phonétique qui fait
passer d’une langue rude ( avec
présence de diphtongues ) à des sons plus délicats
est liée à un changement des conditions de vie ou au triomphe des valeurs liées
à de telles conditions... Le français quand il est parlé de
manière détendue, comporte plus de voyelles et moins de diphtongues… Le « parler » populaire
est pour sa part plus rude, plus abrupt, plus rythmé [ 2 ]. N’étant pas un
« linguiste » distingué, je me contente de relever ici simplement
quelques exemples ( la liste n’est d’ailleurs pas exhaustive ) des écrits de
Baptiste qui traduisent ( trahissent ! ) sa prononciation
« patoisante » ! En lisant « à haute
voix » les lettres qu’il a écrites, en prenant les intonations locales, il
serait finalement presque possible de... l’entendre « causer »
… non avec des « défauts » de prononciation justifiant de séances de
« correction orthophonique », mais avec les particularismes oraux
caractéristiques de son origine… « ethnique » !!! Ainsi Baptiste écrit – ( et
prononce sans doute ) - : « CHEU » pour « CEU » « chéderé » pour
« cèderait » « commanchai » pour
« commencer » « morcho » pour « morceau » « proché » pour « procés » « ramacher » pour
« ramasser » « GEU » pour « CEU » « réaligé » pour
« réaliser » « indannigé » pour
« indemniser » « creugé » pour « creusé » « fégés » pour « faisait » « tranvager » pour
« transvaser » « mauvaiges » pour
« mauvaises » « BREU » pour « BLEU » « doubre » pour « double » « BEU » pour « VEU » « trabail » pour
« travail » Pour l’ensemble de ces termes, la
prononciation de Baptiste est plus « dure » que celle qu’il convient
d’adopter en français « correct » ! Y aurait-il une relation de cause
à effet aussi avec le fait que ces termes expriment tous des notions marquées
de « soucis » ( procès, indemnisation, double prix ) ou de
« travaux » ( ramasser, transvaser, réaliser, commencer, faire,
creuser... ) ? Il s’avère qu’inversement, avec
une phonétique plus « douce », je relève que Baptiste écrit : « CHEU » pour « CEU » « acétté » pour « acheter » « CHEU »
pour « CEU » « abilement » pour
« habillement » « CHEU »
pour « CEU » « sataines » pour « châtaignes » « CHEU »
pour « CEU » « satainez » pour
« châtaignier » Simple hasard ? Ou théorie à
élaborer ? La prononciation de Baptiste est atténuée pour ces termes par
rapport à la prononciation française « normale » ... Y a-t-il une notion de « plaisir »
qui peut expliquer ce fait ? « Acheter » et non
dépenser… « Coquetterie » d’évoquer l’habillement…
« Gourmandise » d’évoquer les châtaignes ? Je me contente de signaler cette
observation... et je n’en tire pas plus de conclusions définitives ... Je me dois aussi, tout de même,
de citer des « contre-exemples » – lesquels confirmeraient la
règle ? Ainsi Baptiste indique avoir
« béssé » ( pour
« bêcher » ), or il ne devait pas s’agir d’une partie de plaisir (
sauf à avoir la fierté d’annoncer à Elie que cette mission était accomplie !
) ; il fait part aussi en Mars 1862 que le « vin est toussé » [
il doit vouloir dire « touché » ] ... et la perspective de boire un
« pique-rate » ne doit pas être, non plus, très agréable ! Baptiste écrit « Ché »
pour « cé », « Gé » pour « sé »,
« Bre » pour « ble », « Be » pour
« ve » ou inversement « Cé » pour « ché »,
« aiNe » pour « aiGNe »... etc ! Agricol Perdiguier se rappelle :
« Dans nos lectures nous pouvions dire sapeau pour chapeau, céval pour
cheval, zé pour je... Nos instituteurs ne nous reprenaient pas pour si peu »
[ 8 ] ... Marcelle Delpastre relève des
points similaires : « Au catéchisme on disait « lo quatregiesme ». Moi j’y allais pas souvent » ... On
lui enseigne, relève-t-elle, la prière en français. On évitait ainsi les pièges
du Limousin ! « Senta Maria, mair dau bon dieu ». Son arrière grand mère
disait le chapelet : « Senta Maria,
mair dau bon dieu, prejalz per nos paubres pechadors » ... « Mair dau bon dieu »... En faisant
sonner le « R » de Mair comme il se doit » [ 29 ]. Le « R » dur facilitait la compréhension surtout pour pouvoir
s’apostropher de loin en loin, d’un pré à l’autre, d’un vallon à l’autre. S’il
est abandonné à l’école et dans le français urbain parlé à Paris, les acteurs
de théâtre dont la voix doit porter le conservent ! ... Marcelle évoque aussi « le
petit Bébert » qui avait déclaré en classe : « - Oui, mais moi, je
suis plus « Chavant » qu’elle. Il avait chuinté plus que ne
l’exigeait son accent de bon Limousin. Et tous de rire. Et la Dame: - Oh ! mais
si tu es tellement « chavant » tu finiras par devenir chouette
! » [ « Chavant » en patois Limousin signifie « Chat
huant »... « Cou-vi » étant le cri de la chouette ] [ 29 ]. Je laisse à des spécialistes le
soin d’analyser avec plus de précisions la « langue » de Baptiste,
issue de ce patois Limousin que Joanne, dans son guide de la Corrèze [ 30 ], décrit, non sans précisions, comme une « langue
jadis illustre, qui a eu de glorieux et nombreux troubadours, a été formée
du latin et du celtique, auxquels se sont mêlés quelques rares mots grecs.
Quinze pour cent des mots sont kymriques,
[ un substantif daté de 1846 par le Dictionnaire Robert [ 31 ] .
Kymrique : qui a rapport au Kymris
: un peuple celtique du Nord de la France au temps de César ], d’après
Legonidec, un pour cent sanscrits [ ! ], un et demi pour cent basques [ ! ],
sans compter les mots formés par les racines. Les habitants de la Corrèze
ont généralement un accent très prononcé qui trahit leurs origines » !
[ 30 ]. Des origines trahies par
l’accent ? C’est encore bien souvent le cas ! Pour l’anecdote, à l'occasion
d’une réunion de travail à la Préfecture de la Haute-Marne, je fus amené à prononcer
à plusieurs reprises le mot « année », que je prononce « naturellement » :
« an-né » et non « a-nné » ... A l’issue de la réunion, le
Préfet me disait m’avoir identifié comme étant l’un de ses « pays » à
ce détail phonétique, lui même était originaire du… Cantal voisin ! Dans un roman de Soumy, Leobon
apprend à lire à Louis… « CH » c’est difficile, tantôt cela
fait « CHE » tantôt cela fait « QUE » (...)
« A » et « N » se lisent « AN » mais des
fois autrement comme dans « Année » ... [ 32 ] !!! UN PEU DE LINGUISTIQUE « SAVANTE » … La variation linguistique à
l’intérieur d’un espace donné appelé « Langue » est un phénomène
universel, qui touche toutes les langues. L’Occitan y échappe d’autant moins
qu’aucune forme « standard » n’est imposée par une Académie ou par
les pouvoirs publics ! [ 33 ] Coissac note que « Le paysan des plaines, moins
contrarié par les accidents du terrain, parle moins haut et plus vite que le
montagnard, obligé souvent de crier pour se faire entendre et de scander ses
syllabes pour être compris de loin. Souvent même les pâtres communiquent entre
eux en chantant ; n’ont-ils pas ainsi créé leurs « beilaras »,
ces mélopées montagnarde sans rythme mais qui se plient à toutes les phrases
ainsi qu’un récital psalmodique ? » [ 28 ] Les spécialistes relèvent dans le
« patois Corrézien » les caractéristiques suivantes : - Palatalisation des occlusives
vélaires latines « c » et « g » devant le
« a », par exemple lo jarric, lo chamin… - Chute des consonnes
finales : prat qui se prononce [ pra ], le pré - Fréquence de l’aphérèse :
chute d’un [ a ] initial : ‘nar pour anar - Vocalisation du [ L ] final ou
antéconsonantique - Diphtongaison tonique devant
une liquide - Ebranlement de [ s ] devant k,
p , t … - Maintien du « v »
labiodental Pour les spécialistes l’Occitan
parlé en Corrèze, s’il appartient globalement à la zone nord de la langue,
comporte un certain nombre de faits qui l’imbriquent totalement dans l’ensemble
linguistique d’Oc [ 33 ]. Ai, au, ou, iu se prononcent
« o-i », « a-ou »,
« é-ou », « i-ou » « O » équivaut au son
français « ou » « Ch » se prononce
« tch » [ Haut-Limousin ] ou « ts » [ Bas-Limousin ] « g », « j »
sonnent « dg » ou « dj » « ll » se prononce
« nl » « lh »,
« nh » se prononce « gn » « r » ne se prononce
pas à la fin des infinitifs en « ar », « ir » mais
seulement en « er » « e » n’est jamais muet Un exemple peut illustrer
plusieurs règles « lo ganhon » [ le cochon ] se prononce « Lou
gagnou » [ 34 ] « gn »,
« mn »se prononcent « nn » ( sagnar : sannar ;
femna : fenna ) « m » final a le son
« n » « z » à la fin des mots
sonne peu « x,y » sont remplacés
par « s » »ss » ou « i » [ 28 ] Allez vous-y retrouver pour
écrire correctement en « français » quand vous parlez
« patois » au quotidien !!! D’UN PATOIS
CONCRET… A UN FRANCAIS ABSTRAIT... Je relève peu, en fait, dans les
correspondances de Baptiste Dufaure, de termes spécifiquement locaux… Il y a
bien, certes, quelques « gourgues »,
« baricots » ou « gerles » qui figurent ici ou là... Mais d’une manière générale
Baptiste semble disposer d’un « vocabulaire français » suffisant pour
s’exprimer dans cette langue... sur des sujets, il est vrai, relativement
limités et généralement très concrets... Pour les spécialistes en linguistique,
le français donne la priorité aux termes abstraits et préfère la finesse à la
référence précise et à l’analogie... Passant du « patois » au
« français », les « Baptiste » passaient alors d’un système
où les mots étaient proches des choses qu’ils représentaient à un autre outil
où ils en étaient plus nettement séparés ! Evoquant cette aliénation
consécutive à la conversion du paysan à une nouvelle langue qui ne reflétait ni
ses sentiments, ni son expérience, l’abbé Gorse écrivait : « le paysan ne
peut pas dire ce qu’il voit, ce qu’il sent. Le français manque de mots pour
beaucoup de ses outils, etc. Comment traduire : rilha, fulhas, pica-prat, pouda... ? Comment dit-on : estranujar, essirbar, foueirer, afournelar,
abrajar, acounelar ? Comment appelle-t-on : la fourna, lou rueul, lou palhassou,la palhasseta, lou tinau, lou
pelau, la sesta, la coudieira, la barja, lou counoul, la bourouda, lou zalou ? » [ signalons ici que le terme la
« fourna » ou « forna » est en rapport avec la
fabrication du pain puisqu’il s’agit de la pelle plate permettant d’enfourner
le pain dans le four, et que ce terme a donc dû être employé au Mons... aux
abords du four des… Dufour ! ]. « Le problème ne fut résolu
que quand les actes ou les objets ainsi décrits... disparurent ! »,
constate tragiquement Weber [ 2 ]. La fin des terroirs ! La fin
d’une civilisation rurale... Le « français » préfère
interpréter plutôt que décrire la réalité, exprimer des idées plutôt que
raconter des faits… Je signale la correspondance
« descriptive » de Baptiste Dufaure « l’Occitan » en
date du 27 Février 1862 à propos d’une audience devant le Juge de Paix : « Monsieur le juge lui a demandé (…)
que demander vous à Dufaure il a répondu
je demande (…) il s’est t adressé a
moi que reponder vous Dufaure moi j’ai répondu que moi je (…) » …
Cette rédaction est caractéristique d’une relation « littérale » de
faits « bruts » sans prise de recul particulière ! Importance
surdimensionnée donnée aux « faits » plutôt qu’aux
« idées » ! Il est clair que le français
conduit celui qui l’emploie à attribuer moins d’importance au « Comment » des choses, des actes ou
des évènements, qu’à leur « Pourquoi ».
« Un outillage culturel qui
consacre le triomphe des mots sur les choses convient certainement à une
société dans laquelle la nécessité et l’expérience immédiate jouent un rôle
secondaire ou à un monde qui a appris à ajuster ses idées à ce mode de
pensée... [ 2 ] Le langage est une technique pour
maîtriser la réalité… Les dialectes locaux avaient
maîtrisé le monde quotidien de l’expérience paysanne, l’avaient personnifié
dans ses détails... Quand le parler urbain évinça les dialectes, le familier
devint étranger. Le nouveau vocabulaire était plus abstrait. Les valeurs et les
idées qu'il véhiculait étaient plus extérieures ou plus distantes. Il fallait
faire un effort intellectuel pour établir le contact avec les objets ou les
expériences [ 2 ]. « A présent », écrivait le Père Gorse dans sa Corrèze profonde
de la fin du XIXème Siècle, « le paysan n’a plus de langage pour le
servir. Il a désappris le patois; il manque même de mots pour exprimer sa
pensée et quand il les emploie, c’est de façon absurde. Il ne sait pas ce
qu’ils désignent. Le français dans lequel il a été brutalement jeté (…) lui a fait
oublier sa langue Limousine mais ne pénètre pas jusqu’à lui... » [ 2 ]. Et l’abbé Gorse de
conclure : « Je ne vois rien d’embarrassé et de grotesque comme
un paysan parlant Français. C’est bien pour cause. Les trois quarts du temps
les mots lui manqueront pour dire sa pensée, et si on veut, à tout prix,
faire franciser en nos villages qu’on commence par créer des mots comme pour
chacune de nos inventions modernes ». (…) « Parler français à la
campagne. Oh ! Pourquoi donc ? Vous laissez bien au paysan ses
champs et ses terres, ses bœufs et ses vaches, sa bêche et sa faulx, ses sueurs
et ses travaux ; laissez lui sa langue. Vous respectez son large
chapeau, ses sabots pointus, et sa veste étriquée ; respectez son
langage. Il est encore plus vénérable que tous les oripeaux de laine qui le
couvrent, et il a traversé plus de siècles ; il lui tient plus au cœur
encore que ses champs et ses bœufs : cette langue limousine, c’est son
âme, c’est sa vie ! C’est une mère » ! [ 28 ] Même si les notables de la
génération d’Elie Dufaure ont été de fervents artisans et partisans de la
propagation du français dans la société rurale, Maître Dufaure entretenait
toujours et néanmoins des rapports trés prononcés « d’estime » pour
la « langue Limousine » ! L’IDIOME
LIMOUSIN : ELIE ET LE « PATOIS » COMME LANGUE
« SAVANTE »… Si Elie Dufaure demandait « en
grâce » à son frère Baptiste de s’exprimer régulièrement en français
pour progresser le plus possible dans la maîtrise de cette langue qui allait
devenir « dominante » dans le pays, de manière inéluctable, ce serait
une erreur d’en tirer la conclusion hâtive d’un quelconque
« reniement » par Elie Dufaure de « l’idiome Limousin »
! Elie écrivait en effet, vers
1853-1854, dans sa « Notice » :
« L’idiome patois du Bas Limousin
est en quelque sorte un mélange de Latin, de Grec, d’Italien et de Français,
mais où l’Italien, avec la prononciation qu’il entraîne, domine. C’est que,
d’une part la civilisation Hellénique pénétra dans le Limousin quand Massilia,
la belle fille Phocéenne, fut devenue la Reine du Midi. Ses marchands (…) traversent le Bas Limousin pour entrer dans
l’Avernie apprenant aux populations dans leurs fréquents voyages, la culture et
le commerce (…). Les Lemovici (…)
firent un premier pas dans la
civilisation grecque et essayèrent leurs lèvres à la prononciation de cette
belle langue, dont tant de mots sont restés dans le Pays. D’autre part, le Bas
Limousin, entra, quoique d’une manière incomplète dans la grande unité
politique des Césars. La langue Latine fut le lien qui après moins de deux
siècles d’occupation réunit, là comme partout, sous le même joug, les tribus
dispersées des indigènes (…) »... Elie Dufaure est donc bien loin
de considérer « son Patois » comme une langue « vulgaire »
! … Mieux, il en souligne presque, avec une évidente fierté, son caractère de
« langue savante » !!! « Dante dit avoir songé, un
moment, à écrire « la Divine Comédie » en langue Limousine :
c’est qu’il était très sensible comme tous les beaux esprits de son temps, de
l’Italie à l’Espagne, au rayonnement de la poésie courtoise des troubadours
Limousins », affirme pour sa part Clancier. Mais « avec la Croisade
des Albigeois s’achève la civilisation de Langue d’Oc », poursuit-il, et
« dorénavant la langue Limousine sera considérée avec mépris, par les
héritiers des vainqueurs, comme un patois. Chose beaucoup plus grave, cette
opinion mensongère sera tantôt sournoisement, tantôt autoritairement, inculquée
aux Limousins eux mêmes... » [ 5 ]. Elie Dufaure, pour sa part, voit
aussi dans la langue Limousine une langue « pleine de ressources et de génie » ! C’est dire son estime !!! « L’opinion
mensongère » inculquée, selon Clancier, dans les esprits n’a pas eu de
prise réelle sur l’avocat lettré !!! Ainsi Elie Dufaure d’écrire dans
sa « Notice » : « Notre langue Limousine pleine de ressources
et de génie qui avait l’honneur d’être employée par les auteurs de la gaie
science alors qu’ils chantaient les belles châtelaines de Gimel et de
Ventadour, tout en poussant les chevaliers à la guerre (...) » ... C’est un fait que le Midi de la
France a connu, avant le Nord, les douceurs d’une civilisation « plus
aimable ». Jouissant d’un climat moins rude et d’une vie moins
belliqueuse, initiés par les Croisades aux splendeurs Orientales, les seigneurs
du Midi s’habituèrent à une vie plus douce dans un cadre luxueux, où la femme
occupait une place importante. Ils attiraient à eux les artistes et eux mêmes
furent poètes ou troubadours ... Les principaux de ces poètes furent Jaufré
Rudel, Bertran de Born, Raimbaut de Vaqueyras, Bernard de Ventadour et Giraut
de Borneil, à qui certains attribuent la paternité lointaine du sonnet. Leurs
œuvres souvent lyriques chantent le printemps, les fleurs, l’amour heureux,
l’amour lointain, l’amour perdu... » [ 35 ]. « Oui la langue limousine,
si méconnue à cette heure, surtout chez elle, fit battre le cœur, au temps
jadis de quiconque pensait, étudiait, aspirait à la civilisation. La langue
limousine fut la langue savante des papes, des rois, des chevaliers, des
philosophes, des chevaliers, des dames. (…) Dante Alighieri pensa écrire en
langue limousine sa divina commedia. François Pétrarque, secrétaire de Clement
VI, savait par cœur nos troubadours. Des pages entières du triomphe d’amour
sont traduites de Gaulcem Faidit, le troubadour d’Uzerche » rappelait en
1895 Joseph Roux dans sa « Grammaire Limousine » [ 36 ] La langue Limousine possède donc
incontestablement ses quartiers de Noblesse ! Dès lors Elie Dufaure ne forme
absolument aucun complexe et il n’hésite pas à l’employer, dans de courtes
citations, ici et là, à plusieurs reprises dans ses écrits ! Pour dire de quelqu’un qu’il est
un « vieux blagueur » par exemple, il signale qu’en référence à
l’historien Briviste Baluze, « on dit « co ei hum vier Baluzo », locution qu’il traduit pour nous :
« ce est ( c’est ) un vieux Baluze »... Pour évoquer son grand père,
autre Elie Dufaure, il précise qu’on ne le désignait que par ces mots « Lou vier Gimel » et qu’une
réflexion locale échangée dans son dos le faisait passer « pour avoir une poule qui lui pondait des
Louis d’or » : « Lou vier
Gimel o uno pouletto qué ly pound d’aous louis d'or », voilà le dicton populaire... » Elie traque aussi l’étymologie du
patronyme « Gimel »... « Examinez le bien, en effet, et vous reconnaîtrez que sa physionomie
n’est ni latine ni française, à proprement parler mais toute locale : dans
l’idiome du Bas Limousin l’on se sert du verbe Gimar ( prononcer Dgimar ), pour
peindre la douleur prolongée. « Qué dgimas ? », dit-on à l’enfant qui
pleure longtemps pour l’interroger sur sa peine et pour désigner celui qu’en
français l’on ne peut appeler gémisseur qu’en faisant un néologisme, dans la
langue Limousine on s’écrie « quar ou cal d’gimaire ! »... [ Transcrivant ce passage je
songe à l’adjectif français « Geignard » daté de…
« 1867 » par le Dictionnaire« le Petit Robert ».
Elie avait donc effectivement besoin de créer un « néologisme » tel ce « gémisseur » ! … « Geignard : « qui se lamente à tout propos », nous est donné pour venir du
verbe « Geindre » issu du
latin « Gemere » ... [ 31 ]
] Elie Dufaure évoque aussi le
« patois Limousin » à l’occasion de l’exégèse de textes d’actes juridiques anciens à laquelle il
s’essaye... « Vous venez de voir que le latin dit : « Margarita
Chastaneta », le patois dit « La Tchastaneta », pour désigner la
femme de Chastanet » (...) « C’est ce diminutif latin qui a passé dans notre langue »
[ Je me permet de souligner cette marque déclarative de possession employée par
Elie Dufaure une seconde fois ! ] … SE DEFAIRE DES « GASCONISMES »… ET DES « LIMOUSINISMES »… Dans les correspondances d’Elie
Dufaure je retrouve des termes locaux, comme ceux de « gerle » ou « gourgue », employés sciemment ou
non ( ? ), ou pour le moins pour se faire bien comprendre de son interlocuteur
de frère, Baptiste ( qui pourrait être dérouté par des termes plus
« savants » en ce qu’ils seraient en pure « langue
française » ! ), ou aussi, peut être, par fidélité personnelle à ses
racines locales ! Dans une correspondance datée du
9 Janvier 1857 adressée à sa soeur Françoise, je relève à propos de l’achat
d’un cheval [ destiné au travail domestique ] : « Je l’ai acheté pour moi & pour vous autres. Pour personne plus »...
« Personne plus » : voilà bien un « Limousinisme »
! Est-il employé dans cette
correspondance de manière tout à fait volontaire pour bien faire comprendre le
caractère impératif de la volonté ferme qu’exprime avec toute son autorité
Maître Dufaure ? Peut être ! … Ou serait-ce seulement la marque
d’une spontanéité naturelle d’expression, la correspondance privée ne
nécessitant pas pour Elie les mêmes obligations de « contrôle
cérébral » que les écrits qu’il produit dans le domaine professionnel ou
les plaidoiries qu’il prononce devant la Cour… « L’Ecolier Corrézien » commande, « quant à lui » [ et
non « tant qu’a lui » !
] de ne pas dire « plus peu » mais « moins », et non
pas « jamais plus » mais « jamais » ... et il livre
bien d’autres recommandations pour un « pur langage en français » ! [
16 ]. Dans un ouvrage intitulé « Dictionnaire
du Patois du Bas-Limousin des environs de Tulle », publié de manière
posthume en 1823, le Tulliste Nicolas Béronie ( 1742 – 1820 )
écrivait : « On trouvera dans le Dictionnaire Patois ces
expressions naïves, riches, souvent énergiques de cet Idiome si méprisé,
et proscrit avec raison par ceux qui président à l’éducation de la jeunesse,
parce que les jeunes gens familiarisés, dès leur enfance, avec ce langage, ne
peuvent que difficilement se défaire des Gasconismes qu’ils ont sucés
avec le lait » ! [ 33 ] Georges Emmanuel Clancier écrit
aussi : « loin de nous l’idée de déplorer, au cours du XIXème Siècle,
à la suite du Jacobinisme et de la Révolution (…) l’extension, par
l’enseignement, du français à l’ensemble des Provinces de l'hexagone (...). (…) Ce qu’on peut déplorer c’est
qu’au siècle dernier et au début de celui-ci [ le Vingtième ! ] on n’ait pas
donné pour mission aux instituteurs de respecter la langue Limousine tout en
enseignant le français : l’histoire de leur langue maternelle et de leur
Province n’eût pas empêché les écoliers d’apprendre leur passé et l’histoire de
France » [ 5 ] Noble réflexion ! Mais tout son
intérêt n’émergera que bien tard... et sans doute trop tard ! La querelle entre
l’église et l’Etat ne contribuant pas, elle non plus, à améliorer les rapports
entre la langue française et les patois ! PATOIS ET QUESTION SCOLAIRE... LA LANGUE : UN MOTIF DE
QUERELLE ? Mathieu Alegre, le Maire
d’Allassac, issu d’une famille alliée de celle des Dufaure, durant son mandat a
« favorisé l’enseignement public mais surtout confessionnel en accueillant
en 1856 les sœurs de la Providence de Portieux, qui fondérent à Allassac leur
principal établissement pour la Corrèze et le Lot » [ cet établissement ne
fermera qu’en... 1989 ], puis « les Frères des Ecoles Chrétiennes » [
23 ], dont l’établissement aura pour assise immobilière le « Manoir des
Tours ». « L’Instruction primaire,
bien comprise... est l’union fraternelle du presbytère et de l’école » affirmait
le Recteur Denain en 1862 lors d’une cérémonie... « Le maître n’est en réalité
qu’un auxiliaire mnémotechnique du curé » écrivait aussi Félix Pecaut à la
fin du XIXème Siècle... [ 2 ] Thème amplement ressassé que
celui de la querelle scolaire et de la rivalité des « deux
chapelles », sur lequel il n’entre pas particulièrement dans mon propos de
revenir longuement et en détail(s) ici... Le Breton Jean-Marie Déguignet se
souvient qu’au milieu des années 1840 dans son « pays » des bords de
l’Odet, dans le Finistère, « Il y avait là, à côté de nous, une vieille fille
(...) qui s’était donnée la mission d’apprendre la prière et le catéchisme aux
enfants du village, et même à lire à ceux qui le désiraient ; elle était
payée pour cela car le curé disait tous les dimanches du haut de la chaire une
prière en faveur de celles qui apprenaient les prières et le catéchisme aux
enfants ; mais il ne disait rien pour celles qui apprenaient à lire !
(…). A lire elle ne parvint à l’apprendre qu’à moi seul (…). Je ne sais pas si
dans ses confessions elle racontait au curé toutes les leçons qu’elle nous
donnait en dehors des leçons de catéchisme, et si le curé approuvait sa manière
de faire, peut-être bien »… [ 37 ] Le Français étant « la
langue de la République », doit-on, comme semble le penser Jean Marie
Valade [ Professeur au lycée - public et laïc – Georges Cabanis à Brive ] voir
dans l’attitude du clergé une attitude hostile à cette langue [ le français ! ]
considérée par la hiérarchie de l’église comme une « langue étrangère »
symbolisant la ville, le modernisme et dès lors véhiculant des pensées
nouvelles réputées dangereuses pour les ruraux » au cours du dix neuvième
Siècle ? [ 1 ] Weber constate, lui, que les
prêtres avaient été formés en… français. « Ils estimaient eux aussi
que le français était supérieur au patois de leurs ouailles et beaucoup
auraient préféré le parler » mais « l’église traduisait le contexte
et elle ne le précédait pas ni ne le créait »... « Ce fût seulement quand le
français eut suffisamment progressé et là où il avait progressé seulement que
le clergé s’y rallia... » [ 2 ]. Les réflexions de Weber et de
Valade trouvent, chacune, leurs justifications... Au plus fort de la querelle
scolaire le prêtre était désigné, ou se désignait lui-même, comme un défenseur
du parler local et ceci, tout simplement, pour s’opposer d’abord au français
de... l’instituteur… mais également parce qu’il pensait aider à préserver ainsi
la Foi de la... « subversion progressiste » ! En 1891, les curés qui continuaient
ainsi à prêcher en dialecte « pouvaient
mettre en danger l’unité française » s’inquiétait alors le Ministre de
l’intérieur ! [ 2 ] Or, ironie, c’était un
ecclésiastique, l’Abbé Grégoire, qui, dans un rapport à la Convention un siècle
auparavant, le 4 Février 1794, préconisait la « langue unique »
en écrivant : « On peut uniformiser le langage d’une grande nation, de
manière que tous les citoyens puissent se communiquer leurs pensées »
[ 1 ]. Weber évoque un prêtre du
Limousin qui déclarait tout simplement être obligé de prêcher en patois... s’il
voulait être compris de ses ouailles ! [ 2 ]. Hésitations pour l’église ! Entre
le français et le patois ! Pour tout dire entre un langage « noble et
sacré » et un… dialecte « profane et populaire » ! La langue de la prière, quand ce
n’était pas le latin, était le français ! On parlait français aux gens des
classes supérieures : par conséquent on se devait de le parler quand on
s’adressait à Dieu ou à ses Saints... En 1858 la Vierge qui apparut à
Lourdes à Bernadette Soubirous n’avait pas besoin d’interprète… mais elle jugea
cependant nécessaire de s’adresser à la jeune fille, au moins partiellement,
dans le dialecte Pyrénéen... « Qué
soy éra immaculada conceptiou » [ 38 ]. Bernadette s’était ensuite exprimée
en patois pour raconter ce que la Vierge avait fait et ce qu’elle lui avait
dit... Mais quand une autre fillette traduisit ce récit pour Sœur Damien,
Bernadette fut capable « de corriger vigoureusement ses fautes ». De même quand elle fut interrogée en français par le Procureur Impérial à
propos de sa vision, elle le comprit assez bien quoiqu’elle répondit en patois
! [ 2 ]. La chaire est bien souvent
devenue une forteresse du prêche en patois, mais aussi également le siège des
déclamations dans la langue d’honneur ! A Morieres, près d’Avignon [
Vaucluse ], au « pays des Papes (
… Corréziens ! ) », dès 1820, les villageois qui ne comprenaient pas le
français étaient mécontents quand le curé parlait patois dans son sermon de
première communion… « Cela nous semblait commun, trivial, grotesque, indigne d’une aussi grande solennité »,
se rappelait Agricol Perdiguier [ 2 ]. Marcelle Delpastre évoque pour sa
part son grand père, dans le même ordre d’idée… « Quand il était petit (…)
les enfants n’allaient guère à l’école. Personne ne parlait français ! Mais les
enfants un peu plus grands allaient au catéchisme et de plus grands le leur
faisaient réciter et ainsi mon grand père l’entendait tous les soirs à longueur
de veillées, à longueur d’hivers. Quand l’âge vint pour lui d’y aller :
« - Oui monsieur le curé, mais est-ce que je devrai faire les demandes et
les réponses ? » « Les réponses, mon enfant,
seulement les réponses. Les demandes c’est moi qui les fais ! ». A force de l’entendre il savait
tout par cœur... Ce que cela signifiait : ni lui, ni les
autres... » ! [ 29 ]. « PRECONISATEUR » DU PATOIS EN CHAIRE : MONSEIGNEUR
BERTEAUD Monseigneur Berteaud [ à propos
duquel Elie Dufaure écrivait dans sa « Notice »
: « je l’aime comme on aime les
choses qu’on admire, sans réserve... » ], recommandait avec
insistance, au milieu de son Siècle, aux prêtres de son Diocèse, celui de
Tulle, de recourir à la langue Limousine... « Souvent, il prêchait en
patois ; il croyait être ainsi plus facilement compris. En cela il se
trompait, les paysans l’entendaient mieux en français ; car, s’il aimait
beaucoup le patois, il le savait peu et le parlait mal » estimera l’abbé
Breton [ 39 ], son biographe, qui dirigea le Petit Séminaire de Brive à la fin
du dix-neuvième siècle… « [ Le patois ] c’était, à
l’entendre, la plus belle des langues et l’une des plus anciennes. Dante, quand
il voulut composer la divine comédie, hésita quelque temps entre l’italien et
le limousin ; enfin nos pères parlaient patois lorsqu’ils se battaient pour
Dieu et pour son Eglise. Le patois est gardien de la foi chrétienne ;
tant que « ceux du Limousin » ont parlé la langue de leur berceau,
ils sont restés fidèles à Jésus-Christ »… « Ainsi », poursuivait
l’Abbé Breton, « sa meilleure raison d’aimer le patois, c’est qu’on avait
longtemps prié et chanté les louanges de Dieu dans cet idiome, que les impies
ne s’en étaient pas encore servis pour blasphémer, pour insulter Jésus-Christ .
A cause de cela cette langue lui paraissait plus propre à porter la vérité
divine à l’oreille et à l’âme des simples, « le verbe y rayonne, y éclate,
y rutile » [ 39 ]. Monseigneur Berteaud faisait
« une loi à ses prêtres de prêcher et d’enseigner le catéchisme en
patois. Jusque dans sa cathédrale il y avait des sermons en patois, et
lui-même à certains jours, donnait l’exemple. Il ne tolérait pas qu’on
parlât une autre langue dans les églises de campagne. S’il apprenait par
hasard qu’un de ses curés prêchait en français il le faisait immédiatement
avertir de revenir au patois ; ce prêtre avait commis une faute que
l’Evêque n’oubliait pas ! Le coupable était sûr d’essuyer,
à la première rencontre, une verte semonce… « Ah ! Tu fais le savant, tu
fais le bel esprit, tu regardes le patois comme indigne de toi, tu renies la
langue de ta mère. Allons tu es un imbécile ! Ne sais-tu pas que si Saint Paul
venait prêcher à tes paroissiens, il parlerait patois, car il n’aurait qu’un
souci, de se faire tout à tous, pour les gagner tous à Jésus-Christ.
Allons ! Tu prêcheras désormais en patois, entends-tu ? Je le veux.
Comment donc ! Tu es un bon prêtre, je le sais, tu aimes bien Notre
Seigneur ! Eh bien ! Ne vois tu pas qu’il faut remplir de vérités, de
formules saintes, cette langue que tous tes paroissiens parlent dans leurs
champs, au milieu de leurs travaux ! Ils parlent patois, ils pensent en
patois ; si le dimanche tu leur parles du bon Dieu, de la Sainte Vierge,
des saints, en français, comment veux-tu que dans la semaine ils puissent
« ruminer » les choses que tu leur auras dites, dans une langue qui
n’est pas la leur. Leur esprit restera dépourvu des nobles idées, des douces
images de la foi, tant que la forme qui revêt leur pensée, n’en sera point
pénétrée. Allons ! Tu le vois bien, il faut prêcher en patois pour étendre
le royaume de Jésus-Christ et si tu veux que ta lèvre soit vraiment éloquente,
enrichie de beaux discours, ornée de persuasion » [ 39 ] ... Je me suis longuement interrogé
quant à l’hommage appuyé qu’avait rendu, dans ses écrits, Elie Dufaure à Monseigneur
Berteaud, d’autant plus que je n’avais pas relevé, chez notre avocat, et quand
bien même fut-il un ancien élève du « Petit Séminaire de Brive », un
« cléricalisme » particulièrement prononcé, alors même qu’il avait de
manière évidente « fréquenté », ou plus certainement
« côtoyé », des personnages parmi les plus notoirement
« anti-cléricaux » de leur temps ( tel Adolphe Billault, ou encore le
Prince Napoléon ) ... La volonté de Monseigneur
Berteaud de préconiser l’usage du patois pour que les prêtres locaux puissent
être mieux compris de leurs paroissiens pouvait démontrer à l'évidence un
pragmatisme certain, une forte capacité d’adaptation, et, pour tout dire, une
forme d’intelligence aussi qui devait probablement séduire Elie Dufaure... L’Abbé Breton affirme aussi à
propos de Monseigneur Berteaud que « les paysans lui savaient gré quand
même de leur parler patois, de s’y efforcer du moins : « Monseigneur
n’était pas fier et il leur montrait qu’il les aimait bien » !
[ 39 ] Et l’Abbé Breton de partir sur
des réflexions de linguistique : « Il devait fabriquer beaucoup de
mots et il ne s’en privait pas, mais cela nuisait à la clarté du
discours ; et puis il surchargeait son patois d’images trop neuves et trop
étrangères à cet idiome. Le patois Limousin est comme le paysan qui le
parle, il répugne à la nouveauté ; il est coloré, nuancé, souvent même
d’une texture fine et délicate, mais il est, qu’on nous permette cette
expression, impersonnel ; les proverbes y abondent, les images et les
comparaisons y sont en quelque sorte fixées ; il résiste aux entreprises
des imaginations fortes qui tourmentent la langue et la plient à leurs audaces.
Il est dangereux, pour ne pas dire impossible, de se faire sa langue, en
patois. » [ 39 ] Avant de quitter l’Evêque de
Tulle, et au-delà de sa position à propos de l’usage du patois, l’examen
d’éléments biographiques relatifs à sa personne peut-il apporter quelque autre
explication à l’admiration que lui vouait Elie Dufaure ? Jean Baptiste
Pierre Léonard Berteaud ( 1798 – 1879 ) était natif de Limoges… Il était issu du Grand Séminaire
de cette ville et il avait été ordonné prêtre dès 1821. Professeur au Petit
Séminaire du Dorat, malgré son jeune âge, de 1816 à 1826, il allait s’adonner
ensuite à la prédication et au... journalisme. Il découvrit alors et essaya
d’approfondir la pensée de Lamennais... Jean-Baptiste Berteaud fut nommé
Evêque de Tulle, le 15 Juin 1842, bien qu’il n’ait aucune expérience, ni de
l’activité Diocésaine, ni de l’activité paroissiale... ce qui outre son passé
de Lamenaisien gênait quelque peu le Saint Siège ! Rallié dans un premier à
l’Empire, il s’en détachera après 1859 se trouvant alors en grand désaccord
avec la politique Italienne menée par Napoléon III. Il démissionnera de son siège
Episcopal en 1878 puis mourra en 1879 ! [ 39 ] La trajectoire brillante de
Monseigneur Berteaud et ses choix qui n’en faisaient pas un membre du clergé
totalement inféodé au trône… ni à l’autel d’ailleurs… ne pouvaient que
renforcer son prestige aux yeux de Maître Dufaure, tout comme son adhésion à
des idées alors jugées « progressistes » ! Ainsi, Elie, qui avait côtoyé
parfois des anti-cléricaux notoires pouvait bien se laisser aller à demander
« en grâce » ( expression à forte connotation religieuse ! ) à
son frère Baptiste de s’exprimer en français, tout en surveillant dans le même
temps que Bertrand « soignait » lui aussi son instruction pour
combler les lacunes de sa formation initiale ! « SOIGNER MON INSTRUCTION THEORIQUE » : UNE
FORMATION « ADULTE »… Les correspondances de Bertrand
Dufaure ont une « composition » beaucoup plus académique que celles
de Baptiste. Elles sont écrites dans un français très « correct », où
les fautes d’orthographe et de syntaxe, certes sans être totalement absentes,
sont bien moins nombreuses que s’agissant des écrits de Baptiste... { J’avais songé, un instant,
consacrer quelque développement à l’étude des fautes d’orthographe de
Baptiste... J’y ai rapidement renoncé… celles-ci étant non seulement trop
nombreuses mais aussi trop variées et trop aléatoires puisque un même
substantif pouvait être orthographié différemment par Baptiste dans une même
correspondance et à deux lignes d'intervalle à peine ! }. Si Bertrand, jeune adulte,
ressent la nécessité de parfaire sa formation initiale, c’est dans la
perspective principalement d’assurer sa promotion sociale... Alors qu’il est militaire engagé
il écrit à son frère Elie, le 28 Décembre 1855 : « Tu me dis que mon Capitaine te recommande de
bien soigner mon instruction théorique et que la meilleure manière de faire mon
avancement serait d’entrer dans la comptabilité. C’est un effort trop grand
pour mon intelligence. Tu dois savoir qu’à vingt cinq ans d’âge on apprends
moins vite qu’à 15 ou 16 ans. Surtout pour la comptabilité ou il faut posséder
les 1ères notions de sa langue et avoir une écriture passable (…). Soit persuadé d’une chose c’est que je
connais que trop bien les connaissances que je possède en fait d'instruction »
! Bertrand Dufaure apparaît
sceptique sur ses capacités intellectuelles, l’âge adulte étant venu ! Le cadet
ne s’estime pas suffisamment « armé » sur le plan de
« l’instruction » ... Il considère que « pour la comptabilité
il faut posséder les 1ères notions de sa langue ». De ces premières
notions, Bertrand ne m’en apparaît pourtant pas si éloigné que cela ! Mais
peut-être en fait « intellectuellement » se sent-il trop souvent
« obligé de penser d’abord en patois » ? Ce handicap linguistique, réel ou
supposé, rendait-il ses « apprentissages théoriques » plus délicats ?
Notons à cette époque que « l’arithmétique n’était enseignée qu’en
français ! » [ 2 ]. Il fallait donc maîtriser
parfaitement la « technique » de la langue et celles des
mathématiques pour faire un… comptable compétent ! Le « Cavalier »
Bertrand est-il « désarçonné » en rencontrant un « corpus »
de substantifs dont il ignore la signification, en se confrontant à tout un
vocabulaire nouveau pour lui ? A cette époque, les innovations
techniques et agricoles, les changements dans l’habillement, l’ameublement,
l’équipement, les rapports avec l’Administration, les maladies les plus
récemment identifiées, ne sont exprimées qu’en des termes nouveaux créés en…
français ! Et c’est vrai aussi dans tous les
domaines de la vie morale et intellectuelle... [ 2 ]. « Dans le patois
Auvergnat », expose Weber, « il n’y avait aucun mot pour désigner le
poète, le musicien, le peintre ou l’artiste. Certes, il y avait des termes
fonctionnels pour désigner les hommes qui jouaient de la musique avec un certain
type d’instrument, mais il n’y avait aucun moyen ( mais aussi aucun besoin ! )
de s’occuper de l’art sur un plan plus abstrait » ! [ 2 ] Elie Dufaure a obtenu son
Doctorat d’Etat en Droit en 1850, à l’âge de 26 ans ! Si Bertrand affirme qu’à
« vingt cinq ans d’âge on apprends
plus difficilement qu’à 15 ou 16 ans », l’argumentation du cadet doit
paraître à l’aîné un peu légère et guère recevable ! Elie demeure d’ailleurs
très attentif à ce que Bertrand puisse parfaire sa formation... mais aussi,
avec une attention également soutenue, il veille à ce que Baptiste, qui est âgé
alors de 28 ans, puisse parler régulièrement français « avec M. Dagot » [ Est ce un
instituteur d’Allassac ? une personne « dévouée » ? Un philanthrope
se flattant d’élever le niveau de ses concitoyens ? Ou plutôt un
« commerçant du savoir », non désintéressé et qu’Elie payera
« ce qu’il faudra » ? Baptiste et Bertrand Dufaure sont
donc concernés directement par un concept qui ne s’appelle pas encore la
« Formation Professionnelle Adulte » ou la « Formation
Continue », lequel concept connaîtra de beaux jours un siècle et demi plus
tard, pour remédier aux « lacunes » du système éducatif initial,
pallier les aléas d’une conjoncture économique demeurant toujours... délicate
ou « recycler » les salariés ! Il faut fournir un véritable
effort intellectuel dans les « cours du soir » après sa journée de
travail, au point d’être « rompu », comme Baptiste peut l’être
lorsqu’il « fini sa lettre en
dormant » [ 24 Avril 1861 ], et il faut aussi se préoccuper, comme Bertrand,
de trouver de l’argent pour payer « la bougie » qu’on use en même
temps que ses yeux ! Nadaud, qui embrasse l’état de
maçon dans la journée, mais qui a surtout « le désir de s’instruire »
se dit « obligé de chercher une école payante afin de pouvoir faire des
progrès plus rapides » [ 17 ]… « J’avais bien conscience de
mon ignorance relativement aux règles de la grammaire, et mon maître en
corrigeant mes dictées me le faisait assez savoir (…). Ce n’est pas la règle
des participes, me disais-je, dont je n’aurai peut-être jamais besoin, pas plus
que l’analyse des phrases qu’il m’importe le plus de savoir, ce qui m’est utile
et immédiatement nécessaire, c’est d’acquérir des connaissances et d’apprendre
à raisonner sur des choses de mon métier. Donc un peu de dessin, de toisé, de
coupe de pierres et de géométrie. Voilà l’important pour moi ! » [ 17
]. Mais il faut aussi à Nadaud
assurer son quotidien et payer les dettes de sa famille… Martin Nadaud va donc dispenser son
savoir à d’autres ouvriers maçons contre une modeste rétribution… « Mais lorsque je
réfléchissais au surcroît de travail qui allait m’incomber je ne me sentais pas
très rassuré. Se lever à 5 heures du matin, écraser du plâtre jusqu’à 6 heures
du soir, revenir du chantier à la course, manger la soupe du garni chez
l’ancien suisse de l’église Saint Gervais où demeurait mon père, se remettre à
l’œuvre en entrant chez soi jusqu’à 11 heures du soir. Pourrai-je y tenir, mes
forces me soutiendront-elles longtemps » ? [ 17 ] « Ce moyen d’instruire les
autres me parait bon aussi pour m’instruire moi-même (…). L’instruction
fera de moi un homme différent de ce que j’aurais été si j’avais passé mes
soirées à baguenauder de côté et d’autre » se rassure cependant le
Creusois ! « j’eus l’occasion »,
écrira Nadaud plus tard, « de remarquer qu’au point de vue du zèle et
de l’application la comparaison n’est pas admissible entre les élèves des
premières années et les adultes. Chez ces derniers, la force d’âme, l’assiduité,
la supériorité du courage qui amène l’homme à dire « Je veux et ce
sera » lui font faire parfois des choses réellement surprenantes et
merveilleuses » [ 17 ]. DEPUIS LE PATOIS ENTENDU DANS UN BERCEAU ALLASSACOIS... « Les premiers sons qui
frappent l’oreille des enfants sont patois, leurs premiers accents le sont
aussi. C’est en patois qu’ils jouent entre eux à la sortie du berceau. Comment
oublier ce langage sans effacer de sa mémoire les jeux, les plaisirs de
l’enfance, le plus beau temps de sa vie ? », écrivait Deville, au début du
XIXème Siècle, à propos de la Bigorre [ 2 ] ... Cela est bien dur aussi,
assurément, en Limousin, pour l’enfant d’oublier les premiers
« échos » de la langue maternelle ! A tel point que l’Inspecteur
d’Académie dans son « Rapport sur la
situation de l’enseignement dans le Département de la Corrèze » pour
l’année scolaire « 1895-1896 » constatera, encore, que « l’étude
de la langue présente dans les écoles de campagne de grandes difficultés à
cause du patois qui est l’idiome de la famille (…). Beaucoup d’enfants
ne savent pas un mot de français en arrivant à l’école (…). Il est
nécessaire que les maîtres exigent l’emploi exclusif du français dans la classe
et pendant les récréations, et qu’ils fassent parler les enfants le plus
possible (…) » [ 1 ]. Rude tâche tant il est vrai que
« le patois çà s’apprend tout seul, sans se cogner le nez dans les
livres ; vous n’avez qu’à écouter les anciens qui ont des mots et des
dires trop jolis » comme l’affirmait un « compatriote écrivain »
cité par Coissac… [ 28 ] « Faire parler »
Baptiste en « français », encourager Bertrand à soigner son
instruction, voilà quelques uns des objectifs prioritaires qu'Elie Dufaure
semblait s’être assigné... sans même pouvoir supposer à l’époque, que bien des
années plus tard, le « Manoir des Tours » ou « Manoir
Del Faure lès Allassac » [ 23 ], dont l’avocat était parvenu à devenir
propriétaire, accueillerait, dans le village d’Allassac même, un établissement
d’enseignement qui serait dirigé par les « Frères des Ecoles
Chrétiennes », et que plusieurs « enfants de la famille », dans
des générations postérieures à la sienne, y
recevraient leurs premiers rudiments d’instruction... Ses neveux Gabriel et Joseph
Dufour, puis ensuite, deux générations plus tard, les Suzanne, Roger ou
Madeleine… enfants ou arrière-petits enfants de sa sœur Françoise, écoliers
sous cette Troisième République qui se situe à cheval sur deux siècles… jusque
dans les « années trente ». Avant eux, Elie Dufaure avait eu
lui aussi la chance de pouvoir prendre du recul vis à vis du patois, de pouvoir
apprendre à maîtriser la langue française, un facteur certain d’enrichissement
culturel quoi qu’on puisse en penser... De plus, Elie Dufaure avait
également pu étudier la langue latine... mais aussi la langue grecque... et
même une langue vivante – ou ses rudiments - … « l’allemand », si
l’on s’en réfère au palmarès des prix du « Petit Séminaire de Brive »
de 1842 ! …JUSQU’AU « FRANCAIS LITTERAIRE » DU QUARTIER DE
L’ODEON Chaque fois qu’il m’en est laissé
le loisir, lorsque je suis de passage à Paris, je ne manque pas de me rendre au
« Quartier Latin », et plus particulièrement aux environs de la
« Place de l’Odéon »... Je débouche fréquemment de la
station de Métro « Odéon » sur le « Boulevard St Germain »,
celui dont Denis Tillinac regrette qu’il « sépare indûment deux régions
d’une même patrie littéraire » [ 40 ]. D’un côté naît la « Rue
de l’Ancienne Comédie » où résida un temps Elie Dufaure ( et par
laquelle on peut gagner la « Rue Dauphine » ) lorsque, en
1848-1849, il était le « voisin » et le condisciple à la faculté d’un
certain… Jules Verne ! Le splendide « Passage du
Commerce St André » lui est parallèle, sur lequel donne l’arrière du
« Café Procope » où « les beaux esprits du temps se
donnaient rendez vous ! [ 41 ] L’ombre littéraire des Voltaire,
d’Alembert, Diderot, Crébillon, Rousseau, Beaumarchais... auxquels succédèrent
ensuite plusieurs Révolutionnaires : les Desmoulins, Hébert, Robespierre,
Danton ou encore Marat [ dont l’imprimerie, celle qui tirait « L’Ami du Peuple », se situait au
Numéro « 8 » du Passage… alors que dans un grenier sis non loin le
Docteur Guillotin expérimentait une toute nouvelle « machine » sur
des moutons ! ] plane dans le secteur... Puis vinrent des gens de lettres
- des « belles lettres » - et de verbe : les Musset, Sand,
Coppée, Mallarmé, Gambetta, Hérédia ou autre Verlaine ! [ 41 ] De l’autre côté du « Boulevard St-Germain » on peut
ensuite filer, plus loin, par « l’Ecole de Médecine », jusque vers « la
Sorbonne », puis « l’Ecole de Droit » et atteindre enfin le
« Panthéon »... On peut aussi se cantonner,
uniquement, au secteur particulier de la « Place de l’Odéon », une
place semi-circulaire, créée sur les terrains de l’Hôtel de Condé, qui permet
de distribuer tout un quartier dont les rues percées dans le lotissement de
l’Hôtel ont reçu des noms… d’écrivains : Rue Corneille, Rue Racine, Rue
Molière, Rue Voltaire ( aujourd’hui « Rue Casimir Delavigne » ! ),
Rue Crébillon ! Au numéro « 1 », le
« Café Voltaire » fut fréquenté par les Encyclopédistes... Plus près
de nous dans le temps sa clientèle littéraire comprenait les Barrès, Bourget,
Mallarmé ou autre Verlaine ( encore lui ! ). Plus près de nous encore, mais
dans l’espace cette fois-ci, juste au débouché de la station de Métro « Odéon», se trouve le bar à l’enseigne de
« Danton » que Denis
Tillinac a rendu « célèbre » par son ouvrage titré « Dernier Verre au Danton»... « Dernier verre au Danton.
La bière faisait tourner à l’envers les aiguilles de l’horloge, je croyais voir
Verlaine tituber devant la station de Métro. Il revenait sûrement du
« Procope » qu’on ravalait »... [ 40 ] Ce « Verlaine là »,
c’était ( peut être ! ) Antoine Blondin ( le génial jongleur de mots sur
toutes les gammes de la langue française, le limousin d’adoption… autant que le
buveur invétéré ! ) qui titubait sur le trottoir juste devant « le
Danton »... « Certains matins », se
rappelle Tillinac, « j’allais frapper au 72 de la Rue Mazarine, j’avais
acheté des croissants à l’angle de la Rue Dauphine » [ Elie Dufaure résida
plusieurs années au numéro « 20 » de cette rue ]. Tillinac se
rendait alors chez Antoine Blondin, dont écrit-il les « années parisiennes
auront gravité autour du carrefour de l’Odéon » [ 40 ]. En fait devant le bar « le Danton », c’est surtout la
statue massive du Tribun Révolutionnaire Georges-Jacques Danton ( 1759 1794 )
qui tient la place principale… autant que la vedette incontestée ! Quoi qu’en fait de
« vedettes » on rencontre toujours dans ce quartier, quelque fine
fleur du monde littéraire... Tiens ! Justement ! C’est en
passant devant « le Danton » que je croisai, un beau jour, notre
sémillante « cousine » Régine Deforges, majestueuse et altière...
J’en restais tout à fait coi ! Denis
Tillinac, à ce moment précis, était-il accoudé au comptoir du
« Danton » ? … Peu probable ! Ce n’était guère son heure ! ... « Comptoir du Danton.
J’étais seul (…) je commandais un demi, j’allumais une cigarette, je regardais
la vie passer derrière la vitre, en me demandant pourquoi je faisais semblant
d’être là » [ 40 ] ... Et moi, je regardai passer
Régine Deforges... en « chair » et en os ! Régine Deforges… qui avait tenu
librairie et maison d’édition au 20 de la Rue Dauphine [ Oui !
« chez » Elie ! ]… « La » Deforges, dont le
talent littéraire souvent controversé trouvait régulièrement pour pourfendeur…
Jean Edern Hallier, [ elle écrivait, selon lui, « des livres pour
femmes de chambre, comme disait Stendhal », alors que Maurice Rheims
lui conseillait à son propos et en diplomate : « dis lui qu’elle est
laide, insupportable, bête, que c’est une vieille peau, dis lui ce que tu veux,
mais pas qu’elle n’est pas un écrivain ! » [ 42 ] ] … Régine Deforges, toute flamboyante,
m’impressionnait finalement tout de même moins que le colosse de bronze
immobile devant lequel elle passait : je nomme « Danton » ! Le socle de cette imposante
statue,( du non moins imposant Danton ), érigée en 1889, pour le premier
centenaire de la Révolution Française par la Ville de Paris, porte gravée en
larges caractères cette fameuse phrase du grand Tribun : « Après le pain, l’éducation est le premier
besoin du peuple », avec la référence expresse au discours de l’Aubois
qu’il avait déclamé devant la Convention Nationale le 13 Août 1793 ! ... Doit-on y voir un
« Signe » ? Peut-être ! Dans ce « Quartier
Latin », cœur intellectuel et littéraire de la rive gauche de la Capitale,
Elie Dufaure, ce fils de petit propriétaire vigneron d’Allassac, parvenu par
ses « capacités » dans les sphères élevées de la société de son
temps, ne pouvait pas ne pas mesurer les bienfaits de l’instruction
« poussée » qu'il avait eu la chance, et le bénéfice, de pouvoir
recevoir... comme un privilège ! Elie Dufaure était avec certitude
un habitué de ce quartier « littéraire » et « historique »…
Ayant résidé un temps « Rue de l'Ancienne Comédie » puis
« Rue Dauphine » ... Tiens ! C'est au « 8 »
de la « Rue Garancière » chez les « frères Bisson »
qu’Elie se fera photographier ! La « Rue Garancière »
est située à deux pas du « Palais du Luxembourg » et du
« Théâtre de l’Odéon » [ ancien « Théâtre de France » ],
dont Jean Louis Barrault et Madeleine Renaud feront, jusque en 1968, l’une des
premières scène de Paris [ 41 ], et dont l’occupation au cours des évènements
du fameux mois de Mai deviendra le symbole d’un besoin vital et pressant
d’accès à la « culture », manifesté par des « masses »
ouvrières et étudiantes, alors en « ébullition » ! Le « 8 » de la
« Rue Garancière » deviendra à la fin du XIXème Siècle le siège des…
« Editions Plon »… et le demeurera longtemps… [ Je possède plusieurs ouvrages
du début du Vingtième Siècle, édités par la Maison « Plon-Nourrit &
Cie » , « Rue Garancière », sur la couverture
desquels figurent l’adresse et les « Armes » de la Maison, ainsi que
sa « Devise » fameuse : « Labor Improbus Omnia Vincit »… Autrement dit : « un
travail acharné triomphe de tout », que tel de mes anciens maîtres, Jules
Mielvaque - originaire de la Xaintrie, tout comme Tillinac - se faisait un
« malin plaisir » de faire figurer au bas des sujets de Composition
Latine sans cesse plus ardus qu’il s’évertuait à « concocter » et sur
lesquels, mes camarades et moi, ne pouvions ensuite que nous casser douloureusement
la tête d’abord, les dents ensuite ! … Il parait que c’était cela « la
pédagogie » !!! Placer la barre plus haut que de raison ! ]. Dès lors le « 8 » de la
« Rue Garancière » sera fréquenté par de nombreux auteurs, de
tout style et de tout poil ! … Même par l’auteur Américain de
« polars », Chester Himes, qui raconte dans ses souvenirs « Regrets
sans repentir », « La librairie Plon (…) m’invita aux cérémonies
fêtant la publication du deux centième roman de sa collection « Feux
Croisés » (…), la première cérémonie eût lieu chez M. Maurice Bourdel,
P.D.G., qui vivait dans un grand appartement sous le dôme de sa maison
d’édition, Rue Garancière »... [ 43 ] Ludovine, protagoniste
« libertine » d’une nouvelle de Régine Deforges titrée « Ludovine ou le confessionnal de Saint
Sulpice » [ 44 ], est pour sa part intéressée par les bouquinistes de
ce même quartier… Elle l’apprécie beaucoup car « les écrivains les plus
renommés, comme les plus obscurs, l’ont de tout temps hanté, soit à la
recherche de l'inspiration dans les jardins du Palais du Luxembourg tout
proches, ou manuscrits sous le bras en quête d’un éditeur ». Ladite Ludovine, « remonte
la Rue Garancière et passe devant les Editions Plon qui publient avec un
égal bonheur le Général de Gaulle et Gérard de Villiers (…) »… mais
bientôt elle se retrouve en train de « forniquer » dans le
confessionnal de Saint Sulpice, [ « Hypocrite lecteur, mon semblable,
mon frère... » [ 44 ] ], avec un inconnu… puis ils sortent ensemble de
l’église : « au bas des marches ils se disent adieu et s’en vont, lui vers
Montparnasse, elle vers l’Odeon » ( ! ) [ 44 ] . D’où veniez vous ? Où alliez
vous, Régine, le jour de « notre » rencontre ? Veniez vous du
« confesionnal de Saint-Sulpice » ? A quoi songiez vous ?... Et vous Maître Dufaure à quoi
songiez vous, en arpentant les rues de ce quartier, au cœur profond du Paris
lettré et savant ? Ce « Paris lettré et
savant », le « voyageur curieux » Charles Auberive [ 45 ] le
décrit ainsi : « Paris est le rendez vous de tous les hommes qui dans
quelque genre que ce soit, ont cultivé avec passion le champ immense des
connaissances humaines (...). Paris est une ville exceptionnelle. Vous pouvez
dire sans hyperbole qu’à chaque angle de ses rues vous coudoyez le génie
(…) » ... Bigre ! « Ce n’est pas que Paris
enfante tous ces hommes. Ces rudes travailleurs de la pensée ne sont pas nés,
pour l’ordinaire, au sein de la ville heureuse. Presque tous sont sortis de l’obscurité de la Province » !!!
[ 45 ] L’obscurité de la
Province ??? Allassac, un bourg « obscur » ? De quoi vexer Elie
Dufaure ! La lumière intellectuelle
s’accommode-t-elle de la lumière naturelle ? Quand il « peine » sur
les coteaux ensoleillés du « Mordon » qui « tremblent sous
Juillet », Baptiste préférerait sûrement y trouver un peu plus d’obscurité
et d’ombre ! Quant à Bertrand, il en va de même, dans le « bled »
durant la journée, par contre le soir la lueur de la bougie est bien faible
pour ses yeux ! En fait d'obscurité, en ces
temps, le terme serait plutôt approprié pour… la ville de Paris… s’agissant des
ruelles étroites, d’une Capitale non encore « aérée » ni
« remaniée » par les chantiers du Préfet Haussmann ! Selon Auberive, « C’est dans
le silence des petites cités, dans la vie des champs, dans la contemplation
solitaire de la nature que les hommes ont fait grandir en eux le talent et
fécondé leur intelligence. Mais ils ont
compris que Paris seul donne la célébrité (…). Tous ne réussissent pas. Car
là aussi il faut les chances, souvent même l’habileté. Et l’on sait que
celle-ci n’est pas toujours la compagne, même des talents les plus éminents.
Mais (…) tous ont formé ce faisceau puissant de l’homme d’élite [ « Elite » ! le mot est lâché ! ] dont est
fière une grande Nation » ! [ 45 ]. « Elite ? » … Et vous,
Maître Dufaure, qu’en pensiez vous en arpentant ce quartier emblématique du
« Paris lettré et savant » ? Pensiez vous au chemin que vous
aviez parcouru depuis le « patois » entendu dans le berceau… jusqu’à
la maîtrise de la langue française « châtiée » des beaux hôtels
particuliers du Boulevard Saint Germain ou celle des manuscrits des
« grands auteurs » publiés par les meilleurs éditeurs des abords de
la Place de l’Odéon ? Pensiez vous encore à vos frères en flânant ? … Ou
alors à vos manuscrits confiés pour impression à Versailles à l’imprimeur
éditeur « Dufaure de la Prade » ? Il est vrai – heureusement - que
l’excellence qui pouvait être témoignée dans la maîtrise de la langue française
la plus « noble » et la plus « pure » n’empêchait nullement
les beaux esprits de s’intéresser de manière « savante »… aussi bien
que « romantique » ou « politique »… aux idiomes populaires
locaux ainsi que William Bonaparte-Wyse et les « Félibriges »
commençaient à le faire avec la langue provençale ! « La granda reneissença dou Felibrige », un mouvement nouveau,
venait d’émerger !!! DU « FELIBRIGE »… ET DES FELIBRES… Quand l’on évoque, aujourd’hui,
l’histoire de la « rivalité », voire des « combats », qui
opposèrent la « langue française » aux « langues
régionales », il est toujours de « bon ton » d’évoquer à cette
occasion le « mouvement félibrige »… Je ne pouvais, de mon coté,
échapper à cette évocation… mais si j’ai décidé de le faire ici c’est cependant
moins par souci de pur conformisme intellectuel que du fait que, parmi les
grandes « figures historiques » marquantes de ce mouvement, on
rencontre immanquablement à la fois le Corrézien Joseph Roux, ( cadet de
dix ans d’Elie Dufaure, et ancien élève comme lui du Petit Séminaire de Brive
), et « l’Irlandais » William Bonaparte-Wyse… Or il s’avère que j’ai pu établir
qu’Elie Dufaure avait quelques relations, directes ou indirectes, avec cette
famille « Bonaparte-Wyse »… Nous restons donc ainsi bien au
cœur de notre sujet… tout autant que la période analysée !!! … Signalons aussi, pour confirmer
la proximité des deux personnages, que dans plusieurs numéros de la « Revue
des Langues Romanes » [ 46 ] , un périodique dont la publication
s’étendra de 1871 à 1939, on rencontre souvent, imprimées à seulement quelques
pages de distance, des contributions signées par William Bonaparte-Wyse et
Joseph Roux… Ainsi que le rappelait, dans une conférence qu’il
donnait en 1905, Paul Ruat ( qui deviendra « majoral » du
mouvement félibrige en 1918 ) : « Le « Félibrige » est une
association littéraire, fondée le 21 mai 1854, au château de Fontségugne, près
de Gadagne par sept jeunes poètes qui avaient noms : Théodore Aubanel,
Jean Brunet, Anselme Mathieu, Frédéric Mistral, Joseph Roumanille,
Alphonse Tavan et Joseph Giéra, amphitryon. Ils se réunirent en un banquet
d’amis pour la « restauration de la langue provençale. Au dessert, on posa
les bases de cette association et on adopta le titre pour désigner les
adeptes…Ce titre fut, trouvé dans une poésie légendaire que Mistral
avait recueillie à Maillane, poésie où il est question « di sèt félibre
de la lèi », c’est-à-dire « Amis du Beau », et qui se
récitait encore en guise de prière dans certaines familles du peuple. Le mot
« Félibre » fut acclamé par les sept convives, et « l’Armana
Prouvençau », organe de la nouvelle école, qui parut pour la première
fois en 1855, annonça à la Provence, au Midi et… au monde, que les rénovateurs
de la langue provençale s’intitulaient « Félibres » [ 47 ] … Le « Félibrige » qui n'était au début
qu’une réunion d’amis parlant, chantant et écrivant en provençal reçu des
adhésions venant de pays plus «éloignés » comme la Suède, la Finlande, le
Canada, la Roumanie, et celles de personnalités plus ou moins célèbres comme le
prince William Bonaparte-Wyse ou Don Pedro, empereur du Brésil » [
47 ]. Le Félibrige, mouvement naissant, va dès lors
perpétuellement osciller dans sa nature entre les différents caractères qui
sont ceux de « mouvement littéraire », « mouvement
politique », « mouvement religieux » ou de « mouvement philosophique »… Philippe Martel, dans « Les Lieux de Mémoire »,
ouvrage collectif dont la rédaction été placée sous la direction de Pierre
Nora, analyse ainsi la dénomination du mouvement : « le Félibrige », « les
félibres ». Magnifique trouvaille : le mot ne veut en lui-même
strictement rien dire - il ne peut donc désigner d’autre réalité que ce qu’en
feront ceux qui s’en prévalent. Son côté mystérieux constitue un attrait
supplémentaire (…). le Félibrige, ce n’est pas seulement une trouvaille
publicitaire. C’est aussi un projet, rénover la littérature d’oc, pour en faire
une littérature à part entière. Bien sûr, ce projet commun recouvre quelques
divergences : pour Roumanille, polémiste Légitimiste à ses heures, rendre sa
dignité à la littérature d’oc signifie exclusivement en faire l’outil épuré de
l’évangélisation du bon peuple occitanophone. Pour Aubanel - tout catholique
qu’il soit en sa qualité d’héritier du titre d’imprimeur du pape - ou pour
Mistral, jeune quarante-huitard aux convictions religieuses vacillantes, la
question est ailleurs. II s’agit de faire du « provençal », puisque c’est cette
forme d’occitan qu’ils pratiquent, un outil de création moderne » [ 48 ] En 1859, Frédéric Mistral, en vrai leader du groupe,
frappe un grand coup : il publie un long poème épique, « Mirèio »
- « Mireille », qui connaît un grand retentissement. En apparence
l’histoire de deux adolescents dont l’amour est contrarié parle de convenances
sociales… Mais « Mirèio » c’est beaucoup plus que
cela : la reconquête, par une oeuvre de longue haleine, d’un registre
littéraire prestigieux, délaissé depuis des siècles par l’écrit d’oc au profit
de genres plus « familiers »… La publication est saluée par le monde entier, et
souvent considéré comme un chef-d’oeuvre, parmi les plus authentiques depuis
les grandes tragédies gréco-romaines… Un plus tard, l’adaptation lyrique de
Charles Gounod, fera de « Mireille » un véritable
« monument mondial ». Sept années après, Frédéric Mistral écrit « Calendal »,
dans lequel apparaît la farouche volonté d’indépendance des provençaux… Pour Philippe Martel, qui analyse la pensée politique
de Mistral, celui-ci « certes, ne va pas jusqu’à prophétiser la séparation
d’avec les États, France et Espagne, qui se partagent les restes des alliés de
1213, pour ménager les sentiments d’éventuels lecteurs policiers ( sous le
second Empire il convenait de prendre quelques précautions ). Mais aussi et
surtout parce que, dans son esprit, le lien avec la France, hérité du Moyen Âge
et rénové par un quatre-vingt-neuf auquel il reste alors fidèle, ne saurait
être mis en cause. Le séparatisme étant impossible, il reste une solution
inédite, le fédéralisme européen » [ 48 ]. UNE « PHILOSOPHIE POLITIQUE » ? … « Ce système, on en
devine vaguement les contours », ajoute Martel, « dans certaines des
lettres qu'il adresse à un correspondant inattendu, William Bonaparte Wyse,
descendant de Lucien Bonaparte et d’une famille de landlords irlandais, voyageur
attentif aux revendications des minorités, à l’exception notable des Irlandais
eux-mêmes, et enthousiaste d’une langue d’oc qu’il s’essaie d’ailleurs à
écrire » [ 48 ]. A ce confident étranger aux
complexes provinciaux, Mistral peut ainsi écrire en 1865 : « Si le cœur de
nos vaillants amis avait battu à l’unisson du mien sur la question provençale,
nous aurions peut-être accompli quelque chose (…). Nous aurions préparé,
accéléré, le mouvement fédératif qui est dans l’avenir. Non que j’aie l’idée
niaise de rêver une séparation avec la France. Les temps futurs sont à
l’union, non à la séparation. Mais aussi et surtout, ils sont à la liberté,
à la liberté des races, des cités, des individus, dans l’harmonie. N’est-il pas
évident pour tous ceux qui réfléchissent, que l’Europe - même en conservant ses
rois et ses ducs et ses empereurs - court à l’union républicaine ? Si au
conseil des amphictyons européens la France était représentée par trente, la
Provence, le Midi, qui forme le tiers ou le quart de ces trente unités, aurait
donc dix voix, ou sept, au chapitre »… Quelques mois plus tard, le
même correspondant reçoit une autre lettre, où Mistral affirme
: « J’ai trouvé dans Proudhon les conclusions exactes du Félibrige
(…). Le dernier mot du progrès politique et la solution infaillible des
questions qui divisent l’humanité est la fédération, le XXème siècle ouvrira
l’ère des fédérations »… Les positions politiques
prêtées à Mistral sont largement éreintées… Ainsi pour Garcin, pas de
doute, le Maillanais est « séparatiste »… La presse de gauche emboîte
le pas. On est loin ici du débat littéraire. Un peu plus tard, c’est un jeune
journaliste du nom d’Émile Zola, qui attaque : « Dans votre grande
tendresse pour le coin de la France où vous êtes né, vous regrettez un passé
cruel dont la Révolution nous a sauvés, vous niez un présent qui est plein
d’activité et de force. Vous souhaitez un avenir qui en se réalisant ferait
faire un saut de plusieurs siècles en arrière (...). J’ai feuilleté vos
oeuvres, poète du passé égaré dans notre siècle de science, et je n’y ai pas
trouvé un seul cri d’espérance, un seul chant de joie en face de la grande
aurore qui se lève (…). Poète levez-vous. Quand vous serez sur les sommets,
écoutez et regardez. L’idiome de votre pays se perd dans le choeur des langues,
les contrées s’étendent devant vous comme une seule et même patrie (…). La
Provence devient la France, la France devient le monde... Pour les hommes de
gauche l’affaire est entendue, la revendication mistralienne est rejetée du
côté de la réaction. Le patois se meurt, le patois est mort, et il y a d’autres
urgences que sa résurrection. Il n’y a pas de place pour lui dans le nouveau
monde que bâtit la Science… « Le coup est rude pour
un Mistral dont les premiers textes publiés, en français, en 1848 étaient
justement des saluts à la République et à la Révolution. Mistral pensait que son rêve
fédéraliste était tout à fait compatible avec une vision progressiste de
l’avenir de l’Europe… Sa réaction est à la mesure de
sa déception : il place désormais ses espoirs dans une « décentralisation »
accordée par le haut, par le ministère Émile Ollivier. Tandis qu’il prend ses
distances par rapport aux idéaux démocratiques de sa jeunesse : son adhésion à
l’ordre moral, après la Commune, se prépare ainsi dès 1868 » [ 48 ]. DES « PARPAIOUN BLU » DE WILLIAM CHARLES
BONAPARTE-WYSE… Laissons là ces considérations politiques pour nous
intéresser brièvement maintenant au correspondant « inattendu » de
Mistral, le prince William Bonaparte-Wyse… Le Professeur Terral de l’Université
de « Toulouse- Le Mirail » dresse la biographie sommaire suivante du
personnage : « Charles William Bonaparte-Wyse ( 1826-1892 ) occupe une
place singulière dans la galaxie du Félibrige provençal. Irlandais de naissance,
il est le petit-neveu de l’Empereur Napoléon 1er ( par sa mère ) et
le fils d’un ambassadeur de la reine Victoria. C’est toutefois son ralliement à
la cause Mistralienne qui lui accorde quelque célébrité littéraire pour autant
qu’il compose des poésies en provençal ( « Les Papillons bleus »,
1868 ). Mais c’est surtout son engagement en faveur de « l’Idée
latine » ( mouvement éclectique dont les chefs de file sont Charles de
Tourtoulon et Louis-Alphonse Roque-Ferrier ) qui lui donne une dimension
authentiquement politique : nous sommes, en effet, en présence d’une
tentative collective de fédérer les identités occitane, catalane, française,
italienne, castillane, roumaine, etc. Ce mouvement, très actif dans la
dernière partie du XIXème siècle, a exercé une influence non négligeable
jusqu’à la Première Guerre mondiale et, peut-être, au-delà » [ 49 ]. Dans « l’avans prepaus » à l’œuvre
majeure de William Bonaparte-Wyse intitulée « Li Parpaioun Blu »,
que signe Frédéric Mistral en date du 7 Juin 1867, on peut trouver - en Provençal
dans le texte ! – une autre forme d’approche « biographique » du
personnage… « Vèn de i’ agué sèt an, un bèu jouvènt, de
bloundo e noblo caro, s’arrèstè pèr asard en Avignoun. Ero un jouine Irlandés
qu’anavo pèr lou mounde, estudiant li païs e li pople divers, e espassant sa
languitudo en filousofe. (…) En passant dins la carriero de Sant-Agrico,
remarquè, au vitrage d’un libraire, dou libraire a felibre Roumanille, de libre
escri dins uno lengo que i’èro incouneigudo. Fort curiousamen intrè e li croumpè :
èro de libre prouvençau. L’estounamen de rescountra en Franço un parla literari
autre que lou de Paris e d’avé descubert uno literaturo s’ispirant noun di Grè,
ni di Rouman, ni di francès, ni dis Anglès, ni di German, nimai de l’Ouriènt,
nimai dis Indo, mai naturalamen e soulamen dou terradou, l’estounamen, vous
dise, e l’abalauvisoun e l’estrambord que lou prenguèron, ven pas à nautre à
lou retraire. Es toujour que noste ami, car à parti d’aqui fuguè
tout nostre, sentiguè subitanem s’atuba dins soun cor la flamo felibrenco, e
vouguè nous counèisse, un pèr un, e nous diguè soulennamen : - Vous ame,
sias mi fraire. Partènt de vuei, coumtas sus iéu. Ansin couneiguerian e veguerian s’apoundre à noste
bataioun lou valerous felibre di Parpaioun blu, William Carle Bonaparte-Wyse,
naseu à Waterford ( Irlando ) de Sir Thomas Wyse, embassadour en grèço pèr la
rèino Victoria, e de la princesso Laetitia Bonaparte, fiho dou prince Lucian. Bon sang pou pas menti. A la Revoulucioun qe manquè
de rèn que lou Bos de la Santo Baumo, glori de la Prouvènço, fuguèse vendu
coume prouprieta de la nacioun e cepa brutalamen pèr faire d’esclapo. Es Lucian
Bonaparte, einat de l’emperaire Napoleon Proumié, que lou sauvé. Car, pèr bono
fourtuno, Lucian, d’aquelo epoco estènt à Sant-Meissemin e presidène aqui
l’assemblado dou pople, faguè, em’ elouquènci, valé l’antiqueta e la bèuta de
la fourèst, e gagnè soun proucès contro lis escaplaire. Bon sang pou pas menti,
e lou bon diéou mando de signe : au moumen que la Prouvènco fièramen s’enarquiho
dins sa lucho suprèmo contro lis escaplaire e li ressaire de sa lengo, veici à
noste ajudo un felen de lucian que pren gaiardamen nosto bandiero e que la
bandejo amount à la cimo di merlet ».[ 50 ] En langue anglaise un site internet propose ces
quelques autres éléments biographique : « The second son William
Charles made a reputation for himself as a Provencal poet and as leader of the
revival of the Provencal language, married and had four sons. He bought the
Manor from his brother rather than see it leave the Wyse family. His Unionist
sympathies at a time of unrest and Land League activity quickly involved him in
broils with the Church and with Nationalists. He died in Cannes and is buried there ». [ 51 ] On en retiendra
que s’il fut un « régionaliste provençal » et qu’il repose aujourd’hui en
terre Française, William Bonaparte-Wyse avait pris clairement le parti des
« Unionistes » dans son pays d’origine ce qui est une forme étonnante
de paradoxe… L’un de ses fils
deviendra d’ailleurs en 1927 « Ministre de l’éducation » en Ulster. [
51 ] William Bonaparte-Wyse reste
en tout cas un auteur majeur du mouvement félibre… En 1883 Frédéric Donnadieu
estimera : « La langue provençale peut périr, emportée, comme tant
d’autres choses, par les souffles unitaires et centralisateurs, les œuvres de
Bonaparte-Wyse resteront comme une des preuves les plus éloquentes de ce que pu
produire, en plein XIXème siècle, un idiome remarquable, surpris et arrêté en pleine
décomposition. Ce sera la gloire du poète et l’honneur du Félibrige qui
l’inspira » [ 52 ] …
A LA « CHANSOU LEMOUZINA » DE JOSEPH
ROUX… Né en Provence, le « mouvement félibre »
devient également progressivement une réalité dans le sud-ouest, en particulier
en Limousin, terre occitane… où Joseph Roux s’impose bientôt comme la figure
dominante du secteur… « Le Félibrige survint, démontrant avec Mistral
et « Mireio » en 1850, que la culture du patois pouvait atteindre,
souverainement même, à l’épopée. Prenant la tête du mouvement philologique du
Midi, Joseph Roux revient franchement aux traditions de la graphie limousine en
une œuvre de haute valeur : « La Chansou Lemouzina » qui,
depuis vingt ans, fait école » écrira, en 1913, Coissac [ 28 ] Mistral lui-même avait déjà fait auparavant l’éloge
de cette même « chanson limousine » en écrivant, dans une
correspondance de 1888, à destination de Joseph Roux : « La
Chançon Lemosina, votre noble épopée, est un des phénomènes les plus
curieux et les plus remarquables de la renaissance de notre langue. Si les
héros de votre pays, si les illustrations de votre histoire taillèrent dans la
gloire la matière de vos chants, si les troubadours vos prédécesseurs
modelèrent les laisses et fourbirent la langue limousine, c’est vous
qu’attendait le panthéon limousin pour posséder dans son ensemble, retracé à la
fresque, le poème de son passé… » [
36 ] Joseph Roux, « notre Mistral Limousin »
selon l’expression de Joseph Nouaillac, est née à Tulle le 19 Avril 1834, soit
dix années après Elie Dufaure, et presque « jour pour jour » ( Elie
Dufaure était natif d’un 12 Avril ). Après avoir accompli l’essentiel de ses
« humanités » à Tulle, en 1853 Joseph Roux entre comme élève au
« Petit Séminaire de Brive » en classe de « Philosophie »… Il est ordonné prêtre en 1858 et peu après son
ordination il est affecté au petit séminaire de Brive, cette fois en qualité de
professeur de la classe de « cinquième »… Monseigneur Berteaud le
nomme ensuite vicaire à Varetz… puis l’Abbé Roux devient curé de Saint Sylvain,
une petite paroisse située près d’Argentat…[ 53 ] En dehors des tâches de son ministère, l’abbé Roux
s’essaye aussi à versifier… Il démontre quelque ambition littéraire mais ses
premières publications en « Français » ne sont guère couronnées de
succès… Pendant son séjour dans les cures de la campagne
Corrézienne il apprend le « Limousin »… « Cette campagne où il s’ennuie, ces paysans
qu’il déteste vont lui apprendre ce qui fera sa vraie gloire : la langue
Limousine » analysera plus tard Roger Tenèze [ 33 ] En 1874 à l’occasion du cinquième centenaire de
Pétrarque Joseph Roux prend part au concours félibréen et écrit en langue
Limousine un sonnet, intitulé « A Pétrarque », qui lui vaut
une médaille de bronze… « Penden que lo cita vesino Doùs papos éro lou sejour, Petrarco, l’ouvens nèt é jour Nostro poési Limousino ! Oty prignéras qu’illo ordour Qui bourlavo dins to peltrino ; Oty puiseras to dottrino ; Oty couniguéras l’omour ! Salut o las musas porentas ! … Lounten, lounten indiférentas, Oné se parlou di nouvèr : Totéu que las feuias rivènou Eitar s’oppèlou, eitar s’ovènou Lous oùsélous muèts
l’ivèr ! [ 54 ] En 1876 Joseph Roux est élu « félibre majoral »
du Limousin… Sur intervention du Préfet Glaize auprès de
Monseigneur Berteaud, l’abbé obtient une cure plus proche de Tulle et il est
nommé alors à Saint Hilaire Peyroux. Son activité littéraire prend dès lors de plus en
plus d’importance… La publication de ses « Pensées »
lui permet d’accéder à la notoriété au plan national…et même au niveau
international : il est en effet édité en Allemagne, en Grande Bretagne… et
aux Etats-Unis ! En 1886 Joseph Roux est nommé Chanoine prébendé de la
Cathédrale de Tulle. En 1889 il publie « la chansou Lemouzina »,
puis en 1894 une « Grammaire Limousine », et enfin un « lexique
Limousin » en 1895… Ces ouvrages demeurent aujourd’hui encore « necessaris
a l’estudi et a la difusion de la nostra cultura d’oc »… L’Abbé Roux impose en fait une graphie et il compose
un véritable instrument de travail pour tous les écrivains Limousins qui seront
ses successeurs [ 36 ]. « Sa « Grammaire Limousine »
devia assegurar tanbé la propagacion de l’ensenhament de la leng emb las tradicion et los proverbis
venerables », écrit Robert Joudoux, dans la préface du numéro 175 de
la Revue « Lemouzi », daté de Juillet 2005, une préface spécialement
consacrée à l’évocation du « Majoral Josep Ros » pour le
centenaire de la date de sa mort… Joseph Roux avait fondé en 1893 cette fameuse revue
« Lemouzi », bien connu des amateurs d’histoire locale et du
« parler limousin », qui sera publiée dans un premier temps jusqu’en
1931… puis qui sera « relevée » en 1961 par… Robert Joudoux. UN MOT BREF A PROPOS DE ROBERT JOUDOUX… DE LA PRADE D’ALLASSAC…
Le 29 mai 1982, à Nice, le « Consistoire des
Majoraux du Félibrige » élisait le Corrézien Robert Joudoux ( Docteur
es lettres, Professeur de lettres au Lycée Edmond Perrier de Tulle ) au titre
de « Majoral du Félibrige », en remplacement de Roger Barthe,
décédé. C’était « la première fois qu’un titre aussi prestigieux était
décerné à un homme du « Pays de Brive », à un « simple
pied terreux », comme aime à se qualifier lui même Robert
Joudoux ! [ 55 ] Un « peds terros » : assurément
Robert Joudoux l’est sans conteste… tout comme Elie Dufaure le fut aussi ! La
famille du Majoral Joudoux est en effet originaire du village de « la
Prade » [ ou « Laprade » ], sis sur le territoire de
la Commune d’Allassac, où ses membres furent longtemps vignerons, et où
se situe encore la « Maison Joudoux », maison de famille, « Chas
lo Rodier » ! [ 56 ] C’est dans ce même village de Laprade ou la Prade
qu’Elie Dufaure situe les origines de son cousin « Dufaure de Laprade »,
et le Chanoine Marche trouve effectivement trace d’un Dufaure de laprade,
inscrit sur le Cadastre de 1810 comme propriétaire au village de Laprade ( …
tout comme figure également un Dufour, d’Estivaux ! ) [ 15 ]. Avant l’élection de Robert Joudoux, le dernier
majoral Corrézien avait été Amédée Muzac, poète et érudit, originaire
d’Argentat, mort en 1943, qui s’inscrivait lui même dans cette
« distinction » après son maître Eusèbe Bombal ( historien et conteur
), ou après le Tulliste Johannès Plantadis, et après encore… Joseph Roux ( le
chantre de la « chanson Lemousina » ), lesquels portèrent tous
la « Cigale d’Or »… Le 6 août 1983, à Objat ( Corrèze ), le majoral Jean
Monestier ( président du « Bournat du Périgord » ) remettait à
Robert Joudoux la « Cigale d'Or de Majoral du Félibrige »… A
cette occasion, le récipiendaire rappelait : « Mon rôle est, autant que
faire se peut, de galvaniser la recherche limousine, d’inciter les autres à
créer, à écrire, de rappeler les vérités de notre enracinement ancestral et
d’éviter, comme disait mon ami Pestour, que le limousin devienne « un
simple nom écrit sur une pierre » ! [ 55 ] Fidèle à ce principe, « Lemosin del pais daus pès-tarros, nos chal
apparar la maison e lo terrador, e tots los jorns far quauqua res per aplantar
« la desertification » e tornar fondar l’encontrada dins
l'enraijament d'un vielh pople que vol pas morir. Fasem coma los reires qu'an
tengut tant qu'an pogut ! Lo dever es lai, auei coma jamai ! » écrira
un peu plus tard le Majoral Joudoux… [ 56 ] « AS TU CHABA ! …
« AITAU QUO SIA ! »… On pourra toujours gloser sur
l’histoire de la Langue Limousine à travers les âges et les raisons de sa
survivance malgré des périls politiques qui ont pu la menacer… « La Revoluciu de 1789 fague au cé dou mau e dou be à notre lenga. Dou
mau perço que l’ideia centralisaira podia pas acetar quela pluralitat de
parlara, e l’abbat Grégoire, Deputat a la Constituanta commence la guerra
contre los patois. Mas co sigue, l’oucasiu de n’en eitablir lo recensamen per
los mies deitruire… Dou be perço que un s’apercegue que la lenga d’oc se
parlava pertot e que la propaganda, tant dou costat leialiste que dou
republicain s’en siervit. Enfin parça que la Revoluciu apportava un esperit
novèu anan vers mai de libertat, qu’en lettradura se marquara per una oùposiciu
au classicisme finissènt per l’eipelida dou romantisme, e per un novèu corent
que vendra ajudar la granda Reneissença dou Felibrige e preparar un cop de mai
la subrenvivenciade quela faussa-mortat que faut de tota eiternitat tuar e
tornar tuar... Mas se comprendria pas lo cop de soleil, de Mireia, le brut que
fague a Paris e l’eipelida dou Felibrige si vesian pas dins dous biais
différents naisse e se deivelopar un intérêt de mai en mai grand per los
Trobadors, la Lenga Romana e per quis poetes popularis que convenian tabe à las
ideias socialas dou moment... » [ 57 ] On pourra toujours saluer avec
lyrisme la région Limousine et son « parler »…comme « Josep
Ros nos i convida dins son invocation a la « lenga lemosina » qui
suit [ 58 ]: « Ai Lemozis , franca terra cortesa « Ah Limousin, terre franche et courtoise Revelha te ! Tan dormir es pegresa Réveille toi, tant dormir c'est paresse
! Enspira mai ! chanta mai ! pensa mai Inspire, chante, pense encore, Floris e frucha anuech coma jamais » Fleuris et fructifie aujourd’hui comme
jamais » Il reste que bien du temps s’est
écoulé depuis l’époque des troubadours... La langue Occitane intéresse
encore quelques nostalgiques mais ils sont… marginaux, à défaut d’être marginalisés,
même si leur noyau est toujours dense... Marcelle Delpastre rappelait, à
la fin de l’un de ses ouvrages, que le Limousin fut « la langue des papes
et des rois. [ il ] connaît sa plus haute gloire au XIIème Siècle, et depuis
sept cent ans n’en finit pas de survivre dans les cours de fermes où le Grand
Siècle, comme le Siècle des Lumières, s’étonnait d’entendre sonner le
subjonctif à tous les temps et dans leurs plus précieuses subtilités ! » [
29 ] « Aitau quo sià » ! ... Mais cela ne semble plus intéresser
grand monde, « per moun arma »! ... Question de civilisation ! Michel Peyramaure, Romancier de
« l’Ecole de Brive », situe l’un de ses romans dans le
Bas-pays Corrézien, au début du XXème Siècle... [ 59 ] Pour renforcer
« l’authenticité » du tableau qu’il propose, il parsème, ici ou là,
ses écrits de termes « patois » dont il « propose » ou
« donne » la « signification » pour l’homme d’aujourd'hui
ou tout simplement l’étranger à la région… Ainsi en va-t-il, par exemple,
pour des termes tels « bacade »
( pâtée pour les porcs ), « baqua
les gagnou » ( donner leur pâtée aux porcs ), « cantou » ( coin de cheminée ), « cailladou » ( fromage blanc ), « couade » ( récipient pour puiser l’eau ), « voï » ( oui ) « tourtou » ( crêpe de blé noir ), « grillons » ( sorte de rillettes ),
« gogue » ( boudin ),
« clamper » ( bavarder ),
« juque » ( grenier à foin
)… ou autre « fiolou » (
petite bouteille ) et encore « milhassou »
( ... intraduisible désignation pour un met culinaire local succulent dont il
faut se régaler ! ) [ 59 ] Ces quelques mots de patois
suscitent en moi des résonances, des sensations, des odeurs ou des … saveurs…
bien supérieures à ce que pourrait rendre toute traduction des mêmes termes en
une pure langue française ! … Et voilà, illico, une bouffée
de nostalgie qui monte en moi … Le souvenir de réalités concrètes, bien souvent
disparues aujourd’hui, jadis appréhendées au cours de mon enfance Corrézienne
sur le plateau Corrézien ! Qu’en sera-t-il toutefois pour
les générations à venir ? ... Car d’ores et dejà, les
termes « tessenou » (
collier ) ou « peilharot »
( chiffonnier ) me « parlent » beaucoup moins... « Fi de lou »… Ils sont
inintelligibles pour moi… Ils ne correspondent à rien de concret dans mes
représentations… Coissac s’interrogeait déjà aux
débuts du vingtième siècle sur la survivance menacée de la langue régionale… « Que deviendra notre bon
patois limousin, rude comme nos monts, fleurant en ses syllabes le parfum de
nos fleurs des champs ? Combien de temps encore entendra-t-on ce verbe
ancestral dont la sonorité demande des échos, dont la saveur est celle de
l’excellent pain bis ? Qui voudra continuer à parler comme on parlait
uniquement en nos campagnes, voilà moins d’un demi siècle ? Enfin, qui
recueillera toutes ces expressions, nôtres par la sagesse et l’humour, et ces
chansons aux rimes si riches, en dépit parfois de la pauvreté de l’idée ?
Notre langue limousine est-elle condamnée ? Autant d’anxieux points
d’interrogation, autant d’inquiétudes pour ses tenants et amateurs lettrés. Si
l’on parle chez nous comme autre part, le meilleur du pays disparaît. (…) Cette
langue était l’œuvre même des Limousins, forgée au cours des siècles, peu
modifiée et sans cesse enrichie. La perdre, c’est perdre une fortune, c’est
renier un legs sacré ! » [ 28 ]. Déjà demandait l’institutrice à
l’enfant : « Fais moi plaisir ne dis plus « clédou » pour le portillon de l’école, « cacal » pour noix, « rabe » pour rave (…). Lorsque tu
passeras ton certificat personne ne t’interrogera en patois » ! (…). Et lorsque l’élève disait :
« J’ai bouté mes socques pour aller
guère les vaches près du gode à cause qu’il y a de la boude », le
jeune maître (…) lui faisait écrire dix fois : « j’ai chaussé mes sabots
pour aller chercher mes vaches près du réservoir à cause de la boue » ! [
59 ] ... Déjà l’enfant ne devait plus
parler comme il savait, c'est-à-dire en fait comme il
« poudait » !! Abandonner à tout prix
« l’idiome local » pour la langue française... Une certaine idée du
progrès, longtemps partagée… Marcelle Delpastre avait, elle
aussi, la nostalgie de son enfance, de ses jeux d’enfants, du temps qui avait
passé… « Temps passé, temps heureux
dans la mémoire, ce qu’il en reste, aussi peu qu’il en reste ! C’était pour
nous, c’était avant tout, le temps de l’aitau quo sià. Il aurait mieux valu
dire, peut-être, aitau quo serià. Dans notre idée nous pensions, en français :
ainsi, ce serait... Mais nous disions bien : aitau quo sià, sans vraiment
savoir que cela voulait dire : qu’il en soit ainsi. Ainsi soit-il. Amen »
[ 29 ] ... « Aitau quo sià » donc
! « Barra la
! »... « Taisa té ! » ... « N'i a pro ! Vaï t'en »...
« As tu chaba ! » [ 60 ] Je ne peux pas clore ces quelques
lignes que je rédige en cette fin d’année 2005, sans quelques raisons d’espérer
pour l’avenir de la langue limousine en relevant son enracinement encore
profond… En juilllet 2005, le quotidien
« La Montagne », édition de Brive, s’intéressait aux sujets
Britanniques qui viennent s’installer toujours plus nombreux en Limousin… Sara Lehan, qui tient une
épicerie à Saint-Aulaire, « interviewée »
déclarait : « J’ai fait deux ou trois ans de Français au lycée
mais ce n’est pas le même Français qu’ici ; en plus les gens parlent vite,
certains me parlent même en patois ! » [ 61 ] Le même quotidien, en Octobre
2005, évoquait sous le titre « Pour que le patois ne se perde
pas » , les travaux de l’Institut d’Etudes Occitanes, en particulier
la réalisation d’enregistrements auprès d’un groupe de « seniors » de
Cosnac de conversations tenues ou d’histoires racontées en patois … [ 62 ] Enfin dans le cadre de la
préparation de la Foire du Livre à Brive, quelques semaines plus tard, un
article était consacré à Nadine Bourges, une Beynatoise, qui venait d’éditer un
« recueil bilingue français-Occitan » intitulé « Lo
chant perdu de la lenga ». Elle déclarait au journaliste « les textes
de mon recueil ont tous un lien entre eux comme une mosaïque. Ils évoquent
l’enfance, le monde rural et la lente disparition de cette langue dans l’oubli
d’un passé qui est pourtant la richesse de notre identité. Je n’écris pas dans
l’illusion de la faire renaître, mais pour tenter de préserver en moi ce chant
magnifique et envoûtant de ces belles voix disparues… » [ 63 ] Un siècle et demi auparavant Elie
Dufaure demandait à Baptiste : « Je
souhaite que tu fasses venir Monsieur Dagot au moins trois fois par semaine le
soir, te donner des leçons de grammaire, et surtout parler français avec toi.
Je suis convaincu que tu feras de grands progrès car ta lettre m’a étonné sous
le rapport des pensées et de leur forme. Je payerai tout ce qu’il faudra, et avec
le plus grand plaisir. Je te le demande même en grâce » … J’entends moi aussi ces belles
voix disparues… BIBLIOGRAPHIE ET
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